Les étudiants sans-papiers aux Etats-Unis et le nouveau rôle de l’université publique.

La population sans papiers aux Etats-Unis a connu une forte croissance au cours des quinze dernières années. Cependant aujourd’hui le débat autour des effets de cette immigration ne se limite plus aux travailleurs irréguliers, mais intègre également les étudiants sans papiers cherchant à accéder aux universités publiques du pays...

... Chaque année, environ 65.000 jeunes sans papiers sortent du lycée avec leur diplôme en poche, et représentent autant d’étudiants potentiels du supérieur. Pour ces jeunes l’obtention d’une aide financière est alors la condition essentielle de leur entrée à l’université. Malgré les restrictions imposées par la législation fédérale sur l’aide aux étudiants sans papiers, certains Etats ont choisi de les aider à intégrer leurs universités publiques, tandis que d’autres ont au contraire renforcé ces obstacles, allant parfois jusqu’à interdire leur inscription. Les étudiants sans papiers se retrouvent aujourd’hui au cœur du conflit entre le gouvernement fédéral et les Etats sur les coûts de l’immigration, en particulier irrégulière. La difficulté à établir une hiérarchie claire des responsabilités législative et fiscale entre ces deux niveaux d’administration retarde l’accès des étudiants sans papiers à l’enseignement supérieur, et par là leur intégration à la nation américaine.

Mots clés : Etats-Unis; Immigration; Sans-papiers; Enseignement supérieur; Accès.

 

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Fanny Lauby

Doctorante
Université Sorbonne Nouvelle – Paris III

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Les étudiants sans-papiers aux Etats-Unis et le nouveau rôle
de l’université publique

 

          Les immigrés irréguliers représentent aujourd’hui entre 11 et 12 millions de personnes aux Etats-Unis (Passel, 2005). Il s’agit d’un groupe relativement jeune, dans la mesure où une personne sur six a moins de dix-huit ans. Ces jeunes sans papiers sont des étudiants potentiels trop souvent oubliés à la fois des débats sur l’immigration comme de ceux sur le financement des universités publiques. Pourtant chaque année environ 65.000 d’entre eux finissent leurs études secondaires et sont prêts à entrer à l’université (Passel, 2003 : 1). Ils font partie de ce que certains appellent la « génération 1,5 » : immigrés récents aux Etats-Unis, ils font partie d’une première vague d’immigration, mais leur mode de vie, et notamment leur meilleure réussite scolaire au sein de leur famille, les rend plus proches de la seconde génération, qui eux sont nés aux Etats-Unis de parents immigrés. 

Pour ces jeunes, l’accès à l’université représente une occasion unique de parfaire leur intégration au sein de la nation américaine. Cependant plusieurs obstacles se posent : tout d’abord leur délicat statut légal reste difficile à dépasser, et le seul fait de demander une carte de résident constitue un  risque d’expulsion. Le second obstacle est également financier. Comme n’importe quel autre étudiant aux Etats-Unis, la question du financement des études supérieures prévaut souvent au sein des familles, et nombreux sont ceux qui perdent courage devant les coûts exorbitants des inscriptions.

Enfin, depuis le début des années 2000, un autre problème se pose : celui de l’opposition directe de certains Etats à l’entrée des étudiants irréguliers à l’université. Même si, en tant qu’immigrés, ils dépendent de la responsabilité législative de l’Etat fédéral, leurs ambitions universitaires les placent sous la responsabilité fiscale des Etats fédérés, qui gèrent les universités publiques. En l’absence de législation fédérale les concernant, le flou des responsabilités retarde leur accès au supérieur et leur intégration à la nation américaine.


I. Les responsabilités gouvernementales à l’égard des étudiants irréguliers

A. Le gouvernement fédéral

          D’après la Constitution des Etats-Unis, le gouvernement fédéral règlemente l’immigration et les lois de naturalisation. La section 8 de l’Article I explique que « le Congrès aura le pouvoir d’établir une règle uniforme de naturalisation. » De ce fait, jusqu’à la fin du vingtième siècle, les différents Etats de l’Union s’en sont remis au Congrès pour régler les questions liées à l’immigration. La dernière grande réforme dans ce domaine date de 1996 avec l’adoption de trois lois fédérales.

Le Congrès adopte d’abord en avril et août 1996 l’Antiterrorism and Effective Death Penalty Act et le Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act. La première loi freine les effets de l’Habeas Corpus  dans les cas de terrorisme international, et la seconde, qui introduit une réforme globale de l’aide sociale aux Etats-Unis, restreint l’aide fédérale aux immigrés pendant leurs cinq premières années de leur séjour.

Une troisième loi fédérale vise plus directement les immigrés irréguliers et les étudiants sans papiers. Il s’agit de l’Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act. Cette loi fait du statut de sans papiers une violation de la loi sur l’immigration et rend ainsi plus difficile toute tentative de légalisation de statut. La section 505 de la loi est plus spécifiquement destinée au cas des étudiants : elle précise qu’aucun avantage financier ne peut être accordé à un étudiant sans papiers si le même avantage n’est pas accordé à un étudiant américain, quel que soit son lieu de résidence. Cette section joue directement sur les différences de frais d’inscription des universités publiques américaines. En effet ces frais peuvent varier du simple au triple selon que l’étudiant est un résident de l’Etat où il étudie ou non. Sans papiers de résident, un étudiant irrégulier paiera donc le prix maximal, sauf si des avantages financiers lui sont accordés. Le but de cette section 505 est de forcer les universités à abandonner ce système si rentable dans le cas où une loi favorable aux étudiants sans papiers serait adoptée dans leur Etat.


B. Les Etats et les mandats fédéraux

La conséquence des lois de 1996 est qu’en se déchargeant de sa responsabilité d’assistance auprès des immigrés, qu’ils soient en situation irrégulière ou non, le gouvernement fédéral a effectivement transféré ce rôle aux Etats fédérés. La réforme de l’assistance publique a eu pour résultat immédiat de « diminuer les fonds fédéraux accordés aux Etats et aux communautés locales » (Fix, Zimmermann, Passel, 2001: 37). Grâce à ces lois, le gouvernement fédéral a également imposé aux Etats de garantir l’accès aux services essentiels (santé, éducation, justice) à tous, y compris aux immigrés sans papiers. Ces mandats fédéraux ont imposé de nouvelles responsabilités fiscales aux Etats, sans les accompagner de responsabilités législatives sur le sujet. Les lois de 1996 ont accru les services mandatés par le Congrès et en parallèle ont réduit le financement fédéral de ces services, ce qui n’a pas manqué d’accroître la frustration de certains Etats. En outre, ces baisses des fonds fédéraux destinés aux immigrés légaux ou illégaux ont conduit à une perte de ressources financières non négligeables pour ces jeunes, principalement pour leur vie scolaire et universitaire.


C. La Cour Suprême et la question de l’accès à l’éducation

La Cour Suprême a été appelée à se prononcer à plusieurs reprises sur la situation des jeunes sans papiers à l’école. Ces interventions ont été très suivies : était en jeu la possible définition de l’éducation comme droit fondamental aux Etats-Unis. Un tel changement modifierait en effet le degré d’implication du gouvernement fédéral dans ce domaine. Si l’éducation est déclarée comme droit fondamental, son accès sera protégé  par le gouvernement fédéral au même niveau que les droits établis par le 1er amendement à la Constitution. En revanche si elle est considérée comme un service, elle relèvera du domaine des Etats et de leur législation. A deux reprises, la Cour s’est prononcée en faveur de cette dernière interprétation, dans des cas impliquant la scolarisation d’enfants sans papiers dans le primaire et le secondaire. D’abord en 1973 dans l’arrêt San Antonio Independent School District v. Rodriguez, la Cour a rappelé que l’éducation n’est pas formulée dans la Constitution comme droit fondamental, et que « l’importance d’un service effectué par un Etat ne détermine pas s’il doit être vu comme fondamental » (Cour Suprême: 411 US 1). Plus tard en 1982, dans l’arrêt Plyler v. Doe, la Cour a protégé le droit des enfants sans papiers de fréquenter les écoles publiques américaines, sans pour autant parler de droit fondamental. Il s’agissait plutôt à l’époque de prévenir une possible division de la nation entre ceux qui bénéficierait d’une éducation, et ceux qui en seraient tenus à l’écart. De ce fait l’éducation fait aujourd’hui partie des besoins essentiels couverts par les mandats fédéraux imposés aux Etats.

La division entre les domaines réservés du gouvernement fédéral et ceux des Etats a été une source de conflit majeure depuis le début des années 1990 aux Etats-Unis. Cela a particulièrement été le cas au sujet de la « facture » de l’immigration irrégulière autour de laquelle de fortes réactions ont émergé ces dernières années.


II. Les conflits autour du coût de l’immigration

A. Comment calculer le coût de l’immigration ?

          Du fait de la nature de l’immigration clandestine, le calcul des coûts ne peut se faire qu’à partir d’estimations du nombre d’immigrés, ce sur quoi peu de gens tombent d’accord. Les chiffres avancés varient de 8 à 30 millions selon les sources , même si la plupart des chercheurs s’accordent à dire qu’il y aurait aujourd’hui entre 11 et 12 millions de sans papiers aux Etats-Unis. Parmi ceux-ci, on estime qu’il y aurait entre 1,7 et 2,5 millions de moins de dix-huit ans (Passel, 2005: 1). Il reste aujourd’hui légalement impossible de demander aux élèves du primaire et du secondaire leur statut d’immigration au regard de la loi. Toute requête de ce genre serait contraire à l’esprit de l’arrêt Plyler v. Doe de 1982, selon lequel toute personne a droit à une éducation de base. Il devient donc très compliqué de calculer exactement les frais engagés par les Etats pour permettre à ces élèves de fréquenter leurs écoles publiques. Dans le supérieur, le même problème se pose. Selon les législations mises en place au niveau des Etats fédérés, les étudiants sans papiers peuvent s’inscrire au titre de résident de l’Etat ou de non-résident, mais il est impossible de définir combien parmi les non-résidents ont choisi cette catégorie parce qu’ils sont sans papiers.

Les différents chiffres avancés sur le coût de l’immigration irrégulière ne sont pas neutres et dépendent des intentions de chaque source. Certains centres de recherche comme l’Urban Institute ou le Pew Research Center préfèrent s’en tenir au calcul du nombre de personnes présentes de manière illégale, tandis que le Government Accounting Office  s’en tient à des analyses de méthode des différents modes de calcul de chaque Etat. Ces organismes tentent de comptabiliser le nombre de personnes en situation irrégulière en soustrayant le nombre d’immigrés légalement admis chaque année du nombre de personnes nées à l’étranger recensées par le gouvernement. La différence entre ces deux données permet d’établir une estimation du nombre de personnes nées à l’étranger et en situation irrégulière. D’autres ont en revanche pris le parti de proposer des chiffres beaucoup plus alarmistes qui soutiennent directement leur but affiché de limiter l’immigration vers les Etats-Unis. C’est le cas par exemple de la Federation for American Immigration Reform (FAIR), un lobby anti-immigration, qui publie régulièrement des rapports sur le coût de l’immigration sans papiers pour les résidents de chaque Etat. Cependant, ces calculs sont réalisés pour chaque foyer « dont le chef de famille est un résident né aux Etats-Unis » (Martin, Melhman, 2005: 1). Il va sans dire que pour des Etats comme la Floride, le Texas, ou l’Arizona, ce choix limite considérablement le nombre de foyers pris en compte pour le calcul des frais, et augmente nécessairement le coût par foyer de ce type d’immigration.


B. Les tensions entre Etats et gouvernement fédéral

Au cours des années 1990, la question du remboursement des Etats par le gouvernement fédéral des coûts occasionnés par l’immigration irrégulière a pris de l’ampleur. A la suite de l’adoption de l’Immigration Reform and Control Act en 1986, le gouvernement fédéral avait mis des fonds à la disponibilité des Etats afin de les aider à mettre en place la réforme et ses procédures d’amnistie. Cependant ces versements ont pris fin en 1994, les services proposés par les Etats n’étant pas à charge du gouvernement fédéral (Department of Health and Human Services, 1991: 4-26). Peu après cette décision, plusieurs plaintes ont été déposées par les Etats ayant les plus fortes populations d’immigrés (Floride, New York, New Jersey, Californie, Arizona, Texas) contre le gouvernement fédéral, avec un double objectif : d’une part, garantir une application stricte des lois sur l’immigration pour empêcher l’arrivée d’immigrés irréguliers, d’autre part obtenir des compensations financières du fait du déséquilibre budgétaire lié à l’immigration irrégulière.

Les arguments présentés par les Etats ont été jugés irrecevables par les cours fédérales, estimant qu’il s’agissait d’une question politique qui ne pouvait obtenir de compensation financière. Les cours de justice ont établi qu’il était impossible pour elles d’évaluer les efforts du gouvernement en matière d’immigration (Colorado Office of the Attorney General, 2006: 8). Les Etats s’estimant lésés par la situation ont de ce fait adopté une nouvelle stratégie : ils ne combattent plus directement l’action du gouvernement fédéral, mais adoptent à leur niveau des lois et des résolutions les protégeant au maximum contre toute dépense liée ce type d’immigration. Ainsi la plupart d’entre eux cherche à limiter, autant que possible, l’influence des mandats fédéraux d’assistance, et restreint l’accès des sans papiers aux aides publiques en dehors des besoins essentiels que sont la santé, la justice et l’éducation.


C. L’enseignement supérieur : un domaine où ne s’appliquent pas les mandats fédéraux

Si l’accès à l’enseignement secondaire est protégé par l’arrêt Plyler v. Doe de la Cour Suprême, il n’en est pas de même pour l’enseignement supérieur. La législation fédérale n’interdit pas directement l’accès des étudiants sans papiers aux universités, mais elle a tenté en 1996 de le limiter en les obligeant à payer les frais d’inscription réservés aux non-résidents. Chaque Etat, au niveau de sa juridiction, reste cependant libre d’en favoriser ou restreindre l’accès . En effet, l’enseignement supérieur est un domaine unique où les Etats ont une responsabilité législative et fiscale, et qui n’est pas couvert par les mandats fédéraux comme besoin essentiel d’une population.

Certains Etats ont choisi d’ouvrir leurs universités publiques aux sans-papiers. Il s’agit principalement d’Etats d’immigration traditionnels, comme par exemple la Californie et le Texas, pionniers en matière d’accès à l’enseignement supérieur pour les étudiants en situation irrégulière. Ils ont pour cela dû contourner la section 505 de l’Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act de 1996. Comme nous l’avons vu, cette section empêche les administrations des universités d’inscrire un étudiant sans papiers en tant que résident d’un Etat. Deux stratégies ont donc été mises en place dès 2001. Au Texas par exemple, puis dans d’autres Etats comme le Nebraska ou l’Illinois, les étudiants sans papiers ayant obtenu un diplôme du secondaire dans un lycée de l’Etat sont classés comme résidents dans un but purement éducationnel. En Californie, puis dans l’Utah, l’Oklahoma, les étudiants sans papiers ayant obtenu une qualification similaire ont simplement été exemptés des frais de non-résidents (Salsbury, 2004: 476). Ces deux stratégies ont été adoptées dans une dizaine d’Etats depuis 2001, et jusqu’à présent les plaintes déposées contre ce type de législation (Kansas, Californie) n’ont pas obtenu leur révocation.

Cependant d’autres Etats, moins habitués à une large population immigrée et ayant connu une forte croissance de l’immigration au cours des quinze dernières années (Kochhar, 2005: 4), ont réagi de manière négative en restreignant l’accès à l’enseignement supérieur. Il s’agit notamment de l’Arizona, la Virginie, ou encore le Missouri, où la forte croissance de l’immigration au cours des années 1990 et 2000 a causé de nombreuses pressions sur les services publics. Ils cherchent aujourd’hui à limiter les effets budgétaires de l’immigration, et ne peuvent le faire que là où ils ont toute responsabilité législative et fiscale. Les étudiants sans papiers sont pris entre deux feux, le retrait progressif de la responsabilité du gouvernement fédéral d’un côté, et la grogne des nouveaux Etats d’immigration face à des frais qu’ils ne peuvent contrôler de l’autre. Leur réaction face aux étudiants sans papiers à mis en valeur la dépendance de ceux-ci vis-à-vis de l’aide financière pour accéder à l’université. La réaction des ces Etats à l’égard des étudiants en situation irrégulière a mis en évidence la dépendance de ces derniers vis-à-vis de l’aide financière publique pour accéder à l’université.


III. Le rôle de l’aide financière dans l’accès à l’université pour les sans-papiers

A. Le prix de l’université publique

          Dans la grande majorité des Etats, le lieu de résidence d’un étudiant avant son entrée à l’université détermine le montant de ses frais d’inscription. La différence entre résident et non-résident peut entraîner une multiplication par trois de ces tarifs. En Arizona par exemple, les étudiants inscrits comme résidents devaient payer environ 6.000 dollars en premier et deuxième cycle, contre 21.000 dollars pour un non-résident . A chaque fois, l’Etat intervient pour subventionner la différence de frais d’inscription de manière à favoriser ceux qui ont fréquenté les lycées de l’Etat.

Les étudiants sans papiers, bien qu’ayant souvent vécu la majorité de leur vie aux Etats-Unis, ne peuvent être considérés comme résidents s’ils n’ont pas obtenu le statut de legal permanent resident (résident légal permanent, qui possède la fameuse « carte verte »). Or beaucoup associent le fait de demander un ajustement de leur statut avec le risque d’être découvert comme sans-papiers et déporté. Le coût de l’université publique est d’autant plus insurmontable pour eux qu’ils ne peuvent bénéficier des aides fédérales, limitées aux citoyens des Etats-Unis et aux résidents permanents. Ces bourses, comme le Pell Grant, sont une aide financière nécessaire pour une majeure partie des étudiants dans le pays, et représentent plus de la moitié des aides financières dans le supérieur (St John, Parsons, 2004: 40). L’incapacité des étudiants sans papiers à en bénéficier les pousse à se tourner vers les Etats pour financer leurs projets d’études.


B. L’aide financière des Etats : un tableau inégal

L’aide des Etats représente environ un tiers de l’aide financière dans le supérieur. Elle est contrôlée par le corps législatif de chaque Etat, ce qui explique la grande diversité que l’on trouve dans le pays selon la volonté de chacun de mettre en place des services sociaux pour les immigrés. Au-delà des mandats fédéraux, les Etats sont libres de décider de la façon dont ils dépensent leur budget, notamment dans le domaine de l’éducation. Dans l’arrêt de la Cour Suprême de 1973 San Antonio Independent School District v. Rodriguez, la Cour a rappelé que personne ne peut interférer dans le pouvoir des Etats de taxer leurs contribuables dans le but de soutenir des intérêts locaux, dont font partie les universités publiques. Dès lors, chaque Etat a pu définir son propre niveau d’intervention auprès des immigrés, et en particulier des immigrés irréguliers, selon sa volonté et surtout celle de ses électeurs.

Les nouveaux Etats d’immigration se sont prononcés contre l’aide financière pour les étudiants sans papiers. Certains ont également tenté d’interdire l’inscription même de ces étudiants dans le supérieur, à l’image de l’Arizona en 2005, avant de revenir sur le simple refus de leur accorder une aide financière. Cette catégorie d’Etats possède peu d’infrastructures et de services spécifiques pour les immigrés, comme des interprètes dans les services publics ou des programmes d’enseignement bilingue dans le secondaire. A l’image du gouvernement fédéral, ils ont tendance à limiter l’accès au « filet de sécurité sociale » (social safety net) pour les immigrés récents et les sans papiers, car ils y voient une incitation à l’immigration. Cette théorie selon laquelle les immigrés sont plus attirés par les Etats offrant le plus d’aide sociale (welfare magnet theory, Urban Institute, 2001 : 10 ; 2002: 2), très populaire dans les années 1990, a pourtant été démentie par l’essor de ces nouveaux Etats d’immigration, qui sont en fait les plus dynamiques économiquement. L’aide financière dans le supérieur est donc encore plus restreinte dans ces Etats, et spécifiquement interdite aux sans-papiers à travers l’adoption de lois et de résolutions.


C. La dépendance des étudiants sans papiers vis-à-vis de l’aide financière

Les étudiants sans papiers sont autant sinon plus dépendants que d’autres vis-à-vis des aides financières dans le supérieur, car ils viennent en grande majorité de familles n’ayant pas les moyens de s’acquitter des frais d’inscription, même ceux réservés aux résidents. Les immigrés sans papiers ont en effet des revenus plus faibles que les citoyens américains. Les deux tiers d’entre eux gagnent moins du double du salaire minimum, comparé à seulement un tiers pour tous les travailleurs. Au cours des dix dernières années, la croissance du salaire des citoyens américains a été 50 % plus rapide que la croissance du salaire des immigrés (Fix, Zimmermann, Passel, 2001: 22).

L’immigration irrégulière suit largement les mêmes tendances que l’immigration légale, en termes de pays d’origine et d’âge des immigrés. Les immigrés sans papiers sont à presque 80 % latinos (les deux tiers d’entre eux viennent du Mexique), et on peut donc déduire que la majorité des étudiants sans papiers appartient au même groupe ethnique (Urban Institute, 2004). De ce fait, les caractéristiques des étudiants sans papiers et celles des étudiants latinos dans le supérieur sont très similaires. Ces étudiants dépendent largement du travail pour financer leurs études, que leurs familles ne peuvent pas payer ou pour lesquelles ils ne peuvent faire un emprunt à la banque (Fry, 2002: 10). Le risque encouru par les étudiants qui travaillent pendant leurs études supérieures est qu’ils sont souvent forcés de s’inscrire en cycle court, ou à mi-temps, ce qui retarde l’obtention du diplôme (Fry, Lowell, 2002: 17). Certains sont parfois découragés par une telle prolongation et abandonnent l’université avant d’avoir fini leurs études. L’impossibilité d’obtenir une aide financière extérieure, comme celle de l’Etat, place les étudiants sans papiers dans une situation peu favorable à la réussite universitaire.


IV. Université et intégration : le nouveau rôle de l’université publique


A. L’université vue comme un investissement à long terme

          L’université a un double rôle pour les étudiants sans papiers, car elle peut non seulement améliorer le niveau de vie grâce à une meilleure qualification sur le marché du travail, mais elle peut aussi accroître le sentiment d’intégration des personnes au sein de la nation américaine. L’obtention d’un diplôme universitaire est aujourd’hui la condition nécessaire à un avancement sûr dans le marché du travail des Etats-Unis. En 1982, l’arrêt Plyler v. Doe se justifiait par le fait qu’un diplôme du secondaire était alors suffisant pour assurer la réussite économique des personnes et ainsi empêcher une division de la nation entre diplômés et non diplômés. Aujourd’hui, c’est bien l’accès à l’université qui est en jeu pour les sans-papiers. Les salaires varient en effet beaucoup selon le diplôme obtenu : d’une moyenne de 31.000 dollars par an pour un diplômé du secondaire, on passe à 60.000 dollars par an pour une personne ayant un Master, et à 77.000 dollars pour les titulaires d’un doctorat. La relation entre diplôme universitaire et réussite économique a bien été comprise par les universités qui, comme l’Université de Californie à Los Angeles, affichent ces chiffres sur leur site internet pour encourager tous les étudiants à poursuivre leurs études.
Mais l’université pourrait également devenir un investissement civique pour les étudiants sans papiers. Depuis 2001, une loi est à l’étude au Congrès fédéral qui permettrait à ceux ayant validé plusieurs années d’études universitaires de légaliser leur statut et enfin d’obtenir la citoyenneté américaine. Le Development, Relief and Education for Alien Minors (Dream) Act, présenté cinq fois au Congrès depuis la session de 2001, vise spécifiquement les étudiants sans papiers de la « génération 1,5 ». Il s’agirait d’aider ceux qui sont arrivés aux Etats-Unis avant l’âge de 15 ans, et qui ont prouvé leur volonté de s’intégrer à la nation en poursuivant des études supérieures . L’université deviendrait ainsi un investissement non seulement en termes économiques, mais également en termes civiques.


B. Le coût de l’accès des étudiants sans papiers à l’université

Ici aussi, l’accès des étudiants sans papiers à l’université peut cependant représenter un coût non négligeable pour les universités publiques, qui dépendent économiquement des Etats. L’adoption de lois (Texas, Californie, etc.) qui permettent de contourner la section 505 de l’IIRIRA de 1996, peut engendrer une perte de revenus à cause de la diminution du nombre d’étudiants inscrits en tant que non-résidents. Depuis les années 1990, les universités publiques doivent faire face à un recul net des investissements des Etats dans leur budget, et sont encouragées à trouver d’autres moyens de financement. Ceux-ci prennent la forme d’accords passés avec les entreprises locales pour financer certains projets ou laboratoires de recherche, dons des anciens élèves, mais également augmentation du nombre d’étudiants non-résidents, financièrement bien plus intéressants que les résidents. L’accès des étudiants sans papiers au statut de résident peut donc être contraire à ces nouveaux modes de gestion des universités publiques.

Ce problème est d’autant plus ressenti au niveau des universités locales (community colleges) qui ne peuvent réajuster l’équilibre entre résidents et non-résidents inscrits, comme peuvent le faire les universités publiques pour ajuster leur budget (Maryland General Assembly, 2007: 5). Les universités locales risquent d’autant plus de perdre des ressources que les sans papiers ont souvent les mêmes profils que leurs étudiants (revenus faibles, inscrits à mi-temps, travaillent pour financer leurs études) et sont donc plus susceptibles de s’y inscrire. L’accès des étudiants en situation irrégulière à l’université représente donc un investissement important pour les concernés eux-mêmes, mais il est également source de sérieux réajustements économiques et politiques au sein des universités publiques.


Conclusion

          Les universités publiques sont aujourd’hui confrontées à la transformation de leur rôle traditionnel d’égalisation des chances au vu des restrictions budgétaires que leurs imposent les Etats. Elles peuvent pourtant devenir un nouveau seuil économique et civique pour les étudiants sans papiers à la recherche d’un meilleur niveau de vie et une plus grande intégration aux Etats-Unis. Le conflit autour des étudiants en situation irrégulière a placé les universités publiques au cœur du débat sur l’immigration et du conflit qui oppose le gouvernement fédéral aux Etats fédérés sur la question de l’aide aux immigrés. Ce nouveau rôle peut soit s’inscrire dans la continuité du travail d’intégration des universités, soit au contraire, dans le cas des Etats ayant adopté des lois défavorables aux étudiants irréguliers, participer malgré elles aux campagnes anti-immigration.


Notes de bas de page

L’Habeas Corpus représente la base du droit commun anglais dont est inspirée la constitution américaine. Son principe fondamental est le droit à ne pas être emprisonné arbitrairement.
Ce dernier chiffre correspond à ceux avancés par les organisations nativistes et anti-immigration.


Le Government Accounting Office est un service de recherche du Congrès Américain chargé de surveiller et d’évaluer l’efficacité et la responsabilité du gouvernement fédéral et des programmes mis en place.


La section 411(d) du Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act de 1996 permet à un Etat d’accorder des aides publiques à un immigré irrégulier si cet Etat adopte après 1996 une loi qui permet explicitement ces versements.


Chiffres trouvés sur le site internet du bureau de l’aide financière de l’Université d’Arizona, financialaid.arizona.edu, en mai 2009.


Le projet de loi prévoit également une légalisation du statut pour les personnes ayant effectué deux ans de service dans l’une des branches de l’armée américaine.


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Pour citer cet article:

Lauby Fanny, «Les étudiants sans-papiers aux Etats-Unis et le nouveau rôle de l’université publique», RITA, n° 4 : décembre 2010, (en ligne), Mise en ligne le  10 décembre 2010. Disponible en ligne http://www.revue-rita.com/traits-dunion-thema-59/les-etudiants-sans-papiers.html