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    Trajectoires de jeunesse

Jean-Michel Basquiat ou la rétrospective de 2010 à Paris

Paris n’avait encore jamais connu une rétrospective d’une telle envergure de l’œuvre de l’artiste américain Jean-Michel Basquiat. C’est à l’occasion du 50ème anniversaire de la naissance de l’enfant du graffiti new-yorkais que le Musée d’Art Moderne lui consacre cette exposition phare de l’année 2010.

Breakdance, la reconnaissance par le style

 

À Fortaleza (Brésil), la culture hip-hop s’est imposée par son impact visuel mais aussi par sa dimension militante. Le fort attrait pour la pratique des arts hip-hop se donne à voir surtout dans les groupes de jeunes, les galeras de la periferia, cet espace de la ville où se concentrent à la fois, violence, misère et précarité et qui apparaît comme une zone de non-droit...


... Les rodas de breakdance sont la scène de combats ritualisés où la  violence est contrôlée, dans leur contenu ils expriment tout ce qui fait le quotidien des habitants de la periferia : un quotidien déstructuré mais aussi un profond désir d’exister. Fort d’une sémantique et d’une esthétique qui s’adapte parfaitement à la periferia, le hip-hopbreakdance trouve un écho et une dynamique importante car il permet aux breakers d’acquérir une reconnaissance, dans leurs quartiers en tant qu’activistes du mouvement hip-hop, mais aussi en tant qu’artistes participant des représentations de breakdance qui ont lieu dans le centre de la ville. La pratique du hip-hop permet à une jeunesse délaissée d’affirmer une identité différenciée, inspirée de la vie dans la periferia tout en en pratiquant une éthique qui permet de les sortir de trajectoires violentes telles que celui du trafic et des gangs.

Mots clés: Hip-hop; Brésil; Breakdance; Périphérie.

......................................................................

Sofiane Ailane

Doctorant en Anthropologie
CREA- Université Lumière Lyon 2

icon PDF S Ailane

 

Breakdance,
la reconnaissance par le style

 

I. Introduction

          Dans le cadre de mes recherches doctorales, j’ai pu observer par mes enquêtes de terrain, une grande diversité dans les expériences musicales vécues par la jeunesse de la ville de Fortaleza. Mes recherches sur l’actualisation du mouvement hip-hop à Fortaleza m’ont amené au plus près de ces pratiques qui constituaient alors une porte d’entrée vers une connaissance plus profonde de cette ville et de la jeunesse qui la compose.

Fortaleza est une ville dont la jeunesse s’inscrit dans un phénomène global d’expansion des cultures musicales, ainsi le reggae, le heavy métal mais aussi le hip-hop trouvent dans la jeunesse cearense des contingents importants d’aficionados dont le look tranche radicalement avec l’ambiance folklorique que l’on attribue au Ceará notamment avec le forró comme principale expression musicale.

Ce phénomène se ressent plus nettement les samedis soir aux abords du centre culturel Dragão do Mar où la jeunesse dans toute son hétérogénéité aime à s’exhiber. Notre texte commencera par décrire la plus grande réunion de breakers de l’état du Ceará qui se déroule régulièrement les samedis soir dans le quartier touristique de Praia de Iracema. Puis nous expliquerons par un détour historique comment la pratique du hip-hop, et plus particulièrement la pratique du breakdance a trouvé un écho important dans cette ville, qualifiée de traditionnelle. Ce qui nous amènera à appréhender le lieu où s’exprime de façon la plus intense la culture hip-hop, la periferia, et de relier la pratique d’un hip-hop conscient avec les stratégies qui permettent l’affirmation identitaire des danseurs et donnent une alternative au monde violent que représente leur quotidien.

 

II. O Planeta hip-hop

A. A roda livre

Tous les samedis soir aux alentours de 19 heures, sous le planétarium du centre culturel Dragão do Mar de Fortaleza se déroule une représentation de breakdance, a roda de break do Planeta Hip-hop réunissant une trentaine de danseurs venus des quatre coins de la ville. Les danseurs sont tous des jeunes hommes, les plus âgés ont plus que la trentaine, les plus jeunes entre dix et douze ans. Le public est hétéroclite, composé de jeunes mais aussi de personnes plus âgées, de connaisseurs, de néophytes, d’habitués, de touristes, de filles, de garçons. La configuration circulaire de l’espace situé en dessous du planétarium permet au public de se placer en cercle tout autour de l’espace réservé aux breakers. Le moment où le Disk Jockey commence à mixer coïncide avec la venue en masse du public. Après les échauffements, les étirements, les danseurs placés en ronde forment un cercle dans lequel, celui qui se sent prêt, envahit la ronde et commence à s’exécuter. Avant d’effectuer les figures les plus spectaculaires, au cœur de la ronde, le breaker réalise une figure de base, qui est un mouvement circulaire, il exécute six pas de base appelés steady ou foot rock. Il peut arriver que le danseur entre dans la ronde d’une façon plus originale, en glissant sur les genoux, ou en faisant la figure de la coupole. L’entrée du danseur se fait en général, par le passe-passe, qui peut être vu comme une mise en rythme du corps. Une fois le rythme bien installé, les figures plus techniques peuvent s’enchaîner à un rythme  plus soutenu. C’est une épreuve très physique, les danseurs sont souvent essoufflés et épuisés après une phase, le sol fait mal, les expressions de douleur sont courantes sur leurs visages coulant de sueur. Pour protéger certaines parties du corps du frottement avec le sol, ils utilisent des casques ou des bonnets, des genouillères, des coudières, mais beaucoup ne s’encombrent pas de protections même si on se les prête volontiers. Une fois, la performance terminée, le breaker laisse place à un autre et ainsi se déroule la roda livre de breakdance où se succède des danseurs sur le mode de la simple exhibition qui est une des modalités du break moins intense que le rituel du battle1 ou racha.

 

B. Le Battle

La roda livre est une démonstration individuelle de l’habileté du danseur qui fait en quelque sorte une exhibition de ses capacités sans forcément être jugé par ses pairs. L’ambiance bonne enfant change radicalement quand la roda livre laisse place à une session de battle qui d’ailleurs succèdent souvent à la roda livre, transformant cette dernière en simple répétition, en un échauffement en prologue du battle. Le racha va mettre en scène toutes les rivalités entre danseurs et mettre à jour les animosités entre équipes de breakers.

Un danseur lance les hostilités en s’approchant très prés du groupe adverse tout en exécutant ses figures acrobatiques. Il provoque, sourit, grimace et termine toujours sa phase par un équilibre appelée freeze2 montrant sa puissance physique et rompt son mouvement de façon brutale en « cassant » son corps et en heurtant bruyamment le sol de son talon à quelques centimètres du « territoire ennemi ». À la fin de sa partition, le danseur se relève rapidement et regarde fixement le camp opposé en reprenant sa place parmi son crew puis il invite du regard ou de la main les membres de l’équipe adverse à faire mieux. Le défi est lancé. La réponse est attendue.

La réplique est instantanée ; n’attendant même pas que le danseur sortant ait repris sa place dans son camp, qu’un autre a déjà surgi pour envahir la ronde. Tout s’enchaîne très vite, utilisant l’ensemble de l’espace mis à disposition, le danseur exécute des figures spectaculaires qui ne laissent pas insensible l’assistance, qui pousse des cris et exhorte le danseur à faire encore mieux. Ainsi s’enchaînent les danses et les figures de plus en plus complexes, certaines d’ailleurs tellement difficiles à réaliser que même les adversaires d’un soir tendent le bras vers le haut pour congratuler le breaker, que cette figure soit réussie ou non, respectant ainsi son audace. Le plus important dans le battle est de savoir répondre au défi lancé, et bien entendu, il faut faire mieux que son prédécesseur. La provocation ainsi que les gestes sont utilisés pour narguer et inviter au défi de façon théâtrale par exemple : fixer un autre danseur du regard pendant l’exécution d’un mouvement, montrer du doigt, mimer une décapitation ou encore feinter un coup de pied. Cet affrontement est fait d’un dialogue sous forme d’appel/réponse, auquel chacun assiste en y répondant par des grimaces, des mimiques ou des postures. On dénigre la performance de l’autre, on le méprise. L’ambiance est extrêmement tendue, les danseurs paraissent au bord de l’affrontement lors des phases dansées. La situation peut dégénérer en bagarre générale tant la concentration d’énergie est présente. L’envie de rentrer dans la ronde et de répondre aux provocations n’en est que renforcée. Le contrôle de soi est important puisque le danseur est pris dans un jeu dont la tension est extrême. Tout cela va se ressentir dans la danse, qui va apparaître comme un défouloir et un exutoire permettant de libérer les énergies. Contrairement aux battles de championnats, où les danseurs se voient assignés par tirage au sort un adversaire du moment, la modalité des rachas « sauvages » crée des concurrences et permet à d’anciennes confrontations de s’actualiser. Alors des danses et des séquences deviennent ciblées en direction de certains adversaires, on peut assister à la naissance d’une rivalité, observer son développement avec ses duels, analyser ses dialogues sous forme de joutes corporelles et décider sur place qui sortira vainqueur. En effet, le public a aussi son rôle puisqu’il peut être amené à se transformer de passants passifs en spectateurs actifs de ce spectacle en usant notamment l’applaudimètre. Toutefois, le dénouement du battle ne vient pas mettre un terme à cette histoire, il suggère aussi une suite par la continuité et la répétition des rachas qui se déroule régulièrement entre les mêmes crews.

Certaines équipes, aux alentours de 22 heures reprennent le chemin de leurs quartiers respectifs tandis que d’autres restent pour bavarder et mettre à jour le calendrier des manifestations hip-hop. Il est aussi coutumier de voir des artistes ou encore, des entrepreneurs faisant du hip-hop leur business, présents pour faire leur promotion. L’espace ne se vide pas instantanément, il y a comme une inertie de la pratique sur le lieu, qui va peu à peu évacuer l’énergie dégagée par la roda de breakdance.

Comment expliquer le succès que rencontre la pratique du breakdance chez les jeunes du Ceará? Qu’est ce qui motive les jeunes de la periferia dans leurs choix de cette culture ?  Est-ce que le hip-hop et la pratique du breakdance influent sur les stratégies d’affirmation identitaires ou est-ce simplement un phénomène de mode ?

 


Roda de breakdance du Planeta hip-hop Fortaleza.

Source Mh2O do Brasil.

 

III. Fortaleza et la culture hip-hop

 

A.Des soirées funk…

Fortaleza, comme la plupart des grandes villes brésiliennes a aussi subi la vague de la Black culture des années 1970. Les soirées funk constituaient, comme c’était le cas à São Paulo, le lieu d’expression de cette  Black culture. Au début des années 1980, le breakdance constitua le premier élément hip-hop á surgir, et trouva dans ces soirées funk un terrain d’expression pour les premiers breakers. J.Damasceno cite l’importance des clubs tels que l’Interdancing, l’Apache Club, le Keops Club, ou encore le Clovis qui constituaient des lieux de rencontre et d’échange pour cette première génération de danseurs..(Damasceno 2007, p216). Ces clubs permettaient de pouvoir pratiquer cette danse « robotique » et ainsi de se démarquer des autres danseurs par des chorégraphies et des pas nécessitant une grande force physique et une extrême souplesse. Les premiers breakers innovaient aussi par le look inspiré des premiers vidéoclips mais aussi par les films comme Breakdance, The Warriors ou encore WildStyle. Dans la manifestation des premières expressions hip-hop, hormis les soirées funk, les espaces publics que sont les places du centre de la ville étaient des points stratégiques où les breakers aimaient à se réunir.

L’explosion médiatique du funk carioca3 (Herschmann 2005, p28) eut raison de cette première génération de breakers. Sans pour autant cesser d’exister et d’être pratiqué, le hip-hop a vu son contingent diminuer au profit des nouveaux funkeiros et des premiers rappeurs. Toutefois, les aficionados du breakdance continuèrent de s’adonner à leur danse, certains de façon autonome permettant ainsi l’évolution de cette danse, d’autres d’une forme plus organisée qui se transforma peu à peu en militantisme.

 

B.…au hip-hop organisé

Le premier collectif du hip-hop organisé, Movimento Hip-hop Organizado do Ceará (MH²O-Ce) est apparu en 1990. Il avait pour ambition de réunir sous la même bannière les multiples équipes de breakers des divers quartiers de Fortaleza. Ce mouvement est né de l’union entre de jeunes étudiants militants organisés autour d’Anarquia Proletaria4 et des différentes équipes de breakers et rappeurs désirant réaliser un travail social dans leurs comunidades5. De la fusion du militantisme révolutionnaire et du hip-hop est né le projet d’un mouvement politico-artistique s’appuyant sur le hip-hop comme vecteur de communication vers les jeunes. Il visait à créer une alternative aux gangs et d’éloigner de la violence tout un pan de la jeunesse de la periferia.

Au cours des années 2000, l’augmentation des organisations au sein du mouvement hip-hop, vient de la nécessité de donner une référence aux jeunes des quartiers vulnérables qui sont souvent acteurs et premières victimes de la situation précaire dans lesquels ils se trouvent. La violence, la misère et la relégation sont autant de symptômes inhérents à la vie dans ces favelas et comunidades où se concentrent les actions du mouvement hip-hop. Pour pouvoir effectuer un travail plus efficace et plus accessible aux jeunes, les activistes ont dû recomposer l’histoire du hip-hop et le faire résonner avec les symboles et le vécu des populations vulnérables de la periferia. Ce mouvement ainsi construit n’est plus seulement une manifestation artistique, mais il est également une forme d’engagement militant et social qui, par un détour, rejoint l’éthique prônée par Afrikaa Bambaataa, fondateur de la nation Zulu.

 

IV. Du style au statut

A. A periferia/ À la périphérie

Loïc Wacquant en parlant de la favela, donne une définition qui représente l’archétype de l’espace de la periferia, elle :

« (…) fond et confond des districts ouvriers stables qui continuent d’offrir de solides havres d’intégration prolétariennes à la ville, des zones dans lesquelles les victimes de « la désindustrialisation régressive » sont abandonnées à leur sort dans une économie de rue informelle dominée par les activités criminelles et la violence entropique qu’elle génère, et des enclaves de marginais définies par l’expérience d’un stigmate de groupe et d’une souillure collective.»  (Wacquant 2006, p12)

La periferia est associée à la violence, à la criminalité, à la dangerosité des populations qui la composent, conduisant à la création d’un véritable stigmate territorial. La population en question ne maîtrise pas sa représentation et son identité collective, ce qui permet de créer des discours qui cristallisent la perception que l’ensemble de la société se fait des habitants des quartiers périphériques ; par exemple, le raccourci entre pauvreté et délinquance est vite tracé et les surnoms péjoratifs affluent envers ces populations. Ils sont qualifiés de vagabonds, sem futuro, les présentant comme des anomalies sociales.

Les acteurs du hip-hop de Fortaleza, qu’ils soient militants ou artistes, sont des personnes issues des quartiers pauvres, la violence fait partie de leur quotidien et ils ont appris à vivre avec. Le hip-hop n’est pas que la rencontre entre trois pratiques artistiques (le chant, la danse, et la peinture), c’est aussi un réseau complexe d’attitudes où l’artiste, le hip-hopper se doit d’avoir un comportement exemplaire et une grande autodiscipline. Le hip-hop ne cherche pas à annihiler la violence, mais la pratique des différentes formes d’art lui étant rattaché, permet avant tout de contrôler et de dominer la violence inhérente aux métropoles postindustrielles. On le constate particulièrement dans les textes de rap hardcore. Le rappeur qui décrit crûment la réalité telle qu’il la voit et telle qu’il la vit, permet d’entrevoir un quotidien des plus brutaux, où se mêlent trafic de drogues, abus d’alcool, bagarres, règlements de compte ou encore guerres des gangs. Bien que ces descriptions de la periferia soient toujours accompagnées dans les lyrics d’un message positif, parfois politique, on constate que la pratique du rap se fait de plus en plus rare chez les jeunes au profit de celle du breakdance. La dimension explicitement violente et critique vis-à-vis de la société qui discrimine et exclue n’existe pas sous cette forme dans le breakdance, celui-ci qui préférant l’impact visuel et la subtilité de l’expression corporelle pour faire passer le message.

Cependant, l’esthétique du breakdance n’explique pas complètement ce qui fait son succès au détriment des autres modalités du hip-hop.

 

B.Du ludique à l’éthique

La multiplication des organisations du mouvement hip-hop durant les années 2000 a aussi contribué à une meilleure acceptation de la part des parents et a rendu l’accès plus facile aux ateliers de breakdance. Le résultat de ce travail en amont fait que les rodas de break se sont disséminés dans tous les quartiers périphériques de Fortaleza et cela par l’actuation et le travail des activistes du mouvement hip-hop qui ont toujours soutenu cette pratique. L’effet collatéral est que le breakdance apparaît aujourd’hui comme un phénomène de mode, ce qui crée un afflux considérable de jeunes vers cette danse.

Contrairement au rappeur qui préfère le monde des concepts à celui du geste, qui donne plus de valeur aux concepts et à l’abstraction qu’à la pratique, ce qui compte le plus pour le jeune danseur, c’est l’impact visuel. Il n’y a que peu de place pour le dialogue, l’échange et la conscientisation pour la nouvelle génération de breakers. On voit alors émerger un breakdance plus ludique au sein duquel l’entraînement et le dévouement ont pour finalité de s’imposer dans les rachas et les battles qui se déroulent dans les hauts lieux de la pratique comme le Planeta hip-hop que l’on a décrit plus haut. Le succès rencontré par cette danse oblige les activistes à contourner le problème en utilisant le breakdance comme un « appât » qui permet d’attirer des jeunes vers le monde hip-hop. Certains insistent plutôt sur l’importance de l’éducation et la formation de ces jeunes ainsi que sur l’entraînement dispensé dans les ateliers, car les breakers sont devenus malgré eux,  les portes drapeaux du mouvement hip-hop à Fortaleza. Cependant, l’apprentissage du breakdance est un long processus, on ne devient pas danseur du jour au lendemain, il y a une sélection qui se fait. Seuls les plus assidus aux entraînements deviendront des danseurs ayant le niveau pour performer en solo ou en équipes. Bien plus que la connaissance des pas ou des figures les plus spectaculaires, ce que le breakdance permet d’assimiler au cours des ces années de pratique est l’incorporation de l’éthique de la culture  hip-hop dans la danse et sa transposition dans sa vie de tous les jours.

Dans les valeurs universelles du hip-hop, cités par Hugues Bazin (Bazin 1995, p33), on trouve le respect, la non-violence et l’antiracisme, il rappelle pour résumer ces valeurs, le slogan des Zulus, « Peace' n Unity », paix et unité. La notion de respect est importante, il faut rester proche des valeurs en respectant les principes forts du hip-hop et ses codes, notamment le respect aux aînés. En adoptant le respect comme première des valeurs, la personne prouve qu’elle est authentique, authentique dans les paroles, mais aussi authentique dans l'intégrité d'une démarche. La non-violence quant à elle, peut être reliée à une politique de médiation, le mouvement hip-hop est celui qui joue le rôle de médiateur, il devient le pont entre plusieurs secteurs de la société, entre les hauts lieux et la periferia, entre les institutions et les personnes. Le mouvement hip-hop tente de conscientiser les jeunes et de leur inculquer une discipline, le goût d'une vie sans vice  où la drogue n'a pas sa place. « À l'univers factice de la drogue, le faux rêve qu'elle procure, les expressions du hip-hop propose de redonner espoir en l'avenir en créant un lien social, de nouvelles solidarités.» (Bazin 1995,p29)

L'état d'esprit du hip-hop trouve ces fondements dans ces attitudes positives, le défi étant une expression qui prend tout son sens si on le cadre dans ces attitudes constructives. Au-delà de la recherche de l'estime de soi, il permet de mettre en avant la réussite, suscitant une volonté de transcender une performance.

Le breakdance est aussi une attitude et un ensemble de comportement qui peuvent s’associer à sa pratique. Adopter le breakdance comme pratique et comme ligne de conduite fait sens pour le jeune de la periferia, il permet de conquérir une reconnaissance dans sa communauté sans forcément renier le côté street de son existence. Naviguant aisément entre les codes et les comportements en vigueur dans la periferia, le hip-hop se moule parfaitement dans l’idéologie du ghetto en se détachant de ses principaux fléaux que sont le vice et la violence tout en puisant des expériences de vie, la matière première de son inspiration. En parlant un langage que le jeune peut assimiler et en respectant cet univers de la rue où le jeune aime à voguer, le hip-hop constitue une alternative dans la trajectoire des jeunes des periferias de Fortaleza. Celui-ci va donc permettre l’affirmation d’une identité et le développement d’un style mais pas au détriment du statut.

Par ailleurs, le hip-hop ne base pas sa logique d’action sur un territoire limité, il crée  un espace symbolique dans lequel le jeune a une liberté de circuler et d’échanger. Façonné par les hip-hoppers, cet espace rompt avec les marqueurs spatiaux et sociaux. La logique du hip-hop ne fonctionne pas en termes d’appartenance territoriale. Il va permettre d’apprécier les spécificités et les différences entre individus, tout en valorisant leur appartenance à une même communauté, celle du hip-hop. Les arts hip-hop permettent la création d’espace et non pas la conquête de territoire. Ainsi, ce mouvement brise aussi la logique territoriale qui sous-tend les rivalités entre les différents groupes en cela qu’il permet aux jeunes de se désengager de ce processus qui amène à la formation des gangs.

 

V. Conclusion

Nous avons cherché à démontrer par le présent article l’influence positive qui peut avoir le hip-hop et notamment le breakdance dans les trajectoires juvéniles dans la periferia de Fortaleza. Offrant une alternative et une autre occupation de la ville, qui va au-delà de la logique des gangs et des groupes rivaux, le hip-hop par son éthique, son style et son impact visuel permet, avec le travail des activistes du mouvement hip-hop, de modifier les perspectives de vie d’une jeunesse délaissée, victime et symbole de la violence.

Le Planeta hip-hop apparaît comme un exemple de réussite de l’intégration du hip-hop dans la culture populaire. Cependant, nous ne pouvons tirer de conclusions hâtives sur cette exposition de la culture hip-hop. Elle représente à Fortaleza aujourd’hui encore, une culture underground, alternative. Malgré la visibilité que permet d’atteindre un tel événement dans l’acceptation de la pratique des danses de rue, on ne peut encore considérer le hip-hop comme une culture populaire au même titre que la samba6 ou la M.P.B (Música Popular Brasileira). Le lien entretenu avec la periferia et son aura sulfureuse nourrit encore les discours sur le hip-hop et entretient des préjugés y compris dans les comunidades.

Contrairement aux pouvoirs publics brésiliens qui parient par de grandes subventions sur le mouvement hip-hop pour lutter contre la violence et la consommation de drogues, nous ne pensons pas que le hip-hop soit la panacée de tous les maux de la jeunesse de la periferia. Les rodas de breakdance vont, au contraire, enfermer ces pratiquants dans un déjà-vu et dans un renforcement du stigmate et des représentations. Il ne va rester au final que l’image d’une jeunesse qui ne saurait que s’épanouir à travers d’une pratique sportive, spectaculaire et non intellectuelle. Dans cette perspective, nous pouvons alors être tenté de résumer le Planeta hip-hop à un safari culturel où les élites et la jeunesse dorée peuvent s’amuser devant le spectacle et les acrobaties des jeunes des quartiers pauvres.

 

Notes de bas de page

(1) En général, chaque danseur fait partie d'une troupe, couramment appelée crew. Ayant été à la base développée dans les quartiers difficiles du Bronx, cette danse en a conservé un esprit de gangs. Ainsi les crews se défient souvent les uns les autres : il s'agit de battle. Les deux crews se font alors face et effectuent des passages chacun à leur tour. Très vite se sont organisées des battles officielles, jugées par des danseurs-arbitres.

(2) Tricia Rose explique que le freeze ne sert pas seulement à fixer le temps de la danse, le freeze permet également au danseur de prendre une identité alternative qui lui permet de défier les autres danseurs. Pendant le freeze, le breaker peut s’animaliser, devenir un super-héros, un homme d’affaire et même une pin-up. Le freeze incorpore des éléments de surprise, de fanfaronnade, de provocation qui servent au défi, ils fonctionnent comme une invitation à la performance. (Rose 1994, p48).

(3) À la fin des années 1980, il y eut une résurgence du funk mais ce funk nouveauavait déjà oublié ou omis de préserver le caractère soul, Afro du  funk. Les productions de ce qu’on appelle aujourd’hui funk carioca se caractérisent par des chansons où les paroles sont fortement connotées sexuellement et servent également à commander des chorégraphies. La musique va quant à elle être réduite à la simple expression de beats saccadés et de samples électro. Les  bailes funk sont l’occasion pour des milliers de jeunes de s’adonner à des danses en solo mais le plus souvent en groupes, á fortes connotations sexuelles, comme la dança do cachorro, do creú,ou encore da motinha.

(4) Anarquia Proletaria est une des tendances de Movimento da Juventude, ce mouvement estudiantin était très actif pendant les années 1980. Il est une des factions du Partido Revolucionario Operario qui était un parti politique clandestin d'extrême gauche pendant la dictature.

(5) Terme que l’on peut traduire par « communauté » en français mais qui n’est pas tout à fait synonyme. Il est caractéristique du terrain brésilien, on peut parler de communauté pour désigner un espace d’habitation, synonyme de quartier, mais c’est aussi un euphémisme pour ne pas dire favelas ou quartiers pauvres. On retrouve cependant, dans cette dénomination, l’idée sous-jacente d’un espace où le lien entre les personnes est plus important qu’ailleurs et où le tissu social conduit à la solidarité et à l’entraide entre habitants.

(6) La samba est une pratique musicale originaire des mornes de Rio de Janeiro. A ses débuts, elle était considérée comme une pratique marginale, dangereuse à un point que les rondes de samba furent interdites par le gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro. C’est à partir des années 1930, sous l’influence des théories de Gilberto Freyre et par la volonté du gouvernement de Getulio Vargas que la samba devient « le rythme national brésilien », notamment par son introduction dans les fêtes du carnaval, qui la propulsa dans toutes les couches sociales brésiliennes.

La Música Popular Brasileira ou M.P.B apparaît dans les années 1960 comme un genre musical qui se place dans la lignée de la bossa nova. Il prend tout son sens dans la révolte qui anima les artistes comme Gilberto Gil ou Caetono Veloso contre le régime militaire. La M.P.B était, par ses productions musicales autant engagées dans la dénonciation d’un système que le mouvement hip-hop l’est aujourd’hui. Contrairement au hip-hop, la M.P.B est extrêmement ouverte aux autres styles musicaux, ce qui constitue une de ses caractéristiques fondamentales. Cette hybridité lui permit durant les années 1980, d’être consacrée comme une musique populaire notamment dans les classes moyennes urbaines. (Vianna 1995).

 

Bibliographie

Bazin Hervé (1995). La culture hip-hop. Paris: Desclée de Brouwer.

Damesceno Francisco José Gomes (2007). « As cidades da juventude em Fortaleza ». Revista Brasileira de Historia, Vol 27, n°53: 215-242.

Herschmann Micael (2005). O funk e o hip-hop invadem a cena. Rio de Janeiro: Ed. UFRJ.

Milon Alain (1999). L’Étranger dans la Ville, Du rap au graff mural. Paris: PUF Collection Sociologie d’Aujourd’hui.

Vianna Hermano (1995). O mistério do Samba. Rio de Janeiro: Ed. UFRJ.

Wacquant Loïc (2006). Parias Urbains. Ghetto-Banlieues-État. Paris: La Découverte.

 

Pour citer cet article:

Ailane Sofiane, «Breakdance, la reconnaissance par le style», RITA, n° 4 : décembre 2010, (en ligne), Mise en ligne le  10 décembre 2010. Disponible en ligne http://www.revue-rita.com/regards-56/breakdance.html

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BREAKDANCE,

LA RECONNAISSANCE PAR LE STYLE.

BREAKDANCE,

LA RECONNAISSANCE PAR LE STYLE.

Le mouvement Hip Hop : un pont reliant les jeunes des banlieues et des favelas

 

 

Cet article analyse le rap, l’un des éléments du mouvement culturel Hip Hop,  comme une voie d’expression de la jeunesse qui vit dans les banlieues et dans les favelas. Cette question sera étudiée au carrefour entre Blanc Mesnil, banlieue d’Ile de France, et Nova Iguaçu, banlieue de Rio de Janeiro...


... L’esthétique et les paroles sont comprises comme la symbolisation du vécu des jeunes rappeurs marqué par la stigmatisation, la précarité, la violence qui sont présentes dans l’espace urbain où ils vivent. Chaque jeune sera affecté de façon singulière par cette négativité dans la construction de sa subjectivité, mais il est essentiel de prendre en compte la dimension collective de ce processus. L’identification avec le mouvement culturel Hip Hop permet l’émergence d’un ‘nous’ qui prend la parole pour agir par le biais de l’art dans le champ social. Cette recherche s’ouvre ainsi à l’expression par la médiation symbolique donnant forme et nom aux dénonciations et revendications de ces jeunesses.

 

 

 

 

 

 

 

Mots clés : Jeunesse; Banlieue; Rap; Médiation artistique; Discrimination.

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Ana Massa

 

 

Doctorante en Sociologie Clinique
Cotutelle internationale de thèse
Université Paris Diderot Paris 7 - Université Fédérale Fluminense

icon PDF A Massa

Le mouvement Hip Hop : un pont reliant
les jeunes des banlieues et des favelas.

 

Introduction

Cet article résulte des réflexions d’une recherche[1] en cours en Sociologie Clinique. Cette discipline vise l’approche de l’objet de recherche dans l’articulation entre sa dimension collective et sa dimension individuelle. Dans cette démarche, le subjectif est saisi dans sa dimension  sociale, et le social dans sa dimension affective.

Cette recherche s’intéresse aux jeunes rappeurs des banlieues en France et au Brésil qui font du rap. Ainsi, ce travail se tourne vers les banlieues et les favelas, les marges du tissu urbain, afin de s’approcher de la source du mouvement Hip Hop, car ce sont dans ces espaces que ce mouvement s’est construit et s’est affirmé. Cette discussion sera construite dans le va-et-vient entre les jeunesses du Blanc Mesnil et de Nova Iguaçu[2].

Il ne s’agit pas, néanmoins, d’un travail comparatif entre les jeunesses des banlieues en France et des favelas au Brésil. Les réalités des sociétés françaises et brésiliennes sont à ce point différentes dans leurs aspects économiques, sociaux et culturels qu’une caractérisation systématique de leurs similitudes et de leurs différences finirait par les enfermer chacune dans sa spécificité, ce qui finalement rendrait le travail de confrontation impossible.

Notre objectif est de tisser une question commune aux jeunesses liées au mouvement Hip Hop des banlieues de ces deux pays, pour parvenir à examiner la fonction symbolique du rap dans la construction du sujet en territoires urbains stigmatisés.

Dans cet article, nous présenterons dans un premier temps le mouvement Hip Hop comme une manifestation culturelle reliant les banlieues françaises et les favelas brésiliennes, en nous appuyant sur l’idée d’Atlantique Noir, de Paul Gilroy. Ce mouvement sera examiné comme une expression commune des jeunesses vivant dans les espaces stigmatisés de ces deux pays. Nous présenterons ensuite des extraits du rap Iguaçu – Mesnil. Les rappeurs brésiliens et français, en utilisant la communication virtuelle et le pont établi par cette recherche, ont écrit ce rap franco-brésilien, qui sera analysé  comme une expérience d’échange entre ces deux jeunesses.

La troisième partie traite le rap comme un moyen d’expression qui donne une légitimité aux revendications et aux vécus d’une partie de ces jeunesses.

 

Le mouvement Hip Hop comme repère pour la formation et la cohésion de la fratrie, ainsi que la fonction sociale du rap seront étudiés dans la quatrième partie: Fratire et fonction sociale.

 

I. L’Atlantique Noir entre la France et le Brésil

L’histoire du Hip Hop commence en Jamaïque, dans les années soixante, à l’époque où les jeunes s’amusaient avec les Sounds Systems (les block parties), animées par le DJ Kool Herc. A la fin des années soixante, le DJ est amené, dans un contexte de crise économique, à quitter Kingston pour vivre à New York. Avec lui, au-delà  de la musique, Kool Herc amène le toast, improvisations de rimes sur un rythme, pour parler non seulement des problèmes économiques et politiques en Jamaïque, mais aussi de la violence à Kingston. Ce bagage culturel trouve son ancrage dans le  South Bronx, où le DJ commence à organiser des soirées qui deviennent de plus en plus populaires auprès des jeunes. Au début des années soixante-dix, Afrika Bambaataa crée le nom ‘Hip Hop’ pour réunir dans un seul mouvement la musique, la danse, les arts plastiques originaires du ghetto et intervenir par ce biais auprès des jeunes touchés par le chômage et les conflits entre les gangs.[3]

Les origines hybrides de cette culture urbaine marquent dès le début la flexibilité de cette expression. Ce caractère ‘voyageur’ inscrit dans ses sources semble lui assigner le destin de devoir se déplacer pour être réincorporée - une décennie plus tard - par les banlieues des centres urbains des pays d’Europe, d’Amérique Latine et d’Asie.

Paul Gilroy analyse dans son livre L’Atlantique Noir ce qu’il appelle ‘les manifestations de la diaspora africaine dans le monde’. Opposant aux conceptions de ‘pureté raciale’ et d’unité des Etats Nations modernes, l’auteur désigne la transformation et la délocalisation comme des caractéristiques intrinsèques des manifestations de l’exil africain. Selon l’auteur, « l’histoire de l’Atlantique noir est riche d’enseignements au sujet de l’instabilité et de la mutabilité des identités, lesquelles sont toujours incomplètes, toujours à refaire. » (GILROY, 2003, p.12). L’Atlantique noir est donc une formation interculturelle et transnationale, qui s’oppose aux paradigmes nationalistes.

L’image du navire est choisie par l’auteur comme symbole pivot de l’idée de l’Atlantique Noir. Le navire est le moyen de transport capable de relier ce qui a été dispersé dans le ‘monde atlantique’, assurant la circulation des pratiques et des idées, notamment par le biais d’objets culturels et politiques tels que la danse et la musique. L’histoire des Noirs peut ainsi être gardée et transmise par les populations de la diaspora africaine. En outre, l’image du navire fait appel à la mobilité, au déplacement, ce qui situe le monde de l’Atlantique Noir au carrefour entre le local et le global.

Pour Paul Gilroy, le mouvement Hip Hop serait une manifestation de l’Atlantique Noir. Cette idée devient importante pour cette recherche dans la mesure où elle met en avant la perspective transnationale de l’expression par le rap. Néanmoins, il ne s’agit pas uniquement de l’expression de jeunes Noirs. Selon un jeune rappeur du Blanc Mesnil : « Ici, en banlieue on écoute de la musique, ce qu’on écoute presque tous dans la cité c’est le rap. On aime ça, on veut représenter notre quartier. On rappe parce qu’on a des choses à dire, la discrimination… pour dire ce que nous, les Arabes et les Noirs… mais pas que les Arabes et les Noirs... majoritairement ouais, mais il y a  aussi des Blancs, il y a plein de nationalités... ce qu’on vit en banlieue, pour protester, quoi. »[4] Les jeunes rappeurs sont des jeunes défavorisés, marqués par la stigmatisation et la discrimination liées aux endroits dans lesquels ils vivent. Ils s’identifient entre eux par le partage d’un vécu et non seulement du fait de leur couleur de peau.

Les expériences locales des jeunes dans les banlieues gagnent par le biais du Hip Hop d’autres frontières, se détachant du contexte d’origine pour résonner ailleurs. Les jeunes du Blanc Mesnil et de Nova Iguaçu sont confrontés à des problématiques ‘similaires, mais pas identiques’ (GILROY, 2003). Le rap est une voie d’expression qui permet l’objectivation de leur histoire et leur mise en circulation, au-delà des frontières géographiques. Par le biais de la musique, de la danse, des arts plastiques, le vécu peut être partagé et transformé en lien entre ces jeunesses.

 

II. Iguaçu – Mesnil : un rap franco – brésilien

 

‘Iguaçu – Mesnil’ est un néologisme créé par un rappeur brésilien pour intituler le morceau de rap qui a été coécrit par les jeunes rappeurs du Blanc Mesnil et de Nova Iguaçu. Iguaçu – Mesnil, nom hybride, héritage de la rencontre entre ces deux banlieues, serait le nom de ce troisième lieu où ces jeunes se rencontrent ; lieu imaginé entre les deux banlieues, qui se construit symboliquement dans la traversée de l’expérience de la jeunesse d’une banlieue à l’autre. Dans cet espace symbolique, les jeunes rappeurs tissent le va-et-vient entre les différences et les similitudes entre Blanc Mesnil et Nova Iguaçu.

Pendant la réalisation de l’atelier d’écriture du rap Iguaçu-Mesnil, Mohamed, jeune Français de 18 ans, dit : « Par exemple, si je dis à un Brésilien : la France c’est pourri, tout ça... il va voir, je suis habillé comme ça (en montrant son pull de marque), il va se dire dans sa tête : ‘l’enfoiré !’ (…) On est en France, on est bien, t’as vu, par rapport à nos cousins qui sont au bled… mais la discrimination, t’as vu ?! » Icham, 17 ans, complète : «  Au bled tu es comme tout le monde. Au bled tu es normal ! » [5].

Mohamed alerte les Brésiliens, afin qu’ils ne se trompent pas sur ce que son image peut évoquer dans son immédiateté. L’accès à la consommation de biens qui sont lus par ces jeunes comme signes d’appartenance et de richesse n’est pas suffisant pour assurer une place reconnue et respectée dans la société. Il est certainement plus difficile pour les jeunes rappeurs brésiliens d’acquérir baskets, casquettes et gilets de marque pour faire partie du groupe, mais ce jeune les avertit que l’ostentation de ces signes ne leur permet pas de se sentir socialement valorisés. Icham saisit l’occasion pour exprimer la différence qu’il ressent entre la France et son pays d’origine. Ce jeune questionne leur place en France, où ils ne sont pas comme ‘tout le monde’, où ils n’ont pas les mêmes conditions et possibilités que ‘les autres’ pour accéder à ce que la singularité de leur subjectivité formulera comme désir. Icham, lui, dit qu’il souhaite être comme les autres.

Léo da XIII, le jeune rappeur brésilien qui a participé à la composition du morceau Iguaçu-Mesnil, nous a dit après avoir connu le Blanc Mesnil : « Si je ne savais pas qu’ici c’est une banlieue, je penserais que c’est les quartiers riches de Rio. (…) Je sais que chaque endroit a une image, et chaque œil a son interprétation de cette image. Je peux me rendre compte que la réalité d’ici est similaire à celle du Brésil quand je vois les jeunes dans la rue… je ressens : ‘celui-ci doit avoir une vie pareille à celle d’un ami à moi’. Rien qu’en regardant son comportement. »

Une fois que les différences ont été repérées et nommées, une place se crée pour accueillir l’émergence de l’identification à un vécu partagé. Le jeune Brésilien, en se détachant des représentations de richesse que l’image de cette banlieue française peut avoir au Brésil, vient rejoindre les jeunes Français dans le vécu de la rue. La gestuelle du jeune Français lui rappelle la vie de son ami. Les marques inscrites dans le corps, dans la façon d’agir, de se tenir renvoient à une même place dans la société. Même si l’expérience reste dans le champ du ressenti, même si la langue n’est pas partagée, les signes corporels évoquent un sentiment partagé.

Les discours de ces jeunes Français et Brésiliens nous font revenir aux ‘formes similaires, mais pas identiques’ d’un vécu lié à une histoire de stigmatisation, que nous pouvons lire dans ces extraits du rap Iguaçu - Mesnil :

Ma haine et ma rage c'est ça que j'fais parler,

J'vous parle de discrimination
En France ou au bled j'suis issu d’l'immigration

Ce que j'partage au Brésil c'est ma passion
J'suis d'origine marocaine, parait qu'tu trouves ça arrogant

Di- moi si ça t'gène, le racisme c'est ça que j'trouve gênant

Eu sou guerreiro porque é assim que tem que ser

Je suis un guerrier car il faut l’être

Porque o sistema na Baixada limita você

Car le système dans la Baixada[6] te limite

Agora é sério e se é sério eu não brinco

Maintenant c’est du sérieux, et si c’est du sérieux je ne rigole pas
A vida não brincou comigo e então com ela eu nunca trinco

La vie n’a pas joué avec moi, donc je ne rigole pas

La vie d'ici elle est bien plus facile que celle de là-bas
Alors pourquoi on s'plaint y’a quelque chose qui va pas
93 Banlieue de Ris-Pa
[7] pour les favelas hélas
Là-bas passé tes 20 piges tu vis pas

 

Essa daqui vai direto pra França, Baixada, RJ, nóis brota, no peito a última esperança

Celle-ci part direct en France, Baixada, RJ, dans notre cœur ça fleurit, le dernier espoir
Desde criança mó confiança pra rimar, representar, subir no palco, idéia pra trocar

Depuis petit, encouragé à rimer, à représenter, aller sur scène, échanger des idées
Rá-tá-tá-tá-tá, descarregando a mente

Rá-tá-tá-tá-tá, en déchargeant les pensées

Sou Léo da XIII parceiro, mais um sobrevivente

Je m’appelle Léo da XIII partenaire, un survivant.

 

Tô ligado qualé, Nova Iguaçu é quente

Je le sais, Nova Iguaçu, c’est chaud
Daqui direto pra França descarregando o pente

D’ici direct pour la France, en déchargeant la munition

 

Dans ce morceau, jeunes Français et jeunes Brésiliens se présentent les uns aux autres. Par le biais de ce rap, ils font connaissance. Léo da XIII, nous a dit lors de la réalisation du documentaire Iguaçu - Mesnil : « Je n’ai pas besoin de comprendre sa langue, ni lui la mienne (pour écrire un rap ensemble). Il suffit qu’on sache de quoi on veut parler et ça sort parfaitement dans la musique. » Dans la singularité de chacun, habite un sentiment qui peut être retrouvé dans les traces d’un vécu commun de discrimination. Dans l’extrait de ce rap, chacun à sa manière parle de la façon dont il le vit dans son pays. Ce rap établit un pont entre eux. Les Français disent comment ils imaginent le Brésil ; les Brésiliens parlent de leur pays. Ce rap est la construction d’un espace symbolique commun, où un dialogue s’établit comme un chemin vers la rencontre de l’altérité.

Les sentiments sont exprimés et partagés par les jeunes: « Ma haine et ma rage c'est ça que j'fais parler / J'vous parle de discrimination / En France ou au bled j'suis issu d’l'immigration ». La révolte est nommée, elle a ses sources dans la discrimination vécue par ce jeune issu de l’immigration soit en France, soit au bled[8]. Il est porteur de ce stigma dont il parle dans ce rap. Il continue : «J'suis d'origine marocaine, parait qu'tu trouves ça arrogant / Dis moi si ça t'gène / Le racisme, c’est ça que je trouve gênant. » Le jeune rappeur soulève la question de l’immigration et du racisme, pour ensuite demander au jeune Brésilien « Dis-moi si ça t'gène ». Un échange entre eux est ouvert par ces paroles. Nous pouvons penser que le jeune rappeur veut aussi savoir ce qui gêne les jeunes dans la société brésilienne.

Plus loin dans ce rap, le jeune Français reconnaît que la vie en France est plus facile que la vie au Brésil : « La vie d'ici elle est bien plus facile que celle de là-bas (…) Là-bas passé tes 20 piges tu vis pas ». Ensuite il se demande : « alors pourquoi on s'plaint ? », pour ensuite reconnaître : « y’a quelque chose qui va pas ». Malgré la différence de leurs vécus, les jeunes se retrouvent dans la souffrance liée à la place sociale qu’ils occupent. Ils sont porteurs d’un discours commun.

 

Du côté brésilien, le rappeur parle du combat dans la vie quotidienne des habitants des banlieues pour faire face aux difficultés cumulées dans ces espaces stigmatisés : « Je suis un guerrier car il faut l’être / Car le système dans la banlieue te limite (…) Maintenant c’est du sérieux, et si c’est du sérieux je ne rigole pas / La vie n’a pas joué avec moi, donc je ne rigole pas ».

Le rap est désigné par le jeune rappeur brésilien non seulement comme un moyen d’exprimer les conflits, mais aussi comme un moyen d’échanger des idées : « Depuis petit, encouragé à rimer, à représenter, aller sur scène, échanger des idées ».
Les rimes, le flow, viennent donner de la force à son expression. Un exercice stylistique qui est en même temps élaboration subjective d’un vécu destiné à être à la fois exprimé et partagé. La scène lui donne la visibilité et l’espace pour se faire entendre et représenter les frères avec qui il partage le même discours.

 

Les jeunes Brésiliens et Français s’allient dans ce rap. L’un soutient l’autre, et cela se manifeste dans les dédicaces  des Français pour les Brésiliens : « 93 Banlieue de Ris-Pa pour les favelas hélas », ou des Brésiliens pour les Français « Celle-ci part direct en France, Baixada, RJ, dans notre cœur ça fleurit, le dernier espoir ».

Au moment où les jeunes vont au plus profond de leur propre expérience, vers l’élaboration de leur vécu, ils retrouvent l’autre, avec qui ils partagent un même sentiment et une même revendication. Ainsi, du collectif émerge au plus profond de l’expérience individuelle, soit de la rage née de la discrimination, soit de la lutte pour une autre place sociale.

 

 

III. Le rap, un outil d’identification et de revendication des jeunesses

Le Hip Hop offre un ensemble de signes - depuis les tenues vestimentaires, jusqu’au vocabulaire et à la façon de tenir son corps – propres à la jeunesse. Les jeunes, en partageant cela, partagent aussi les revendications de ce mouvement culturel. Ainsi, le rap est à la fois une expression commune et un élément fédérateur des jeunesses.

La prise de parole par le biais du rap se donne à entendre comme un appel à la réflexion et à la mobilisation, permettant l’émergence d’un discours politique. Sur un ton provocateur, Mano Brown, le rappeur du groupe de rap le plus important du Brésil, le Racionais MC’s, a prononcé une phrase qui est devenue célèbre: "Eu não sou artista. Artista faz arte, eu faço arma. Sou terrorista." (Je ne suis pas un artiste. Les artistes font de l’art, moi, je fais des armes. Je suis terroriste.) Mano Brown nous renvoie au but politique de son rap : déconstruire, rompre, combattre l’ordre imposé pour mobiliser, reconstruire, réinstaurer un ordre différent, qui soit plus juste et plus égalitaire. Ses mots sont des armes dans ce combat. Cette métaphore a été reprise sans fin par des jeunes rappeurs, par exemple dans cet extrait du rap Iguaçu – Mesnil :

 

Rá-tá-tá-tá-tá, en déchargeant les pensées

Je m’appelle Léo da XIII partenaire, un survivant.

Je le sais, Nova Iguaçu c’est chaud
D’ici directement pour la France, en déchargeant la munition.

 

« Rá-tá-tá-tá-tá » : l’onomatopée cherche à reproduire le son d’une mitraillette. Sa munition est envoyée en France, et y arrive sous  forme de mots dans un rap. « Je m’appelle Léo da XIII partenaire, un survivant ». Le rappeur est manifestement le survivant d’un vécu qu’il transforme en munition. Ce qui ne l’a pas tué devient une arme. Ces jeunes semblent s’attacher à la phrase de Nietzsche ‘ce qui ne me tue pas, me rend plus fort’ pour donner un sens à leur vécu.

Dans le rap, il n’existe pas d’interprètes : chaque rappeur chante le rap qu’il a lui-même écrit. C’est comme si le fait d’avoir vécu ou d’avoir imaginé lui-même le contenu d’un récit donnait toute leur force à ses paroles. Les jeunes du Blanc Mesnil disent faire du ‘rap de la cité’, c'est-à-dire que les paroles racontent ce qu’ils vivent dans le quartier. L’authenticité d’un rap est assimilée à l’authenticité de l’expérience de l’auteur. Le vécu des jeunes devient ainsi un capital constitué par des expériences cumulées dans leur quartier. Pour les rappeurs, l’éprouvé serait la source qui nourrit les rimes et le flow. Un jeune rappeur du Blanc Mesnil nous dit lors d’un entretien : « Je dénonce ce que je vois, ce que je vis, ce que j’entends, ce que je vois… (tout ça) je fais passer par mon rap. » Un autre jeune nous dit à propos de son écriture : « (je parle dans mon rap) des choses qu’on a déjà vécues et des choses qui nous ont vexés.  Et il y a aussi des choses que je ne trouve pas justes. Voilà. »

D’une part, dans un rap, ce qui a été individuellement éprouvé trouve une voie de partage parmi les pairs, mais d’autre part cela devient un moyen d’atteindre l’autre qui se montre indifférent à ce récit. Une expérience individuelle peut être partagée et renvoyer celui qui l’écoute à d’autres expériences vécues par lui. Dans ce sens, les paroles d’un rap peuvent servir de repère pour l’identification d’autres jeunes qui se sentent seuls face à un sentiment ou une pensée qui n’a pas trouvé de voie d’expression ou d’échange. Une jeune fille brésilienne nous a dit lors d’un entretien :

« Je pense que je suis quelqu’un de bien à interviewer, car ça fait partie de ta recherche. Car depuis 5 ans je prenais de la drogue. (…) Et puis, cette année on a commencé à écouter du Hip Hop. (…)  Cette année j’ai commencé à écouter du Hip Hop et j’ai fini par arrêter les drogues depuis trois mois. C’est vrai que je n’ai jamais été trop dépendante. (…) Cette année, après avoir écouté beaucoup de Hip Hop national, j’ai arrêté. (…) Il y a eu d’autres choses aussi, mais ça (le Hip Hop) m’a poussée. (…) Plein de choses qui m’ont fait voir que ce n’était pas un truc cool. (…) J’ai commencé à toucher à ça et à voir qu’il n’y avait pas que mon côté. De décider d’arrêter et tout… »

Au Brésil, le Hip Hop est devenu un moyen d’accéder aux jeunes défavorisés et d’intervenir auprès d’eux. Dans ce sens, le mouvement a acquis un rôle important et plusieurs associations ont été créées pour travailler sur ce qui a été nommé ‘la conscientisation des jeunes’. Cette fille nous raconte que les paroles de rap lui ont donné d’autres repères d’identification et d’autres moyens de faire face à une condition. Dans ce sens, les discours du Hip Hop peuvent également avoir une fonction de contenant pour ces jeunes.

L’échange proposé par les rappeurs se fait dans le champ symbolique, par le biais des mots, des rimes, du flow. La violence n’est pas neutralisée pour autant, car elle est présentée comme elle est vécue au quotidien. Néanmoins, dans un rap, cette violence est canalisée, de telle sorte qu’elle puisse être nommée. En donnant des mots à un vécu, il est possible de le placer dans un champ de travail : à un niveau individuel, où chacun peut prendre du recul pour l’élaborer dans sa singularité, en lui donnant des sens nouveaux ; mais aussi à un niveau collectif, où les jeunes se soutiennent entre eux par le partage de leurs expériences.

 

IV. La fratrie et la fonction sociale

Le Hip Hop est devenu un repère pour l’identification collective, que ce soit pour les jeunes des banlieues françaises, ou pour les jeunes des favelas brésiliennes. Le rap est une musique qui incite à la solidarité entre les jeunes, confrontés à un décalage entre un monde rêvé et un monde dans lequel ils vivent et qu’ils dénoncent. Mais le rap est aussi la musique dans laquelle ils rassemblent les forces du groupe. Selon Kehl, cette musique introduit des processus identificatoires horizontaux entre les jeunes:

 

« S’appeler frère n’est pas gratuit. Cela dévoile une intention d’égalité, un sentiment de fratrie, dans un champ d’identifications horizontales (…). Les paroles sont des requêtes dramatiques au semblable, au frère : rapproche-toi de nous, augmente notre force (…) [La force des groupes de Rap] vient de son pouvoir d’inclusion, de son insistance à introduire de l’égalité entre l’artiste et le public, tous noirs, tous d’origine pauvre, tous victimes de la même discrimination et du même manque d’opportunités. »

(KEHL, 2000)

 

L’identification horizontale introduite par le rap vient consolider la fratrie, liant les jeunes les uns aux autres. Pour Kehl, dans le rap, la force du groupe vient des liens établis entre rappeurs et les jeunes, tous des égaux dans la fratrie, issus d’une même condition. Chacun est invité à en faire partie comme un semblable, un frère, uni au groupe de par sa condition.

Quand les jeunes prennent la parole pour faire parler la fratrie par le biais du rap, nous pouvons dire qu’il y a émergence de ce que Barus-Michel a appelé le ‘sujet social’. Selon  l’auteure, « Le « nous » désigne le sujet social dont on pourrait parler, par analogie, avec le sujet-individu, comme à la fois générateur de phénomènes psychologiques et énonciateur : sujet de l’énoncé, à la première personne du pluriel. » (BARUS-MICHEL, 1987, p. 26).

Les paroles de rap font appel au sujet d’énonciation : sujet du langage, inséré dans le symbolique, qui s’approprie des constructions langagières pour exprimer sa révolte, ses pensées, ses désirs. Mais leur contenu réalise le passage au sujet de dénonciation des dysfonctionnements de la société, exprimant la difficulté des trajectoires de vie des jeunes dans la quotidienneté des banlieues et des favelas. Ainsi, quand ces jeunes prennent la parole et font parler la jeunesse à la première personne du pluriel revendiquant ses droits, ils se réalisent en tant que sujets sociaux.

Kehl (2000) signale l’importance du partage de l’expérience dans le groupe. L’action collective est selon cette auteure capable de soutenir des idéaux civilisateurs différents de ceux qui sont en vigueur et ainsi proposer des transformations de la société, qui peuvent devenir légitimes si elles sont capables de renouveler le pacte civilisateur. Le rap marque ici son rôle social. Les paroles transforment en récit le quotidien des habitants des banlieues et des favelas. En dénonçant la précarité de leur vie, les jeunes rappeurs nomment une problématique qui traverse toute la société et qui concerne tous ses citoyens.

Les récits dénonciateurs des rappeurs réalisent leur fonction sociale dans la mesure où ils rappellent à la société que, si toute une partie de la population se voit refuser l’accès à une pleine condition de citoyen, le pacte social a échoué.

 

Conclusion

 

Dans cette recherche, nous avons eu l’occasion d’accompagner des jeunes dans la création de nouvelles formes d’être ensemble à partir de la construction de liens autour du rap. Nous l’avons observé dans un premier temps dans le périmètre de leur quartier, au Blanc Mesnil et à Nova Iguaçu, puis au cœur des échanges qui ont eu lieu entre ces deux banlieues séparées par l’Atlantique.

Les pratiques qui sont développées autour d’un morceau de rap, comme son écriture, son enregistrement ou tout simplement son écoute réunissent les jeunes. Ces rencontres produisent un partage qui introduit de nouvelles formes de socialisation entre les jeunes d’une même localité, mais aussi entre ces jeunes et les jeunes venus d’ailleurs.

 

Le rap crée un champ symbolique où les jeunes des banlieues peuvent élaborer leur vécu, en re-signifiant leurs représentations, en leur donnant des sens inédits. Par le biais du rap, les jeunes parlent des conflits de manière médiatisée. En cherchant des mots, des rimes qui correspondent à ce qu’ils veulent exprimer, les jeunes s’approprient un contexte et s’ouvrent aux possibilités d’agir sur ses représentations. Ainsi, la médiation artistique soutient le sujet de façon à empêcher que sa subjectivité soit enfermée par la stigmatisation et ouvre de nouvelles possibilités de significations valorisantes d’une trajectoire de vie. Or, le rôle médiateur du rap s’affirme dans la mesure où il s’inscrit dans l’entre-deux des processus créatifs individuels et de leur inscription dans le champ social.

Les jeunes de banlieues urbaines du Brésil et de la France se retrouvent dans l’expression d’une même revendication : avoir une place dans la société qui ne soit pas figée dans la négativité et envisager un autre avenir, qui ne soit pas destiné à la précarité. L’identification à ce mouvement collectif rassemble la fratrie, au sein de laquelle ils puisent la force à la fois pour supporter la difficulté de leur vécu et pour soutenir leurs exigences de transformation.

 

 


Notes de bas de page

 

[1] Doctorat en Sociologie Clinique réalisé en cotutelle entre l’Université Paris Diderot Paris 7 et l’Université Fédérale Fluminense.

[2] Ville située à la Baixada Fluminense, Rio de Janeiro, Brésil.

[3] Sur l’histoire du Hip Hop, voir notamment : CHANG, Jeff.  Can’t stop, won’t stop. Une histoire de la génération Hip Hop,  Traduction de Héloïse Esquié Paris, Ed. Allia, 2008.

[4] Voir le documentaire Iguaçu - Mesnil, un rap franco –brésilien disponible in http://www.dailymotion.com/Doc-up

[5] Ibid

[6] Baixada Fluminense : Nom d’une banlieue de Rio de Janeiro

[7] Ris-Pa : Paris en verlan.

[8] Pays d’origine

 

Bibliographie

 

Barus - Michel Jacqueline (1987). Le sujet social. Paris: Ed. Dunod.

_____________ (2004). Souffrance, sens et croyance. Ramonville-Saint-Agne: Erès.

Chang Jeff (2008).  Can’t stop, won’t stop. Une histoire de la génération Hip Hop.  Traduction de Héloïse Esquié. Paris: Ed. Allia.

Gilroy Paul (2003). L’Atlantique noir. Modernité et double conscience.  Traduction Jean-Philippe Henquel. Editions Kargo.

Herschmann Micael (2005). O funk e o Hip Hop invadem a cena. Rio de Janeiro: Ed. UFRJ (2° edição).

Kehl Maria Rita, Função Fraterna (2000) [URL: www.mariaritakehl.psc.br/busca.php]

Massa Ana de Santa Cecilia (2009). « ‘Jeunes Favelados’ et ‘Jeunes de Banlieue’ : l’expression artistique dans la construction du sujet en territoires stigmatisés ». Revista Brasileira Adolescência e Conflitualidade. [URL: www.periodicos.uniban.br/index.php/RBAC/issue/view/10]

 

 

Pour citer cet article:

De Santa Cecilia Massa Ana, «Le mouvement Hip Hop : un pont reliant les jeunes des banlieues et ceux des favelas. », RITA, n° 4 : décembre 2010, (en ligne), Mise en ligne le  10 décembre 2010. Disponible en lignehttp://www.revue-rita.com/regards-56/le-mouvement-hip-hop-.html