• Numéro 10
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    Canada-Québec-Caraïbe: Connexions transaméricaines
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    Canada-Québec-Caraïbe: Connexions transaméricaines

Canada-Québec-Caraïbe : un espace relationnel à géométrie variable. Introduction au dossier.


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Violaine Jolivet

Professeure adjointe
Département de géographie de l'Université de Montréal

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Canada-Québec-Caraïbe : un espace relationnel à géométrie variable. Introduction au Dossier.

 

          Les textes réunis dans la section Thema du numéro 10 de RITA sont issus d’une conférence qui s’est tenue à l’Université de Montréal les 9 et 10 octobre 2015(1). Elle a été organisée avec la collaboration précieuse de Robin Ménard (IdA, pôle Canada) et de Marie-Noëlle Carré (Université de Montréal et CREDA) qui ont également rendu possible la publication de ce dossier. L’objectif de cette conférence internationale en trois langues (français, espagnol et anglais) était de souligner les liens entre la région Caraïbe, la province de Québec et le Canada et de prendre en considération leur ancienneté, leur renouvellement et leur diversité. En effet, qu’il s’agisse du tourisme, des réseaux religieux, de la coopération scientifique, des questions énergétiques, des ressources, ou encore des trajectoires et des histoires migratoires, nombreux sont les ponts et routes tracés entre le centre géographique des Amériques et son extrémité septentrionale. Á partir des années 1960-1970, dans les grandes métropoles canadiennes, la présence de communautés caribéennes, notamment étudiantes, rend visible ces connexions entre les territoires des Amériques. Des populations d’origine caribéenne s’insèrent dans la société canadienne non sans heurts, comme le souligne le documentaire de Mina Schum Ninth Floor (2015). Celui-ci dénonce le racisme subi par des étudiants afro-caribéens et l’occupation de l’université Sir George Williams à Montréal en 1969 par ces derniers, afin de dénoncer les discriminations dont ils font l’objet. Les communautés caribéano-canadiennes s’organisent et résistent pour faire du Canada leur terre. Auteures d’écritures et de réflexions politiques et artistiques, elles vont peu à peu brouiller les frontières des territoires et faire entendre leurs voix. Ce sont alors ces géographies multiples, ces espaces « entre », faits d’allers et de retours que la conférence souhaitait aborder.

Ces connexions transaméricaines sont souvent méconnues, à l’inverse de la relation que les États-Unis entretiennent avec la Méditerranée américaine depuis le 19e siècle. Elles s’inscrivent pourtant dans le temps long. Historiquement, leurs racines sont nombreuses et elles ont tissé des territoires et des quotidiens partagés entre le Canada, le Québec et la Caraïbe. En témoignent les mobilités des colons français et britanniques dès les XVIIe et XVIIIe siècles ou encore celles des Acadiens mais aussi les allées et venues de jésuites et de missions catholiques entre ces régions (Mills, 2016, LeGrand, 2009). De même, des relations économiques et commerciales anciennes existent. Elles furent d’abord incarnées par les marchands de rhum et de poissons, pour devenir peu à peu des relations institutionnalisées à force de traités commerciaux entre le Canada et les gouvernements du Commonwealth ainsi que les gouvernements indépendants. Ces relations économiques sont aussi, comme l’a souligné A. Deneault (2014), structurées par l’implantation et le développement d’un système financier et bancaire dirigé par des firmes et des banques canadiennes qui exercent un quasi-monopole sur le système bancaire des petits territoires caribéens. C’est par exemple le cas de la Halifax Banking Company qui deviendra la CIBC plus tard. C’est aussi celui de la Banque Royale, de la Banque Impériale de Commerce mais aussi de la Bank of Nova Scotia qui deviendra la Scotia Bank.

L’importance de ces liens anciens explique en partie pourquoi, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le développement de recherches universitaires sur les liens Canada-Caraïbe est d’abord le fait d’économistes, d’historiens et de politistes. Ces travaux se développent au Canada et portent majoritairement sur les Antilles britanniques, les deux entités étant unies par une allégeance commune. La création d’un Centre de Recherches Caraïbes (CRC) à l’Université de Montréal dès 1969 autour de la figure de J. Benoist change peu à peu la donne notamment en prônant des approches critiques de l’impérialisme et des politiques d’immigration du Canada dans la région. Le collectif de chercheurs souligne également les liens qui unissent les terres francophones des Amériques en développant dès les années 1970 des collaborations universitaires avec les universités de Bordeaux, d’Haïti et des Antilles-Guyane ainsi que de nombreuses études dans les territoires caribéens francophones et créolophones (CRC, 1974). Les axes de recherche privilégiés pour l’étude des liens Canada-Québec-Caraïbe sont alors ceux qui portent sur les migrations et le développement, l’histoire économique des Antilles ainsi que sur les relations Canada-Antilles à travers l’étude des entreprises et des investissements canadiens. Les incidences de ces dynamiques sur l’accroissement des inégalités fait l’objet d’une grande attention, tout particulièrement dans les études qui portent sur la création de nouveaux secteurs économiques comme le tourisme ou la dévalorisation des petites paysanneries (Baril, 1981). Le CRC publie alors de nombreux rapports, articles et thèses universitaires sur les transformations survenues de 1960 à 1980 dans les sociétés de la Caraïbe et du Québec. Il propose des approches jusqu’alors ignorées, comme le démontrent ses programmes « traditions orales et musicales », « paysanneries » ou « études des petites populations et minorités ethniques » (CRC, 1983). La retranscription de la table ronde qui s’est tenue en 1984 autour des personnalités de Georges Anglade, Emerson Douyon, Serge Larose, Kari Polanyi Levitt et Victor Piché souligne l’existence d’un réseau universitaire et intellectuel dynamique autour des questions caribéennes au Québec. Elle met aussi en évidence la diversification des disciplines académiques mobilisées : géographie, anthropologie, ethnopsychologie, musicologie, sociologie, démographie et travail social. À plusieurs reprises les intervenants de cette table ronde évoquent un dynamisme des recherches renouvelé par les professeurs et étudiants caribéens et soulignent la réelle volonté de situer le discours des chercheurs et de donner la parole aux Caribéens (Anglade, 1984).

Ce rapide tour d’horizon des écrits et des expériences du Centre de Recherches Caraïbes à l’Université de Montréal (1969-1989) ne doit pas occulter cependant que les travaux portant sur ces connexions transaméricaines restent peu nombreux. En outre, ils continuent, pour la plupart, à envisager ces relations à une échelle macro-régionale, privilégiant l’étude de l’État fédéral canadien avec l’ensemble de la Caraïbe ou avec les Antilles britanniques en particulier. Les thèmes privilégiés dans les ouvrages publiés sont alors essentiellement les unions politiques, les coopérations et les accords commerciaux bi- ou multi-nationaux entre le Canada et les États de la Caraïbe. Ainsi, en 1990 l’ouvrage dirigé par B.D. Tennyson « Canadian-Caribbean Relations : Aspects of a Relationship » est publié depuis la Nouvelle Ecosse. Il traite essentiellement des liens historiques économiques et politiques induits par l’appartenance commune au Commonwealth. Cependant, cet ouvrage a le mérite d’accueillir dans un de ses chapitres le regard critique que porte Harold Barratt sur les politiques d’immigration du Canada à l’égard des Antillais anglophones, au travers de la description et de l’analyse des discriminations vécues par ces migrants. Vingt-cinq ans plus tard ou presque, l’édition d’un ouvrage par le CEDEM à La Havane La Conexión Canadá-Caribe: política, economía, historia y migraciones recientes témoigne des mêmes orientations thématiques. Ce livre retrace les relations économiques et historico-politiques du pays du Nord avec la macro-région et évoque les courants migratoires et les diasporas qui tissent les liens entre ces territoires. Cependant, en raison de son  lieu d’édition, il a la particularité de laisser une place de choix aux relations cubano-canadiennes, lesquelles illustrent la spécificité de la construction du lien en dehors des règles du jeu de l’Oncle Sam. Il renoue alors avec les préceptes du CRC sur la nécessité de donner la parole aux Caribéens du « dedans » et du « dehors » pour penser les évolutions des sociétés et des espaces caribéens.

La conférence Canada-Québec-Caraïbe. Connexions transaméricaines a permis de mettre en lumière les enjeux contemporains de ces questions en donnant la parole à des chercheurs, des créateurs et des passeurs qui se situent « entre »  la Caraïbe, le Québec et le Canada, ou bien qui observent depuis l’un les autres. Avec deux conférences plénières, cinq panels, deux tables rondes et une exposition photographique sur la présence noire au Québec mise en œuvre par le CIDIHCA, nous avons souhaité mettre en lumière les multiples facettes des relations entre le Canada, le Québec et la Caraïbe, à la fois ici et là-bas, entre et par des territoires, tantôt bornés, tantôt réticulés, tantôt fluides.

Les échanges lors de la conférence furent l’occasion de revenir sur ce que nous avons nommé les mémoires trans-caribéennes du Canada et de souligner les apports caribéens au sein d’une mémoire collective québécoise mais aussi d’une scène artistique et littéraire qui souvent les rend invisibles. La variété des mobilités, des coopérations et des réseaux entre le Canada, le Québec et la Caraïbe a également été au centre des discussions et des présentations en prenant en compte à la fois l’épaisseur temporelle de ces derniers mais également leurs renouvellements et leurs évolutions. Les deux conférences plénières qui ont ponctué les panels ont ainsi abordé des sujets cruciaux. L’intervention de A. Deneault portait sur la filière canadienne des paradis fiscaux et retraçait les connexions crimino-financières entre la Barbade, les îles Caïmans, l’Ontario et la Nouvelle Écosse. Kari Polanyi est aussi venue partager son parcours de femme engagée, véritable témoin de liens intellectuels ténus entre le Canada et les West Indies, cherchant dès les années 1960 à sortir de modes coloniaux de pensée et de l’impérialisme des grands Nords sur ces micro-territoires.

L’approche transdisciplinaire de cet événement a permis d’explorer et de définir les attaches et les interactions entre le Canada, le Québec et la Caraïbe afin de mieux analyser les ancrages et les routes entre ces régions. Celles-ci ont été appréhendées comme les territoires-supports d’une relation inédite qui se noue dans la rencontre de l’autre, du différent, du divers qui sont reconnus comme tels (Glissant, 1990).

Les textes rassemblés dans le dossier sont issus des différents panels et ont privilégié les travaux des jeunes chercheur-e-s ainsi que la retranscription d’une table ronde nommée par son organisatrice S. Martelly «Parcours haïtiens au Québec : Rencontres, connivences, coïncidences, conflits et malentendus ». Ils permettent de donner un aperçu de la diversité des disciplines représentées lors du colloque (Géographie, Histoire, Sociologie, Anthropologie, Économie, Sciences Politiques, Sciences de l’éducation, Arts et Lettres) mais également des intervenants, et ce afin de faire varier les échelles et les perspectives abordées en considérant l’impact de ces connexions transaméricaines depuis le local jusqu’au global.

L’article de Laneydi Martínez Alfonso ouvre ce dossier en proposant une approche macro-économique et politique des relations du Canada avec le CARICOM. En situant son analyse depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, elle présente trois moments de la politique étrangère des États-Unis et du Canada envers les pays du CARICOM. L’auteure démontre comment l’évolution du rôle du Canada au sein des États membres de la communauté caribéenne est influencée par le processus d’intégration économique du Canada avec les États-Unis et, d’autre part, par la volonté des gouvernements canadiens successifs d’avoir une politique étrangère indépendante, ce afin de rester un partenaire autonome dans une région où le pays est perçu comme moins menaçant que les États-Unis.

La contribution de Luc Renaud apporte un éclairage géographique sur des mobilités spécifiques. Il présente une comparaison entre le Québec et le Belize afin d’analyser l’impact du tourisme de croisière et de ses mécanismes sur le développement d’enclaves territoriales. Il démontre que les expériences caribéennes et, en l’occurrence, celle du Bélize, peuvent être un outil d’analyse précieux pour le développement d’une industrie de la croisière dans la région de Gaspé. Elles permettent de saisir les processus d’exclusion spatiale, de prédation environnementale et de privatisation qui découlent de ces pratiques touristiques.

L’article de Xiomara Romero Pérez s’intéresse aux questions de coopération  et de collaboration dans les domaines de l’énergie et de l’environnement. Il aborde les relations qu’entretient le Canada, et plus particulièrement le Québec, avec les pays de la Caraïbe, au prisme du développement des énergies renouvelables et des petits territoires insulaires. Alors que le Canada est un acteur majeur de l’énergie à l’échelle planétaire et que le Québec a développé un réel savoir-faire en termes d’énergies renouvelables, l’auteur note que le pays se tient en retrait dans cette sous-région américaine et analyse ce manque à gagner à travers des cadres géoéconomiques et géopolitiques à l’échelle des Amériques.       

Le texte de Malik Noël-Ferdinand analyse les circulations poétiques et politiques à travers une analyse du long poème en vers, Land to Light on, publié en 1997 par Dionne Brand. Dans ce texte, souligne l’auteur, on voit comment la narratrice, qui réside au Canada, interroge les travaux de grandes figures révolutionnaires caribéennes comme Frantz Fanon et C.L.R James pour confronter l’histoire coloniale canadienne et celle de la Caraïbe. La langue polyglossique convoquée par Brand lui permet de dénoncer les oppressions et les détours, lesquels fondent une poétique de la relation en terres américaines.

L’article de Marie Meudec part d’une interrogation de l’anthropologue : comment concevoir les discours racistes et les dynamiques de la stigmatisation à l’égard des membres de la communauté haïtienne? Comment étudier la perpétuation des préjugés à l’égard d’Haïti dans des contextes caribéens (Sainte Lucie) et nord-américains (au Québec notamment) ? À travers une analyse de discours littéraires, quotidiens et humanitaires sélectionnés, l’auteure analyse le rôle des processus de stigmatisation, d’altérisation (othering), de l’imaginaire colonial et de l’hégémonie blanche (white supremacy) sur la perpétuation actuelle des représentations négatives à l’égard des Haïtien.ne.s.

Enfin, la retranscription de la table-ronde nommée « Parcours haïtiens au Québec. Rencontres, connivences, coïncidences, conflits et malentendus » permet de présenter une autre facette de ces relations. Stéphane Martelly, qui a réuni les intervenant.e.s, décrivait ainsi son intention : « l’objet de cette table ronde est de présenter différents parcours de personnes d’origine haïtienne au sein de la société québécoise et canadienne. À travers le témoignage et la réflexion sur leur parcours, les participant.e.s nous brosserons un portrait complexe de ce que représente Haïti dans le contexte nord-américain où, comme l’exprimait feu Émile Ollivier, ils se sont retrouvés à la fois « otages et protagonistes ». Les « traces » d’Haïti se retrouveront dans leurs présentations à travers l’histoire, la littérature, les mouvements intellectuels et sociaux, la militance, le vécu migratoire et/ou minoritaire qui ont durablement marqué l’évolution de notre société. Aborder ces parcours sous le titre de « rencontres, connivences, coïncidences, conflits et malentendus » nous permettra aussi de nous questionner, depuis la perspective haïtienne, sur les modalités et la nature des rapports tissés entre les peuples sur le territoire transaméricain du Québec en examinant à la fois les moments où la rencontre a été possible et porteuse, ceux où elle a été plus trouble et ambiguë, ainsi que les points de violence ou d’achoppement de cette rencontre ».

Notes
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(1) La conférence a reçu le soutien de l’Université de Montréal, du CéRIUM (UdeM) de l’Institut des Amériques (IdA, pôle Canada), de l’IHEAL et du Réseau des Études sur l’Amérique latine de Montréal (RELAM).

Bibliographie

Anglade, Georges, Douyon, Emerson, Piché, Victor, Larose, Serge, Levitt, Kari (1984). "Table ronde sur la recherche caraïbéenne au Québec", Anthropologie et Sociétés, 82 : 189–200.

Deneault, Alain (2014). Paradis Fiscaux: La Filière Canadienne : Barbade, Caïmans, Bahamas, Nouvelle-Écosse, Ontario-Montreal.  Montréal, Écosociété.

Haar, Jerry and Bryan, Anthony  (dir.) (1999). Canadian-Caribbean relations in transition: trade, sustainable development and security. New York : Springer.

LeGrand, Catherine (2009). "L’axe missionnaire catholique entre le Québec et l’Amérique latine. Une exploration préliminaire". Globe: Revue internationale d’études québécoises, 12 (1) : 43-66.

Martínez, Reinosa Milagros (dir.) (2013). La Conexión Canadá-Caribe: política, economía, historia y migraciones recientes. La Habana : Universidad de La Habana.

Mills, Sean (2016). A Place in the Sun: Haiti, Haitians, and the Remaking of Quebec. Montréal : McGill-Queen's Press-MQUP.

Tennyson, Brian Douglas (1990). Canadian-Caribbean relations: aspects of a relationship. Sydney, NS : Centre for International Studies, University College of Cape Breton.

Dionne Brand et l’archéologie canadienne d’un canon caribéen dans Land to Light On

Résumé

Dans son long poème en vers, Land to Light On, publié en 1997, Dionne Brand s'interroge sur la pertinence d'un discours révolutionnaire dans une fin de siècle marquée par l'effondrement du bloc socialiste. Naviguant entre retour imaginaire en Caraïbe et appropriation des paysages du Grand Nord ontarien, une voix poétique désabusée pose la question de l'affiliation du citoyen canadien d'origine antillaise et de la construction d’une langue révolutionnaire renouvelée. Le poème propose alors une mise en scène contrapuntique : déçue par l’état du monde et blessée par le racisme canadien, la narratrice interroge les travaux de grandes figures révolutionnaires caribéennes. Parmi celles-ci, les noms des théoriciens Frantz Fanon et C.L.R James apparaissent dans le poème et leurs thèses sont discutées. Même si les poètes Aimé Césaire et Derek Walcott, eux, ne sont pas cités, leurs œuvres occupent également une place capitale dans Land to Light On. Dans ce cadre, Brand investit les deux registres antillais - le politique et le poétique – qu’elle confronte à deux histoires particulièrement signifiantes : l’histoire coloniale canadienne et celle de l’épisode communiste dans l’île de Grenade. Avec ces dialogues, la poétesse inaugure un véritable « canon » caribéen. Enfin, le jeu intertextuel pan-antillais du poème se nourrit d’une langue polyglossique impliquant le Caribbean-English de l’enfance trinidadienne de Brand.

Mots-clés : Dionne Brand ; C.L.R James ; Aimé Césaire ; Derek Walcott ; Frantz Fanon ; Révolution ; Exil.

Abstract

In 1997, Dionne Brand published a long poem in verse entitled A Land to Light On. In the volume, the Trinidadian-born poet wonders about the relevance of a post-communist revolutionary discourse at the century’s end. Brand’s poem also raises the question of geographic affiliation: a disenchanted Antillean-born character, living in Toronto, meditates about the appropriation of Ontarian landscapes and meditates upon the creation of a new revolutionary discourse. In this regard, the setting intends to be contrapuntal: disillusioned by the state of the world and depressed by the Canadian racism, the narrator interrogates the works of distinguished Caribbean revolutionary figures. Among these political thinkers, the names of Frantz Fanon and C.L.R James appear in the text. Moreover, even if the poets Aimé Césaire and Derek Walcott are not mentioned, their works also occupy a prominent place. So Land to Light On investigates these two Caribbean registers – the politics and the poetics - as well as two relevant areas: the Canadian’s colonial history and the Grenadian’s communist history. In so doing, Brand institutes a Caribbean literary canon. This pan-Caribbean interplay is ultimately counterbalanced by the use of a polyglossic language based on Brand’s native Caribbean-English. 

Keywords Dionne Brand; C.L.R James; Aimé Césaire; Derek Walcott; Frantz Fanon; Revolution; Exile.

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Malik Noël-Ferdinand*

Docteur en Etudes Anglophones
ESPE de Martinique, Université des Antilles

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Dionne Brand et l’archéologie canadienne d’un canon caribéen dans Land to Light On

Introduction : dialectique marxiste et dialogisme poétique

          « Canada-Québec-Caraïbes : connexions transaméricaines ». Réfléchir à ces relations, c’est bien sûr se laisser porter par la circulation des signifiés, des lieux, la Mer des Antilles, l’Atlantique, le Saint-Laurent. Mais c’est aussi se laisser transporter par l’étrange murmure des signifiants et l’écho d’un [k] étymologiquement lié à la rencontre avec les premières langues américaines(1). Dès lors, c’est moins la géographie ou l’histoire que la musique de ce micmac qui appelle la lecture du Land to Light On de Dionne Brand. Publié en 1997, Prix du Gouverneur Général pour la Poésie et Prix Trillium du Livre, Land to Light On est un ouvrage de poésie c’est-à-dire de « musique avant toute chose »(2). Le poème se compose de plusieurs chants ou sections en vers où une voix s’interroge sur la question de l’affiliation à une terre. Comme l’indique le premier titre « I have been losing roads », une narratrice canadienne, poétesse, née et ayant vécu à Trinidad, confie se sentir étrangère aux grands espaces enneigés de l’Ontario qu’elle arpente en voiture avec sa compagne et un ami. Toutefois, un même sentiment d’étrangeté recouvre l’évocation distanciée de l’enfance antillaise de ce Je devenu adulte. Le texte de Brand explore le Canada et Trinidad, Toronto et Port-of-Spain, avec la même mise en scène d’une difficulté à habiter un lieu. Comme si cela ne suffisait pas, le vide « géographique » se double d’un vide politique : un troisième foyer et le souvenir d’une désillusion politique tourmentent l’héroïne. Cet état d’amertume s’exprime avec l’image d’un corps seulement rempli d’eau et d’épouvante : “The body bleeds only water and fear when you survive/ the death of your politics, but why don’t I forget./ That island with an explosive at the beginning of its name/ keeps tripping me” (Brand, 1997: 15). Et cette autre île porte un nom : Grenade et son signifié explosif, dans la mémoire de la narratrice, c’est avant tout le signifiant de l’échec de la Révolution. Dionne Brand est souvent revenue, explicitement ou obliquement, sur son expérience de la révolution grenadienne où, jeune femme immigrée au Canada, elle partit apporter son aide au projet marxiste du People’s Revolutionary Government de Maurice Bishop(3). Dans Land, cette déception grenadienne rencontre la perte globale des illusions politiques : nous sommes à la fin du 20e siècle et les ambitions marxistes chères à la narratrice ne sont plus de saison. Ainsi, quand dans un restaurant indien à Toronto, elle revoit un vieil ami – accompagné de son fils -, elle n’hésite pas à faire part de sa détresse :

[…] The Pope wants to beatify Queen Isabella, I tell
him, and has made thirty-three saints and seven hundred
blesseds, do you realise just how absurd we are here sitting at
Arani, and the boy, JFK’s rocking chair sold for 450,000 dollars
and European neo-fascists are glamour boys in
New York
Times, do we realise they are more afraid of communists
than fascists, that is not good news for us. I sit here and listen
to radios, I hear their plots, and stagger, and the boy, well all
there is is the boy, just like any ordinary person, we are not
revolutionaries, we were never drawn into wars, we never
slept on our dirty fingers and pissed in our clothes, why, why

(Brand, 1997 : 23)

Les exemples cités témoignent d’un anachronisme paradoxal. Comme le suggère la mention de la berceuse présidentielle (JFK’s rocking chair), le retour de balancier de l’histoire rend attrayants les néofascismes européens(4) et effrayants les idéaux communistes : la religion retrouve son primat idéologique(5) et l’Amérique ses nouveaux saints(6). Quant au rappel du projet avorté de béatifier Isabelle la Catholique(7), il renseigne en creux sur le propre discours historique de Land. Brand choisit ses déprimantes archives(8) et construit son récit : “all I have are these hoarse words that still owe/ this life and all I’ll be is tied to this century” (Brand, 1997 : 9).

De plus, comme explique Kaya Fraser, le désenchantement politique se mêle ici à l’intime et donne au poème une tonalité angoissée alors inédite dans l’œuvre de Brand: “if anything, this poetry is more agonized and embodied than any of Brand’s previous work” (Fraser, 2005 : 291). Ce pessimisme fin-de-siècle explique sûrement la réception embarrassée du poème. Susan Gingell confie son inconfort : “I was constantly working not to read the work as autobiographical and to keep in check the growing sense of fear I felt for the creator of such a dispirited voice” (Gingell, 1999 : 182). Malgré tout, à l’instar de Gingell elle-même, les premiers lecteurs veulent trouver consolation dans la littérarité du poème :

The picture is not pretty, but its crafting is superb […] I found reason to believe that art is at least the beginning of the synthesis that had earlier escaped her persona. That Land to Light On won the 1997 Governor General's Award for poetry is testament that even such a discomfiting message as Brand's book brings us has the capacity to insist its way into Canadian minds (Gingell, 1999: 183-184).

A cet égard, si on relit l’extrait précédent sous l’angle esthétique, la profusion des enjambements saute aux yeux : est mise en exergue la question de l’énonciation même du poème avec ses locuteurs (I tell/ him ; listen/ to radios), ses lieux (at/ Arani; in New York/ Times) ainsi que ses marqueurs de temps (New York/ Times ; never), de quantification (seven hundred/ blessed; all/ revolutionaries) et de qualification (we are not). Ce recours aux enjambements permet d’attirer l’attention sur le contexte d’énonciation de cette fin de siècle. De plus, le philosophe italien Giorgio Agamben est formel : « la possibilité de l’enjambement constitue le seul critère qui permette de distinguer la poésie de la prose »(9). De ce point de vue, l’œil qui efface la suspension syntaxique et passe au vers suivant n’éclipse pas pour autant l’horizon politique de l’impasse marxiste. De fait, la tension entre syntaxe et sens que marque l’enjambement permet de caractériser Land dans son ensemble. Le poème comprend bien une section intitulée « Dialectics »(10) mais aucune synthèse n’est envisagée : la consolation stylistique d’une résolution apaisante semble donc toute relative. Au contraire, comme révèle un autre titre de section, « Through My Imperfect Mouth and Life and Way », le discours de l’exilée s’apparente à la stérile recherche d’un langage adéquat : “My mouth could not find a language” (Brand, 1997 : 5). Selon George-Eliott Clarke, c’est dans cette recherche d’une langue idiosyncratique que se situe la véritable poétique de l’œuvre(11). A l’image de la pluralité des discours dans l’extrait analysé  (narratrice, New York Times, radio, pape), le poème s’inscrit résolument dans l’hétérogénéité dialogique de voix, pessimistes ou optimistes, mais en tout cas, multiples. A ce propos, la voix de Sarah Vaughan apparaît au centre d’un dispositif singulier lorsque la narratrice et ses deux compagnons sillonnent les vastes étendues neigeuses de l’Ontario :

Only Sarah Vaughan thank god sings in this snow, Sarah
and her big band… gotta right to sing the blues…
I desert the others to her voice, fanning fire, then, even Sarah
cannot take me away but she moves the car and we live
on whatever she’s given to her song, each dive of her voice,

(Brand, 1997 : 76)

La narratrice tente de s’isoler en s’immergeant dans le jazz mais la musique ne peut la transporter. La remarque peut sembler paradoxale si on oublie que, dans le contexte du poème, les paroles de la chanson (« I gotta right to sing the blues ») peuvent correspondre à la nostalgie de la mer antillaise : “I know the deep blue sea/ Will soon be calling me/ It must be love/ Say what you choose/ I gotta right to sing the blues” (12). La chanteuse afro-américaine émeut les autres passagers tandis que la voiture avance. Le jeu de mots avec les deux acceptions de to move (bouger et émouvoir) fait surgir la métonymie (la voiture pour ses occupants) : “even Sarah/ cannot take me away but she moves the car and we live/ on”. Si le jazz de Vaughan ne peut faire oublier le paysage, la musique n’en rythme pas moins l’automobile. Sur le plan métanarratif, le lecteur est prévenu : si le discours de la narratrice demeure pessimiste, les autres voix n’en construisent pas moins le contrepoint d’autres chants. Et c’est précisément dans les contrepoints de ces voix que se meut le poème. Pour Edward W. Saïd, le créateur exilé est habité d’une « conscience contrapuntique » :

Pour un exilé, les habitudes propres à la vie, l’expression et l’activité dans un nouvel environnement s’affrontent inévitablement au souvenir de ces mêmes éléments dans un autre environnement. Les environnements nouveau et ancien sont donc tous les deux marquants, réels, et s’établissent en contrepoint l’un de l’autre. (Saïd, 2008 : 256).

Dans Land, au plan thématique, une héroïne exilée se remémore les environnements caribéens de Trinidad et Grenade tandis qu’elle affronte un environnement canadien. A l’exemple de Sarah Vaughan, au niveau esthétique, plusieurs juxtapositions contrapuntiques interdisent les lectures figées et réductrices. Nous proposons ici d’analyser la fonction des juxtapositions antillaises dans le poème. En effet, quelques unes des grandes figures antillaises du 20e siècle sont explicitement désignées dans le poème tandis que d’autres habitent le chant de manière plus souterraine. Sans surprise, ce sont les noms des théoriciens Frantz Fanon et C.L.R James qui apparaissent dans le poème. A l’opposé, même si les poètes Aimé Césaire et Derek Walcott ne sont pas cités, leurs œuvres occupent une place importante dans Land(13). Investissant les deux registres, le politique et le poétique, Brand dialogue secrètement avec ce « canon »(14) caribéen.

I. Archéologies canadiennes de corps noirs

          La narratrice de Land aborde le paysage canadien à partir de son expérience trinidadienne d’une part et de ses déceptions politiques d’autre part. C’est donc à partir d’une grammaire antillaise (is here pour it is here) que l’espace du grand froid ontarien est reçu : “Yes, is here I reach/ framed and frozen on a shivered/ country road instead of where I thought/ I’d be in the blood/ red flame of a revolution./ I couldn’t be farther away” (Brand, 1997: 6). Nous l’avons vu, le pessimisme affiché du texte peut rebuter mais nous sommes en régime poétique et la fonction des échos (framed, frozen, flame, farther) comme du conditionnel (modal would) est d’emporter le lecteur dans le dédale de rapprochements (frozen et flame par exemple) antinomiques. Précisément, au début de la section intitulée « Islands Vanish », dans l’espace incertain de la terre d’accueil, entre l’île révolutionnaire du passé et le racisme ordinaire du présent, l’image du corps noir dans la neige blanche s’impose à la conscience de la narratrice :

In this country where islands vanish, bodies submerge,
the heart of darkness is these white roads, snow
at our throats, and at the windshield a thick white cop
in a blue steel windbreaker peering into our car, suspiciously,
even in the blow and freeze of a snowstorm, or perhaps
not suspicion but as a man looking at aliens.
Three Blacks in a car on a road blowing eighty miles an hour
in the wind between a gas station and Chatham. We stumble
in our antiquity. The snow-blue laser of a cop’s eyes fixes us
in this unbearable archaeology.

 

 How quickly the planet can take itself back. I saw this

(Brand, 1997 : 73)

L’allusion au roman de Joseph Conrad, Heart of Darkness et la suggestion de différents couples Congo/ Canada, snow/darkness, roads/ throats autorisent une mise en relief du regard (windbreaker; peering; snow-blue laser of a cop’s eyes fixes us) et du corps. Nous retrouvons ici la problématique classique de l’expérience diasporique du corps noir étudiée dans Peau noire, masques blancs(15). Le choix des mots ne laisse guère de place au doute et l’hypotexte émerge :

Affect is exacerbated in the Negro, he is full of rage because he feels small, he suffers from an inadequacy in all human communications, and all these factors chain him with an unbearable insularity […] But as I reached the other side, I stumbled, and the movements, the attitudes, the glances of the other fixed me there, in the sense in which a chemical solution is fixed by a dye […] I am being dissected under white eyes, the only real eyes. I am fixed […] It was here that I made my most remarkable discovery. Properly speaking, this discovery was a rediscovery. I rummaged frenetically through all the antiquity of the black man (Fanon, 1986 : 50-130).

Avec la persistance du regard objectivant, l’expérience du Noir français dans les années 50 ressemble à s’y méprendre à celle du Noir canadien dans les années 90. Le jeu intertextuel (unbearable archaeology/ unbearable insularity) doit alors s’entendre au second degré : l’insupportable archéologie du poème, c’est la pertinence même du texte fanonien. Si le Noir francophone a pu tenter l’archéologie d’une négritude positivante (the antiquity of the black man), le lecteur de Brand retrouve le texte fanonien immergé sous le texte brandien. Dès lors, si la recherche d’une antiquité africaine a pu conduire à une impasse aliénante, qu’en est-il de la lecture fanonienne de Land to Light On ?

La présence du blanc graphique entre les deux strophes sert bien sûr le signifié et la représentation de l’espace enneigé. Il matérialise aussi le geste archéologique c’est-à-dire la distance interstrophique comme coupe stratigraphique. Mais on peut aussi saisir l’aspect métapoétique et ironique de la proposition : “I saw this”. Désigné de manière aussi humoristique, le blanc graphique en vient à perdre toute signification définitive : dans le paysage de cette archéologie glaciaire, c’est au lecteur d’organiser sa propre fouille en fonction de ses propres influences. Sur ce point, la relation de Brand au philosophe algéro-martiniquais touche à l’intime :

why this voice rank and ready to be called bitter again, liquor
doesn’t soothe it and books either, self saboteur, it could be nice
and grateful but Fanon had it, native envy, watery as long as
the bloody sea, envy for everything then, kitchen knives their
dullness or sharpness, shoes their certainty, envelopes their
letters, clocks their lag, paper its clarity, envy to the participle and
adverb, the way they own being, ripe envy full as days, and
breasts, bony as wardrobes, old as babies

(Brand, 1997 : 38)

Le phénomène de « comparaison »(16) trouve son origine dans l’histoire de la Traite (bloody sea) mais cette antillaise amertume se fonde sur le rapport au langage (voice) et sa matérialité sonore (bitter, books, saboteur, be, bloody). L’analogie entre catégories grammaticales, objets du quotidien dont certains sont directement liés à l’écriture, aux parties du corps ou aux vêtements, souligne l’importance pour le révolutionnaire Fanon de « la lave ahurissante des mots couleur de chair trépidante » (Fanon, 1952 : 13). C’est justement le rapport de la Révolution au corps et au langage que le poème investit en représentant un tribun électrisant puis décevant le public d'une Montréal contemporaine :

Remembering Miranda’s campaigns as if he were there
and Bolivar as if fighting for his own life and Jose Marti
like a son grown from a pebble tossed in the Caribbean basin
a comrade ignites the hall in Montreal,
he is the one left alive and left here
he is a stranger in another millennium, in another room,
with his passion and his shimmering ancestry
a question from the back of the hall about armed struggle,
he has been waiting,
he sticks his grapple in its rock face and there’s
a ruthlessness in him, a touch of the old sexy revolutionary,
and he stumbles on now, then his hand touches a greying chin
and it is as if he is startled and ashamed
and unable to land in now, all left undone.

(Brand, 1997 : 35)

La flamme rallumée des révolutions latino-américaines du 19e siècle doit sa paradoxale combustion au jeu des allitérations (as if, as if fighting for his own life, left alive and left here; remembering, Bolivar, pebble, Caribbean, basin et remembering, Miranda, Marti, comrade, Montreal, millennium, room, shimmering). Jouant de la chair trépidante des mots, la richesse de cette nappe sonore s’oppose à la stérile détresse du discours politique (he stumbles on now; unable to land in now). Sous ce rapport, l’ambiguïté de la séduction (sonore) opérée n’est pas simple jeu et permet à Brand de juger la pertinence de la Révolution (the old sexy revolutionary) à l’aune des deux thèmes ambivalents de son poème : le paysage (to land on) et le corps (his hand touches a greying chin). C’est comme cela qu’il faut recevoir l’écho (and/ hand/ land) et le jeu avec le titre du poème dans le choix du verbe to land on. Dans son essai A Map to the Door of No Return : Notes to Belonging, Brand prend à son compte une formule de Neruda expliquant qu’en poésie, les mots sont d’abord pain et vin : “Life is like the sky, Miguel, when we put/loving and fighting in it, words that are bread and wine” (Brand, 2001 : 14). Dans cet ordre d’idées, la véritable réponse à la question du public se situe dans le dispositif esthétique de la scène : la corporalité sonore à l’œuvre dans Land vise d’abord à poser le problème de l’incarnation de l’idéal révolutionnaire et de l’individualité des impressions générées. Selon la narratrice, les marxistes révolutionnaires du 20e siècle et l’essentialisme de leurs programmes n’auraient pas tenu compte de cette inaliénable dimension humaine. C’est en tout cas le reproche qu’elle adresse à Trotski et James :

men romance the shape they’re in
the mythologies they attach to it
their misunderstandings
and this is what James should have said to Trotsky
as they drank in Mexico City,
what might have happened if one have said to the other,
comrade, this is the time you betray the body

nearly late, we are in a hall waiting for a gesture,
Ortega out of prison if his prison is not the whole
of South America now, José Marti’s son if the hall in Montreal
is not his coffin,
we are waiting for some language to walk into

(Brand, 1997 : 36)

Entreprendre une Révolution, c’est se mettre au service d’une cause et aliéner son corps c’est-à-dire sa liberté sensitive. D’après Sophia Forster, l’interpellation de la narratrice constitue une critique de tous les discours téléologiques : “the ‘betrayal’ of the body signifies a mental abandonment of its tangible uniqueness. Brand uses discourses of the natural both to strengthen and to subvert essentializing tactics” (Forster, 2002 : 171). Cependant, il faut bien lire à la lettre son souhait (we are waiting for some language to walk into”) et considérer que Brand avance un langage poétique (et politique) où se mouvoir. L’allitération en [m] (men romance, mythologies, James, Mexico, might, comrade, time) comme le redoublement de b dans “betray the body” « attachent » le discours poétique à sa forme (shape) consonnantale comme l’esprit (mythologies) à sa forme corporelle (body). De plus, avec l’interpellation directe (comrade), l’inclusion (we) et l’indication temporelle (this is the time/ nearly late), dans le blanc graphique interstrophique, le lecteur (you) est invité à prendre la mesure de son propre corps c’est-à-dire de sa propre individualité. De cette manière, malgré un discours mélancolique, le dispositif esthétique engage le lecteur à s’approprier lui-même le texte et à en épouser les interstices. L’organisation rhétorique du poème elle-même prend donc le contre-pied d’un discours qui ignorerait le corps et l’idiosyncrasie du lecteur(17).

A ce propos, l’injonction de la narratrice (“men romance the shape they’re […] and this is what James should have said to Trotsky”) suggère un dialogue avec l’œuvre du penseur trinidadien. Comment James envisage t-il la question de l’individualité et singulièrement du corps dans la construction d’un langage révolutionnaire ? Dans le contexte d’un dialogue avec Land et son hall montréalais, la lecture de l’ouvrage You Don't Play with Revolution se révèle éclairante : y sont rassemblés les conférences, les cours et les interviews donnés à Montréal par CLR James entre 1966 et 1968. Et on y découvre un pédagogue obsédé par la réception individualisée et différenciée des concepts théoriques et des textes littéraires. C’est parce l’activiste considère que la littérature investit à la fois le champ social (Marx) et le champ intime (Freud) que le James montréalais s’écarte de celui de Land : “he [Shakespeare] could have a lot of conversation with Marx as to the situation, the social and economic situation, and  the shaping of character by it. And with Freud, he would have been able to talk of the power of the sexual instinct in people” (James, 2009 : 85-86). D’ailleurs, pour le théoricien antillais, le désespoir si caractéristique du Roi Lear (18) s’attenue dans la littérarité – dramaturgique – de la pièce : “The play is a critique of Elizabethan society, of the society that was and of the society that was coming into being. But Shakespeare didn’t merely criticize. He put somebody there. He put Edgar, today one of the most important of Shakespeare’s characters” (James, 2009 : 87). Dès lors, c’est au Canada que James envisage la construction d’une langue poétique caribéenne à partir de l’œuvre de Derek Walcott :

Derek Walcott has written along these lines and I would like to say what I think; that poetry is, so to speak, the language of the tribe. Poetry comes from deep down in the social consciousness and attitudes of the population. […] The trouble of the West Indian poet is this: the poetry that he learns, the verse forms that he uses are the verse forms and poetry based upon what you may call the English tribe. And it becomes tremendously difficult to translate that into a form suitable for the West Indian tribe. (James, 2009 : 225)

II. De la Singer à l’Hitachi : (re)coudre la langue de la tribu

          Publié un an avant Land, le poème No Language is Neutral explore également la question d’une poétique antillaise de langue anglaise à partir d’une citation de Walcott : “No language is neutral;/ the green oak of English is a murmurous cathedral/where some took umbrage, some peace, but every shade, all/ helped widen its shadow” (Walcott, 1984 : 72) Dans Land, la problématique est amenée à partir d’une incursion dans l’enfance trinidadienne de la narratrice. C’est le sujet du chapitre « Dialectics ».

Sa mère ayant quitté l’île, la jeune narratrice est élevée par ses tantes. La relation avec ses compatriotes (them) se situe au cœur d’une « dialectique » familiale qui tire son origine de la séparation avec la mère : “yet you offered me food for Christmas/ and laughter and your life, your news across the telephone,/ bad news, self-mockery, disappointments and things you feared […] and these conversations scared me” (Brand, 1997 : 63-64). Cet isolement est prélude à l’exil géographique et l’écriture au Canada : “Out of them. To Where? As if I wasn’t them/ To this I suppose. The choices fallen into/ and unmade. Out of them. Out of shape/ and glimmer and into hissing prose” (Brand, 1997 : 69). Mais le malaise devient littéralement physique : “Here I felt discomfort draw/ in my body like blood and me drawn out of them” (Brand, 1997 : 66). La contradiction dans le discours – et dans le désir - du personnage, épouser et repousser ses semblables, est rendue par la figure d’un polyptote(19) polyglossique. Alors que le lecteur attend le participe passé (drawn) dans la première partie de la phrase (passif d’état), phénomène classique en Caribbean-English, il trouve la base verbale(20) (draw) : “I felt discomfort draw”. Qu’elle que soit l’option considérée dans le discours – rester ou partir  –, la jeune narratrice s’accroche à sa langue maternelle. Ainsi, comme on le voit encore avec l’emploi de l’adjectif démonstratif caribéen them (pour those) et la locale conjugaison was (pour were), le terme dialectics sous-tend aussi une allusion sociolinguistique(21) aux variantes dialectales du Caribbean-English: “I had uncle too but them aunts was like tree/ and good cloth” (Brand, 1997 : 62). De fait, cette langue de la tribu instaure une dialectique du corps :

I had thought my life wider, had counted on my cleverness
at noticing not just her sweet hand but her sore leg and
congratulated myself even then on analyzing the dialectic,
the turned corn meal, the amber pain hanging at my Aunt
Phyllis’foot (22) […] 
                                                        […] she says, girl, I tired of this
foot all the time all the time so, she risks another skin graft and
she wore gold rings and loved
guipure lace and sweet men

(Brand, 1997 : 52)

Entre la plaie douloureuse et la main capable de cuisiner moult plats parfumés, l’analyse des contradictions trouve espoir de synthèse dans la tentative d’habiller la jambe malade de sa tante. Au niveau métatextuel, allitérations ([s], [k], [g]), réduplication (all the time) et polysyndète(23) font penser à la répétition – et donc la greffe - d’un autre texte. Effectivement, ce choix de poétiser l’affliction d’une jambe rappelle le motif de la blessure de Philoctete dans Omeros de Derek Walcott : “I am blest with this wound/ Ma Kilman, qui pas ka guérir pièce./ Which will never heal” (Walcott 1990, 12-13). Le lien avec les premiers vers de « Dialectics » est limpide : “I feel like my aunt hunkered to a foot that wouldn’t/ cure” (Brand, 1997 : 51). Par ailleurs, le thème de l’exil intérieur antillais mêlé à la célébration de la blessure rappelle également le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire : « Au bout du petit matin, l’extrême, trompeuse désolée eschare sur la blessure des eaux » (Césaire, 2013 : 186). En exposant la filiation avec Césaire et Walcott, Brand répond en quelque sorte à la question de la langue « tribale » de James et forge une intertextualité antillo-antillaise. Le motif de la machine à coudre symbolise ce dessein :

Her [an aunt’s] burning head, not just how they [the children]
would eat but how she would love, why
was it only lost to her this need to love, how
it was jumbled up when the children
were asleep the handle of it slipped her,
and with rum in her head she felt it crack
her bones, howl her voice to a scream.
She pedalled the Hitachi sewing machine
for kilometers into the cane field
over the night fields soughing soft past
other roads through long savannahs

(Brand, 1997 : 57)

Là encore, placée juste après une attention portée à la voix (howl her voice to a scream), une métaphore filée relie entre eux des champs étrangers : le geste d’activer les pédales d’une machine à coudre est associé au lieu (marcher à travers champs, rues, savanes) et au temps (les nuits passées à coudre). La référence à Césaire est transparente :

et ma mère dont les jambes pour notre faim inlassable pédalent, pédalent de jour, de nuit, je suis même réveillé la nuit par ses jambes inlassables qui pédalent la nuit et la morsure âpre dans la chair molle de la nuit d’une Singer que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit (Césaire, 2013 : 190)

Ce motif est également repris par Walcott dans son poème Another Life :

                                               Maman,
only on Sundays was the Singer silent,
[…]
You stitched us clothes from the nearest elements,
made shirts of rain and freshly ironed clouds,
then singing your iron hymn, you riveted
your feet on Monday to the old machine.

(Walcott, 1986 : 153-154)

L’Hitachi brandienne de kilomètres et de canne à sucre ne dépareillerait pas aux côtés de la chair molle de la machine césairienne ou les vêtement de nuages de la machine walcottienne. Brand s’inscrit ostensiblement dans une tradition dont elle signale le renouvellement(24) avec le changement de marque : on passe d’une mère à une tante et d’une Singer à une Hitachi. Figure rhétorique classique depuis le tissage de Pénélope, la couture textuelle – texte vient du latin textus, tissu – est aussi liée, avec Ulysse, au thème de l’exil : réécrivant L’Odyssée (25) dès l’incipit, Brand marque l’importance du trope textile :

Out of here I am like someone without a sheet
without a branch but not even safe as the sea,
without the relief of the sky or good graces of a door.
If I am peaceful in this discomfort, is not peace,
is getting used to harm. Is giving up, or misplacing
surfaces, the seam in grain, so standing
in a doorway I cannot summon up the yard,
familiar broken chair of rag of cloth on a bowling line,

(Brand, 1997 : 3)

Dans ce cadre, le vers, “familiar broken chair of rag of cloth on a blowing line”, établit dès la première strophe du poème une généalogie antillaise : le syntagme nominal bowling line signale le souffle des échos de grands froids en [s] (safe as the sea/ sky/ peaceful/ discomfort/ peace/ or misplacing/ surfaces/ seam/ so standing) et en [f] (safe/ relief of/ of a door/ If I am peaceful/ discomfort) mais doit aussi être entendu au niveau métapoétique d’une déflagration (blowing) versifiée (line) de tissu textuel (rag of cloth) antillais (familiar).

Conclusion : un Canada pan-colonial

            Dans Land to Light On, le patron des tissages caribéens est dessiné au début la section éponyme avec la réécriture du célèbre passage cartographique du Cahier :

Et mon île non-clôture, sa claire audace debout à l’arrière de cette polynésie, devant elle, la Guadeloupe de même misère que nous, Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité et la comique petite queue de la Floride où d’un nègre s’achève la strangulation, et l’Afrique gigantesquement chenillant jusqu’au pied hispanique de l’Europe, sa nudité où la mort fauche à large andains  (Césaire, 2013 : 193).

Comme chez Césaire, la référence au cahier d’écolier est assumée (Standard Five) :

your house behind your eyebrows and the tracing
paper over the bead of islands of indifferent and
reversible shapes, now Guadeloupe is a crab pinched
at the waist, now Nevis’ borders change by mistake
and the carelessness of history, now sitting in Standard
Five, the paper shifting papery in the sweat of your
fingers you come to be convinced that these lines will
not matter, your land is a forced march on the bottom
of the Sargasso, your way tangled in life

(Brand, 1997 : 44)

Si Brand retisse les intertextes de ses prédécesseurs, c’est aussi pour mieux se situer dans la tradition des méditations sur la Révolution : “that’s no revolution, anyway we will never win now” (Brand, 1997 : 22). Aussi reconnaît-on, dans Land, le désenchantement de « The Schooner Flight » de Walcott : “I no longer believed in the revolution […] I had no nation now but the imagination” (Walcott, 1986 : 350-351).

[…] When you lose you become
ancient but this time no one will rake over these bodies
gently collecting their valuables, their pots, their hearts
and intestines, their papers and what they could bury.
No tender archeologist will mend our furious writings
concluding, “ They wanted sweat to taste sweet, that is all,                               

(Brand, 1997 : 16)

Fantômes présents dans l’œuvre de Brand, Grenade et les corps jamais retrouvés des Grenadiens assassinés hantent le retour à la poésie avec Land : “Brand’s admission of her temporary failure to analyze right – that is to say, of her submission to a dream of power but not  to the actualities of its real, frighteningly mortal consequences has haunted her and her work ever since” (Clarke, 2012 : 161). C’est pourquoi le poème, même s’il ne renonce pas à sa vertu esthétique, son sucre (sweet) et ses raccommodages (mend our furious writings), accepte de montrer ses viscères (intestines) et la sueur (sweat) dans les mains de l’écrivain.

Nous l’avons vu avec Vaughan et Homère, l’archéologie intertextuelle antillaise ne doit pas masquer l’éclectisme des couches intertextuelles. Du reste, si on suit Saïd(26), Brand a peut-être pris de James autant l’habitude du contrepoint que la pertinence antillaise de T.S Eliot(27). Et la poétesse fabrique également des ponts « pan-coloniaux »(28) comme montre l’antillanisation de The Satanic Verses : “a Sunday, soft as any, plays with its eyelash,/ brushing its cheek over Petit Trou, Rushdie’s/ archangel” (Brand, 1997 : 25). Ainsi le poème contient son propre discours critique et s’oppose à toutes les modes et orthodoxies critiques :

[…] I’m taking in conferences on pomo-multiplicity,
the everyday world, the signifying monkey, the post-colonial
moment, the Michigan militia, cyberspace, come to think of it
give each fleeing Hutu/Tutsi a home page, subalterns of their
own, I’m going to Bukavu with Windows

(Brand, 1997 : 32).

Conquis par l’euphonie ([m], [p], [o]) des signifiants, narratrice et lecteurs peuvent se laisser griser par l’euphorie électronique d’un ordinaire académico-médiatique et oublier la signification. Les fenêtres critiques ne peuvent prétendre catégoriser la vie réelle d’individus qui affrontent un monde véritablement tragique. Pour le lecteur de Land qui sonde le poème à la recherche d’hypotextes caribéens, la mise en garde s’avère brutale : apposé aux autres théories critiques (postmoderne, postcolonial), The Signifiying Monkey fait partie de la liste de Brand. Or, dans son livre, Henry Louis Gates Jr s’intéresse précisément aux relations intertextuelles à l’intérieur du champ littéraire afro-américain et leurs liens avec les traditions culturelles et le vernaculaire (black vernacular). Pourtant, Land autorise, dans l’architecture de ses voix, un échappatoire à une catégorisation trop étroite : la figure de Harriet Tubman, avec l’expérience commune de l’esclavage, ajoute à l’antillanité intertextuelle et offre au poème les lèvres d’une américanité ancrée : “what woman/ with a gun and her fingers to her lips draw us to another/ territory further north, further cold, further on,/ into the mouth of the Artic” (Brand, 1997 : 12). Jamais explicitée, la présence de Tubman rappelle au lecteur que c’est en terre canadienne que l’abolitionniste afro-américaine  a organisé la fuite salvatrice vers le Grand Nord enneigé. Mais pour l’écrivaine qui a publié dans la Harriet Tubman Review de Toronto[29], cette immigration ne vaut pas idéalisation et la convocation de la Moïse noire s’accompagne d’une invocation partagée de l’histoire des oppressions ethniques au Canada : “Algonquin, Salish, Inuit…. hooded in Buxton/ fugitive, Preston Black Loyalist, railroad to gold mountain,/ swimming in Komagata Maru… Are we still moving?/ Each body submerged in its awful history” (Brand, 1997 :77).

Notes
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* Je remercie vivement Chandra Brigbhan et Nadiège Noël pour leurs remarques

(1) Le nom Canada viendrait de l’iroquois « kanata » signifiant village et Québec du micmac « Gepèg », rétrécissement du fleuve (Delâge, 1992 : 103-191). Pour la polysémie de « Caraïbe », voir l’article d’Odile Renaud-Lescure, « Le caraïbe insulaire, langue arawak », dans l’édition commentée du dictionnaire caraïbe du Père Breton.

(2) « De la musique avant toute chose » (Verlaine, 1989 : 326).

(3) Dans l’œuvre protéiforme (poésie, roman, essai, cinéma, théâtre), l’expérience grenadienne est, par exemple, au centre du roman In Another Place, Not Here publié un an avant Land.

(4) Durant les années 90 et les succès électoraux de Jörg Haider en Autriche, le New York Times consacre de nombreux articles au renouveau fasciste en Europe. L’un de ces premiers articles est accompagné de la photo d’une affiche électorale présentant les leaders du Parti Autrichien de la Liberté (Jörg Haider, Norbert Gugerbauer et Heide Schmidt) : “The photograph shows three young, handsome Austrians with windblown hair and open collars, laughing at the camera as they pose for a picture high in the Alps. It is not a clothing advertisement, but one for ‘the Incorruptibles' the top three candidates of Austria's far-right Freedom Party” (Fowler, 1990).

(5) Durant son pontificat, Jean-Paul II a béatifié - près de 700 bienheureux avant la parution de Land en avril 1997 - et canonisé – bien plus de 33 saints avant 1997 - à tour de bras. Cependant, il n’a octroyé le titre de docteur de l’Eglise qu’une seule fois : en proclamant Thérèse de Lisieux docteur en octobre 1997, le chiffre de 33 est alors atteint. Dionne Brand a dû voir venir : 1997 marque, en effet, le centenaire de la mort de cette sainte catholique. 

(6) L’allusion à JFK participe de la sanctification de cet anti-communisme : “My Costa Rican friend’s attachment to the memory of President Kennedy is a commonplace in Latin America […] His picture right next to those of Jesus and the pope, adorned the walls of the humble homes of urban shantytowns and rural campesinos” (Grabe, 1999 : 1).

(7)According to the promotional literature published by the commission, Isabella merits canonization for her sponsorship of Christopher Columbus's voyages to America and for her promotion of Catholic faith and culture. Her timely virtues, the committee writes, are "leadership, prudence, courage, compassion, purity and Christian concern for the temporal and spiritual welfare of all people." No mention is made of the expulsion of the Jews or of the Inquisition” (Woodward, 6 avril 1991).

(8) “the presences and absences embodied in sources (artifacts and bodies that turn an event into fact) or archives (facts collected, thematized, and processed as documents and monuments) are neither neutral or natural. They are created” (Trouillot, 1995 : 48).

(9) «  Car qu’est-ce que l’enjambement, sinon le fait d’opposer une limite métrique à une limite syntaxique, une pause prosodique à une pause sémantique ? On appellera donc poétique le discours où cette opposition est, au moins virtuellement, possible, et prosaïque celui où elle ne peut avoir lieu » (Agamben, 2002 : 131-132).

(10) Nous analysons plus loin cette section. Susan Gingell en établit le schème : “Then the seductive vivacity of the West Indian aunts she images for us in "Dialectics" cannot displace the antithetical images of a life lived in poverty” (Gingell, 1999 : 183).

(11)We must engage their poetics, their structures, styles, influences; the histories of their textual productions, receptions and circulations; the literal connections between their theoretical poesis and their political praxis, if any. […] We will discover that it is their search for a true tongue – a mother tongue – despite all the grammars of imperialism and the primers of subjugation – that enables these writers [Harris, Philip and Brand] to create their most authoritative poetry and fiction”(Clarke, 2000 : 179).

(12) Les paroles de la chanson sont répertoriées sur : http://www.lyrics.com (consulté le 15 décembre 2016). Le big band cité est probablement celui de Count Basie – cité ailleurs dans Land - avec lequel Sarah Vaughan a enregistré le titre en 1981.

(13) Choisir cette partition ne signifie pas oublier que Walcott et Césaire ont publié des œuvres théoriques ni que James fut romancier et Fanon dramaturge.

(14) « Le canon n’est pas que le produit de l’académie. Il est aussi créé par les artistes et les écrivains. Les canons prennent leur origine dans les formes ancestrales évoquées dans le travail d’un artiste/écrivain/compositeur par un processus qu’Harold Bloom, auteur de la défense la plus importante de la canonicité, The Western Canon (1994), qualifie d’ ‘angoisse de l’influence’ » (Pollock, 2007 : 47)

(15) « Et puis il nous fut donné d’affronter le regard blanc... ‘Tiens, un nègre !’ […] Je promenai sur moi un regard objectif, découvris ma noirceur, mes caractères ethniques, […] Qu’était-ce pour moi, sinon un décollement, un arrachement, une hémorragie qui caillait du sang noir sur tout mon corps ? » (Fanon, 1952 : 8-9).

(16) Thématique présente à la fois dans Peau noire, masques blancs, « Les nègres sont comparaison » (Fanon, 1952 : 191) et Les Damnés de la Terre, « Le colonisé est envieux » (Fanon, 2002 : 42).

(17)what contemporary literary theories of reading have systemically marginalized, excluded or ignored : the body of the reader” (Littau , 2006 :11)

(18)the play can be seen, now usually is seen […] as a cry of despair. Despair without closure” (Mack, 152).

(19) Polyptote : figure consistant à employer dans une phrase plusieurs formes grammaticales d'un même mot.

(20)Most transitive verbs can convey passivity in their base or  –ing form” (Allsopp, 1996 : 432).

(21) D’ailleurs, toujours du point sociolinguistique, outre la langue, la culture est aussi concernée : “and even when I believe so/ soundly in dialectics I look over my shoulder for wicked spirits” (Brand, 1997 : 64).

(22) Brand joue ici de la frontière fictionnelle puisque In Another Place, Not Here est dédié à : “to my aunts Phyllis and Joan”.

(23) Polysyndète : figure consistant à répéter une même conjonction avant chaque mot d'une énumération, ou devant chacun des membres d'une phrase.

(24) Edward Baugh et Colbert Nepaulsingh reviennent sur la fortune littéraire caribéenne de la Singer (Walcott, 2009 : 232).

(25) Au début du chant VI, isolé dans un bois, Ulysse a dormi complètement nu quand il se réveille : « le divin Ulysse, émergea des broussailles./ Sa forte main avait cassé, dans l’épaisseur du bois,/ Un rameau bien feuillu pour cacher sa virilité » (Homère, 1995 : 109).

(26)  « James rompt le fil de son récit pour introduire un contrepoint. Au lieu de suivre Césaire dans son retour vers l’histoire des Antilles […], il le rapproche de son grand contemporain T.S Eliot » (Saïd, 2000 : 390).

(27) Land to Light On fait écho à The Waste Land.

(28)me hunting for slave castles with a/ pencil for explosives, what did we know that our pan-colonial/ flight would end up among people who ask stupid questions” (Brand, 1997 : 75).

(29) (Clarke, 2012 : 155).

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Résister au débarquement: tourisme de croisière et dynamiques territoriales au Québec et dans la Caraïbe

Résumé

La mobilité et la facilité du redéploiement géographique de l’activité du tourisme de croisière induisent un rapport de force favorable aux compagnies de croisière lorsque sont négociées les conditions d’opérations des escales. La région Caraïbe, où le tourisme de croisière est en explosion depuis plusieurs  décennies, s’est avérée particulièrement vulnérable dans ce contexte. Considérant le bilan historique de l’industrie ailleurs en Amérique, l’essor récent de cette activité touristique au Québec est un défi important en matière de développement durable. En se basant sur les dynamiques territoriales de cette activité telle qu’elle se déploie autour des enclaves des terminaux de croisière, dans la Caraïbe et au Québec, l’article propose des pistes de réflexion qui permettront aux acteurs des destinations québécoises de mieux répondre au déséquilibre de pouvoir causé par la nature singulière du tourisme de croisière. 

Mots-clés : Croisière ; Caraïbe ; Québec ; Enclave ; Territorialité ; Pouvoir.

Resumen

La movilidad y la facilidad de despliegue geográfico de las actividades del turismo de crucero generan una posición dominante de las compañías de crucero en el momento de negociar las condiciones de operaciones de las escalas. La región caribeña, en donde el turismo de crucero está en fuerte crecimiento desde hace algunas décadas, ha sido particularmente vulnerable en este contexto. Sin ninguna duda, considerando la historia de dicha industria en otros lugares de América, el reciente crecimiento de esta actividad turística en Quebec constituye un desafío importante en materia de desarrollo sostenible. Basándose en las dinámicas territoriales propias del despliegue de esta actividad alrededor de los enclaves de los terminales de crucero, en el Caribe y en Québec, el artículo propone elementos de reflexión a fin de ayudar a los actores quebequenses a responder mejor al desequilibrio de poder provocado por la naturaleza singular del turismo de crucero.

Palabras clave : Crucero ; Caribe ; Quebec ; Enclave ; Territorialidad ; Poder. 


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Luc Renaud

Candidat au doctorat en géographie
Université de Montréal

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Résister au débarquement:
Tourisme de croisière et dynamiques territoriales au québec et dans la Caraïbe

Introduction

          L’Industrie du Tourisme de Croisière (ITC) est caractérisée dans ses activités par son extraterritorialité et par une forte mobilité géographique (Wood, 2000 ; Timothy, 2006), lesquels induisent un rapport de force en sa faveur (Patterson et Rodriguez, 2004 ; Vogel, 2011 ; Pinnock, 2014). Ce déséquilibre permet aux acteurs de cette industrie de négocier plus aisément les conditions d’utilisation de territoires lors de l’instauration de leurs activités et ce, souvent au détriment des destinations et des populations hôtes (Logossah, 2007). Entre autres, la mobilité de l’industrie permet aux compagnies de boycotter des destinations se montrant trop exigeantes lors des négociations entourant la mise en place d’un port d’escale (Showalter, 1995 ; Wilkinson, 1999 ; Klein, 2002 ; Pinnock 2012).  Ces négociations concernent principalement la taxation, la gratuité des infrastructures, le contrôle des revenus commerciaux et la réglementation environnementale. De fait, tourisme de croisière et développement durable(1) deviennent difficilement conciliables et le bilan de l’industrie à cet égard est mitigé (Johnson, 2002 ; Klein, 2006 ; Weeden et coll. 2011 ; Caric, 2012). 

Dans un contexte où le développement touristique durable doit prendre en compte l’ensemble des acteurs (Hritz et Cecil 2008 ; Weeden et coll. 2011 ; Mowforth et Munt, 2016), ce constat soulève les interrogations suivantes : comment les spécificités de l’industrie du tourisme de croisière orientent-elles les relations de pouvoir entre les acteurs, et comment ces dynamiques relationnelles peuvent-elles affecter le développement des territoires concernés par ce secteur touristique? 

Ces questions posent un défi particulier au Québec, si l’on admet l’absence d’un regard critique sur cette activité associée au tourisme de masse (Dehoorne et coll. 2008 ; Vogel, 2011), entendu comme étant développé à grande échelle en opposition à un tourisme alternatif déployé à petite échelle(2). Dans un contexte où le gouvernement québécois affirme d’emblée que  « la prise en compte des principes et des valeurs énoncés par la Loi québécoise sur le développement durable est au cœur de la mise en œuvre de la Stratégie de développement durable et de promotion des croisières internationales sur le fleuve Saint-Laurent » (Tourisme Québec, 2012 : 26), il s’avère nécessaire d’observer comment le tourisme de croisière se développe en d’autres lieux, afin de déceler les possibles écueils auxquels pourraient faire face les responsables des différentes destinations québécoises.  Pour ce faire, notre regard s’est tourné vers la Caraïbe où l’ITC est fortement implantée depuis plusieurs décennies.

L’objectif de cet article est de mettre en lumière, par une approche critique (Tribe, 2008), certaines dynamiques territoriales induites par les rapports de force entre les différents acteurs de l’industrie des croisières et de discuter de possibles leçons à tirer pour le Québec.  Nous avançons qu’une meilleure compréhension des dynamiques caribéennes en terme de déploiement territorial et de territorialité induites par la nature singulière du tourisme de croisière peut inspirer une réflexion plus critique sur le développement de l’industrie des croisières au Québec. Ce dialogue pourrait s’avérer important dans la mesure où l’industrie n’a pas démontré par le passé une grande sensibilité pour les intérêts socio-économiques des ports d’escale (Wood, 2000 ; Johnson, 2002 ; Weaver, 2005 ; Weeden et coll. 2011 ; London et Lohmann, 2014). Notre analyse portera sur l’escale de Belize City dans la Caraïbe que nous mettrons en relation avec l’escale de Gaspé dans le golfe du Saint-Laurent (Figure 1).  Nous aborderons en premier lieu certaines généralités conceptuelles permettant de mieux saisir la notion de dynamiques territoriales telle que nous la concevons. Nous analyserons ensuite les défis territoriaux en terme de développement et de dynamiques territoriales auxquels font face ces deux escales pour mettre en évidence les éléments clés nourrissant une réflexion critique sur le déploiement de l’ITC.

Renaud Fig1

Figure 1. Localisation des zones à l'étude

 

I. Territorialité et enclave

          La spécificité des relations de pouvoir entre les différents acteurs concernés par le tourisme de croisière trouve sa source dans les particularités inhérentes à cette industrie en terme de territorialité.  Le tourisme de croisière, dès lors qu’il se déploie sur un territoire par la mise en place d’une nouvelle destination, oriente, modifie et définit à sa façon l’ensemble des relations territoriales entre les différents acteurs impliqués. Avant de s’attarder davantage aux dynamiques territoriales qui se trouvent au cœur des problématiques de la mise en place de destinations de croisière, il importe de définir les concepts de territorialité et d’enclave territoriale sur lesquels s’appuiera notre propos.

             A. Territorialité

Storey (2009) affirme que la territorialité réfère à l’action de revendiquer un espace. Cette définition simple, quoique insuffisante, permet néanmoins de poursuivre la réflexion.  Dans cette acception du terme, la nuance entre territoire et territorialité s’avère subtile, et suppose la présence de la notion de stratégie. Ainsi, si l’on accepte l’idée que des rapports de pouvoir sont impliqués dans la production du territoire, la stratégie, elle, est sous-jacente aux actions de territorialisation. En d’autres mots, un pouvoir est exercé et la territorialité est le fruit d’une stratégie mise en place par ce pouvoir pour créer et produire un ordre social (Sack, 1987 ; Delaney, 2005). Tout comme le territoire, la territorialité se décline à partir de fonctions sociales, voire de constructions sociales où son analyse « n'est possible qu'à travers une saisie des relations réelles replacées dans leur contexte sociohistorique et spatio-temporel » (Raffestin, 1980 : 146). Il s’agit donc d’un « système de relations qu’entretient une collectivité avec l’extériorité et/ou l’altérité à l’aide de médiateurs » (Raffestin, 1982 : 170) où l’espace se définit en terme de représentations socialement construites et en dernier lieu médiatisées par la société (Aldhuy, 2008).

Pour faire écho aux notions de territoire formel et fonctionnel (Sack, 1986 ; Di Méo, 1998), la dualité des visions sur la territorialité – d’un côté matérielle, objective, organisationnelle et stratégique, et de l’autre basée sur les constructions sociales – se confond à travers l’émergence d’une territorialité qui serait simultanément matérielle et idéelle (Di Méo et Buléon, 2005). La territorialité matérielle est avant tout géopolitique et imposée, ou fixée (Sack, 1986 ; Melé, 2009). Elle est forgée par une économie globale, stratégiquement confortée par une finalité de domination où la notion de pouvoir est centrale.  De plus, elle s’inscrit dans la production d’un territoire où l’espace est objectivé afin de maintenir politiquement un ordre économique et social. Cette territorialité objective est aussi dite formelle, à l’instar de la notion de territoire formel, car il y a création de frontières physiques (Germain, 2012).  La territorialité idéelle est celle de la représentation et de l’organisation sociale des populations qui habitent le territoire. Ici, le territoire est produit à partir d’un espace subjectif qui se vit au gré des besoins sans nécessairement tenir compte des frontières physiques. Cette subjectivation des espaces produit une territorialité qui s’appuie sur une représentation et une pratique du territoire dont les origines se trouvent dans les éléments culturels de la population et qui ignore partiellement les limites territoriales imposées par une territorialité matérielle (Di Méo, 1998). Autrement dit, la territorialité se pratique à la fois de façon matérielle, ou formelle, par la création de frontières plus ou moins étanches suivant les intentions de contrôle sous-jacentes, et de façon idéelle, ou fonctionnelle, dès lors que le territoire est produit par les représentations ainsi que par la pratique de relations sociales (Germain, 2012). Ces concepts de territoires formels et fonctionnels ainsi que les territorialités qu’ils induisent deviennent utiles à la compréhension des dynamiques territoriales des enclaves touristiques.

              B. Enclave

Un type particulier de territoire est devenu caractéristique de l’économie touristique dans la Caraïbe, mais aussi dans une moindre mesure au Québec, avec la mise en place de zones d’accueil pour les touristes de croisière : il s’agit de l’enclave touristique.  Autour des enclaves, se rencontrent les territoires formels et fonctionnels nourrissant une dynamique territoriale au centre des relations de pouvoir entre les acteurs touristiques.  De plus, ce type d’enclaves intègre selon les contextes la notion d’extraterritorialité qui teinte fortement les rapports politiques, socio-économiques et culturels conséquents à la mise en tourisme et ce, spécialement dans l’espace caribéen. Ces territoires, appelés couramment villages touristiques, prennent la forme de zones d’accueil des passagers, et agissent aussi comme zones franches commerciales.  Ce sont des espaces impliqués dans les stratégies territoriales d’accaparement économique dans une perspective où  « une destination portuaire doit être en mesure de capter autant que possible le surplus de touristes de croisière(3) » (London, 2012 :184). Ils sont instaurés par voie de conséquence par des acteurs externes qui arrivent à prescrire des conditions de consommation répondant à leurs objectifs économiques. L’enclave est une entité imposée au milieu de vie dans lequel elle s’insère (Donner, 2011).  En conséquence, elle entraîne la mise en place d’une relation forcée avec le territoire fonctionnel créant et recréant une nouvelle territorialité qui redéfinit nécessairement les communautés concernées.

L’enclave est donc à la base de relations territoriales inédites, tant à l’échelle locale que régionale, et, dans le cadre de l’activité touristique, elle constitue « un lieu de villégiature fermé composé de l’ensemble des installations et des services destinés aux touristes afin de les encourager demeurer et à dépenser [en son sein](4) » (ProPoor Tourism (PPT), 2004 : 3, cité dans Carlisle et Jones, 2012 : 9 – Figure 2). Au sens plus large, l’enclave est une « unité qui opère de façon autonome par rapport à son environnement immédiat, mais en relation suivie avec un partenaire extérieur » (Brunet et coll. 1992 : 184). L’enclave évoque, d’entrée de jeu, une posture péjorative en symbolisant une structure territoriale de non-échange et de ghettoïsation volontaire par rapport au milieu au sein duquel elle se trouve. Construite dans des pays en voie de développement, l’enclave sert à immuniser une activité économique au bénéfice des économies développées contre un extérieur hostile, afin de permettre la production ou la mise en tourisme dans les meilleures conditions possible (Donner, 2011). Elle représente donc une double fonction de sécurisation et de productivité. Dans la pratique, les limites de ces enclaves demeurent poreuses : elles sont soit transgressées, soit volontairement perméables afin de laisser pénétrer des travailleurs ou, comme c’est le cas avec l’ITC, afin de laisser sortir des touristes pour diverses activités. C’est l’espace spécialisé semi-ouvert de Lozato-Giotard (2003) où l’enclave est en contact avec le milieu dans lequel elle est implantée.

 

Renaud Fig2

Figure 2. L’enclave touristique de Belize City.

Dans ce contexte, il devient nécessaire pour les opérateurs de développer une relation relativement saine avec le milieu d’implantation afin de réduire les risques de tension et pour assurer une pérennité dans la pratique des activités de l’enclave. Le maintien de cette relation obligée n’est pas sans prix, car elle diminue la capacité de profit optimal pour l’ITC, c’est-à-dire la possibilité d’accaparer le surplus de consommation des passagers. Il s’agit donc, pour ceux qui opèrent l’enclave, de déterminer des moyens visant à faire le strict minimum nécessaire, ou encore d’élaborer des stratégies permettant d’esquiver la relation territoriale obligée, l’objectif final étant de mettre en place une rétention maximale des dépenses effectuées par les passagers.

Il se crée ainsi autour des enclaves un jeu de pouvoir entre le territoire formel, délimité, gardé et protégé, et le territoire fonctionnel, où se déroulent les actions de transgression, d’inclusion et d’exclusion face au milieu formel (Carlisle et Jones, 2012). Le lieu de ces actions est défini comme la zone d’interface, c’est-à-dire « une zone de contact entre deux systèmes qui tire son homogénéité de l’équilibre entre influences nationales et globales » (Le Masne, 2012 : 2). Dans le cas présent, on peut envisager la communauté (fonctionnelle) comme porteuse d’une influence nationale, et l’enclave (formelle) comme la source d’une influence globale. L’exercice de ce jeu de pouvoir crée une zone de résistance, un espace relationnel – que l’on pourrait aussi nommer une interface de dynamiques relationnelles – soumis à  des enjeux politiques, sociaux, économiques et éthiques liés à la territorialité induite par le rapport entre l’enclave touristique et le milieu d’accueil. 

Enfin, indépendamment de l’interface stricte enclave/communauté, il importe de mentionner qu’il existe une autre zone de relations territoriales.  On la retrouve dans le territoire fonctionnel, plus précisément dans ce que Jaakson (2004) nomme la bulle touristique. Il s’agit là d’un espace intégré à la trame urbaine où peuvent se rendre les touristes, mais qui peut être stratégiquement formaté par les tenants du territoire formel afin de s’accaparer des revenus supplémentaires hors de l’enclave. À titre d’exemple, les compagnies ont établi dans certaines escales un système par lequel un commerce peut acquérir un statut recommandable moyennant le paiement d’une commission (Preble, 2014).  Le commerce est alors mentionné sur les cartes touristiques remises aux touristes avant le débarquement ce qui lui garantit, grâce à un affichage exclusif (Figure 3), une clientèle rassurée et plus disposée à dépenser. De plus, les compagnies ont également un contrôle sur les voyagistes oeuvrant dans cette zone par l’entremise de permis d’opération négociés avec les autorités locales.

Renaud Fig3

Figure 3. Affichage exclusif à Cozumel au Mexique

 

II. Défis territoriaux de la Caraïbe au Québec

          Dans la partie qui suit, la discussion portera sur la comparaison de deux destinations de tourisme de croisière : Belize City et Gaspé. Bien que les contextes géographiques soient différents, c’est la dialectique de ces deux destinations face à l’ITC qui est comparée. Il sera d’abord brièvement question du développement territorial induit par la mise en place d’une destination de croisière.  Ensuite, nous discuterons des dynamiques territoriales qui se déroulent aux limites de l’enclave touristique et dans la bulle touristique et de la façon dont elles modulent la capacité des groupes d’acteurs à dicter leur territorialité.  Enfin, nous verrons comment ces dynamiques relationnelles se traduisent en terme de distribution géographique des groupes d’acteurs au sein de l’enclave et dans la bulle touristique pour chacune destinations.  L’enjeu est de comprendre comment, et où se déploie le pouvoir à partir de la capacité de territorialisation de chaque groupe d’acteurs afin de nourrir une réflexion sur les rapports de force déséquilibrés entre l’ITC et les destinations hôtes.

Les éléments mis à contribution dans la discussion proviennent d’enquêtes de terrain effectuées à Belize City et à Gaspé. Les méthodologies privilégiées pour effectuer les collectes de données sont l’observation directe et des entrevues semi-dirigées avec différents acteurs de l’ITC(5). À Belize City, deux séries d’observations ont été effectuées en juillet 2015 et février 2016 pour un total de cinq journées d’escale et à Gaspé en août et octobre 2015 pour deux journées d’escale.  De plus, des entrevues semi-dirigées ont été menées lors du Seatrade Cruise Global de Fort Lauderdale en mars 2016.

          A. Mise en situation

Selon l’Organisation mondiale du tourisme, l’activité touristique a connu une croissance continue au cours des dernières décennies. En ce qui concerne le nombre d’arrivées de touristes internationaux, la croissance fut de 4,3% de 2013 à 2014 avec une croissance moyenne qui devrait se maintenir autour de 3,3% annuellement jusqu’en 2030 (UNWTO, 2015). L’ITC, quant à elle, montre une croissance annuelle de débarquement de passagers de  2,8% pour 2014 avec une moyenne de 7% depuis 2001 (FCCA, 2015).

Malgré le poids relativement marginal du tourisme de croisière par rapport à l’ensemble du tourisme international, la situation camoufle l’importance réelle de cette industrie pour la Caraïbe. Dans cette région où le tourisme est un secteur important de l’économie, l’industrie des croisières est extrêmement stratégique, voire vitale. À titre d’exemple, parmi les vingt-quatre marchés caribéens du tourisme recensés par la Caribbean Tourist Organization, seize reçoivent davantage de touristes de croisière que de touristes voyageant par avion (CTO, 2015).  Au Québec, le poids relatif du tourisme de croisière est moindre, mais, en valeur absolue, la quantité de débarquement augmente considérablement : en 2014, la croissance était ainsi de 19% (Tourisme Montréal, 2015). Le Tableau 1 permet de constater  l’importance relative du tourisme de croisière comparativement au tourisme international pour l’année 2014.

Tableau 1. Le tourisme de croisière vs le tourisme international en (2014).

Renaud Tab1

 

          B. Développement du territoire

Le tourisme de croisière peut potentiellement contribuer au développement du territoire, au même titre que le tourisme ayant des assises terrestres. Ses activités stimulent le développement territorial en périphérie des ports d’escales (Grenier, 2008), mais elles participent aussi à l’amélioration d’autres types d’infrastructures, tels que le réseau routier, pour permettre les activités d’excursions sur le territoire. De plus, elles peuvent également contribuer au renforcement des liens économiques locaux.

Les infrastructures situées à l’extérieur des zones portuaires s’avèrent un défi pour plusieurs pays des Caraïbes, spécialement les pays en développement comme le Belize.  Il est alors nécessaire pour la destination d’assurer une certaine revitalisation de la zone urbaine en périphérie du port, de mettre à niveau le réseau routier et d’améliorer les structures d’accueil des sites d’excursions.  À cet égard, des sommes ont été octroyées dans les deux destinations pour la revitalisation d’infrastructures et d’équipements. (CESD, 2006 ; Tourisme Québec, 2011). Pour la population, ces actions peuvent permettre la réappropriation de zones délaissées (McCarthy, 2003 ; Blondy, 2011), mais à l’inverse exclure certains groupes de citoyens en raison d’un embourgeoisement induit (Seassaro, 2001).

Le renforcement des liens économiques locaux par la mise en place d’une chaîne de distribution efficiente liant les différentes activités économiques peut favoriser un réel développement (Timms, 2006). Néanmoins, la nature enclavée du tourisme de croisière et l’intégration économique verticale, qui fait en sorte que les navires s’approvisionnent à leur port d’attache, inhibent grandement cette possibilité (Freitag, 1994 ; Momsen, 1998 ; Patterson et Rodriguez, 2004 ; Carlisle et Jones, 2012 ; Manning, 2012).  Au Belize, la taille des bateaux qui font escale (jusqu’à 4000 passagers) peut poser des défis logistiques d’approvisionnement en denrées locales. Au Québec, plusieurs des navires qui jettent l’ancre dans les plus petits ports du Saint-Laurent sont de tailles modestes (de 200 à 400 passagers), ce qui rend les possibilités d’approvisionnement en denrées locales possibles, mais très ponctuelles. Ces occasions ont été définies par les responsables de l’escale de Gaspé comme un service de dépannage.

L’activité des croisières recèle d’opportunités certaines malgré des risques importants pour les destinations, considérant d’une part les investissements nécessaires en ce qui concerne les infrastructures et, d’autre part, les retombées économiques incertaines (Logossah, 2007).  La dépendance au tourisme devient dans ce contexte un défi supplémentaire à surmonter pour des pays comme le Belize. Au Québec, le développement du tourisme de croisière est un segment de l’activité touristique qui s’appuie sur une industrie touristique déjà bien développée et qui, à ce titre, bénéficie d’infrastructures existantes. Si des investissements supplémentaires s’avèrent incontournables pour améliorer les infrastructures en place (ou en construire de nouvelles, le cas échéant), les destinations doivent s’assurer, comme ce fut le cas à Gaspé, qu’elles serviront également à d’autres activités.

             C. Relations territoriales: l'enclave et la bulle touristique

La mise en place d’une enclave a des conséquences spatiales inévitables, comme la privatisation de l’espace dédié à l’enclave, provoquant une restriction de ses accès, voire sa fermeture (complète ou partielle) au public (Dehoorne, 2013). Il s’en suit une renégociation des relations territoriales autour des enclaves, où la population locale doit restructurer sa présence sur le territoire.  À partir du moment où la population cherche à se redéployer autour de l’enclave, on observe la revendication d’une nouvelle territorialité (Paasi, 2013).  L’espace relationnel doit alors être redéfini afin que la population locale puisse tirer des avantages de cette territorialité formelle imposée, qu’elle puisse déterminer les ressources nécessaires à son émancipation, et qu’elle soit en mesure de retrouver une partie de son capital culturel, également affecté par la mise en place de l’enclave. 

Dans ce contexte, la nature extraterritoriale de l’enclave touristique instaure de nouveaux rapports dans le territoire.  Tant que l’enclave est saisissable (en ce sens où il est physiquement possible d’entrer en relation avec elle), tant qu’elle est incluse dans l’espace de vie de la communauté, il est possible pour la population de modifier le territoire en visant l’intérêt commun. Ainsi, la force du capital social qui émane de la communauté territorialement ancrée s’institue contre la force du capital économique des acteurs du développement touristique dans une bataille pour une territorialité renouvelée.  Ces luttes de pouvoir entre les différents protagonistes se déroulent à intensités variables et influent directement sur la capacité de développement des destinations touristiques (Pretty et Ward, 2001; Pelling et Manuel-Navarrete, 2011 ; Sharpley et Telfer, 2014).

La situation observée à Belize City, au pourtour de l’enclave ou de la zone d’accueil appelée « village touristique », reflète à plusieurs égards une relation de pouvoir dont l’enjeu est l’accès aux revenus potentiels découlant du débarquement en masse de touristes lors des escales. C’est dans cette zone de résistance, instaurée face à l’autorité, et en réponse aux inégalités, que des locaux tentent d’établir des contacts pécuniaires avec les touristes à travers des stratégies informelles (Figure 4)(6). Les rares locaux détenteurs d’un capital économique suffisant sont en mesure de négocier un accès à l’enclave via le Belize Tourist Board (négociateur pour les propriétaires de l’enclave). Cet accès est modulé selon l’investissement consenti(7).

 

Renaud Fig4

Figure 4. Vendeur illicite à Belize City.

Toujours au Belize, la zone d’accueil correspond à une zone franche privée consentie par le gouvernement  et elle sert à favoriser l’émergence de lieux de consommation. Il s’agit d’un pays à l’intérieur du pays et, afin d’y pénétrer, on doit passer par un contrôle douanier en montrant un passeport (Figure 5). Ce sont là des zones contrôlées, dénaturant dès lors la valeur réelle de la notion de rencontre avec la population locale (Pratt, 2008). Ici, seuls quelques touristes téméraires (ou expérimentés) osent s’aventurer hors de la zone protégée, faisant fi des avertissements et du soi-disant danger lié au fait de se mêler à la population (Figure 6). Au final, cette zone d’accueil est peu intégrée au territoire fonctionnel existant et tend vers l’hermétisme.

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Figure 5. Zone d'accès au village touristique de Belize City.

 

Renaud Fig6

Figure 6. Avertissement pour les touristes quittant l’enclave.

Quant à la bulle touristique, elle s’avère très restreinte et elle est confinée tout près de l’enclave.  Son degré de formatage par les tenants de l’enclave diminue rapidement dès que l’on atteint les petites rues adjacentes. Sur place, les débarquements qui ont fait l’objet d’observations et les entretiens qui ont eu lieu avec différents acteurs du territoire fonctionnel ont montré qu’une quantité marginale de touristes dépassent les zones aménagées près de l’enclave et se rendent dans les commerces détenus par les locaux. Les touristes interrogés avaient clairement été avertis sur le bateau de ne pas s’aventurer trop loin du village touristique, la ville de Belize City étant considérée comme dangereuse. Quoique certains incidents puissent toujours survenir à l’extérieur de l’enclave, ces avertissements servent surtout à confiner les dépenses des touristes au sein des commerces de l’enclave (Weaver, 2005) et à assurer la sécurité totale des passagers, un important argument de vente de l’ITC (Tarlow et coll. 2012). Au final, hors de la zone touristique, au centre-ville, il n’existe pratiquement aucune activité économique liée au tourisme, indépendamment d’une boutique de souvenirs. On constate qu’à Belize City, le territoire formel impose sa territorialité sur le territoire fonctionnel.

Les observations faites à Gaspé laissent entrevoir une situation différente : l’enclave est plus poreuse et le décalage économique avec le milieu dans lequel elle s’insère est moins important. La dynamique économique par laquelle une partie de la population locale est attirée vers la zone d’accueil en espérant en tirer quelques revenus supplémentaires s’est moins fait sentir lors de la mise en place de la destination, à l’exception de quelques initiatives durant les premières années d’opération de l’escale. Ces initiatives de particuliers ont été regroupées sous l’égide d’un voyagiste qui œuvre à l’échelle du Québec et d’un marché d’artisanat local. Dans un cas comme dans l’autre, aucune redevance n’est versée aux compagnies de croisières.

La zone d’accueil de Gaspé, quoique enclavée et surveillée (Figure 7), n’est pas une zone franche appartenant à des acteurs privés et, par conséquent, elle n’a pas une fonction primaire de consommation. Elle occupe principalement la fonction de bureau d’information touristique ouvert au public à travers lequel les croisiéristes peuvent aussi avoir accès au restaurant de la marina. Dans ces espaces, les croisiéristes entrent en contact avec les usagers locaux ainsi qu’avec des touristes conventionnels. Au final, la zone d’accueil tend vers l’ouverture et est plus intégrée au territoire fonctionnel.

Renaud Fig7

Figure 7. Avis de sûreté à Gaspé.

La bulle touristique qui couvre l’ensemble du centre-ville de Gaspé n’est aucunement formatée par l’ITC. Dans ce contexte, les touristes qui arrivent à la zone d’accueil et ne participent pas aux excursions proposées sont invités à en sortir pour aller à la rencontre de la population et à la découverte de la ville. Les observations de terrain ont montré qu’un nombre important de passagers a choisi de déambuler en ville, et ceux qui ont été interrogés n’y éprouvaient aucun sentiment d’insécurité. Ils côtoient les touristes conventionnels et peuvent fréquenter des commerces détenus par des locaux sans être dirigées ou confinés stratégiquement dans leur déambulation. À l’évidence, dans ce cas, le territoire formel n’impose pas sa territorialité au territoire fonctionnel.

La nature différentiée des relations territoriales à l’interface enclave/communauté évoquée précédemment a pour effet d’induire des territorialités singulières aux franges de l’enclave et au sein de la bulle touristique de chacune des destinations. Autrement dit, chacune des dialectiques relationnelles entre les destinations et l’ITC a comme effet de déterminer le degré de présence et de formatage qu’a le territoire formel sur le territoire fonctionnel. L’enjeu pour les destinations réside dans leur capacité à limiter le degré de territorialisation de l’ITC apporté par son contrôle de l’enclave et de la bulle touristique.

           D. Contexte et distribution géographique du pouvoir

Les stratégies de déploiement territorial formel imposées par la nature extraterritoriale du tourisme de croisière et le rapport de force que l’industrie impose vis-à-vis le territoire fonctionnel qu’elle investit sont déterminants pour les relations de pouvoir (Pinnock, 2014). Les zones de contacts entre le territoire formel et informel sont des lieux de résistances stratégiques dans lequel, selon le contexte, les communautés trouvent ou non leur compte. 

La discussion précédente a mis en lumière certains éléments contextuels permettant d’avancer des pistes de réflexion et qui, au final, semblent favoriser la destination de Gaspé, où la capacité de l’ITC à imposer sa territorialité est limitée. Parmi ceux-ci, notons que :

  • La zone d’accueil n’est pas une enclave privée et exclusive à l’activité des croisiéristes ;
  • le discours sécuritaire de l’ITC sur les dangers de la destination afin de confiner leurs dépenses n’est pas applicable ;
  • le tourisme de croisière représente un segment complémentaire de l’offre touristique et non l’activité principale de la destination, ce qui diminue la dépendance ;
  • la dépendance est également faible en raison de son offre touristique variée et de son cadre unique, ce qui s’applique pour d’autres des destinations du Québec (Québec, Fjord du Saguenay, Montréal, etc.).  À l’opposé l’ITC formate le discours sur l’offre caribéenne et l’homogénéise sur les trois S – Sex/Sun/Sand (Vainikka, 2013)(8);
  • les ports d’escales québécois ne dépendent pas uniquement d’une ou de deux compagnies, ce qui les rend moins vulnérables aux menaces de réaffectation des activités favorisées par la mobilité de l’ITC ;
  • s’il y a des menaces, elles ont moins de portées par le fait que les infrastructures dédiées aux croisières servent aussi à d’autres fins ;
  • à l’échelle du Québec, la collaboration entre les ports d’escale, sous l’égide de l’Association des croisières du Saint-Laurent (ACSL) diminue la compétition entre les escales(9).

Le contexte n’est pas le seul déterminant qui influera sur la capacité de l’ITC à imposer sa territorialité. Les relations de pouvoir entre les acteurs doivent tenir compte de facteurs qui relèvent des intérêts en jeux, des motivations et du type de développement voulu au niveau politique, social et économique  (London et Lohmann, 2014). Ces facteurs s’insèrent dans une dialectique d’où résulte une distribution des groupes d’acteurs qui modulent les relations territoriales au sein d’une destination donnée. Le Tableau 2 montre la distribution géographique des groupes d’acteurs des deux destinations au niveau de l’enclave et de la bulle touristique.

Tableau 2. Distribution géographique des groupes d’acteurs.

Renaud Tab2

À Belize City, en tant que propriétaire, l’ITC contrôle directement les boutiques et les restaurants de l’enclave. Elle perçoit également des redevances des voyagistes qui y sont installés grâce aux permis d’opération délivrés par le BTB. Dans la bulle touristique, la même stratégie opère vis-à-vis les voyagistes locaux qui exercent leur activité en périphérie de l’enclave.  De plus, l’ITC peut exercer son influence à partir du navire en recommandant certaines boutiques et des restaurants moyennant une rétribution.

À Gaspé, l’ITC n’a aucun accès à l’enclave qui relève du secteur public, à l’exception de la marina qui, elle, appartient à des intérêts privés locaux et qui était déjà en place avant l’arrivée des croisiéristes.  Idem pour la bulle touristique, qui est occupée par le secteur privé local et provincial (Cruise Concierge est gestionnaire de guides pour l’ensemble des membres de l’Association des croisières du Saint-Laurent).

Les zones d’excursions hors de la bulle touristique ne sont pas abordées dans cette analyse, mais il est intéressant de mentionner que tant au Belize qu’à Gaspé, l’ITC s’y déploie par l’entremise de la vente d’excursions. C’est pour l’instant le seul espace à Gaspé, où les compagnies de croisière peuvent contenir géographiquement les dépenses de leurs passagers.

À Gaspé, l’ITC n’a donc pas accès à l’enclave et à la bulle touristique. À Belize City, au contraire, ses stratégies territoriales lui ont permis de fortement territorialiser cette destination, au point où seuls les acteurs informels présents dans ces espaces, dans une dynamique de résistance, arrivent à échapper à son formatage.

Conclusion

          En choisissant de développer la filière du tourisme de croisière, les gouvernements du Belize et du Québec ont placé les territoires des deux destinations en relation avec une industrie particulièrement encline à favoriser ses propres intérêts. En d’autres mots,  « l’industrie de la croisière n’est pas une entreprise de bienfaisance au service du développement des territoires »  (Dehoorne, 2011 et coll. : 12).  Dans ce contexte les destinations ont intérêt à bien saisir les mécanismes à travers lesquels l’ITC cherche à exercer son pouvoir.

Il existe dans la compréhension de l’expérience caribéenne, un potentiel intéressant pour mieux outiller les destinations à faire face au défi du développement sans précédent de cette industrie. Cette étude comparative met en évidence l’intérêt de l’analyse des dynamiques territoriales dans la compréhension des relations de pouvoir entre les acteurs du tourisme. La mise en lumière des relations territoriales permet de poser une réflexion sur la façon dont ces acteurs arrivent, ou non, à imposer leur territorialité pour leur propre bénéfice. La complexité de ces relations appelle cependant une analyse plus fine des dynamiques territoriales, notamment au niveau des zones d’excursions, en tenant compte du contexte spécifique à chaque destination et des enjeux soulevés avec justesse par London et Lohmann (2014).

Cet article n’avait pas pour ambition d’aborder l’ensemble des dynamiques territoriales possibles dans chacune des destinations, toutefois la discussion s’est avérée utile pour les acteurs des destinations québécoises ou d’ailleurs. Il incombe aux destinations de faire preuve de vigilance et de s’assurer de garder un contrôle sur le déploiement territorial de l’ITC. Sa présence restera bénéfique pour les territoires d’accueil si sa capacité à exercer une territorialité demeure limitée et qu’elle n’affecte pas la capacité de développement durable des destinations. En ce sens, les destinations doivent résister au débarquement(10) du pouvoir de l’ITC sur leur territoire afin que la relation avec cette dernière leur demeure favorable et que le développement de cette activité soit pérenne.

Notes de fin
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(1) Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Le développement durable s’appuie sur une vision à long terme qui prend en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de développement. http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/developpement/loi.htm

(2) Pour une discussion critique sur le concept de tourisme de masse voir Vainikka (2013).

(3) « [a] port destinations must be able to capture as much of the cruise visitors consumer surplus as possible ». Traduction de RITA.

(4) « […] closed off resorts containing all tourism facilities and services for tourists and encouraging them to stay inside and spend within the compound [of the enclave]. » Traduction de l’auteur et de RITA.

(5) Durée des observations : 8h/jour – Durée des entretiens – 30 à 60 minutes.  Belize : Directeur (Belize Tourist Association - BTIA) ;  Directrice assistante (BTIA Placencia) ; Assistant technique (Belize Tourist Association) ; Guides touristiques locaux (6) ; Professeurs en tourisme Belize University (2) ; Responsable groupe de citoyens ; Chargé de projet (Southern Environmental Association) ; Pêcheurs locaux (2) ; Citoyens (2) ; Responsable du village (Placencia). Responsable de village (Monkey River)
Gaspé : Chef d’escale (Escale Gaspé) ; Guide local ; Vendeur local ; Restaurateurs (2) ; Commerçants (2) ; Citoyen (2), artiste de rue (1).
Fort Lauderdale : Directeur (Cruise and Regional initiatives – Belize Tourist Board) ; Avocat en droit maritime.

(6) La lutte de pouvoir se fait également entre les locaux possédant des permis et les illégaux. En entretien, les premiers qualifient systématiquement les seconds de voleurs.

(7) Un voyagiste, par exemple, peut s’établir dans une zone allant de l’intérieur du village jusqu’à la périphérie de la zone touristique, et il en va de même pour les vendeurs de souvenirs et les restaurateurs. Cependant, les meilleures places sont détenues par des intérêts étrangers. 

(8) Cet aspect est important, car c’est en raison de ce formatage des destinations caribéennes que l’ITC peut plus facilement boycotter une destination pour en favoriser une autre qui offrira un produit tout à fait similaire.

(9) À l’exception notable du petit port de Tadoussac, l’ensemble des escales du Québec fait partie de l’ACSL.

(10) La métaphore du débarquement prend aussi un sens propre lorsque des milliers de touristes débarquent dans les rues adjacentes au port d’escale; certains auteurs ont décrit le phénomène en terme de pollution humaine (Smith, 2006).

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Pour citer cet article

Luc Renaud, «  Résister au débarquement: tourisme de croisière et dynamiques territoriales au Québec et dans la Caraïbe » , RITA [en ligne], N°10: juillet 2017, mis en ligne le 10 juillet 2017. Disponible en ligne:http://revue-rita.com/thema/resister-au-debarquement-tourisme-de-croisiere-et-dynamiques-territoriales-quebec-caraibe.html

Good cop, bad cop policy? Una mirada comparada a las relaciones de CARICOM con Canadá y Estados Unidos

 

Resumen

Tradicionalmente, los países miembros de la CARICOM han privilegiado sus relaciones con dos de los que denomina “socios tradicionales”: Estados Unidos y Canadá, en el marco de una visión “anglo-céntrica” de sus prioridades externas. Ambos países, por su cercanía geográfica y roles históricos, aunque diferenciados, en el Caribe, han ocupado un espacio fundamental en la matriz de relacionamiento externo de la CARICOM. Resulta innegable, no obstante, el reconocimiento de la existencia de una relación triangular que agrupa los tres países y donde Estados Unidos constituye un foco fundamental. En el actual contexto de cambios hemisféricos y globales, se presenta como relevante, una mirada histórica comparada a los “modelos” de política exterior de Estados Unidos y Canadá hacia los países de la CARICOM, desde una perspectiva triangular en el período 1973-2014, en la búsqueda de divergencias y convergencias, cambios y continuidades. En este sentido, el cuestionamiento de si ambos países han jugado o no a una política de “buen policía” (good cop) y “mal policía” (bad cop) en sus vínculos con el Caribe, constituye una línea fundamental en la hipótesis de partida, que se discute en el artículo.

Palabras clave: Politica exterior; CARICOM; Canada-Caribe; Estados Unidos-Caribe.

Abstract

Traditionally, CARICOM member countries have privileged their relations with two of the so-called "traditional partners": United States and Canada, within the framework of an "anglo-centric" vision of their external priorities. Both countries, because of their geographical proximity and historical roles, although differentiated, in the Caribbean, have occupied a fundamental space in the matrix of external relations of CARICOM. There is, however, an undeniable recognition of the existence of a triangular relationship that brings together the three countries, where the United States is a fundamental piece. In the current context of hemispheric and global changes, a historical and comparative view of US and Canada foreign policy "models" towards the CARICOM countries is presented as relevant, from a triangular perspective in the period 1973-2014, in the search for divergences and convergences, changes and continuities. In this regard, questioning whether or not both countries have played a policy of "good cop" and "bad cop" in their relations with the Caribbean constitutes a fundamental hypothesis discussed in the article.

Key Words: Foreign policy; CARICOM; Canada-Caribbean; United States-Caribbean. 

 

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Laneydi Martinez Alfonso

Univerdad de La Habana

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Good cop, bad cop policy? Una mirada comparada a las relaciones de CARICOM con Canadá y Estados Unidos

Introducción

          Tradicionalmente, los países miembros de la CARICOM(1) han privilegiado sus relaciones con dos de los que denomina “socios tradicionales”: Estados Unidos y Canadá, en el marco de una visión “anglo-céntrica” de sus prioridades externas. Ambos países, por su cercanía geográfica y roles históricos, aunque diferenciados, en el Caribe, han ocupado un espacio fundamental en la matriz de relacionamiento externo de las naciones de la CARICOM. No obstante las diferencias entre estos dos países en la arena internacional –Estados Unidos como potencia hegemónica y Canadá como potencia intermedia-, ambos han influido sustancialmente, en las formas en las cuales el Caribe ha intentado insertarse en la economía mundial.

El artículo está estructurado a partir de 4 secciones principales. La primera sección aborda las relaciones de Estados Unidos y Canadá con los países de la CARICOM entre 1973 y 1989, momento clave en el que el Caribe coincidía como una área prioritaria para la política exterior de ambos países. En esta sección se cuestiona además los elementos históricos que han caracterizado como “especiales” los intercambios bilaterales. La segunda sección abarca este mismo tema en el período entre 1990 y 2000 donde se produce una “degradación” del Caribe en la jerarquía de prioridades de política exterior de Estados Unidos y Canadá, en el marco de una dilución hemisférica de los intereses de ambos países. Los nuevos desafíos del siglo XXI en las relaciones de la CARICOM con estas dos potencias son discutidos en la tercera sección, donde se abordan especialmente los retos asociados a las nuevas concepciones de seguridad y su influencia en los intercambios bilaterales. Finalmente, en las conclusiones se aborda las convergencias y divergencias en las relaciones de Estados Unidos y Canadá con los países miembros de CARICOM y cuestiona hasta qué punto ambos países han jugado o no a una política de “buen policía” (good cop) y “mal policía” (bad cop) en sus vínculos con el Caribe, lo que constituye una línea fundamental en la hipótesis de partida de este artículo.

I. 1973-1989: el área del Caribe como prioridad de política exterior

          A.Estados Unidos-CARICOM

          Desde el período posterior a la 2da Guerra Mundial, la confrontación ideológica “Este-Oeste” estampó profundamente la naturaleza de las relaciones entre Estados Unidos y la Cuenca del Caribe. En esta última, la Revolución Cubana fue expresión y objeto de dicha confrontación, visto este proceso desde Estados Unidos como una influencia creciente desde Moscú en el Caribe.

En 1975, la emergencia en Jamaica del gobierno de Michael Manley, y los cambios introducidos por éste en la política doméstica (reformas socioeconómicas en diversos ámbitos sociales como la salud, la educación, la agricultura, etc.) y exterior (su amistad con Cuba, su defensa de un Nuevo Orden Internacional, su participación en el Movimiento de Países No Alineados MNOAL, etc.) y su influencia en el resto del Caribe anglófono; tuvo implicaciones importantes en el comienzo de un viraje progresivo en la política exterior estadounidense hacia el Caribe anglófono.

Aunque de manera aislada, los primeros acercamientos oficiales de la administración de James Carter (1977-1981) fueron fundamentales en la posterior construcción de un nuevo rumbo de política hacia el Caribe. El Caribe siempre fue una preocupación central para Estados Unidos, sin  embargo no es hasta 1982 con la administración de Ronald Reagan, que hay un pronunciamiento formal de una política exterior estructurada hacia el Caribe por parte de Estados Unidos, con el anuncio de la Caribbean Basin Initiative (CBI). La invasión a Granada en 1983 confirmó la prioridad de la subregión y hasta qué punto el gobierno estadounidense estaba dispuesto a llegar en el contexto de confrontación este-oeste, así como generó múltiples divisiones en el área. El intento de unir dentro de un mismo concepto, Cuenca del Caribe, a América Central y el Caribe fue evidentemente influenciado por preocupaciones ideológicas y estratégicas desde Estados Unidos. Sin embargo, este concepto impuso una visión geopolítica arbitraria que guió las políticas, que no tuvo en cuenta ni las estructuras subregionales de integración, ni las características y particularidades de dichos subgrupos. Esta conceptualización artificial asumía un grado de comparabilidad cultural, política y socioeconómica entre estas naciones que no existía (Erisman, 1984). 

La política de Reagan hacia el Caribe estuvo permeada por el conflicto Este-Oeste a partir de la percepción que identificaba las amenazas asociadas a la influencia del comunismo en el área y en el mantenimiento de gobiernos aliados a los intereses de Washington. Esta administración utilizó una perspectiva en la construcción de su política exterior hacia el Caribe, que provocó percepciones erróneas asociadas a la Guerra Fría. La intervención en Granada, demostró al mismo tiempo la inhabilidad del presidente para comprender las raíces de la inestabilidad en el Caribe, así como su capacidad para generar divisiones al interior del área caribeña. Aunque el presidente consideró la influencia de Cuba como la causa principal de los cambios políticos en el área, por otra parte, desestimó el potencial desestabilizador de los masivos problemas socioeconómicos de la subregión. La CBI permitió a una parte importante de las exportaciones del Caribe entrar libre de impuestos a Estados Unidos. En muchos casos el criterio central de asignación de recursos dependía mucho más de las posiciones hacia Cuba y Estados Unidos de los países receptores, que de las necesidades de desarrollo de estas sociedades. Así, esta iniciativa estuvo dirigida al afianzamiento inmediato de su influencia política y no una estrategia para el desarrollo económico y social.

Según Erisman (1984), alrededor del 87% de los bienes importados de los países de la Cuenca del Caribe ya entraban libre de aranceles bajo el Sistema Generalizado de Preferencias. Como resultado, la iniciativa solo afectaría el 8% de los productos embarcados a Estados Unidos desde el Caribe. Uno de los aspectos más importantes de la iniciativa fue la promoción de la inversión privada en la Cuenca del Caribe, proveyendo de incentivos fiscales o impositivos a las compañías norteamericanas que operaban en el área y con la negociación de acuerdos de protección de inversiones.

En general, los intereses de Estados Unidos en el área se habían concentrado, en esta etapa, en temas de economía y seguridad. El tema de la “contención al comunismo” se convirtió en el elemento articulador en torno al cual se construyó la estrategia global y la política exterior hacia el Caribe. Otros temas de interés para los caribeños como: la deuda, la pobreza, la violencia, el narcotráfico, capacidades técnicas e institucionales, entre otros, eran tratados como secundarios.

           B. Canadá-CARICOM

El gobierno de Pierre Trudeau condujo una revisión de la política exterior desde 1968, que cambió sustancialmente su orientación durante toda la década posterior y hasta mediados de los ochenta (Stevenson, 2000). Algunos autores caracterizan este período como de un cambio en la orientación de la política canadiense hacia el Caribe, en función de un “constructive internationalism”, que intentaba diferenciarse en algunos aspectos, de la política exterior de Estados Unidos, tratando de capturar mejor las necesidades del Caribe dentro de sus políticas (Basdeo, 2002). En este contexto, el punto de mayor divergencia en política exterior de Canadá con respecto a Estados Unidos, haya sido el mantenimiento de relaciones políticas, diplomáticas y económicas con Cuba.

En el año 1979, las relaciones entre Canadá y los países de la CARICOM alcanzaron  un momento relevante, a partir de la realización en Jamaica de la Conferencia Canadá-CARICOM. En esta reunión se firmó el Trade and Economic Cooperation Agreement y se acordó establecer el Joint Trade and Economic Committee (JTEC), este último como un mecanismo que facilitara las consultas regulares. En 1981, en Jamaica, el entonces Secretario de Estado para los Asuntos Exteriores de Canadá, Mark MacGuigan, anunció las bases de esta nueva política, a partir de colocar los temas económicos como prioritarios, prestando atención a las necesidades particulares de los Estados del Caribe Oriental (OECO). Asimismo, declaró que proveería ayuda en forma de financiamiento a la balanza de pagos para apoyar a los Estados de CARICOM que habían concluido programas de ajuste con el FMI, y se comprometió a trabajar para mantener la estabilidad política, económica y social del Caribe. En este sentido, la condicionalidad de la ayuda en balanza de pagos prometida al Caribe estuvo sujeta a la aplicación “completa” de programas de ajuste, en un contexto de crisis económica y vulnerabilidad.

En 1980, sólo el 1,7% de las exportaciones de los países de la CARICOM tenían como destino Canadá, alcanzando apenas un 4,4% en 1990. Asimismo, las importaciones de la CARICOM desde Canadá representaban alrededor de 4,6% del comercio total en 1980 y apenas un 5,4% en 1990 (Braveboy-Wagner, 2007). La variable comercial no se erigía en la de mayor importancia en las relaciones bilaterales y por consiguiente, no fue un factor determinante exclusivo en la formación de la política exterior de Canadá hacia el Caribe. No obstante, en 1985, el entonces primer ministro Brian Mulroney anunció el lanzamiento de una nueva iniciativa política de Canadá hacia el Caribe el Caribbean-Canada Trade Agreement (CARIBCAN). Esta iniciativa era un paquete de preferencias que concedían entrada sin aranceles al mercado canadiense de productos caribeños, excepto los textiles y el metanol. Aunque fue anunciada como una iniciativa distinta a la propuesta por Estados Unidos en relación a preocupaciones de seguridad, era evidente que respondía a un seguimiento de las políticas de Washington posterior al lanzamiento de la Caribbean Basin Initiative (CBI) desde una perspectiva canadiense (Guy, 1990). Como instrumento, este reforzó los patrones prevalecientes con anterioridad de las relaciones de subordinación económica del Caribe.

Canadá invirtió en esta subregión más que en ningún otro país o región subdesarrollada específicamente en el sector bancario, de seguros y explotación de recursos naturales (Douglas, 1990). Un actor importante de esta inversión y la compañía más grande operando en el Caribe era la empresa canadiense Aluminum Company of Canada (ALCAN) que colocó en ese período alrededor de 160 millones de dólares en Jamaica y 100 millones en Guyana asociados a la extracción de minerales, particularmente bauxita (Douglas, 1990). Asimismo, las compañías canadienses de seguros controlaban alrededor del 70% de los negocios del área (Levitt, 1982). La influencia de la banca canadiense en el Caribe, históricamente, ha sido tal que ha influido en la formulación de las políticas monetarias y en la evolución de los sistemas regulatorios vinculados a ello (Guy, 1990). En 1970 se estimaba que los bancos canadienses controlaban el 60% de la banca comercial de Trinidad Tobago. Para el resto del Caribe anglófono esta cifra oscilaba entre el 60% y el 90% (Hudson, 2010: 35).

En el control financiero de Canadá sobre el Caribe pueden citarse al menos tres elementos de especial relevancia: la participación activa de Canadá en apoyo financiero a instituciones regionales del Caribe (como el Banco de Desarrollo del Caribe y otros), la entrada de Canadá como miembro pleno (desde 1972) al Banco Interamericano de Desarrollo (BID) y el rol que este ha jugado en el suministro de programas de crédito en el Caribe desde esta y otras instituciones internacionales y, finalmente, el papel de la Canadian International Development Agency (CIDA) (1968), a través de sus diversos programas en la región, una pieza clave en el financiamiento canadiense de programas de desarrollo y oportunidades de negocios para empresas canadienses en el Caribe (Guy, 1990). La asistencia al desarrollo se erigió como un pilar fundamental en las relaciones bilaterales. Entre 1982 y 1987, la asistencia total de Canadá hacia el Caribe se multiplicó por dos, pasando de 28,5 millones de dólares a 57 millones. Sin embargo, incluso en ese contexto de mayores niveles de ayuda, la asistencia canadiense era sólo un cuarto del nivel aportado por Estados Unidos a las islas caribeñas en el mismo período (Deere, 1990:1987).

Canadá ha desempeñado un rol fundamental en Haití, país con el que posee relaciones muy estrechas y con el que ha existido un interés de largo plazo de asistencia financiera. El reconocimiento de Haití entre los países menos desarrollados de las Américas, la presencia de una importante diáspora haitiana especialmente en Québec y los intereses regionales y globales canadienses son algunos de los factores que explican esta particularidad en las relaciones Canadá-Caribe. Canadá ha jugado un papel clave en este país con una agenda mucho más diversificada y orientada al desarrollo que la estadounidense.

II.  1990-2000: degradación en la jerarquía de prioridades, la dilución hemisférica

              A. Estados Unidos-CARICOM

          El fin de la llamada “Guerra Fría” provocó un proceso de transición en la política exterior de los Estados Unidos, a partir de una desaparición de la identificada como su principal amenaza de seguridad nacional. Con la administración de Bush padre, lanzamiento de la Iniciativa para Las Américas en 1990 y la primera etapa de negociación del TLCAN, marcaron las estrategias estadounidenses hacia el hemisferio. En este contexto, puede argumentarse la no existencia en este período de una política definida y específica hacia los países de CARICOM, sino de una dilución de su aplicación en los marcos de las políticas hemisféricas y globales. Durante la administración Clinton, estas políticas, de donde la llamada Cuenca del Caribe era subsidiaria dentro del espacio latinoamericano más amplio, estuvieron dirigidas hacia 4 temas: la promoción del libre comercio y las inversiones, la democracia, los temas de seguridad y migraciones. A inicios de los noventa, Estados Unidos y los países de la CARICOM firmaron un acuerdo marco de comercio e inversión (1991), un tipo de acuerdo que Estados Unidos ha estampado con varios países incluso fuera del hemisferio, cercano a los llamados Trade and Investment Framework Agreement, aunque menos estructurado. La firma de este acuerdo proveyó de un marco estratégico para el diálogo sobre comercio e inversión entre Estados Unidos y CARICOM.

La firma de Estados Unidos del TLCAN suscitó importantes fricciones con el Caribe, a partir de la pérdida de preferencias comerciales por parte del resto de los países beneficiarios de la CBI, ante las concedidas a México con el tratado de libre comercio. Aunque la postura inicial de varios países de CARICOM en relación a las negociaciones hemisféricas de un tratado de libre comercio fue de una gran reticencia, su posición real se reflejó en la firma de todos los miembros de este organismo del Plan de Acción de Miami en 1994. Lo cierto es que el interés de países como Trinidad Tobago, Barbados y Jamaica, en este sentido, difería notablemente de otras naciones de CARICOM, y esto tuvo un reflejo en posiciones diferentes ante las negociaciones. No obstante, existía entre los caribeños una amplia preocupación de no quedar aislados frente a las tendencias que se imponían a nivel continental. Sin embargo, esta posición fue variando en la medida que se hizo más evidente las posibilidades de negociar de manera diferenciada para las pequeñas economías dentro del tratado. Aunque la Declaración de Miami reconoció la posibilidad de que diferentes países asumieran niveles distintos de compromiso dentro del marco del ALCA, las negociaciones tuvieron una lenta evolución (Byron, 2001). La lucha por lograr el NAFTA Parity no tuvo resultados hasta el 2000, debido a las demoras del Congreso de Estados Unidos en adoptar la legislación que en algún grado compensara a los países caribeños. En 2000, la Caribbean Basin Trade Partnership Act (CBPTA) aunque cubre un grupo más amplio de productos caribeños, sólo 7 países del CARICOM clasifican en los criterios de elegibilidad. Este acuerdo incluyó especialmente productos basados en el petróleo y algunos productos semi-industriales, especialmente importante para países como Trinidad Tobago.

En el marco de las relaciones políticas, la Declaración de Principios Bridgetown en 1997 entre Estados Unidos y los países de CARICOM, constituyó un referente clave en la articulación de temas de interés común con este país. En sentido general, la Declaración de Principios y el Plan de Acción de Bridgetown 1997, reconocieron a nivel retórico el estrecho vínculo existente entre el comercio, el desarrollo económico, la seguridad y la prosperidad. La ejecución posterior de este Plan de Acción estuvo lejos de satisfacer sustancialmente las necesidades de financiamiento de los países de CARICOM (Sullivan, 2006).

Durante la década de los noventa, destaca una notable disminución de la asistencia externa de Estados Unidos hacia el Caribe, con una cifra de 2 mil millones (3,2 mil millones en la década de los ochenta). De ello, solamente Haití recibió el 54% del total, encontrándose en segundo lugar Jamaica con 507 millones (25%), República Dominicana con 352 millones (17%), la OECO con 178 millones (9%). Esta asistencia externa estuvo concentrada bajo los acápites de “asistencia al desarrollo”, “fondo de apoyo económico” y “ayuda alimentaria”, entre otros (Sullivan, 2006). En este período, destaca la importancia de Trinidad Tobago dentro del comercio total del área con Estados Unidos. La Inversión Extranjera Directa entre 1990 y 2000 mantuvo un comportamiento similar en su concentración en tres países: Jamaica, Trinidad Tobago y Bahamas.

          B. Canadá-CARICOM

El fin de la guerra fría condujo a que Canadá estableciera una agenda global más amplia como base de la orientación de su política exterior desde temas emergentes. La revisión general de la política exterior canadiense de 1994 devino en una reorientación hacia una nueva agenda en Las Américas. En este contexto, el área de América Latina y el Caribe re-emergía para Canadá como una posibilidad real de reequilibrar su situación geoestratégica y comercial en relación a Estados Unidos (Dosman, 1994). Sin embargo, el Caribe en sí mismo disminuyó en su significación geopolítica y geoestratégica para Canadá (Hall y Benn, 2000).

Desde el lado caribeño, el fin de la guerra fría trajo consigo un aumento de las preocupaciones en torno a las posibilidades de marginación dentro de la orientación de política de Canadá y otros “socios tradicionales”, lo que estimuló mayores esfuerzos y acercamientos tanto a Canadá como a Estados Unidos. No obstante, el gobierno canadiense ratificó su compromiso con el Caribe desde este nuevo contexto, en la Cumbre de Barbados en 1990. Un elemento esencial resultante de esta reunión fue la iniciativa del primer ministro de condonar 182 millones de dólares de deuda a varios estados caribeños, lo que benefició especialmente a Jamaica que debía alrededor de 93 millones. Significó, además, que en el futuro la ayuda se otorgaría, fundamentalmente, en forma de financiamiento no reembolsable.

Un punto de partida importante del nuevo rol de Canadá en el hemisferio fue la incorporación de este país como miembro de la Organización de Estados Americanos (OEA), lo cual se reflejó en una ampliación de su enfoque hacia un espectro más continental, pero que también implicó un nuevo espacio de interacción con el Caribe sobre bases regulares y estructuradas (Guy, 1990). La OEA fue percibida por Canadá como un valioso instrumento para alcanzar sus metas de política exterior, un espacio donde convergían temas de interés. En este período, Canadá comienza a extender préstamos y asistencia técnica hacia los países del hemisferio y apoya más activamente a instituciones como el Banco Interamericano de Desarrollo (BID) en actividades de cooperación técnica, alivio de la pobreza, reforma judicial, sociedad civil y política comercial (Dosman, 1994).

La entrada de Canadá en el TLCAN también significó un momento importante en la ampliación hemisférica de las prioridades en su concepción de la política exterior. No obstante, las relaciones del Caribe con este país no se vieron fuertemente afectadas por su participación en esta iniciativa (Braveboy-Wagner, 2007), pues el comercio bilateral se mantenía en niveles poco significativos. De hecho, el CARIBCAN fue sustancialmente expandido en los noventa sin que ello haya influido extraordinariamente en el comercio bilateral. En 1998, Canadá aprueba una legislación que expande la cobertura de productos del CARIBCAN, incluyendo productos como metanol, lubricantes y otros productos de gran interés especialmente para Trinidad Tobago. Este último fue su mayor beneficiario (Lewis, 2002).

La década de los noventa reforzó la asistencia como el elemento más importante en las relaciones del Caribe con Canadá, a los que se agregaban otros como el turismo, la migración y el sector financiero (Douglas, 1990). Los programas de CIDA en la subregión se enfocaron en estrategias de cinco años en tres sectores fundamentales: agricultura, desarrollo industrial y turismo. A inicios de los noventa, Guy (1990) afirma que alrededor de un 60% de la ayuda canadiense al Caribe estaba atada a compras en Canadá. Asimismo, el apoyo canadiense al Caribbean Development Bank (CDB) fue en los noventa de 100 millones, más de 10 veces su suscripción inicial de capital a ese banco (en 1971). Canadá contribuyó además, con un 25% del Special Development Fund (SDF) de este banco, dirigido a conceder préstamos a los países caribeños menos desarrollados (Guy, 1990).

En Haití, adicionalmente, Canadá participó en la intervención de 1994 y se ha establecido como mediador y uno de los mayores donantes de asistencia humanitaria a este país. Basdeo (2002) califica la relación Canadá-Caribe en este período como de un “constructive partnership”, que si bien parte de una visión que mantiene la visión altruista de Canadá de la región, intenta calificar este nuevo momento y amplitud de las relaciones. Desde la perspectiva de la mayoría de los países del Caribe, la ayuda económica canadiense generaba beneficios “sin ningún diseño abierto o encubierto” (Griffith, 1999). Sin embargo, no era posible desconocer que esta ayuda poseía condicionamientos y no estaba divorciada de los intereses canadienses económicos, de seguridad y de política exterior en el área.

III. 2001-2014: los nuevos desafíos del siglo XXI

           A. Estados Unidos-CARICOM

          La administración de George W. Bush en 2001 retoma la concepción del Caribe como Tercera Frontera, haciendo referencia a esta subregión como un lugar adyacente a Estados Unidos después de Canadá y México. Con este enfoque lanza en abril de 2001, la  iniciativa de la Tercera Frontera, (Third Border Initiative, por sus siglas en inglés), que consistió en un paquete de programas para fortalecer la cooperación y la colaboración diplomática en áreas de economía, salud, educación y cumplimiento de la ley.

Posterior a los sucesos del 11 de septiembre de 2001, la Iniciativa de la Tercera Frontera (ITF) se extendió para enfocarse fundamentalmente en aspectos que afectaran la seguridad nacional de Estados Unidos. Bajo la ITF, los llamados Economic Support Funds desde Estados Unidos a la subregión, fueron empleados principalmente para ayudar a “modernizar” algunas de las instituciones en los países del Caribe, asociadas a la seguridad, lo cual era interpretado desde Washington como una forma de mejorar su propia seguridad (Hernández, 2010:45).

En el año 2004, destaca la Declaración Conjunta Estados Unidos-CARICOM- República Dominicana sobre la “Iniciativa de la Tercera Frontera”, iniciativa que integra diversas áreas de interés, y denota una clara intención de buscar mayores niveles de aprobación de la misma entre los caribeños. Asimismo, deja abierto el espacio para nuevas áreas de cooperación en el futuro y declara como uno de los principales instrumentos el uso de la asistencia y el financiamiento externo de Estados Unidos hacia la región, elemento que en economías altamente dependientes del financiamiento externo constituye un factor fundamental.

El año 2007 fue especialmente importante con la celebración de la Copa Mundial de Críquet que implicó la elaboración de una serie de planes de seguridad regional de gran alcance como parte de este nuevo acento en temas de seguridad regional. Asimismo, la realización en este año de la Conferencia de Washington en 2007, constituyó un momento cumbre en el acercamiento bilateral de Estados Unidos y los países de CARICOM. Esta conferencia incluyó entre sus actividades un encuentro con los Jefes de Estado y de Gobierno del Caribe y George W. Bush, una reunión entre los Ministros de relaciones exteriores y la entonces Secretaria de Estado Condoleeza Rice, encuentros entre la delegación de CARICOM y miembros del Congreso estadounidense, entre otros. Paralelamente, funcionaron 3 foros: el Foro de la Diáspora, el Diálogo del Sector Privado y el Foro de Expertos.

En términos comerciales, vale destacar que durante este período, no sólo se mantienen las iniciativas unilaterales del CBERA (1983) y del CBTPA (2000), sino que a esta última le fueron concedidas varias extensiones en el período por parte del Congreso, inicialmente hasta el 2008, luego hasta el 2010 y más recientemente, hasta el 2020. Sin embargo, los posibles beneficios de ambas iniciativas, se vieron nuevamente erosionados a partir de la firma del tratado de libre comercio CAFTA-RD (por sus siglas en inglés) (Hornbeck, 2010). En el año 2008, el 44.8% de las importaciones de Estados Unidos desde países de CARICOM estaba dentro de la categoría de combustibles fósiles (Hornbeck, 2010), especialmente vinculado a la producción trinitaria.

          B. Canadá-CARICOM

En este período, tanto Paul Martin con Stephen Harper entendieron cuán importante era tener una efectiva política comercial vinculada a la política exterior, y ambos primeros ministros actuaron para fortalecer la capacidad del DFAIT para servir los intereses canadienses. En un contexto en que Canadá y el Caribe habían compartido visiones de la seguridad con bases multidimensionales en la década de los noventa, un mayor foco en temas como el narcotráfico, crimen organizado y gobernabilidad, una orientación externa más alineada a los intereses de política exterior estadounidenses en el área, comenzó a gestarse.

En 2007, el gobierno canadiense anunció un nuevo compromiso con la región de América Latina y el Caribe, colocándola como una prioridad internacional, de donde el Caribe es simplemente subsidiario. Canadá fue líder en el Caribbean Development Bank (CDB) para movilizar recursos para el Special Development Fund, una ventana de préstamos concesionales para enfrentar los desafíos de la crisis económica. Este país, además, abona la membrecía de Haití al CDB para que pueda tener acceso al apoyo del banco (DFAIT, 2011). Adicionalmente, fue uno de los primeros países en condonar la deuda externa de Haití, luego del terremoto de 2010.

En 2009, Harper anunció la concesión de unos 7,2 millones de dólares durante tres años, para una reforma del sistema de justicia criminal en Trinidad Tobago, un proyecto en colaboración con Gran Bretaña. También durante este año, un proyecto de CIDA-CARICOM proveyó donaciones financieras a la Secretaría General de CARICOM para el desarrollo de negocios en la región, en la medida en que esta avanzaba hacia el Single Market and Economy (CSME). En la actualidad, a pesar del discurso canadiense de un momento de “re-engagement” en sus relaciones en el hemisferio, existe un cuestionamiento sobre lo que Canadá pueda proveer a la región del Caribe. Las negociaciones de un acuerdo de libre comercio con CARICOM han sido extremadamente lentas, debido en parte a la percepción en la región caribeña de que la negociación de los Acuerdos de Asociación Económica (EPA, por sus siglas en inglés) con la Unión Europea, no han tenido impactos positivos para la región (DFAIT, 2011: 42). Existen preocupaciones de que esto pueda repetirse en el caso de las negociaciones con Canadá.

En un “retorno” acelerado al Caribe, en 2007 y 2008, el Royal Bank of Canada compró filiales de bancos radicados en el Caribe con una red regional que no solo le otorgó presencia en 8 países y territorios, sino que también lo desplazó del lugar 19 al cuarto mayor banco en la región y el segundo en el Caribe anglófono luego de Scotiabank (Hudson, 2010). La presencia económica de Canadá en el Caribe continúa siendo amplia, en el área de los servicios financieros y de seguros.

Existen grandes diferencias al interior del Caribe en cuanto a la recepción de la IED proveniente de Canadá. Hasta 2009, el 40% de la IED canadiense estaba invertida en el sector de las finanzas y los seguros. Otros sectores dominantes son la minería y la extracción de petróleo (15%) y la administración de compañías (10,3%) (CARICOM, 2010a). Las exportaciones al mercado canadiense, entran fuera de aranceles bajo la iniciativa del CARIBCAN, por lo tanto no existe la posibilidad de acceso a una mayor ganancia derivada de un acuerdo comercial. Sin embargo, una relajación de las reglas de origen podría beneficiar a los países de CARICOM. Estos países están interesados en negociar un capítulo del acuerdo con Canadá sobre agricultura y pesca. El COTED, a través de los Ministros de Agricultura de CARICOM ha identificado prioridades en la búsqueda de mecanismos de apoyo para asistir la seguridad alimentaria regional, el manejo del agua y la pesca. Al mismo tiempo, otros temas de relevancia como inversión y exportación de servicios profesionales son de interés de CARICOM para ser negociados en un eventual acuerdo con Canadá. Según la Secretaría de CARICOM: “los instrumentos existentes para el comercio y la cooperación – con Canadá- están limitados en su alcance”, por lo que es necesario negociar su renovación y actualización a las necesidades del Caribe.

El gobierno de Trudeau abre nuevas oportunidades para relanzar las relaciones con los países de la CARICOM, desmontar los cambios institucionales que han implicado su degradación en la jerarquía de prioridades hemisféricas y retomar la noción con más enfoque de desarrollo de Canadá en sus relaciones externas. Estas oportunidades no vienen si no con grandes desafíos para Canadá y la región.

Conclusiones

          Basado en los fuertes vínculos económicos, políticos, de seguridad e ideológicos con Gran Bretaña, el pasado colonial compartido de Estados Unidos, Canadá y los países de la CARICOM ha sido, históricamente, un factor de fortalecimiento de una visión triangular de las relaciones en la región. El reforzamiento del rol de Estados Unidos como potencia mundial re-diseñó un contexto de relaciones de “hegemonía-dominación-dependencia, que ha tenido implicaciones diversas para su proyección externa hacia el Caribe. Por su parte, Canadá ha enfrentado, tradicionalmente, el dilema de la integración con Estados Unidos por un lado, y la necesidad de afirmar una política externa independiente por otro. El Caribe, históricamente, ha percibido a Canadá como un socio “menos amenazante”, “pasivo”, “benévolo”, “flexible”, de mayor “credibilidad” y “confiabilidad” en términos económicos y diplomáticos, que Estados Unidos. Lo anterior puede constatarse tanto en la prensa y en discursos políticos y declaraciones de primeros ministros y altos funcionarios del Caribe, como en el imaginario popular de los caribeños en su interacción con la diáspora.

La presentación de Canadá como un “mejor” socio frente a Estados Unidos en sus relaciones con el Caribe requiere ser re-evaluada desde las nuevas condiciones del siglo XXI. La política exterior de Estados Unidos hacia los países de la CARICOM ha buscado, sin artilugios sofisticados, avanzar sus intereses económicos, de seguridad y político-diplomáticos, en ocasiones sin entender con claridad ni interesarse en las necesidades y reclamos desde estos países, y en otras etapas, con un aprendizaje y manipulación de sus necesidades. En la actualidad, Estados Unidos desde una visión estratégica enfocada al mantenimiento de su posición hegemónica en el área, busca consolidar un cordón de seguridad que garantice esos intereses en el Caribe. Canadá, si bien durante mucho tiempo mantuvo, una “relación especial” con los países del Caribe, en la actualidad, ello transita aceleradamente hacia un escenario en el que, excepto por la dirección de la asistencia, el resto de sus temas pasa por los intereses corporativos canadienses y el nuevo viraje hacia un enfoque de seguridad. Ha habido un proceso de desdibujamiento de las bases “especiales” de estas relaciones. No obstante, aún cuando existen diferencias de enfoque y estilo en los programas y formas de acercamiento a los países de CARICOM desde Estados Unidos y Canadá, aún persiste una visión mejorada de Canadá. Sin embargo, es necesario reconocer que este país ha estado transitando progresivamente hacia un cambio en algunas de sus principales posiciones de política exterior.

A partir de este análisis, es posible identificar a Estados Unidos desde una política de “mal policía”, o sea desde una posición percibida históricamente por el Caribe como más agresivo y amenazante, o en general de defensa abierta de sus intereses. Tradicionalmente, Canadá ha reflejado una política de “buen policía”, mostrándose comprensivo, de apoyo al Caribe, pero ha actuado en ocasiones de manera complementaria y esencialmente no confrontativa a Estados Unidos en relación a CARICOM; y en otras en un rol compensatorio, sin dejar de apoyar sus intereses corporativos mineros y financieros en el área. En este sentido, destaca cómo esta coherencia de “buen policía” y “mal policía”, ha estado evolucionando hacia posiciones integradas y generando desafíos importantes para los países de CARICOM.

 

Notas
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(1) La Comunidad del Caribe (CARICOM) está integrada por 14 naciones y 1 territorio no independiente: Antigua y Barbuda, Bahamas, Barbados, Belice, Dominica, Granada, Guyana, Haití, Jamaica, Montserrat, San Kitts y Nevis, Santa Lucía, San Vicente y las Granadinas, Surinam y Trinidad Tobago. La CARICOM fue fundada en 1973 a través del Tratado de Chaguaramas (Trinidad Tobago) y busca promover la integración económica, la concertación y coordinación de sus políticas exteriores y la cooperación funcional entre sus miembros. Entre sus objetivos fundamentales se propone avanzar hacia un mercado y economía únicos aunque enfrenta para ello múltiples desafíos. Su Secretaría General tiene sede en Guyana. 

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Pour citer cet article

Laneydi Martinez Alfonso, "Good cop, bad cop policy? Una mirada comparada a las relaciones de CARICOM con Canadá y Estados Unidos", RITA [en ligne], n°10: juillet 2017, mis en ligne le 10 juillet 2017. Disponible en ligne: http://revue-rita.com/thema/good-cop-bad-cop-policy-una-mirada-comparada-a-las-relaciones-de-caricom-con-canada-y-estados-unidos.html

 

 

 

 

Le Canada et le développement des énergies renouvelables aux Antilles

Résumé

Cet article s’intéresse aux relations qu’entretient le Canada, et plus particulièrement le Québec, avec les pays des Antilles, à travers le cas du développement des énergies renouvelables dans ces îles. Il s’agit de montrer que malgré la position dominante du Canada dans ce domaine, ce pays se tient en retrait dans cette sous-région américaine. Ce choix aboutit plus largement à la perte d’une opportunité de positionnement géoéconomique et géopolitique à l’échelle des Amériques.       

Mots clés : Énergies renouvelables ; Antilles ; Canada, Québec ; Politique étrangère ; Coopération internationale ; Géographie de l'énergie.

Abstract

In this article, we are interested in the relationship between Canada, particularly Quebec, and the Caribbean countries, with an analysis of the development of renewable energies in the West Indies. The goal is to demonstrate that despite Canada's leadership in this theme, the country has not take advantage of this opportunity to strengthen its presence and influence in this sub-region. On the other hand, we point out that Canada seems to be immersed in its approach to assisting certain Caribbean countries by losing the opportunity to position geo-economically and geopolitically within this island subregion.

Keywords: Renewable Energies; West Indies; Canada, Quebec; Foreign Policy; International Coopration; Geography of Energy.

Resumen

En este artículo, nos interesamos en la relación entre Canadá, particularmente Quebec, y los países del Caribe, desde el punto de vista del desarrollo de las energías renovables en las Antillas. El objetivo es demostrar que a pesar de liderazgo de Canadá en este tema, el país no ha aprovechado esta oportunidad para fortalecer su presencia y su influencia en esta subregión. Al contrario, ponemos en evidencia que Canadá parece inmerso en el enfoque asistencialista hacia los países del Caribe, dejando de la lado la ocasión para posicionarse geo-económica y geopolíticamente en esa subregión insular.

Palabras claves: Energías Renovables; Antillas; Canadá, Quebec; Política exterior; Cooperación internacional; Geografia de la energía.

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Xiomara Lorena Romero Pérez

Doctorante en géographie, en aménagement urbain et en droit
Université Sorbonne Nouvelle-Paris III, IHEAL-CREDA et Université El Externado de Colombie

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Le Canada et le développement des énergies renouvelables aux Antilles

 

Introduction

            En 2015, le Canada a célébré le vingt-cinquième anniversaire de son adhésion à l’Organisation des États Américains (OEA) en tant qu’État membre. Cet événement fournit l’occasion d’examiner les relations entre ce pays et d'autres États de la région. Nous nous intéressons aux relations qu’entretiennent le Canada et la province du Québec avec 13 États des Antilles : Antigua-et-Barbuda, Aruba, Barbade, Cuba, Dominique, Grenada, Haïti, Jamaïque, République Dominicaine, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, et la République de Trinité-et-Tobago(1) (Figure 1). Cet intérêt se justifie par les liens étroits et anciens que le Canada, et surtout le Québec, maintiennent avec certains pays antillais. Ces liens sont fondés sur des relations géographiques, historiques et culturelles (Momsen, 1992 ; Gosselin & Mace, 1993 ; Mace, 1994). Ils s’expliquent aussi par le fait que les Antilles sont la seule sous-région américaine où le Canada fait preuve d’une influence avérée et d’un engagement réel et constant (Daudelin et Dawson, 2008 ; Rochlin, 2012).

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Figure 1. Carte des Antilles.
Source : Leclerc (2007).

Pourtant, ces relations sont paradoxales. D'une part, le rapprochement du Canada vers les Antilles s’organise autour de l’aide publique au développement (APD) et, dans une moindre mesure, autour de la consolidation de relations commerciales bilatérales. D'autre part, la coopération du Canada avec les Antilles se concentre sur quelques États, et plus particulièrement Haïti. Elle ne bénéficie pas à l'ensemble de cette sous-région insulaire. Enfin, l'intérêt du Canada pour les Antilles se borne à certains secteurs. Il concerne principalement le secteur de l'humanitaire. Les activités de coopération délaissent d'autres secteurs stratégiques pour le développement des pays des Antilles dans lesquels le Canada pourrait apporter des ressources économiques et financières mais aussi du transfert de connaissances, de la technique et du savoir-faire.

Dans ce contexte, nous nous demandons si malgré ces limites, la participation canadienne au développement des énergies renouvelables (EnR) aux Antilles est légitime. Il s’agit de souligner les raisons pour lesquelles le Canada et le Québec pourraient éprouver de l’intérêt à y participer. Dans un premier temps, nous aborderons la situation énergétique aux Antilles et au Canada, et la dimension favorable et stratégique des EnR. Ensuite, nous analyserons les politiques et les moyens déployés par le Canada pour développer les relations avec les pays des Antilles. Il s’agira notamment de savoir si ils sont suffisamment solides pour servir de base à l’intégration des EnR.

I. Une complémentarité encore inexplorée dans le domaine des EnR

            La caractéristique fondamentale des EnR est celle d’être des sources d’énergie qui se reproduisent rapidement. Aujourd’hui, ces énergies se classifient en énergies modernes comme l’énergie solaire, éolienne, hydraulique et géothermique, et énergies traditionnelles comme les énergies de biomasse (Observatoire des Energies Renouvelables – Observ'ER, 2007). Notre intérêt pour la thématique des EnR réside dans l’importante promotion et la mise en œuvre dont elles bénéficient dans le contexte international. Ainsi, l’année 2012 a été déclarée par l’ONU année internationale de l’énergie renouvelable et la décennie 2014-2024, comme celle de l’énergie durable.

Le Canada et les Antilles occupent une position très différente à l’égard des EnR. Alors que le Canada est pionnier dans la production de quelques-unes d'entre elles, ces ressources sont sous-exploitées aux Antilles. Ces pays pourraient-ils être complémentaires ? La question mérite d’être approfondie autant à la lumière du potentiel dont disposent les Antilles en termes d’EnR qu’à celle de l'expérience dont le Canada dispose en matière d’exploitation de certaines de ces énergies. 

            A. Les Antilles: un grand potentiel de production des EnR attendant un partenariat stratégique pour son développement

La production des EnR et leur participation à l’approvisionnement énergétique constituent une préoccupation centrale à l’échelle mondiale » Toutefois leur progrès est assez timide. En 2014, les EnR ont apporté 19,2% à la demande énergétique mondiale et en 2015 elles couvraient 23,7% à la production mondiale d’électricité (Sécretariat de REN21, 2016: 18)(2). Aux Antilles, cette participation est bien moindre. En 2012, la réponse à la demande énergétique par les EnR au sein des pays de la Communauté Caribéenne (CARICOM), dont la plupart sont des pays antillais(3), n’a été que de 3% et la participation de ces énergies dans le mix électrique n'a pas dépassé 8% (Herbet, 2013: 7).

Les pays des Antilles ne sont perçus généralement que comme des demandeurs d’énergie. La plupart de ces États dépendent du pétrole pour répondre à leurs besoins énergétiques. Pourtant, ce combustible fossile n’est produit que par la République de Trinité-et-Tobago, Cuba, ainsi que dans une bien moindre mesure Aruba, la Jamaïque et la Barbade. D'ailleurs, seule Trinité-et-Tobago peut à la fois satisfaire sa propre demande et exporter le surplus de sa production (Administration des Informations d'Énergie des États-Unis – EIA).

En revanche, comme on peut l’apprécier dans le Tableau 1, le potentiel des EnR aux Antilles est important tant sur le plan de la quantité que sur celui de la variété. De plus, en 2013 la Banque Mondiale (BM) a signalé que le contexte volcanique des petites Antilles rendait favorable la production d’énergie géothermique dans l'ensemble de la sous-région insulaire (Jayawardema, Berman, Shekhar Singha, Hutter, & Bayarsaikhan, 2013: 9-10).

Tableau 1. Potentiel des EnR dans les pays des Antilles en 2014
Sources : Agence Internationale des Énergies Renouvelables (IRENA, 2012), Programme Caribbean Sustainable Energy Roadmap and Strategy (C-SERMS) (Ochs, Konold, Auth, Musolino, & Killen, 2015: 56) et Laboratoire National des Energies Renouvelables du Bureau d'Efficacité Énergétique et d'Energies Renouvelables du Départament d'Energie des Etats Unis (NREL, mars 2015)

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Cependant, malgré ce potentiel important d'EnR dans les pays des Antilles, la capacité totale installée de ces énergies est assez réduite (Tableau 2).

Tableau 2. Capacité énergétique installée des EnR dans les Antilles
Source : C-SERMS (Ochs, Konold, Auth, Musolino & Killen, 2015) et NREL (2015) pour Aruba.


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La lenteur du développement des EnR dans les pays antillais ne s’explique pas par l’absence de sources d’EnR, mais plutôt par l’existence d’autres obstacles. En 2004, la Commission Économique pour l'Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL) avait identifié cinq obstacles encore pertinents aujourd’hui (CEPAL, 2004: 89-93). L’absence de données sur les EnR, le manque de savoir-faire, la déficience des techniques locales freinent l’entreprise de nouveaux projets et les efforts d’interconnexion des projets existants. À cela s’ajoute l’usage peu efficient de la bagasse de la canne à sucre pour produire de l’énergie issue de la biomasse. D'autres obstacles découlent de l’absence de régulation intégrée du secteur énergétique, et particulièrement du sous-secteur des EnR, du manque d’adaptation de la législation existante, et de la trop faible clarté institutionnelle. Les États se plaignent aussi de ne pas disposer des ressources économiques nécessaires et de ne pas avoir accès aux financements internationaux pour entreprendre des projets d'EnR, ou même pour entretenir les infrastructures existantes. Enfin, il existe également des barrières sociales à l'utilisation des EnR et à leur acceptation.

La CARICOM a pourtant fixé des objectifs ambitieux à ses pays membres : ceux-ci devraient intégrer les EnR à hauteur de 20% de leur production énergétique dès 2017, de 28% en2022 et de 47% en 2027. Ces objectifs convergent avec ceux qu’à fixés la communauté internationale et ils sont également comparables avec le paquet climat-énergie de l'Europe. Néanmoins, ils semblent excessivement ambitieux pour les pays des Antilles. Sans aucun doute, pour atteindre ces objectifs, ces derniers auront besoin des partenaires stratégiques qui les aideront à dépasser les obstacles rencontrés, à promouvoir le développement des EnR. Le Canada et notamment la province de Québec apparaissent comme des partenaires légitimes. Quels sont leurs atouts pour ce projet dans la région ? Sont-ils désireux de s’impliquer dans ce développement ?

           B. Le Canada : un pionnier expérimenté dans la production de plusieurs EnR

En 2014, le Conseil Mondial de l’Énergie (CME) a classé le Canada comme 6ème État dans l’indice de résolution du trilemme énergétique, après la Suisse, la Suède, la Norvège, l'Angleterre et le Danemark. Cet indice identifie les pays qui ont réussi à trouver un équilibre entre la réponse et la demande énergétique, qui utilisent des systèmes énergétiques plus durables pour la population et qui encouragent la compétitivité de leurs économies sur le long terme. De plus, le Canada a été classé 1er en sécurité énergétique et 2ème en équité énergétique derrière les États-Unis (CME, 2014).

À l’égard des EnR, la situation du Canada est assez favorable. En 2012-2013, il était classé 3ème pays producteur mondial d’énergie hydro-électrique, après la Chine et le Brésil. Il était aussi 5e producteur de bioéthanol, derrière les États-Unis, le Brésil, l'Union Européenne et la Chine. Il occupait le rang de 7ème producteur général des EnR, derrière la Chine, l'Inde, les États-Unis, le Brésil, le Nigeria et l'Indonésie. Enfin, il disposait de la 9ème place en termes de capacité installée d’énergie éolienne après, entre autres, la Chine, les États-Unis, l'Allemagne, l'Espagne et l'Inde (Ministère des Ressources Naturelles du Canada – MRNC, 2014).

En 2012, 62% de l’électricité canadienne provenait des EnR dont 59% de l’énergie hydraulique (MRNC, 2014: 80). Bien qu’elles soient moins développées, l’énergie éolienne et la biomasse contribuent quand même à hauteur de 3% à la production électrique (Observ’ER, 2013: 15). Le Canada a fait des efforts pour accroître sa production énergétique éolienne et solaire, lesquelles ont augmenté de 40% entre 2002 et 2012 (Conférence des ministres de l’Energie et des Mines, Yellowknife, Territoires du Nord-Ouest, 2013: 6-7). Au début de 2013, l’énergie éolienne produisait 6201 MW au moyen de 170 parcs et l’énergie solaire photovoltaïque atteignait une production de 1210 MW. Par ailleurs, la production de géothermie au Canada était de 1420 GM en 2010.

Cependant, même si les résultats des EnR semblent positifs à première vue(4), les énergies fossiles continuent d’occuper une partie importante de la réponse à la demande énergétique au Canada. Dans la production d’électricité, le mix énergétique se répartit comme suit : 62% pour les EnR, 15% pour l’énergie nucléaire et 23% pour le pétrole (Observ’ER, 2013). Pour sa part, la production totale d’énergie primaire est répartie entre 2% pour le nucléaire, 4% pour le gaz naturel liquéfié, 8% pour le charbon, 12% pour les EnR(5), 34% pour le gaz naturel et 41% pour le pétrole (MRNC, 2014: 15).

Le Québec, pour sa part, produit 97% de sa consommation électrique à partir des EnR. 94,3% provient de l’hydroélectricité, 2,7% de l’énergie éolienne et 0,6% de la biomasse. Il est le 4e producteur mondial d’hydroélectricité. De plus, les biocombustibles locaux participent à hauteur de 7% dans la demande énergétique hors électricité. Cependant, la demande en électricité est plus accentuée et la participation des énergies fossiles continue de dominer le panorama. Effectivement dans le total de la demande énergétique québécoise de 40,3 millions de Tep(6), 47% est satisfaite par les EnR, et le reste par les énergies fossiles (Ministère de l’Énergie et des Ressources Naturelles du Québec – MERNQ, 2015).

Malgré son expérience précieuse en matière d’EnR, le Canada privilégie un seul marché énergétique, celui des États-Unis. En 2013, les exportations totales du secteur énergétique ont atteint un total de 128 milliards de dollars. 92% de ces flux sortant étaient à destination des États-Unis. 117 milliards de dollars proviennent de la vente des produits pétroliers et gaziers à ce pays, et environ 2 milliards de dollars sont issus du commerce des EnR avec le voisin frontalier (MRNC, 2014: 5). En termes d’importations, les chiffres connaissent une diminution mais le Canada cible toujours le marché des États-Unis. Le Canada a importé 55 milliards de dollars en produits fossiles, dont 48% proviennent des États-Unis (MRNC, 2014: 5). En revanche, malgré la proximité géographique les liens commerciaux entre le Canada et les pays des Antilles sont inexistants dans ce secteur (Cruse & Rhiney, 2013) (Agence Centrale du Renseignement des Etats-Unis (CIA, 2014).

La situation est semblable concernant le Québec. Toutefois, à la fin de l'année 2014 cette province a adopté une nouvelle politique énergétique pour la décennie 2016-2025. L’un des principaux objectifs est d’accroître sa domination sur le plan des EnR, sans limiter ce but à l'échelle national. Les pays des Antilles pourraient donc faire partie de cette initiative (MERNQ, 2015)(7).

Outre le marché des ressources des EnR, le Canada et le Québec ont aussi un cadre institutionnel bien structuré pour ce type d'énergies. L’innovation la plus récente a été la création en 2009 d’un Fonds National pour l’Énergie Propre, destinée à soutenir le développement des nouvelles technologies énergétiques de pointe. Ce fonds possède un budget de 205 millions de dollars (MRNC, 2015). Par ailleurs, le Canada est chef de file dans la production des initiatives stratégiques en EnR. Le programme éco-ÉNERGIE et le programme d’encouragement à la production d’énergie éolienne comptent au nombre des plus reconnus. En sus de ces programmes étatiques, les provinces adoptent aussi des programmes de compensation écologique, d’approvisionnement à la demande, d’offre standardisée en matière d'énergie renouvelable, de tarifs de rachat garantis et des normes sur le pourcentage des ventes d’électricité́ issue de sources renouvelables (MRNC, 2014: 9).

Enfin, le Canada fait partie de l’Accord de Mise en Œuvre sur le Déploiement des Technologies d'Énergie Renouvelable (AMO-DTER) de l’Agence International de l'Énergie (AIE). Celle-ci a pour but d’encourager les initiatives pour la promotion des EnR et le partage des connaissances. Cependant, bien que les Antilles disposent d’une certaine proximité régionale avec le Canada, il n’existe pas d’accord spécifique avec ces pays. L'accord existant ne concerne que l'Allemagne, l'Angleterre, le Danemark, la France, l'Irlande, le Japon et la Norvège (MRNC, 2012). Cette absence d'accord ne signifie pas pour autant que l'engagement canadien dans le développement des EnR dans les pays des Antilles ne peut pas s’affirmer davantage. Bien au contraire, il peut se développer, si l’on considère l'intérêt géopolitique du Canada et du Québec pour cette sous-région insulaire. 

II. Un accroissement de l'engagement canadien viable et stratégique

            L'intérêt pour la relation entre la géographie et l'énergie a émergé dans les années1950. Les premiers manuels de géographie qui traitent explicitement la question sont ceux de George, Géographie de l'énergie (1950), de Gottmann, Les marchés des Matières Premières (1957), de Chardonnet, Les sources d'énergie (1962) et de Manners, La géographie de l'énergie (1964). Aujourd'hui, on peut identifier clairement au moins trois axes de recherche : la géo-économie, qui s'occupe principalement des flux marchands entre les pays producteurs et les pays consommateurs, la géopolitique, qui s'intéresse surtout aux relations de pouvoir qui traversent les différentes échelles concernées par ces ressources, et enfin, la géographie environnementale, qui s’intéresse spécialement à l'impact de la production, de la distribution et du transport énergétique sur les écosystèmes. De notre point de vue, il faut mettre en valeur ces différents aspects à travers les relations qu’entretient le Canada avec les pays des Antilles. D'abord, comme nous l'avons signalé, la complémentarité des contextes énergétiques de ces différents pays se prête à une telle analyse. Ensuite, le domaine des EnR constitue un domaine propice au renforcement de l’influence du Canada et du Québec dans les Antilles par le biais d’un positionnement géoéconomique et géopolitique face à l'hégémonie étasunienne en Amérique Latine et dans les Caraïbes.

Le Canada et le Québec peuvent tirer parti de leurs outils traditionnels de politique étrangère et de relations internationales en les appliquant aux Antilles. Par exemple, ce renforcement des liens peut passer par le versement des aides publiques au développement, en ciblant, cette fois, le développement des EnR. Toutefois, même en l’absence d’un renforcement de ces outils, le Canada est en mesure de participer davantage et de manière plus active au développement des EnR aux Antilles.

             A. Un premier pas : inclure les EnR comme une priorité des aides publiques au développement

 Sur le plan des APD, le Canada se classe comme quatrième partenaire stratégique de l'Amérique latine et des Caraïbes, autant pour le montant des aides versées, que pour la priorité que cet État octroie à cette région.

Tableau 3. Classement des cinq premiers pays de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) qui contribuent à l’APD en Amérique latine et dans les Caraïbes. Moyenne des trois dernières années
Source : Comité d'Aide au Développement (CAD) de l'OCDE.

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Tableau 4. Classement des cinq premiers pays de l'OCDE qui allouent le pourcentage le plus important de leur APD à l'Amérique latine et aux Caraïbes
Source : CAD-OCDE, 2016.

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Cependant en ce qui concerne les pays des Antilles, l’APD et celle que le Canada accorde en priorité à cette sous-région se limite à certains de ses pays.

Tableau 5. Classement des 10 premiers contributeurs de l'APD dans les pays des Antilles
Source : OCDE, 2011-2012.

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Le Canada soutient pourtant depuis longtemps des organisations multilatérales contribuant aux projets de développement des Caraïbes sans s’occuper exclusivement des EnR. Les exemples de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) et de la Banque Caribéenne de Développement (BCD) retiennent particulièrement l’attention(8).

La BID, créée en 1959, est à présent l’une des principales sources de financement des projets de développement dans l’Amérique latine et les Caraïbes. La BID offre son soutien sous forme de prêts, de dons et de coopération d’ordre technique ou destinée à soutenir le développement de recherches. Elle gère des fonds comme le Fonds Climatique Canadien pour le secteur privé dans les Amériques (FCC). Le FCC a été créé en 2012 avec un budget de 250 milliards de dollars. Son objectif est de favoriser les investissements privés destinés à l’atténuation ou à l’adaptation au changement climatique. Il porte surtout sur des projets de lancement au risque élevé. Néanmoins, les projets d’EnR sont explicitement admissibles à ce fond (Ministère des Affaires Étrangères et du Commerce International du Canada – MAECIC, 2014b). Aux Antilles, les projets d’EnR soutenus par la BID sont nombreux, cependant, d’après l’information disponible, l’apport du FCC a ce sous-secteur est inexistant. L’apport du Canada, sans qu’il puisse être mesuré avec exactitude, n’est présent que quand le projet est financé totalement ou partiellement par l’intermédiaire du capital de la BID. Ces cas sont moins nombreux.

Pour sa part, la BCD a connu un changement important au cours de ces trois dernières années dans le domaine des EnR. La BCD a été créée en 1969 et entretient un lien très étroit avec le Canada puisque ce pays a été l’un des membres fondateurs. De plus, il est classé comme membre non-régional et non emprunteur de la Banque. A l’origine, la BCD avait divers objectifs, mais les EnR ne figuraient pas explicitement parmi eux. Néanmoins, fin 2013, l’Unité d’Énergie Renouvelable et d’Efficacité Énergétique a été créée. Le partenaire stratégique de cette unité est l’Allemagne. Les résultats de cette unité ont pu être mesurés dès 2014. Ses activités se sont centrées sur les politiques et les stratégiques étatiques, la prévision des stimulations et des programmes de développement, et l’identification de formes de financement adéquates pour les projets (BCD, 2015). Pourtant, il manque des données plus précises concernant la participation précise de chaque pays membre.

Par ailleurs, le Canada dispose d'une Agence de Développement International (ACDI) créée en 1968. Cette agence canalise les ressources vers des organisations comme la BCD ou le FCC. Mais certains programmes et projets sont gérés de façon directe avec l'aide des partenaires non multilatéraux. L’ACDI coordonne également un programme régional interaméricain, lequel soutien des activités de développement dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes et cherche à favoriser la croissance économique durable. En outre, dans le secteur de l’environnement, l’ACDI participe à des projets d’EnR. Or, le seul exemple de cette filière en Amérique latine et dans les Caraïbes est celui du projet développé en 2012 en partenariat avec l’Organisation Latino-américaine d’Énergie (OLADE). Cette agence a développé un projet d’EnR pour favoriser l’accès à celles-ci et leur utilisation(9). Quant au Québec, nous n’avons pas pu trouver d'exemples semblables.  

          B. Un deuxième pas : (ré)interpréter la portée de la politique étrangère canadienne et québécoise

Les relations entre le Canada et les Caraïbes ont connu trois impulsions dans l’histoire récente. D’abord, en 1970, lorsque le Premier Ministre canadien M. Pierre-Elliott Trudeau propose une troisième option pour diversifier les relations internationales du Canada centrées sur les États-Unis. La deuxième impulsion s’est produite à la fin de 1989 et s’est concrétisée début 1990 avec l’adhésion du Canada à l'OEA en tant qu’État membre (Stevenson, 2000: 111-183). Le troisième élan s’est produit en 2007 pendant la visite en Amérique latine et dans les Caraïbes du Premier Ministre canadien, M. Stephen Harper. Il a déclaré le nouveau départ pris par le Canada dans son engagement envers les Antilles (MAECIC, 2009). Face à l'absence d'une déclaration similaire de la part de l'actuel Premier Ministre canadien, Justin Trudeau, nous retenons l'année 2007 comme celle d’un traitement particulier de l’Amérique latine et des Caraïbes dans la politique étrangère canadienne. Cette phase est aussi celle à partir de laquelle les Caraïbes, et notamment les pays des Antilles, disposent d'un programme spécial (Daudelin et Dawson, 2008, Rochlin, 2012). La question est donc de savoir si la promotion et la participation du Canada au développement des EnR aux Antilles y sont présentes.

D'après la politique étrangère canadienne, la stratégie envers l’Amérique latine et les Caraïbes  repose sur quatre objectifs qui traduisent son désir de jouer un rôle déterminant dans la région : 1) démontrer la position dominante du Canada sur la scène internationale, 2) accroître son influence dans cette région et faire ainsi progresser ses intérêts, 3) se présenter comme un modèle et promouvoir le marché régional, et enfin, 4) s’associer à des pays partageant des vues similaires pour présenter une position conjointe au sein de la communauté internationale. Pour atteindre ces objectifs, le Canada a établi trois axes autour desquels devraient s’articuler toutes les initiatives vers l'Amérique latine et les Caraïbes : l'accroissement de la prospérité économique dans la région, le renforcement de la démocratie dans les pays de l’Amérique latine et des Caraïbes, et la garantie d’une sécurité commune. Enfin, pour atteindre ces objectifs, le Canada a planifié trois stratégies concrètes : i) le renforcement de ses relations bilatérales et de ses relations avec des organisations multilatérales, ii) le soutien aux partenariats canadiens dans la région et iii) l'accroissement de la présence canadienne dans les pays de l’Amérique latine et des Caraïbes (MAECIC, 2011).

À en juger par les termes en lesquels le Canada a exposé sa politique étrangère envers l’Amérique latine et les Caraïbes, aucun intérêt particulier n’est exprimé concernant pour les EnR. Néanmoins, le désir canadien de se positionner dans la région du point de vue géoéconomique et géopolitique est clair. Le Canada cherche à démontrer qu'il exerce une influence sur la région et veut aussi se présenter comme un modèle à suivre pour ces États. De plus, le Canada se montre prêt à soutenir ses partenaires régionaux et à reconnaître la nécessité d'augmenter sa présence dans la région.

De surcroît, en 2007, le Premier Ministre a mentionné expressément que le Canada devait bâtir « des économies solides et durables » en Amérique latine et dans les Caraïbes. Cette référence est expliquée dans la section « Développement » du site Internet du MAE du Canada. Il est indiqué que pour favoriser ces économies, le Canada prévoit de garantir la viabilité de l’environnement dans les pays bénéficiaires de l'APD. À ce propos, le Canada prévoit aussi le renforcement des capacités de la région ou d'un pays donné en matière de gestion durable des ressources naturelles (MAECIC, 2016a).

Comme mentionné précédemment, le Canada a établi également un programme séparé pour les Caraïbes, principalement adressé aux pays des Antilles, ce qui montre l’intérêt particulier qu’il témoigne pour cette sous-région. En 2008, au moyen du Development Assistance Accountability Act, ou loi d’amélioration de l’assistance canadienne pour le développement, le Canada a réaffirmé son engagement envers les Caraïbes en les conservant au titre des vingt bénéficiaires du programme des aides d’assistance du Canada (Système Économique Latino-Américain et des Caraïbes – SELA, 2012). En 2009, la stratégie pour les Caraïbes a présenté deux objectifs à atteindre : la croissance économique et la sécurité, y compris des actions nécessaires en cas de catastrophes naturelles (Agence Canadienne du Développement International – ACDI, 2009). Dans cette stratégie, la thématique des EnR aux Caraïbes n’est pour autant pas présente. Néanmoins, dans le développement du document, il y a une la mention répétitive de la finalité d’une croissance économique durable aux Caraïbes.

Au programme séparé pour les Caraïbes, s’ajoute un programme d’aide au développement spécifique pour Haïti. Ce programme, en revanche, mentionne expressément l’objectif d’une croissance économique durable. En outre, il classe cet objectif au rang des thèmes prioritaires pour le Canada (MAECIC, 2016b). Aucune des actions visées ne comporte la promotion ni le développement des EnR. L’exemple d’Haïti doit cependant être examiné avec plus d’attention puisqu’en janvier 2015, dans l’évaluation de la coopération Canada-Haïti 2006-2013, deux références explicites sont faites aux EnR. La première des deux paraît au moment d’évaluer la viabilité environnementale du programme. La seconde référence est faite au moment d’évaluer le projet de l'Hôpital La Providence aux Gonaïves, qui fonctionnerait en utilisant des sources d'énergie naturelle (MAECIC, 2014a).

En faisant référence à la politique internationale du Québec, cette déclaration reconnaît l’importance d’une vision régionale de la thématique énergétique (Ministère des Relations Internationales et de la Francophonie du gouvernement du Québec – MRIF, 2006: 1). Néanmoins, dans ce domaine, il paraît que le Québec circonscrit le terme région aux États-Unis et à l’Europe. Il y a toutefois la prévision d'une division séparée au sein de ce Ministère qui regroupe les régions de l’Amérique latine, les Antilles, l'Afrique et le Moyen Orient (MRIF, 2016a). À cet égard dans certains pays de l’Amérique latine et des Caraïbes, tels que le Brésil et Haïti, l’énergie est identifiée comme un secteur de collaboration.

Le Québec a également un Programme de Développement International qui vise l’Amérique latine et les Caraïbes (MRIF, 2016b). Dans les Caraïbes, des pays comme Cuba et Haïti ont été bénéficiaires du soutien québécois pour le développement des projets d’EnR. Concernant Cuba, il y a eu deux projets. Le premier a eu lieu en 2003-2004, pour une durée de six mois. Il s’agissait d’un projet d’EnR, mais il a été impossible d’accéder à davantage de détails. Le second a été développé entre 2005-2006 pour une durée de 11 mois. Il consistait à assurer le recyclage des résidus porcins afin de produire de l’énergie. En Haïti, deux projets ont également vu le jour. Le premier a été développé en 1998-1999, pour une durée de 11 mois afin de travailler sur la production de biogaz. Le second a commencé en 2011 pour une durée de 36 mois : il a pour but la construction d’une microcentrale hydro-électrique à Labrousse.

L'absence d'une mention explicite des EnR dans les stratégies canadienne et québécoise pour l’Amérique latine et les Caraïbes et dans les programmes spécifiques pour les Caraïbes semble contradictoire. En 2010, le Canada avait identifié l’Amérique latine et les Caraïbes comme un marché intéressant dans les domaines des équipements de puissance, des services électriques et des industries du secteur de l’environnement. D’ailleurs, le pays s’est engagé dans le traitement des déchets solides (MAECIC, 2010). Cette année-là aussi, les investissements directs du Canada aux Caraïbes dans le secteur énergétique et les activités connexes représentaient le deuxième secteur d’exportations et d’importations avec des chiffres respectifs de 122.9 et 246.2 millions de dollars (Gauthier, 2011).

Conclusion

       Le retard de développement des EnR aux Antilles n'est pas dû à la carence de ces ressources. Les pays des Antilles n'ont pas pu surmonter des difficultés identifiées depuis des années. Face à ces difficultés, l'établissement de partenariats stratégiques devient indispensable pour les contourner. La possibilité que le Canada devienne un partenaire à ce titre est possible. D'un côté, nous avons démontré que le Canada et notamment la province de Québec sont des pionniers dans le développement de ce genre d’énergies. Le fait que le Canada et le Québec se soient spécialisés dans l’exploitation de l’énergie hydraulique apporte une petite nuance au tableau, sachant que cette ressource est la moins présente aux Antilles. Néanmoins, le Canada est classé comme 7e producteur général d’EnR et, de plus, il possède d'autres atouts en ce qui concerne la promotion et le développement de ces énergies, soit une solide structure institutionnelle et des cadres de régulation innovants.

D'un autre côté, la politique étrangère du Canada et notamment la politique de relations internationales du Québec mettent en évidence l'intérêt qu’éprouve le pays à se positionner dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes, et plus particulièrement aux Antilles. Le Canada se dit intéressé à augmenter sa présence au sein de la région, à exporter son modèle, à diversifier son partenariat avec d'autres États que les États-Unis et l'Union Européenne. Il déclare même être prêt à promouvoir des marchés régionaux. En laissant de côté la discussion sur l'interprétation stricte de l’acception du terme « régional » pour le Canada, on peut dire que les EnR lui fournissent l'occasion de renforcer son influence. Sa proximité géographique, son expérience, ses connaissances et son savoir-faire apparaissent comme des atouts pour son affirmation comme partenaire stratégique des pays antillais.     

Il est temps que les APD canadiennes ainsi que la participation indirecte du pays au développement des Antilles par l'intermédiaire des organisations multilatérales diversifient leur concentration actuelle dans le secteur humanitaire en se tournant vers des secteurs stratégiques de développement. La vision d'assistance que le Canada adopte généralement pour se rapprocher des pays des Antilles, particulièrement en Haïti, doit céder la place à une considération de la sous-région comme partenaire stratégique pour l'accomplissement de ses intérêts et de ses objectifs dans le cadre international.

Le Canada, défenseur et pionnier de l'idée du développement durable, sous-estime cette nouvelle construction culturelle, qui pourrait s'ajouter à la langue et à l'histoire partagée avec quelques pays des Antilles et se constituer en un élément-clé d’influence face à l'hégémonie étasunienne. En effet, à partir des études de la géographie de l'énergie, les EnR sont un nouveau facteur d'analyse concernant le contrôle géoéconomique et géopolitique dans les Antilles, si l’on tient compte de la transition actuelle de cette sous-région vers un régime d'auto-approvisionnement.

 

Notes de fin
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(1) Curação et Saint-Martin, îles aux Antilles, forment depuis le 10 octobre 2010 deux nouveaux États autonomes au sein du Royaume des Pays-Bas, aux côtés d'Aruba et de l'État des Pays-Bas. Cependant aucun des textes relatifs au secteur énergétique n'octroie un traitement séparé à ces États. Pour cette raison, dans le cas du Royaume des Pays-Bas, nous n'avons retenu qu'Aruba pour notre analyse.

(2) En ce qui concerne les sources consultées pour cet article, tous les sites et les rapports accessibles sur Internet cités dans ce texte ont été consultés pour la dernière fois le 15 novembre 2016.

(3) La CARICOM est une organisation supranationale qui regroupe 15 États membres, composée majoritairement de pays des Antilles (Antigua et Barbuda, Bahamas, la Barbade, le Belize, la Dominique, la République Dominicaine, la Grenade, le Guyana, Haïti, la Jamaïque, Sainte Lucie, Saint-Christophe-et-Niévès, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, le Suriname, et le Trinidad & Tobago), mais également de cinq États associés (Anguilla, les Bermudes, les Iles Vierges Britanniques, les Iles Caïmans et les Iles Turques-et-Caïques). Elle est née en 1973 lors du traité de Chaguaramas et cherche à renforcer les liens interétatiques dans la Caraïbe.

(4) On peut cependant trouver des fortes contestations sur le rapport entre le développement des centrales hydroélectriques au Canada et la relation de la population avec son territoire (Desbiens, 2015).

(5) Dans l’approvisionnement énergétique ce pourcentage s’élève à 18,3% sachant que la moyenne mondiale est de 7,8% et de 13% pour les pays de l’OCDE (Ministère de l’Environnement du Canada – MEC, 2014: 24). L’approvisionnement en énergie primaire totale (l’AEPT) représente l’approvisionnement en énergie du Canada qui comprend la production canadienne et les importations, moins les exportations, moins l’énergie emmagasinée dans les soutes destinées à l’aviation et à la navigation internationales, et plus ou moins les variations des stocks (MEC, 2014 : 16 et 68).

(6) Une tep, ou tonne équivalente pétrole, représente environ 6,9 barils de pétrole, 1 100 m3 de gaz naturel ou 11,6 MWh d’électricité (Ministère de l’Energie et des Ressources Naturelles du Québec – MERNQ, 2014).

(7) Les provinces du Québec gèrent de façon autonome leurs ressources énergétiques (MEC, 2014: 22).

(8) D’autres exemples d’engagement du Canada dans le soutien à de tierces organisations qui peuvent contribuer au développement des EnR aux Antilles : la CEPAL, l’OEA et le Fonds d’Environnement Mondial (FEM).

(9) Nous n’avons toutefois pas trouvé les détails de ce projet ni les pays bénéficiaires.

 

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Pour citer cet article

Xiomara Lorena Romero Pérez, "Le Canada et le développement des énergies renouvelables aux Antilles", RITA [en ligne], N°10: juin 2017, mis en ligne le 10 juillet 2017. Disponible en ligne: http://revue-rita.com/thema/le-canada-et-le-developpement-des-energies-renouvelables-aux-antilles.html