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Equal Rights Amendment : près d’un siècle de (sur)vie d’un combat pour l’égalité
Equal Rights Amendment: The life and survival of an age-long struggle for equality

 

Résumé
Le 30 mai 2018, les élus de l’assemblée de l’État d’Illinois donnèrent un nouveau souffle à un projet d’amendement constitutionnel vieux de près d’un siècle. Ce fut à l’occasion de la ratification passée relativement inaperçue en dehors des États-Unis de l’ERA (Equal Rights Amendment). Introduit en 1923 après l’obtention du droit de vote des femmes, ce projet vise à inscrire l’égalité femmes-hommes dans la Constitution américaine. Cette 37e ratification par l’État d’Illinois donne tout lieu de croire que l’ERA est potentiellement le futur 28e amendement. Bien que son adoption définitive ne soit pas encore acquise, cette ratification n’en reste pas moins importante surtout dans une période de renouveau du mouvement féministe américain. L’ERA ressurgit aussi à l’heure où Donald Trump et son administration essaient de détricoter les droits des femmes en remettant en cause certains de leurs acquis. Cet article interroge les circonstances dans lesquelles le projet d’amendement fut lancé ainsi que les débats qu’il a suscités. La réflexion porte aussi sur les multiples rebondissements du débat autour de l’ERA et les enjeux passés et actuels de ce projet égalitaire au moment où l’administration américaine essaie de mettre en pratique un agenda antiféministe assumé par un parti républicain devenu au fur du temps hostile à toute idée d’égalité.

Mots clés : ERA ; Ratification ; Féminisme ; Egalité ; Antiféminisme.

 

Abstract
On May 30, 2018, the Illinois State Legislature members gave new momentum to a bill that is almost one hundred years old. They did so by passing the ERA (Equal Rights Amendment) bill, an event that went relatively unnoticed outside the USA. The bill had been first introduced in Congress in 1923 following the passing of the woman suffrage Amendment in 1920. It aimed at including gender equality in the country’s Constitution. The 37th ratification by Illinois Legislature leads anyone to believe that the ERA is potentially the XVIIIth Amendment. Although the final vote of the ERA is not really won yet, the fact is that this ratification is all the more important that it happens in a period when the American feminist movement is in a process of revitalization. The ERA appears again at the very moment when Donald Trump and his administration are trying to deny women’s rights by questioning some of their political gains. This article examines the circumstances under which the bill was launched, and the debates it raised. The analysis also focuses on the unexpected developments the ERA gave way to, and on the past and current issues that are encompassed by such an equalitarian project. The latest ratification coincides with attempts by the Trump administration to put into practice an overtly antifeminist agenda that the Republican Party has been identifying itself with, which made it more and more hostile to any idea relating to equality.

Keywords : REA; Ratification; Feminism; Equality; Antifeminism.

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Salian Sylla

Docteur en anglais
Université Paris Nanterre

 

 Equal Rights Amendment : près d’un siècle de (sur)vie d’un combat pour l’égalité

 

Introduction

          Le mercredi 30 mai 2018, par un vote de 72 voix pour et 45 contre, la chambre basse de l’assemblée d’État de l’Illinois décidait de ratifier l’ERA (Equal Rights Amendment), visant à inscrire l’égalité femmes-hommes dans la Constitution américaine (State of Illinois, 2018). Par ce vote historique, l’Illinois devenait le 37e État américain à adopter ce projet d’amendement introduit plusieurs décennies auparavant auprès du Congrès. La nouvelle arrivait comme une éclaircie dans le ciel bien chargé d’un féminisme américain plus que jamais sur la sellette depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Il ne reste donc plus qu’un État pour que l’ERA devienne le XXVIIIe amendement à la Constitution américaine. Cette décision emblématique intervient alors que ce vieux projet avait fini par tomber dans l’oubli, tant il était devenu difficile d’atteindre le quorum exigé, c’est-à-dire trois-quarts des États. L’histoire du pays est donc à nouveau convoquée par cet évènement éclipsé la nouvelle lutte contre l’immigration engagée par l’administration Trump.

Le premier acte en direction de l’ERA survint en 1923, trois ans après la ratification du XIXe amendement qui garantissait le suffrage féminin. Dans la foulée de son adoption en 1920, Alice Paul (1885-1977), figure marquante du combat des femmes et dirigeante du National Woman’s Party (NWP), déclarait en 1923 au cours de la célébration du 75e anniversaire de la première Convention des femmes américaines à Seneca Falls en 1848 son intention d’introduire un projet.

L’idée d’une égalité des droits était défendable à plus d’un titre : la majorité des femmes venait d’entrer dans la vie civique et il fallait désormais aller plus loin en s’attaquant à certaines inégalités encore prégnantes dans la société américaine. Le monde du travail offrait une parfaite illustration de ces déséquilibres. En 1920, sur une population de 106 021 537 habitants et un nombre d’actifs s’élevant à 41 236 185 travailleurs, elles étaient 8 429 707 à travailler, soit 20,44 % des effectifs au plan national. Plus significatif encore : 23,3 % des femmes de 14 ans et plus avaient un emploi salarié (The United States Women's Bureau, 1947). Malgré ces progrès, les femmes ayant un travail salarié restaient cantonnées dans les secteurs qui leur étaient traditionnellement réservés, avec des salaires beaucoup plus bas, et étaient souvent considérées comme des variables d’ajustement dans les moments de crise comme à la fin des années 1920 [1]. En outre, certains secteurs restaient hostiles qui y subissaient une discrimination qui s’articulait autour du mariage (hire bar) et du célibat (retention bar[2]. Assurément, les revendications des femmes américaines ne se résumaient pas à l’emploi. Ainsi, des sujets comme le mariage, le divorce, la garde des enfants, la contraception ou encore la durée du temps de travail, restaient plus que jamais d’actualité dès l’acquisition du suffrage. La réponse à toutes ces interrogations dépendait en partie de la réactivité d’une partie de la société alors marquée par le patriarcat.

Nonobstant tous les arguments qui plaidaient largement en faveur de l’égalité qu’elles réclamaient, Alice Paul et ses camarades n’obtinrent pas gain de cause car les élus du Congrès s’empressèrent de rejeter le projet d’amendement. D’ailleurs, à quelle égalité Alice Paul et ses camarades pouvaient-elles aspirer et pour quelles femmes la revendiquaient-elles ? Quels obstacles internes se posaient sur le chemin de l’égalité réclamée par Alice Paul et ses camarades activistes du NWP ? Pourquoi l’ERA peine-t-il encore à se concrétiser au niveau des États au vote duquel il est encore soumis ? Quels changements ce projet qui date de près d’un siècle peut-il encore apporter au quotidien des Américaines à l’heure d’un regain d’intérêt pour les revendications féministes ?

I. Angle mort d’une idée d’égalité

          Le rejet du projet d’amendement par le Congrès était prévisible en l’absence d’une campagne dûment menée au sein des organisations féministes, qui s’étaient pour certaines volontairement sabordées ou réorientées dès la victoire de 1920. Ainsi, la NAWSA (National American Woman Suffrage Association), s’était transmuée en League of Women Voters et ses dirigeantes historiques, comme Carrie Chapman Catt ou Anna Howard Shaw, avaient pratiquement disparu de la scène publique.

D’ailleurs, quelle était le bien-fondé d’une revendication égalitaire puisque le NWP s’était plusieurs fois illustré par des pratiques racistes, notamment à l’encontre des femmes noires reléguées en bordure des cortèges lors de manifestations ou refoulées pendant les conventions annuelles de l’organisation (Terborg-Penn, 1998) ? Cette tradition de l’invisibilisation permettait de ne pas compter les femmes noires comme composante à part entière du mouvement féministe. Ainsi de cette délégation d’une soixantaine de militantes afro-américaines qui se rendit à Washington en février 1921 dans le cadre de la convention annuelle du NWP. Elles entendaient obtenir le soutien de l’organisation dans le cadre d’une action en faveur des femmes noires du Sud exclues du vote malgré l’adoption du XIXe amendement. Elles espéraient parvenir à faire voter une résolution condamnant l’injustice criante dont elles avaient réuni les preuves :

Nous ne pouvons donc nous résoudre à croire que vous puissiez permettre que [le XIXe] amendement soit foulé aux pieds dans son interprétation, au point de perdre toute crédibilité dans son application. Cinq millions de femmes américaines ne peuvent être privées de leurs droits sans que toutes les femmes américaines ressentent les effets de cette injustice. Aucune femme ne sera libre tant que toutes ne seront pas libres. (Kirchwey, 1921 : 332)

En paraphrasant Marx, qui préconisait au XIXe siècle la solidarité ouvrière avec les esclaves comme préalable à la disparition de l’esclavage, les militantes afro-américaines pensaient pouvoir compter sur un soutien de l’organisation d’Alice Paul. La radicalité dont les membres de la défunte Congressional Union (ancêtre du NWP) avaient fait preuve dans le passé en usant de tactiques militantes héritées de l’expérience d’Alice Paul et de Lucy Burns (1879-1966) lors de leur séjour en Angleterre aux côtés d’Emmeline Pankhurst ou de Flora Drummond, s’était quelque peu estompée. Les deux étudiantes avaient alors entrepris d’importer les techniques de lutte des suffragettes anglaises. Dès le mars 1913, la première grande marche des femmes fut organisée sur Washington à l’occasion de la prise de pouvoir de Woodrow Wilson, nouvellement élu président. Ce jour-là, des milliers de militantes prirent d’assaut la Pennsylvania Avenue pour rappeler à Wilson leur revendication (Women’s Journal and Suffrage News, 1913). La lutte des femmes entra dès lors dans une nouvelle phase. Elle s’exprimait désormais à travers des occupations de lieux publics ou picketings, une interpellation publique des élus, des campagnes contre les candidats opposés au vote féminin ou encore des grèves de la faim. Tout ceci contribuait à exposer les militantes à des arrestations violentes, mais attirant davantage de sympathie pour leur cause.

Après l’obtention du vote par la grande majorité des femmes du pays, les priorités avaient bien changé en cet hiver 1921 quand les déléguées afro-américaines insistèrent pour se faire entendre à la convention du NWP : « L’attitude d’Alice Paul et de ses soutiens vis-à-vis de ces trouble-fête militantes noires comme activistes du contrôle des naissances était celle de toutes les autorités établies. » (Kirchwey, 1921 : 333)

Bien plus marquante est la nouvelle posture du NWP devenu adversaire de ses alliées potentielles :

Pourquoi ces personnes nous harcèlent-elles ? demanda Alice Paul. Pourquoi veulent-elles saboter notre convention ? » La réponse qui ne lui traversa jamais l’esprit, était la suivante : « Pour les mêmes raisons qui vous ont poussée à troubler l’ordre public et à harceler les autorités de la façon particulièrement efficace mais irritante que vous aviez à l’époque. (Kirchwey, 1921 : 333)

L’ironie de la situation tient en un seul fait : Alice Paul et ses camarades se retrouvent ici dans la même situation que les autorités qu’elles dénonçaient et vouaient aux gémonies quelques années plus tôt avec la même technique d’occupation des rassemblements de candidats ou de conventions de partis. Mais l’organisation était maintenant dans une logique de défense d’un ordre qu’elle n’avait pourtant eu de cesse de dénoncer par le passé. Militante du NWP, Ella R. Murray n’avait pas la même analyse de la question des femmes encore laissées en marge du vote :

J’ai réussi à mettre sur la table de la Convention une motion afin que le rapport majoritaire de la Commission des Résolutions soit amendé de la façon suivante : « Attendu que la Commission des Résolutions propose que le nouveau NWP nomme un comité spécial dans le but de pousser le Congrès à ouvrir une enquête sur les cas de violation de l’esprit et de la lettre du XIXe amendement à travers des stratégies d’esquive ou de contournement de la loi électorale au niveau local. » La motion était soutenue par plusieurs déléguées, mais a été mise en échec par une courte majorité. (Murray, 1921 : 260)

Nul doute que le peu d’enthousiasme, voire l’hostilité avec lesquels Alice Paul avait accueilli la délégation afro-américaine à la veille de la convention, expliquait en partie l’échec de cette initiative qui n’eut pas la chance de bénéficier de son soutien. Au demeurant, cette défaite n’était qu’une nouvelle occasion manquée chez les suffragists de se montrer solidaires de leurs sœurs afro-américaines, angle mort des revendications féministes dans presque toute l’histoire du féminisme américain. (Newman, 1999). Ceci traduisait d’ailleurs davantage les contradictions inhérentes non seulement au NWP mais à toute une époque tournée vers la célébration d’un acquis (le suffrage) dont la validité reposait aussi sur l’abandon d’un principe d’égalité pour toutes. Plus précisément, la décision du NWP répondait, semble-t-il, à une question stratégique en direction des États du Sud régis par un système de ségrégation raciale : « Une militante du Sud a confié à un soutien actif des femmes de couleur […] que le NWP s’était engagé à ne pas soulever la question raciale dans le Sud ; c’était le prix à payer pour la ratification [du XIXe amendement]. » (Kirchwey, 1921 : 333)

Les principes qui faisaient encore le bien-fondé de l’existence même de l’organisation se voyaient sacrifiés sur l’autel des calculs stratégiques, ce qui revenait à renvoyer la question du droit pour toutes les femmes à des considérations assez éloignées des préoccupations de l’heure. En effet, pour le NWP, la question du vote des femmes noires relevait moins du genre que de l’appartenance ethno-raciale. Les Afro-américaines étaient encore privées de vote non pas parce qu’elles étaient femmes, mais parce qu’elles étaient noires. C’est par un contournement discursif de même nature que l’organisation jugeait la question de la contraception insuffisamment féministe et l’excluait de sa plateforme qui tenait en un seul mot d’ordre : éliminer les derniers obstacles à l’avènement d’une égalité femmes-hommes. (Cott, 1984) Mais au-delà de cette invisibilisation des femmes noires dans le NWP, l’ERA posait encore d’autres difficultés.

II. Querelles dans les rangs et désaccords en-dehors du NWP

          L’ERA dont le NWP était le porte-étendard était loin de faire l’unanimité parmi les militantes de l’organisation. À l’occasion de la Convention de réorientation de février 1921, il fut largement débattu, mais aussi déjà farouchement combattu. Le débat se poursuivit au sortir des discussions en l’absence de consensus au sein du mouvement. Ainsi, Florence Kelley, membre active du NWP, mais aussi dirigeante de la National Consumers’ League, se démarquait des positions de certaines intervenantes. Elle le fit savoir dans un courrier à Elise Hill, nouvellement élue à la tête du comité exécutif de l’organisation : « Hurler Égalité, Égalité quand il n’y a point d’égalité, quand la nature elle-même a créé des inégalités physiques permanentes, peut quand même être aussi stupide et cruel que de crier Paix, Paix quand il n’y a guère de paix. » (Sklar & Palmer, 2009 : 203)

Cette égalité proclamée posait d’autant plus problème à Kelley qu’elle était elle-même engagée sur le front des batailles sociales (égalité salariale, journée de huit heures) en vue de l’amélioration des conditions de vie des femmes mais l’envisageait autrement. Comme pour illustrer les désaccords et les interrogations au sein du NWP, Florence Kelley et Elise Hill signèrent une tribune qui se terminait par une série de questions à l’attention de la direction de l’organisation :

Est-ce que le NWP est pour ou contre des mesures de protection pour les femmes salariées ? Se prononcera-t-il publiquement sur les huit heures de travail hebdomadaires et des négociations sur le salaire minimum pour les femmes ? Se prononcera-t-il publiquement sur les huit heures de travail hebdomadaires et des négociations sur le salaire minimum pour les femmes ? Oui ou non ? Non ? (Kelley et Hill, 1922)

En martelant ces questions, les deux militantes entendaient mettre le NWP en demeure de clarifier sa position sur une problématique cruciale pour le présent des travailleuses. Les interrogations subsistaient aussi en-dehors du NWP car aussi bien la très active National Women’s Trade Union League, que la très célèbre Woman’s Christian Temperance Union (qui rendit effective la Prohibition) ou que la très sélective General Federation of Women’s Club, avaient des arguments pour corroborer leurs récriminations à l’encontre du projet. (Cott, 1984)

C’est en partie pourquoi des lois de protection des femmes travailleuses furent mises en place pour assurer la sécurité de cette catégorie de travailleuses perçues comme particulièrement vulnérables. C’est au nom de ces avantages que le parti communiste américain (PCUSA), bien que prônant la solidarité des classes laborieuses et l’égalité, s’opposa dès les années 1930 à l’ERA jugé défavorable aux droits des travailleuses. C’est ainsi qu’il lança, en compagnie d’autres organisations comme la LWV (League of Women Voters), la NCL (National Consumers’ League), ou l’YWCA (Young Women's Christian Association) une initiative dénommée Women’s Charter Campaign destinée à offrir une alternative pus clairement tournée vers la classe ouvrière féminine. Dirigée par Mary van Kleeck alors plus connue pour ses actions à la faveur du Women’s Bureau dont la création dans les années 1920 permettait de mieux cerner les questions de genre dans le monde du travail, cette campagne offrait en 1936 des garanties explicites pour les droits des femmes :

Partout où il y aura une exploitation spéciale des femmes travailleuses comme de bas salaires qui ne garantissent pas le minimum de subsistance, des conditions de travail dégradantes, ou de longues journées de travail, toutes choses qui conduisent à un épuisement physique et à la négation du droit au repos. De telles conditions corrigées à travers le vote de mesures sociales et de réformes dont la nécessité n’est plus à démontrer à travers le monde. (Christman, 1936 : 1)

L’argumentaire ne se contentait pas de prôner une égalité purement formelle, mais spécifiait la correction des cas d’inégalités par des dispositifs particuliers en faveur des femmes. Le parti communiste misait sur cette initiative pour servir de rempart contre la montée d’un fascisme divisant les travailleurs en fonction du genre et de l’origine ethnique (Lynn, 2014 : 707). Mais au-delà du parti communiste, l’ERA continua de diviser pendant longtemps les militantes, les organisations de femmes ou les figures féministes les plus connues. (Steiner, 1985 : 10) Cette division était symptomatique de la bataille entre les féministes et leurs adversaires au sujet de questions allant bien au-delà de l’égalité. Il s’agissait aussi de revendiquer de nouveaux droits comme ceux relatifs à la contraception, à la redéfinition des termes du mariage et du divorce, toutes choses qui touchaient à la conception même de la famille et des relations matrimoniales. Les oppositions furent à la mesure des peurs et souvent des fantasmes (suppression de la séparation des toilettes entre hommes et femmes, légalisation du viol), que ce projet ne manqua pas d’engendrer au cours des décennies.

Pour toutes ces raisons, et nonobstant l’enthousiasme suscité au sein d’une partie du NWP par le projet d’amendement Mott, les élus n’eurent aucune difficulté à le rejeter une fois la demande introduite auprès du Congrès en 1923. Il s’ensuivit une bataille de près d’un demi-siècle au Congrès où chaque nouvelle session se prononça sur la question de l’ERA qui ne put pourtant jamais réunir le nombre de votes requis pour faire l’objet d’un projet d’amendement en bonne et due forme. (Neale, 2013 : 4)

L’ascension fulgurante d’une nouvelle vague féministe représentée par de nouvelles organisations comme la NOW (National Organization for Women, créée en 1966) y contribua de façon décisive, ce qui accéléra davantage la marginalisation d’un NWP alors en perte de vitesse. Il fallut donc attendre le 22 mars 1972 pour voir le Congrès adopter définitivement, et par un vote massif, le principe d’un amendement sous condition de ratification par les États. Les termes dudit texte, bien que généraux, constituaient une réelle avancée pour l’ensemble des militantes :

Article 1 : L’égalité des droits devant la loi ne sera pas niée ou amendée par les États-Unis ou par l’un des États qui les composent sur la base du sexe.

Article 2 : Le Congrès aura le pouvoir d’appliquer par une législation appropriée, les dispositions du présent article.

Article 3 : L’amendement prendra effet deux années après la date de ratification (House of Representatives, 1972).

En insistant sur une égalité effective entre femmes et hommes, ce projet se voulait un prolongement de l’acquisition du vote, insuffisante à éliminer les nombreux effets d’une domination masculine encore prégnante dans la société américaine. Mais cette égalité revendiquée soulevait déjà une opposition parmi les femmes.

III. D’avancées en reculs : du sort improbable d’un projet

          Suivant un mouvement souvent oscillatoire permanent entre résurgence de forces progressistes et renaissance conservatrice, la vague contestataire des années 1960 et le sursaut féministe avec la création de la NOW en 1966, donnèrent l’occasion à une forte mobilisation des militantes défendant un agenda de type conservateur et traditionnaliste. L’opposition d’une partie de la société à l’idée d’égalité se traduisit donc par un affrontement de plusieurs décennies dont l’aboutissement fut l’échec paradoxal des féministes de la deuxième vague, et le reflux non moins surprenant de la dynamique favorable à l’adoption définitive de l’ERA.

La fin des années 1960 et le début des années 1970 furent des moments forts du débat suscité par l’ERA dans la société américaine. Deux visions d’une société plus que jamais clivée s’affrontaient à l’heure de l’opposition à la guerre du Vietnam. (Zinn, 1980 : 491) D’une part, les tenants de l’ERA retrouvaient une certaine vitalité depuis l’émergence d’un réformiste tourné vers la gauche de l’échiquier. De l’autre, le courant conservateur se remobilisait autour de la défense d’un modèle de société présenté comme naturel et immuable menacé par les mouvements féministes.

          A. Phyllis Schlafly, rempart antiféministe

Phyllis Schlafly (1924-2016) symbolisait à elle seule l’hostilité à toute forme d’égalité. Juriste de formation et militante très tôt engagée dans la politique, elle s’imposa très vite dans le camp conservateur comme figure de l’opposition à l’ERA. Alors que le Congrès relançait le débat sur l’ERA en 1972 en approuvant le projet ouvrant la voie à une série de ratifications [3], l’égérie conservatrice lançait une nouvelle organisation nommée STOP (Stop Taking Our Privileges) ERA. Schlafly se voulait désormais l’égérie d’un nouvel antiféminisme conservateur dont elle était également porte-parole :

La loi exige du mari qu’il prenne en charge sa femme autant que sa situation financière le permet, mais la femme n’est pas obligée de subvenir aux besoins de son mari (à moins qu’il soit menacé de recourir à l’assistance publique). Un mari ne peut pas obliger sa femme à travailler pour participer aux dépenses de la famille. C’est lui qui a la responsabilité d’entretenir la famille selon la loi et les usages. Pourquoi devrions-nous abandonner ces lois qui obligent le mari à entretenir femme et enfants juste pour voir la femme avoir une « égale » obligation de trouver du travail ? (Schlafly, 1972 : 3)

La vieille antienne qui opposait espace public et espace privé et qui définissait le deuxième comme sphère dévolue aux femmes revenait brutalement ainsi dans le débat à la faveur du postulat d’un devoir naturel des hommes de nourrir et d’entretenir épouses et enfants. Schlafly revendique donc une division immuable du rôle dévolu aux genres dans la société. C’est pourquoi la famille, le foyer et l’opposition à l’avortement (pro-life) étaient d’ailleurs le triptyque sur lequel reposait l’argumentaire de ces militantes dont la plus grande réussite, sous la houlette de Schlafly, fut alors de remobiliser l’électorat de droite sur ses thématiques habituelles :

C’est contre la famille, contre les enfants et pour l’avortement […] Elles voient la maison comme une prison, et la femme et la mère comme des esclaves. Pour ces féministes, mariage rime avec vaisselle sale et linge sale. Un de leurs articles salue le refus d’une femme de faire la lessive pour la famille et y voit un « acte de courage suprême ». Un autre nous apprend à quel point il est agréable d’avoir une vie de lesbienne. (Schlafly, 1972 : 3)

En caricaturant la pensée de ses adversaires à dessein, Schlafly assumait ses idées au milieu des revendications égalitaires perçues comme socialistes, adjectif disqualifiant en cette pleine Guerre froide. Alors que la Cour suprême venait d’apporter un argument de plus aux militantes de l’égalité par sa décision favorable à l’avortement de 1973 (Roe vs. Wade), les militantes de STOP ERA tentèrent de discréditer l’ERA devant une opinion divisée et des féministes pourtant revigorées par un arrêt qui tranchait (provisoirement) la question de l’avortement en leur faveur [4]. Schlafly n’hésita pas, en novembre 1977, alors que les regards étaient tournés vers Houston au Texas où se tenait une grande (et très officielle) Conférence nationale des femmes (National Women’s Conférence), à organiser une contre-conférence pour exposer son point de vue sur la famille, l’avortement et l’égalité telle que promue par l’ERA qui devint un des pôles d’attraction des deux rencontres. (Kenney, 1979)

Malgré donc le regain de dynamisme qu’a connu l’ERA dans les années 1970 et la ratification de l’amendement dans de nombreux États, il ne put jamais atteindre la barre fatidique des trente-huit ratifications. Cet échec est en partie dû au fait que, malgré les victoires remportées çà et là, la poussée féministe de cette période ne résista pas longtemps aux assauts d’une révolution conservatrice dont le point d’orgue fut l’arrivée de Reagan au pouvoir. Pourtant, l’ERA, tel un serpent de mer, revenait sur le devant de la scène à chaque fois. Pendant trois décennies, les avancées et les régressions se succédèrent, les rebuffades laissèrent place aux rebondissements d’un État à l’autre. La justice, quand elle était interpellée, donnait des avis contradictoires selon le cas, le contexte et bien entendu, la composition et les convictions politiques des membres de la Cour suprême fédérale [5].

La ratification de l’ERA connut plusieurs rebondissements une fois l’épreuve du Congrès franchie. Cette ratification devait se faire dans un délai de sept ans. À l’expiration de cette échéance le 22 mars 1979, le Congrès décida de le reconduire jusqu’en 1982, mais à l’issue d’un nouveau prolongement, seuls trente-cinq États avaient adopté l’amendement. Alors que la question de la limitation du temps se posait de nouveau, l’adoption définitive du XXVIIe amendement introduit par James Madison en 1789 et adopté seulement 202 ans plus tard, en 1992 ! Ce cas fit jurisprudence pour le sénateur Ted Kennedy qui, dès 1993, décida de relancer la question de la limitation temporelle concernant l’ERA. Cette initiative sauva de nouveau l’ERA d’une mort certaine. Depuis, aucun État n’est venu compléter la liste des trente-cinq ayant déjà adopté le texte, jusqu’au 15 mars 2017 quand le Nevada signa à son tour le texte, devenant ainsi le trente-sixième État à approuver l’ERA, plus de quarante ans après la dernière ratification.

          B. Ultime sursaut ou dernier soubresaut ?

Assurément, les conditions de vie des femmes américaines ont bien changé depuis l’introduction de l’ERA auprès du Congrès en 1923. Pourtant, à l’heure où les élus de l’État décident de donner leur approbation à l’ERA, certaines questions sont encore d’une brûlante actualité. En effet, les écarts de salaire, malgré les progrès réalisés depuis plusieurs décennies, continuent de pénaliser les femmes. L’entrée remarquée de 127 femmes au Congrès – 106 démocrates et 21 républicaines, soit un total de 23,4 % du nombre total d’élus – à l’issue des élections de mi-mandat de novembre 2018 entraîna des commentaires enthousiastes (Center for American Women and Politics, 2017). Pourtant, ce chiffre montre à lui seul le chemin qui reste à parcourir dans une démocratie représentative. En outre, il y eut le récent tumulte mondial suscité par les révélations sur le comportement de pontes d’Hollywood, de personnalités publiques du monde politique ou médiatique. Ceci est révélateur de la survivance des vieux rapports de subordination entre hommes et femmes, mais aussi de la surreprésentation masculine encore persistante dans les instances décisionnelles du pays, sont deux illustrations d’une réalité indéniable à même de susciter une question. Au regard de tout cela, la nature même de la domination masculine peut-elle être bouleversée par le vote d’un amendement dont la portée devrait, si l’on en croit certains responsables politiques, au mieux rester symbolique ? Au lendemain de la ratification de l’ERA décidée le 21 mars 2017 par l’État du Nevada, l’élue républicaine Robin L. Titus, qualifia le vote de « vaudeville politique » (political theatrics) et de « vote symbolique ou d’un scrutin autour d’un scrutin concernant une législation sociale résolue de longue date ». (Richardson, 2017) Quant à sa collègue républicaine Jill Tolles, seule élue de son parti à l’assemblée à avoir approuvé la ratification, elle expose une autre vision du caractère symbolique de l’ERA :

Je dirais que cette chambre est remplie de symboles […]. Je porte à ma main gauche une bague qui symbolise ma promesse d’amour, de respect et de fidélité à un homme pour le reste de ma vie. Nous nous tenons sous un sceau qui nous rappelle que nous sommes un État gagné de haute bataille qui veut dire Nevada. Nous prêtons allégeance à un drapeau chaque jour pour célébrer la liberté pour laquelle nous nous sommes battus si vaillamment. (Richardson, 2017)

Le GOP (Grand Old Party) étalait au grand jour ses contradictions internes au sujet de l’égalité qui fut pourtant introduite au Congrès par deux de ses élus, le sénateur Charles Curtis et le représentant Daniel R. Anthony Jr., tous deux du Kansas. Le temps était désormais bien loin où la formation était sur tous les fronts pour vote des hommes noirs (1870), puis celui des femmes (1920). C’est aussi le parti qui élit en 1916 la première femme au Congrès en la personne de Jeannette Rankin (Montana). Malgré toutes ces réalisations, les actions progressistes menées depuis les années 1960 par le rival démocrate en direction des femmes et des minorités ethno-raciales (Equal Pay Act en 1963, Civil Rights Act en 1964, Economic Opportunity Act en 1964, Voting Rights Act en 1965) avaient fini par créer une alliance tacite entre ce dernier et ces groupes. Pendant ce temps, les Républicains montraient des positionnements de plus en plus conservateurs et hostiles auxdits groupes. C’est ainsi que malgré son opposition de principe à l’ERA, Reagan promit pendant l’élection présidentielle de 1981 de promouvoir l’égalité femmes-hommes, avant d’engager une politique allant dans le sens inverse sitôt installé au pouvoir. (Schafran, 1981) À l’inverse, les mesures initiées par les Démocrates dès les années 1960 permirent par exemple une réduction progressive des écarts de revenus entre femmes et hommes. Si en 1960 les salariées percevaient 62 % des revenus de leurs homologues masculins, en 2005 elles en gagnaient plus de 75 %. (Goldin, 1988 : 13)

C’est pourquoi quelque chose semblait avoir déjà changé depuis que le Nevada décida, contre toute attente, de ratifier l’amendement. Les partisans de l’ERA étaient de nouveau mobilisés et pouvaient entrevoir la perspective d’une victoire définitive. C’était d’autant plus inattendu que c’était exactement au moment où les femmes se mobilisaient pour défendre le droit à l’avortement fortement menacé par l’arrivée au pouvoir d’une administration peu encline aux sympathies féministes. En effet, comme une loi de balancier presque systématique, c’est à l’installation de Trump que le Congrès décidait dès janvier 2017 d’introduire une loi permettant un prolongement du délai de ratification de l’ERA par les États.

L’ERA est-il vraiment utile en renaissant subitement de sa très longue léthargie en 2017 ? La question est presque rhétorique tant sa formulation semble orientée. Pourtant, force est de constater que l’ERA renaît paradoxalement à l’heure où une administration s’emploie à détricoter le droit à l’avortement, à décrier la politique de santé reproductive (planned parenthood) avec la réactivation d’une règle (gag rule) jadis utilisée sous Reagan avec les mêmes objectifs. Ladite règle permet aux autorités fédérales ou d’État de refuser d’attribuer des financements publics à toute organisation ou service de santé pratiquant l’interruption volontaire de grossesse. En prenant une telle décision l’administration Trump, à peine installée, se montrait nostalgique des années 1980 qui virent le pays entamer sa longue révolution conservatrice. Le nouveau président infligeait ainsi un énième affront aux féministes désormais revigorées par tant d’hostilité, regain de combativité ponctuée d’une mobilisation exceptionnelle lors de la Women’s March du 21 janvier 2017[6].

Conclusion

            Le vote de l’ERA par l’assemblée d’État de l’Illinois passerait pour un épiphénomène sans incidence sur la vie politique du pays. Pourtant, au contraire, l’adoption de ce projet emblématique de la période du NWP constituerait une victoire très importante pour les féministes et leurs alliés progressistes. Cela se pourrait se traduire par plus d’égalité salariale entre hommes et femmes, une plus grande représentativité des femmes au niveau des institutions politiques du pays, une application moins problématique de l’avortement qui constitue une pomme de discorde continue dans le débat public, etc. Dans un contexte si favorable à la réactivation du clivage entre conservateurs et progressistes, rendue possible par une polarisation politique accrue, l’avancée des uns ne signifie pourtant pas le recul des autres. En effet, nonobstant l’hypothèse d’un cycle de batailles juridiques au sein d’une Cour suprême aujourd’hui acquise aux conservateurs, et les incertitudes quant au futur État qui bouclerait la liste, le vote de l’Illinois passe aujourd’hui pour une petite révolution à même de précipiter une trente-huitième et dernière ratification. Tout indique que rien n’est encore acquis puisqu’après une première victoire au sénat de l’État de Virginie le 15 janvier 2019, l’ERA fut mis en échec quelques jours plus tard par la chambre des représentants ceci, en dépit d’une coalition en faveur de la réforme allant au-delà des clivages partisans, et d’une mobilisation exceptionnelle dans les rangs de l’antenne locale de la NOW.

La course contre la montre se poursuit donc dans l’un des treize États restants. Quoi qu’il en soit, la victoire définitive de l’ERA, au-delà des changements espérés dans les domaines tant économique que politique, serait un signal fort en direction des tenants d’un pouvoir qui n’a eu de cesse d’afficher son mépris pour l’idée d’égalité, a fortiori entre femmes et hommes.

Notes de fin

[1] En 1920, selon un rapport du U.S. Women’s Bureau de 1947, les femmes travaillaient principalement comme serveuses, enseignantes, employées agricoles (terres familiales), sténographes, employées de bureau, lavandières, vendeuses, libraires, cuisinières et employées agricoles (grandes fermes).

[2] Selon une définition de Claudia Goldin. Dans le premier cas, les femmes mariées ne pouvaient pas être embauchées dans les entreprises parce que leur place était à la maison. Dans le deuxième cas, celles qui en étant employées décidaient de se marier étaient le plus souvent sous la menace d’un licenciement.

[3] L’ERA fut ratifié dans vingt-deux États dès 1972, six autres suivirent en 1973 et cinq avant le 22 mars 1979, en tout 35 assemblées d’États avaient fini de ratifier l’amendement. https://www.equalrightsamendment.org/era-ratification-map (Consulté le 10 février 2019).

[4] L’ERA avait d’ailleurs vraisemblablement partie liée avec la question de l’avortement : « (…) l’ERA ne peut pas entrer en vigueur rapidement sans un compromis sur l’avortement. Mais une majorité considérable de soutiens de l’ERA pense que tout compromis comme contraire à l’esprit et à la lettre de l’amendement. » (Steiner, 1985 : 107)

[5] Voir les affaires suivantes : Dillion v. Gloss ; (256 U.S. 368, 1921) Coleman v. Miller (307 U.S. 433, 1939) ; Goessaert v. Cleary (365 U.S. 468, 1948) ; Frontiero v. Richardson (411 U.S. 677, 1973) ; Reed v. Reed (404 U.S. 71, 1971) ; Khan v. Shevin (416 U.S. 351, 1971) ; NOW v. Idaho (459 U.S. 809, 1982).

[6] Les marcheuses étaient 1 000 000 à Washington, 500 000 à Los Angeles, 250 000 à Chicago, 200 000 à New York, etc. (Booth et Topping, 2017)

 

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Pour citer cet article :

Salian Sylla, « Equal Rights Amendment : près d’un siècle de (sur)vie d’un combat pour l’égalité », RITA [en ligne], n°12 : septembre 2019 . Mis en ligne le 12 septembre 2019. Disponible en ligne: http://revue-rita.com/dossier-12/equal-rights-amendment-pres-d-un-siecle-de-sur-vie-d-un-combat-pour-l-egalite-salian-sylla.html

Enquêtes sur le féminicide à Ciudad Juárez (Mexique) : les légendes urbaines chez Maud Tabachnik, Alicia Gaspar de Alba et Kama Gutier
Investigaciones sobre el feminicidio en Ciudad Juárez (Mexico): las leyendas urbanas en las obras de Maud Tabachnik, Alicia Gaspar de Alba y Kama Gutier

 

Résumé
S’appuyant sur trois polars – Desert Blood : The Juárez Murders (2005) de l’écrivaine chicana Alicia Gaspar de Alba, J’ai regardé le diable en face (2005) de la Française Maud Tabachnik et Ciudad final (2007) de l’auteure espagnole Kama Gutier, pseudonyme de Josebe Martínez –, le présent article se propose d’analyser le tournage de snuff movies, le trafic d’organes et l’existence de rites sataniques à Ciudad Juárez à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Ces trois légendes urbaines qui ont fleuri pour expliquer le féminicide sexuel systémique, c’est-à-dire, selon Julia Estela Monárrez Fragoso (2009 : 86), « l’assassinat d’une enfant/d’une femme commis par un homme, dans lequel se retrouvent tous les éléments de la relation inégalitaire entre les sexes », semblent cacher les véritables racines du mal : le laxisme de l’État qui permet la perpétuation des meurtres à l’encontre des femmes.

Mots-clés : Féminicide ; Polar ; Ciudad Juárez ; Légendes urbaines ; Impunité.

Resumen
Apoyándose en tres novelas negras – Desert Blood :The Juárez Murders (2005) de la escritora chicana Alicia Gaspar de Alba, J’ai regardé le diable en face (2005) de la francesa Maud Tabachnik y Ciudad final (2007) de la autora española Kama Gutier, seudónimo de Josebe Martínez –, este artículo se propone analizar el rodaje de snuff movies, el tráfico de órganos y la existencia de ritos satánicos en Ciudad Juárez en la frontera entre los Estados Unidos y México. Estas tres leyendas urbanas que florecieron para explicar el feminicidio sexual sistémico, es decir, según Julia Estela Monárrez Fragoso (2009 : 86), « el asesinato de una niña/mujer cometido por un hombre, donde se encuentran todos los elementos de la relación inequitativa entre los sexos », parecen ocultar las verdaderas raíces del mal: el laxismo del Estado que permite la perpetuación de los homicidios en contra de las mujeres.

Palabras clave : Feminicidio; Novelas negras; Ciudad Juárez; Leyendas urbanas; Impunidad.

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Nicolas Balutet

Maître de conférences habilité à diriger des recherches
Université de Toulon

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Enquêtes sur le féminicide à Ciudad Juárez (Mexique) : les légendes urbaines chez Maud Tabachnik, Alicia Gaspar de Alba et Kama Gutier 

 

Introduction : le féminicide à Ciudad Juárez

          Ciudad Juárez est une ville de plus de 1,3 million d’habitants située au nord de l’État mexicain de Chihuahua, à la frontière avec les États-Unis. Fondée le 8 décembre 1659 comme mission évangélisatrice (Barrios Rodríguez, 2014 : 103), elle est qualifiée dès le début du XXe siècle (en 1915) de « ville la plus perverse d’Amérique » par le journal Boston Herald (Ronquillo, 2004 : 13-14) ou bien de « lieu le plus immoral, dégénéré et pervers » et de « Mecque des criminels et des dégénérés » selon le Consul des États-Unis en poste en 1921 (Fernandez et Rampal, 2005 : 228). Elle doit alors cette réputation sulfureuse – qui ne s’est pas démentie depuis – à l’omniprésence des bars, des discothèques, des hôtels de passe, des points de revente de drogue, etc., qui attirent une faune humaine prompte à la violence.

Si Ciudad Juárez est désormais connue bien au-delà des frontières mexicaines, c’est que la ville est directement associée à la mort. Lieu placé sous le sceau de la sexualité à outrance, Ciudad Juárez est devenue, en effet, depuis le début des années 1990 « la ville qui tue les femmes », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Marc Fernandez et Jean-Christophe Rampal. Ce titre, qui pourrait paraître quelque peu racoleur de prime abord, traduit pourtant une terrible réalité : depuis janvier 1993 et la reconnaissance d’une première victime officielle – la jeune Alma Chavira Farel, treize ans – et 2013, entre 380 et 700 meurtres de femmes auraient été commis, auxquels il convient d’ajouter 700 disparitions (Hallberg, 2012 : 1 ; Fourez, 2012 : 228 ; Labrecque, 2012 : 83 ; Barrios Rodríguez, 2014 : 111 ; Large, 2016 : 181-182).

Ces meurtres ont été qualifiés de « féminicides » (Monárrez Fragoso, 2009 ; Fregoso et Bejarano, 2010 ; González Rodríguez, 2012 : 82-83). Il s’agit d’un néologisme qui s’inspire de l’anglais femicide, un mot utilisé pour la première fois en Angleterre en 1801 pour désigner le « meurtre d’une femme » (Russel, 2001 : 15). Ce n’est qu’en 1976 que la sociologue Diana Russell le reprend à son compte en y ajoutant une connotation sexiste : « assassinats de femmes par des hommes en raison de la haine, du mépris, du plaisir ou d’un sentiment de possession des femmes » (Hallberg, 2012 : 9)[1]. En 1992, avec la publication de Femicide : The Politics of Woman Killing, Diana Russell, Jane Caputi et Jill Radford prolongent la réflexion initiale. Pour ces auteures, les femmes sont victimes d’un continuum d’abus physiques et verbaux comme la torture, le viol, l’inceste, la prostitution, le harcèlement, l’excision, la stérilisation forcée, etc. Le féminicide désigne alors tout ce qui, dans cette terrible liste, entraîne la mort des femmes (Caputi et Russell, 1992 : 13-21). Il s’agit donc du « meurtre misogyne des femmes par des hommes » (Radford et Russell, 1992 : xi)[2]. Le terme s’est popularisé en espagnol quelques années plus tard sous l’impulsion de l’anthropologue mexicaine Marcela Lagarde, ancienne députée fédérale du Parti de la révolution démocratique (PRD) entre 2003 et 2006 et Présidente d’une Commission parlementaire chargée de suivre les enquêtes sur les meurtres de Ciudad Juárez : « Le féminicide est l’une des formes extrêmes de la violence de genre ; il recoupe l’ensemble des actes misogynes violents contre les femmes impliquant la violation de leurs droits fondamentaux, la menace contre leur sécurité et leur vie. Sa manifestation ultime est l’assassinat de certaines enfants et femmes » (1996 : 66)[3].

Pour intéressantes qu’elles soient, ces définitions présentent l’inconvénient d’être trop générales. Partant de cette constatation, la sociologue mexicaine Julia Estela Monárrez Fragoso (2006) a donc proposé de faire la distinction entre plusieurs formes de féminicides : 1) le féminicide intime, c’est-à-dire la maltraitance et le meurtre de femmes et de petites filles commis par un membre de la famille ; 2) le féminicide en raison de métiers stigmatisés (prostituées, danseuses, serveuses, etc.) ; et 3) le féminicide sexuel systémique qu’elle définit ainsi :

Le féminicide sexuel systémique est l’assassinat d’une enfant/d’une femme commis par un homme, dans lequel se retrouvent tous les éléments de la relation inégalitaire entre les sexes : la supériorité genrée de l’homme face à la subordination genrée de la femme, la misogynie, le contrôle et le sexisme. Avec la passivité et la tolérance d’un État absent, c’est le corps biologique de la femme qui est tué mais également ce qu’a représenté la construction culturelle de son corps. Le féminicide sexuel systémique possède la logique irréfutable du corps des fillettes et des femmes qui ont été séquestrées, torturées, violées, assassinées et jetées dans des espaces sexuellement transgresseurs. Les assassinats au moyen d’actes cruels renforcent les relations sociales inégalitaires de genre qui font la différence entre les sexes : altérité, différence et inégalité. (Monárrez Fragoso, 2009 : 86)[4].

C’est cette dernière catégorie qui correspond au phénomène qui a prospéré dans la ville de Ciudad Juárez depuis le début des années 1990. De cette époque à la fin des années 2000, le féminicide sexuel systémique représenterait environ 20% de tous les crimes commis dans la ville contre environ 57% pour les assassinats liés à la violence générale, 20% pour la catégorie des féminicides intimes et 3% pour le féminicide en raison de métiers stigmatisés (Falquet, 2014). Marco Kunz (2016 : 140-141) rejoint les chiffres donnés par Jules Falquet pour la période 1993-2010 et rappelle, par ailleurs, qu’en 2008 et 2010, les assassinats de femmes à Ciudad Juárez représentent 10,7% de l’ensemble des meurtres commis (89,3% des victimes sont donc des hommes). Sans sous-estimer le phénomène du féminicide sexuel systémique, le chercheur met donc en garde contre une tendance fort répandue qui consiste à considérer tout meurtre de femmes à la frontière mexicaine comme relevant de cet unique fléau.

Pour expliquer ces assassinats, l’anthropologue Patricia Ravelo Blancas, s’appuyant sur le dépouillement de plus de 200 coupures de journaux publiés en 2001, est allée jusqu’à dénombrer pas moins de 32 théories différentes qu’elle a regroupées en cinq axes (Labrecque, 2005 : 53 ; 2012 : 142-143 ; Huerta Moreno, 2012 : 4) : 1) le crime organisé (trafic d’organes, snuff movies, messages des narcotrafiquants aux autorités, exécutions relatives au narcotrafic, vengeances entre bandes rivales, corruption des policiers, sélection de victimes à partir de catalogues de photos de travailleuses des maquiladoras, création d’un climat d’insécurité pour favoriser une culture de la terreur et corruption profitant à des familles de l’oligarchie) ; 2) les pathologies psychiques et sociales (enlèvements par des « juniors » pour des orgies, rites sataniques exigeant le sacrifice de femmes, crimes par imitation, nature des hommes, crimes « passionnels », vengeances entre familles, assassins en série provenant des États-Unis et fétichisme) ; 3) les hypothèses sociologiques et de genre (frustration masculine en raison de la compétition des femmes sur le marché du travail, augmentation de la présence des femmes dans les espaces publics, réaction du patriarcat devant la menace de l’augmentation de l’influence féminine, misogynie, racisme et volonté de réduire l’immigration en provenance du Sud) ; 4) les crimes d’État (absence ou inefficacité des services publics, pauvreté, climat d’impunité et absence de planification et de prévention) ; et 5) le point de vue moral/chrétien (perte des valeurs morales, façon de se vêtir des femmes, présence des femmes dans des lieux inappropriés pour elles, relâchement de la pudeur des femmes et désintégration familiale).

Dans le cadre de cette étude, je vais m’intéresser aux légendes urbaines qui ont prospéré à Ciudad Juárez pour expliquer l’assassinat de nombreuses femmes. Il s’agit du tournage de snuff movies, du trafic d’organes et de l’existence de rites sataniques, dont parle, par ailleurs, le journaliste Sergio González Rodríguez qui a popularisé le sujet dans le monde hispanique avec sa chronique Huesos en el desierto (2002 ; Benmiloud, 2009). J’aurais pu appréhender ces différentes hypothèses de multiples façons. J’ai choisi la voie de la littérature et, plus précisément, celle du polar, car les « récits crépusculaires » de ce genre, pour reprendre une expression de Jean-François Vilar (1987 : 9), emplis de violence (individuelle ou institutionnelle), de meurtres, de cruauté, de corruption, etc., permettent de mettre à nu « les grandes cicatrices de la nation » et rendent visible, selon moi, ce qui fait tout l’intérêt de la fiction : son apport à la connaissance du réel, parfois inexprimable par un autre moyen. Si la « grande » œuvre traitant du féminicide à Ciudad Juárez est 2666 (2004) de Roberto Bolaño où la ville apparaît sous les traits de sa transposition littéraire Santa Teresa, mon corpus se compose de trois polars moins connus, écrits entre 2005 et 2007 par trois femmes : Desert Blood de l’Américaine chicana Alicia Gaspar de Alba, J’ai regardé le diable en face de la Française Maud Tabachnik et Ciudad final de l’Espagnole Josebe Martínez qui a choisi le pseudonyme de Kama Gutier.

I. Le tournage de snuff movies

         Parmi les hypothèses évoquées pour expliquer le féminicide à Ciudad Juárez figure une légende urbaine déjà ancienne car on la retrouve au début du XXe siècle dans une nouvelle de Guillaume Apollinaire intitulée « Un beau film » (Dominguez Leiva et Laperrière, 2013 : 12). Je parle de l’existence de snuff movies, un terme qui désigne des « films dans lesquels une ou plusieurs personnes subissent des tortures, puis sont violées et assassinées » (Fernandez et Rampal, 2005 : 72). De l’anglais to snuff out, « éteindre, moucher une chandelle, étouffer la flamme d’une bougie » (Finger, 2001 : 11) – ce qui n’est pas sans évoquer le dernier souffle d’une personne –, le terme a été popularisé aux États-Unis au milieu des années 1970 par la confluence de plusieurs facteurs : découverte supposée par la police de New York de plusieurs films pornographiques sud-américains présentant des meurtres réels (Labelle, 2006 : 371) ; publication d’un livre d’Ed Sanders sur Charles Manson (Bou, 2005 : 452) ; sortie en 1976 du film argentino-américano-canadien Snuff réalisé par Michael et Roberta Findlay dans lequel seraient exposés les véritables assassinat et démembrement d’une jeune femme par un groupe vouant un culte au meurtrier de Sharon Tate (Stine, 1999). À l’exception de la publication de The Family. The Story of Charles Manson’s Dune Buggy Attack Battalion, tout n’était que canular. Néanmoins, le succès du film va durablement installer dans les mentalités la possibilité que de tels documents existent. D’ailleurs, le thème ressort périodiquement dans des films grand public comme l’excellent Tesis (1996) d’Alejandro Amenábar ou le plus discutable 8 millimètres (1999) avec Nicolas Cage dont Josebe Martínez remémore une partie du tournage dans Ciudad final (Gutier, 2007 : 131).

Selon Sarah Finger, la littérature s’est rarement inspirée du mythe des snuff movies, « sans doute parce que la langue écrite se prête mal à la description d’images qui, pourrait-on dire, se passent de commentaires… Un snuff est conçu pour être vu, et toute son intensité réside dans les images qu’il livre. Le décrire, c’est lui ôter cette fameuse force de frappe » (2001 : 54). La journaliste a certainement raison. Néanmoins, deux romans de mon corpus – Josebe Martínez ne l’évoque que brièvement (Gutier, 2007 : 131, 172-173) –, s’attachent longuement à cette hypothèse. Desert Blood et J’ai regardé le diable en face évoquent tout d’abord le prix, souvent très élevé, de ce genre de film : « Ça se vend cinq mille dollars la cassette. Tu vois la masse de pognon que représentent les copies ? » (Tabachnik, 2007 : 274) ; « La vidéo qu’ils ont tournée avec Ignacio était déjà sur le marché et suscitait les enchères » (Tabachnik, 2007 : 346) ; « On est censé diffuser un streaming en direct, pas un enregistrement. Les gens paient pour du direct » (Gaspar de Alba, 2005 : 197)[5]. La raison de ce coût est simple. Le snuff movie relève de l’interdit, de l’irreprésentabilité du corps passant de vie à trépas (Finger, 2001 : 24) : ce qui est rare est cher. Cette situation implique que seule une poignée d’initiés, souvent aisés, a accès à ces films, justifiant ainsi leur production – la mort contre de l’argent – mais aussi, pour les autorités, la difficulté – pour ne pas dire l’impossibilité – de mettre la main dessus et in fine la rumeur (Laperrière, 2013 : 4-5). Le snuff movie traduit également les inégalités économiques et, surtout, l’impunité que l’argent confère aux puissants (Kunz, 2008 : 124).

Dans les deux romans, les bourreaux – sans parler des clients jouisseurs et voyeurs qui, confortablement lovés dans leurs canapés, orchestrent tout autant cette barbarie –, présentent des caractéristiques associées à la mort. Dans Desert Blood, le violeur se fait appeler Dracula lors du tournage du snuff movie, alors que son surnom habituel dans le roman n’est autre que « El Diablo » (Gaspar de Alba, 2005 : 267-268), reprenant en cela le véritable surnom de Sergio Armendáriz, chef supposé du groupe des Rebelles. Dans J’ai regardé le diable en face, le bourreau est comparé à un pirate à la poitrine velue portant foulard, bottes, gilet de cuir sans manches (Tabachnik, 2007 : 272). Du heavy métal, probablement du Marilyn Manson, dont le nom fait référence au tueur en série Charles Manson, assure le fond sonore de la scène du viol et du meurtre de la très jeune Doris (Gaspar de Alba, 2005 : 267-268). Les victimes, quant à elles, ressemblent au profil type dressé par Sarah Finger dans son excellent ouvrage La mort en direct. Il s’agit de femmes, « toujours jeune[s], parfois adolescente[s] [...] souvent issues de milieux défavorisés ou de familles modestes » (2001 : 69), ce qui n’est pas sans renforcer l’immoralité du snuff. Dans Desert Blood, Dracula se plaint ainsi que la jeune fille n’ait pas de seins – elle a six ans… (Gaspar de Alba, 2005 : 268) –, cependant que Bike et José, dans J’ai regardé le diable en face, se délectent de la vision de « malheureuses gamines » (Tabachnik, 2007 : 272), « deux filles, des adolescentes [qui] pouvaient avoir entre treize et quinze ans » (Tabachnik, 2007 : 271-272).

Alicia Gaspar de Alba fait de l’hypothèse des snuff movies une des causes principales du féminicide à Ciudad Juárez, ce que découvre Ivon, le personnage principal du roman, lorsque le garde-frontière Jeremy Wilcox, chef d’un réseau pornographique, la force à regarder une vidéo dans laquelle est présentée la mort d’une enfant prénommée Doris (Gaspar de Alba, 2005 : 281). J’ai regardé le diable en face de Maud Tabachnik semble accorder également quelque crédit à l’hypothèse des snuff movies, parmi d’autres. Le film que regarde avec fascination le couple de serial killers Bike et José se termine cependant au moment où une jeune fille est sur le point de se faire assassiner par un de ses violeurs. On ne connaît donc pas le dénouement :

Puis le pirate invita les trois hommes à s’approcher, prit dans un étui un poignard qu’il montra à la caméra sous divers angles, ce qui permit aux spectateurs de constater que sa lame, effilée comme un rasoir, était enchâssée dans un manche en or, puis il s’empara de la seconde fillette qu’il attacha sur une chaise, à la droite du chevalet où gisait son amie, fit signe à la caméra d’approcher pour un gros plan, lui releva la tête pour bien montrer son visage ravagé, et la courba pour mettre en évidence son dos lacéré par la badine.
Enfin, lui maintenant d’une main la tête tournée vers sa compagne évanouie, il tendit le poignard à l’un des vieillards qui, gêné, se tourna vers ses complices qui riaient moins fort à présent et reculaient à demi, tandis que le « pirate » encourageait le sacrificateur de la voix et du geste à se rapprocher du chevalet.
– Allez, vas-y ! criaient ses compagnons, soulagés peut-être de seulement regarder.
Comme on se jette dans une eau que l’on sait trop froide, le vieillard leva brusquement son poignard au-dessus de la fillette suppliciée.
L’écran s’éteignit et la lumière revint dans la salle. (Tabachnik, 2007 : 273-274)

Dans ce roman, on voit bien l’effet érotique que provoque le snuff movie sur les spectateurs : le narrateur les décrit comme « hypnotisés », ne pouvant quitter des yeux l’écran où se déroule le spectacle sanglant. Bike, de son côté, lance trois fois un « Putain, le pied ! » tout en se masturbant (Tabachnik, 2007 : 271-273). Ce n’est pas tant l’acte sexuel qui va provoquer la jouissance dans le snuff movie mais plutôt, semble-t-il, la destruction de l’autre et la monstration non simulée de la mort : il faut voir la victime en train de mourir. Mais le snuff movie est paradoxal : il se présente comme la vérité, la réalité, comme un objet proche du documentaire (Kamieniak I., 2006 : 409 ; Kamieniak J. P., 2006 : 400). En même temps, on assiste dans les deux romans à une véritable mise en scène « cinématographique » et donc fictionnelle de ce spectacle de la mort. J’ai regardé le diable en face évoque des chevalets ou des autels sur lesquels étaient attachées les jeunes victimes (Tabachnik, 2007 : 317). Le roman s’appesantit d’ailleurs sur l’un d’entre eux, un énorme cactus vierge, sur lequel est empalée Matilda après avoir été violée, « un supplice connu au Moyen Âge sous le nom de Vierge de Nuremberg » (Tabachnik, 2007 : 312). De son côté, la spontanéité de Dracula dans Desert Blood est feinte puisqu’il répond au scénario imaginé et fantasmé par le réalisateur Junior :

– Retourne-la ! Montre-moi son cul ! OK, mets-la sur le lit et attache-la sur le ventre. Dracula, tu vas me donner une fessée à cette vilaine petite fille. Ensuite, tu me la prends comme une chienne. […] Fais-lui sa fête, à cette chienne.
– Dans le cul, patron ?
– Je veux que tu la défonces ! Caméra deux, gros plan sur la bite. Caméra un, plan moyen de derrière. C’est ça. Baise cette petite salope. Je veux voir du sperme. Et fissa. (Gaspar de Alba, 2005 : 268)[6]

Parmi toutes les hypothèses avancées pour expliquer la situation que connaît Ciudad Juárez, Alicia Gaspar de Alba et Maud Tabachnik privilégient donc la moins crédible et la plus sensationnaliste car, comme le remarque le criminologue mexicain Óscar Máynez, il n’existe pas aujourd’hui de preuves tangibles de l’existence de snuff movies en tant que tels, ce qui n’exclut nullement que des assassins aient pu filmer leurs crimes pour un « usage privé » : « Je ne pense pas que cette hypothèse sur la commercialisation de films à caractère pornographique et violent soit la cause principale de tous ces assassinats, même si je ne doute pas que ceux qui commettent ces crimes possèdent quelques enregistrements vidéo de leurs actes. Mais ils les font pour eux, comme une sorte de divertissement personnel macabre, pas pour les commercialiser » (Fernandez et Rampal, 2005 : 72-73).

Que dit la rumeur des snuff movies sur notre société ? Alors même que ces films n’ont aucune existence réelle, ils imprègnent notre imaginaire collectif. Nous savons, en effet, de quelle violence l’homme est capable : les snuff movies ne sont donc pas perçus comme des produits chimériques. Par ailleurs, ils s’inscrivent dans cette liste de « spectacles » comme les exécutions publiques qui projettent nos propres fantasmes, pulsions et peurs face à la mort (Finger, 2001 : 7 ; Bou, 2005 : 454 ; Laperrière, 2013 : 8-9).

II. Le trafic d’organes

        Une autre hypothèse, soutenue par certaines associations et journalistes (Labrecque, 2012 : 142-143), évoque le trafic d’organes humains. En effet, certaines victimes ont été retrouvées mutilées d’une partie de leurs organes. Les trois romans le rappellent (Gaspar de Alba, 2005 : 95 ; Gutier, 2007 : 126) mais c’est J’ai regardé le diable en face qui s’appesantit le plus sur cet aspect dans des termes très crus suscitant le malaise chez le lecteur : « des filles démembrées, ouvertes du sternum au pubis, vidées de leurs organes » (Tabachnik, 2007 : 98) ; « D’autres que l’on a éviscérées pour leur voler leurs organes. Disparus les foies, les reins, les yeux… » (Tabachnik, 2007 : 134). Comme pour les snuff movies, l’hypothèse est peu crédible car ce trafic nécessiterait une infrastructure et une logistique difficile à réunir. C’est ce qu’ont bien compris les deux héroïnes de Desert Blood et de Ciudad final qui dressent la liste des éléments indispensables aux opérations chirurgicales :

– Une des théories à propos de ces crimes est qu’il existe un marché de trafic d’organes, et que ces gens-là se concentrent sur les jeunes filles parce qu’elles sont en bonne santé et qu’elles n’ont pas encore développé les mauvaises habitudes qui nuisent à leurs organes. Selon nos sources, certains des corps ont été retrouvés vidés de leurs organes. Et comme on les déniche toujours dans le désert mais pas trop loin, dans des zones où un hélicoptère peut se poser facilement, on suppose que les trafiquants prélèvent les cœurs ou les foies sur place, pour les embarquer aussi tôt que possible après la mort de leur propriétaire.
– C’est absurde ! Il faudrait un environnement stérile pour que ça fonctionne ! (Gaspar de Alba, 2005 : 95)[7]

– C’est plus difficile, car vous avez besoin de personnes très qualifiées pour effectuer une telle intervention, vous avez besoin de médecins, vous avez besoin d’une équipe chirurgicale bien préparée, vous avez besoin d’une compatibilité sanguine entre patients et donneurs... bref, une série de choses qui ne sont pas faciles à rassembler et à synchroniser. (Gutier, 2007 : 173)[8]

Le criminologue Óscar Máynez a aussi écarté cette hypothèse devant les journalistes Marc Fernandez et Jean-Christophe Rampal, expliquant que ses services avaient réalisé « une enquête sur les ressources financières nécessaires à la mise en place de ce genre de choses, mais [qu]’elle n’a[vait] rien donné » (2005 : 67). Cela ne veut pas dire pour autant que des femmes n’aient pas vendu, à titre individuel, un de leurs organes – comme un rein par exemple – à des mafias opérant dans des conditions précaires ou bien qu’elles n’aient pas été assassinées par la suite en raison de complications sanitaires ou autres. C’est d’ailleurs ce thème du don volontaire d’organes qui explique combien l’idée du trafic n’apparaît pas aux yeux des gens comme une affabulation, alors que les snuff movies suscitent tout de même plus de réserve. Pourtant, l’un comme l’autre sont des légendes urbaines. Véronique Campion-Vincent (1997 : 34), dans son ouvrage La légende des vols d’organes, a bien montré comment cette rumeur est partie d’Amérique latine suite au croisement de deux situations : le don volontaire d’organes pour des raisons économiques et des disparitions d’enfants. Après être passés sur des tables d’opération, des enfants auraient été retrouvés avec un organe en moins, quelques dollars en poche et un mot de remerciement. Le contexte de doute quant à la probité des institutions et la désinformation-spectacularisation d’une certaine presse auraient fait le reste.

Dans son roman, Maud Tabachnik développe le thème du trafic organisé et du marché noir. Son héroïne pense ainsi qu’il pourrait s’agir d’ « une des raisons de tous ces crimes » (Tabachnik, 2007 : 47), confortée en cela par les déclarations d’une autre journaliste qui évoque le trafic géré par une Moldave – pour plus d’exotisme… – arrivée à Ciudad Juárez en 2000 après avoir fait fortune en Europe de l’Est (Tabachnik, 2007 : 157-158). À la différence de la Moldavie où les donneurs n’étaient pas tués, les meurtres au Mexique seraient liés à l’idée que, dans ce pays, la vie des femmes ne compte pas.

III. Les rites sataniques

         La dernière légende urbaine renvoie à l’existence d’une secte satanique vénérant la « Santa Muerte », une croyance populaire fruit d’un syncrétisme subtil entre des éléments préhispaniques et catholiques (Fernandez et Rampal, 2005 : 74 ; Kunz, 2008 : 123). Apparue dans les années 1960, cette « Faucheuse » mexicaine est aujourd’hui vénérée par les délinquants et ceux qui se sentent délaissés par la société. À l’instar des deux autres légendes urbaines, les trois romans de mon corpus évoquent le satanisme, dont l’existence semble plausible pour certains personnages dans la mesure où les sacrifices humains étaient une coutume des anciens Mexicains. La journaliste Isabel Arvide ne dit-elle pas dans J’ai regardé le diable en face : « Vous savez, nos ancêtres ont procédé à des sacrifices humains. Qui sacrifiait-on aux dieux, d’après vous ? Des vierges » (Tabachnik, 2007 : 159) ? Par ailleurs, Kama dans Ciudad final se souvient d’une sordide histoire – bien réelle celle-ci – qui s’est déroulée en 1989 à la frontière entre Brownsville (Texas) et Matamoros au Mexique. Une quinzaine de cadavres – dont celui de Mark Kilroy, un jeune étudiant états-unien venu passer un week-end au Mexique avec sa confrérie – ont été découverts dans une cabane dans laquelle se trouvait un chaudron empli de cervelles humaines et de sang. Les coupables, deux tueurs en série et narcotrafiquants, Adolfo de Jesús Constanzo et Sara María Aldrete, pratiquaient une sorte de vaudou satanique (Carlander, 1991 : 28 ; González Rodríguez, 2002 : 68-69) :

J’avais entendu parler d’une secte vaudou à Matamoros, liée au trafic de drogue aux États-Unis et accusée d’être à l’origine de quinze à vingt meurtres. Apparemment, le groupe pratiquait le vaudou comme une forme de protection commerciale. Selon eux, l’impunité s’obtenait en faisant cuire le cerveau de la victime, préalablement frit, avec du sang, des herbes, des pattes d’oie et des têtes de chèvre ou de tortue. L’histoire a été découverte lorsqu’ils ont supplicié un petit gringo. Pas question que les gringos abandonnent un des leurs (si c’est un Blanc) ! (Gutier, 2007 : 129-130)[9]

Dans Desert Blood, un médecin légiste mentionne la présence d’un pentagramme, symbole satanique, sur le sein droit de certaines victimes (Gaspar de Alba, 2005 : 247), cependant que Ciudad final rappelle l’existence d’un triangle de pierres, autre symbole de Satan, près du corps de victimes (Gutier, 2007 : 21). Dans J’ai regardé le diable en face, Isabel Arvide évoque de même l’existence de « messes noires organisées dans les bunkers où vivent les narcos et les patrons locaux » (Tabachnik, 2007 : 199). De son côté, Ciudad final s’appesantit sur un article évoquant un pasteur baptiste qui, lors d’une fouille organisée par un groupe de volontaires, serait tombé sur une « cabane, remplie de bougies noires, [qui] contenait à l’intérieur un panneau de 2 mètres de haut pour 1,5 de large et arborait, parmi d’autres, l’adroit dessin d’un scorpion que trois femmes nues observaient, assises sur des bancs, et au bout duquel gisait une autre femme nue et menottée. Dans la partie supérieure, quelques soldats apparaissaient derrière des plants de cannabis » (Gutier, 2007 : 130)[10]. Ce récit s’inspire vraisemblablement des propos de deux journalistes, Víctor Ronquillo et Diana Washington Valdez, qui, dans deux ouvrages publiés en 2004 et 2007, parlent d’une découverte similaire par un groupe d’habitants. Dans une cabane abandonnée – « autre station de l’enfer dans lequel sont tombées les victimes », écrit emphatiquement Víctor Ronquillo (2004 : 133)[11] –, à côté de restes de cuirs chevelus, de sang et de douilles de balles, aurait été découvert un panneau de bois d’un mètre à un mètre cinquante de hauteur pour quatorze centimètres de large (notons la précision…), sur lequel seraient peints, dans un sordide pêle-mêle, dix femmes numérotées et nues – dont une possédant précisément les traits d’une des victimes (mais la plupart ont les mêmes caractéristiques physiques) –, des soldats, la zone montagneuse de Ciudad Juárez, des plants de cannabis, l’as de pique, un scorpion, l’étoile de David et des croix gammées (Ronquillo, 2004 : 133-136 ; Washington Valdez, 2007 : 38). Bien que le récit de Víctor Ronquillo en particulier se veuille fidèle à la réalité (par l’utilisation de témoins et de propos très précis), rien ne permet de confirmer l’existence de ce panneau qui aurait disparu après avoir été confié à la police judiciaire de Chihuahua, renforçant ainsi la thèse de ceux qui pensent que la police et la justice tentent de cacher la vérité.

Si on ne peut pas exclure que le crime organisé fasse appel à des rites de passage consistant à tuer des femmes et des hommes pour tester la valeur de ses membres ou bien que des individus, comme dans le cas de Matamoros, s’adonnent à des pratiques vénérant le Malin, aucun indice concret ne permet d’attester cependant de la véracité d’une sorte de « narcosatanisme » à grande échelle : c’est principalement une théorie qui « fait vendre du papier et des livres », comme le rapporte un spécialiste du narcotrafic (Fernandez et Rampal, 2005 : 74).

Conclusion

À côté de ces légendes urbaines, Desert Blood, J’ai regardé le diable en face et Ciudad final présentent des hypothèses plus crédibles : existence de tueurs en série, en raison de la récurrence du même profil de victimes (Barrón Cruz, 2004), ou essor des bandes rivales de narcotrafiquants dont certaines feraient passer des épreuves d’initiation (viols et meurtres) aux personnes souhaitant les intégrer ou utiliseraient les femmes comme des « messages » destinés aux autorités pour faire pression sur elles, pour faciliter les négociations. Au-delà de ces conjectures, le féminicide, quelles qu’en soient les causes exactes, est une conséquence du laxisme de l’État qui permet sa perpétuation :

Le féminicide se produit parce que les autorités, qui font preuve d’omissions, de négligences ou agissent de concert avec des agresseurs, exercent une violence institutionnelle sur les femmes en entravant leur accès à la justice, contribuant ainsi à l’impunité. Le féminicide implique la rupture partielle de l’état de droit, car l’État est incapable de garantir la vie des femmes, de respecter leurs droits fondamentaux, d’agir en suivant les lois et en les faisant respecter, de rechercher et de rendre la justice, et de prévenir et d’éradiquer la violence qui en est à l’origine. Le féminicide est un crime d’État. (Lagarde, 1996 : 66)[12]

Nombreux sont les chercheurs qui partagent ce point de vue, à l’instar de Rosa Linda Fregoso et Cynthia Bejarano (2010, de Marie-France Labrecque (2012 : 68-69) ou bien de Julia Estela Monárrez Fragoso pour qui « l’État, secondé par les groupes hégémoniques, renforce la domination patriarcale et place les membres de la famille des victimes et toutes les femmes dans une insécurité permanente et intense, due à une période continue et illimitée d’impunité et de complicités où les coupables ne sont pas punis et la justice n’est pas rendue aux victimes » (2009 : 86)[13]. Plus que de la négligence, les trois romans de mon corpus s’arrêtent également sur la manipulation des faits et des « preuves » qui semble être l’une des pratiques récurrentes des autorités mexicaines, éloignant ainsi la vérité et offrant, au contraire, une totale impunité aux véritables coupables. Là se trouve l’une des racines du mal.

 

Notes de fin

[1] « asesinatos de mujeres por hombres con motivo de odio, desprecio, placer o una sensación de posesión de mujeres ». Toutes les traductions sont de l’auteur.

[2] « misogynist killing of women by men ».

[3] “El feminicidio es una de las formas extremas de violencia de género; está conformado por el conjunto de hechos violentos misóginos contra las mujeres que implican la violación de sus derechos humanos, atentan contra su seguridad y ponen en riesgo su vida. Culmina en el asesinato de algunas niñas y mujeres”.

[4] “El feminicidio sexual sistémico es el asesinato de una niña/mujer cometido por un hombre, donde se encuentran todos los elementos de la relación inequitativa entre los sexos: la superioridad genérica del hombre frente a la subordinación genérica de la mujer, la misoginia, el control y el sexismo. No sólo se asesina el cuerpo biológico de la mujer, se asesina también lo que ha significado la construcción cultural de su cuerpo, con la pasividad y la tolerancia de un estado ausente. El feminicidio sexual sistémico tiene la lógica irrefutable del cuerpo de las niñas y mujeres que han sido secuestradas, torturadas, violadas, asesinadas y arrojadas en escenarios sexualmente transgresores. Los asesinos por medio de los actos crueles fortalecen las relaciones sociales inequitativas de género que distinguen los sexos: otredad, diferencia y desigualdad.”

[5] “Our shows are supposed to stream, that means live cabrón, not prerecorded. People are paying to see live action”.

[6] “Turn her around ! Let me see her ass”, Junior says. “Okay, let’s tie her to the bed facedown. Dracula, give that bad little girl a spanking and then show me some doggie action. […] Let her have it !” “In the ass, boss ?” “Fuck the shit out of her, man. Camera Two, keep tight on that prick. Camera One, body shot from behind. That’s it. Hump the little bitch. I want to see some spunk in one minute.”

[7] “One of the theories behind the crimes is that there’s a black market on human organs, and they target young women because they’re healthy, they haven’t developed bad habits yet that will have a negative impact on their organs. According to our sources, some of the bodies were found with their insides carved out of them. And since those bodies were all found near areas in the desert that are used as landing strips, the theory goes, those healthy hearts and livers and whatever else the human organ market needs get harvested fresh from the kill and taken away immediately on helicopters.”
– “That’s ridiculous. That requires a sterile environment at the very last.”

[8] “– Eso es más difícil, porque se necesita gente muy cualificada para llevar a cabo una intervención de este tipo, necesitas doctores, necesitas un equipo quirúrgico preparado, necesitas compatibilidad de sangres entre pacientes y donantes… en fin, una serie de cosas que desde luego no son fáciles de conjuntar y sincronizar.”

[9] “Yo había oído hablar de una secta vudú en Matamoros, relacionada con el tráfico de drogas hacia los Estados Unidos, a la que se le imputan de quince a veinte víctimas. El grupo, al parecer, practicaba vudú como forma de protección para su negocio. La impunidad se conseguía, según ellos, cocinando los sesos de la víctima, fritos previamente, con sangre, hierbas, patas de gallo y cabezas de cabra o tortuga. Se descubrió el pastel en cuanto agarraron a un gringuito como víctima. ¡Ni modo que los gringos se queden quietos con uno de los suyos (si es blanco)!”

[10] “cabaña, llena de velas negras, [que] tenía en su interior una tabla de 2 metros de alto por 1,50 de ancho, y contenía, entre otros, el diestro dibujo de un escorpión al que miraban tres mujeres desnudas, sentadas en bancos, a cuyo pie yacía otra mujer desnuda y maniatada. Mientras en el área superior un puñado de soldados asomaba detrás de unas plantas de marihuana”.

[11] “otra de las estaciones del infierno en las que pararon las víctimas”.

[12] “El feminicidio se consuma porque las autoridades omisas, negligentes o coludidas con agresores, ejercen sobre las mujeres violencia institucional al obstaculizar su acceso a la justicia y con ello contribuyen a la impunidad. El feminicidio conlleva la ruptura parcial del estado de derecho, ya que el Estado es incapaz de garantizar la vida de las mujeres, de respetar sus derechos humanos, de actuar con legalidad y hacerla respetar, de procurar y administrar justicia, y prevenir y erradicar la violencia que lo ocasiona. El feminicidio es un crimen de Estado.”

[13] “el Estado secundado por los grupos hegemónicos, refuerza el dominio patriarcal y sujeta a familiares de víctimas y a todas las mujeres a una inseguridad permanente e intensa, a través de un período continuo e ilimitado de impunidad y complicidades al no sancionar a los culpables y otorgar justicia a las víctimas”.

 

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Pour citer cet article

Nicolas Balutet, « Enquêtes sur le féminicide à Ciudad Juárez (Mexique) : les légendes urbaines chez Maud Tabachnik, Alicia Gaspar de Alba et Kama Gutier», RITA [en ligne], n°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019. Disponible en ligne: http://revue-rita.com/dossier-12/enquetes-sur-le-feminicide-a-ciudad-juarez-mexique-les-legendes-urbaines-chez-maud-tabachnik-alicia-gaspar-de-alba-et-kama-gutier-nicolas-balutet.html

A la guerra Americanas: questões de gênero e etnicidade nos retratos de Maria Quitéria de Jesus
Aux guerres américaines: questions de genre et d'identité raciale dans les portraits de Maria Quitéria de Jesus

 

Resumo
O artigo tem como objetos de análise os retratos de Maria Quitéria de Jesus, mulher que combateu tropas portuguesas na Guerra de Independência do Brasil. As obras foram produzidas por Augustus Earle em 1824 e por Domenico Failutti em 1920. Discutiremos os modos pelos quais essas imagens suscitam problemas de gênero e etnicidade na construção visual da nação brasileira.

Palavras-chave: Retratos; Formação nacional; Gênero; Etnicidade.

Résumé
Cet article a pour sujet les portraits de Maria Quitéria de Jesus, une femme qui a combattu les troupes portugaises dans la guerre d’indépendance du Brésil. Les œuvres datent de 1824 et 1920 et sont respectivement d’Augustus Earle et de Domenico Failutti. Nous chercherons à observer la manière dont ces images introduisent des problématiques de genre et d’ethnicité dans la construction des images de la nation brésilienne.

Mots-clé : Portraits ; Formation nationale ; Genre ; Identité raciale.


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Nathan Gomes

Mestrando em culturas e identidades brasileiras
Instituto de Estudos Brasileiros, Universidade de São Paulo (USP)

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A la guerra Americanas: questões de gênero e etnicidade nos retratos de Maria Quitéria de Jesus

A la guerra Americanas

Vamos con espadas crueles [1]

Salve os caboclos de julho

Quem foi de aço nos anos de chumbo

Brasil, chegou a vez

De ouvir as Marias, Mahins, Marielles, malês [2]

 

Introdução[3]

As disputas políticas em torno das independências das nações latino-americanas articularam uma economia visual baseada em pinturas, monumentos, emblemas, bandeiras e moedas que pudessem narrar os relatos fundacionais das nações americanas. Isso é o que Dawn Ades denominou de “imagística da Independência” (Ades, 1997: 7). Nesse caldo visual, a retratística se revela como um dos campos privilegiados para compreender as disputas pelo poder de narrar e de sedimentar os relatos nacionais. Eram os retratos que permitiam que os cidadãos evocassem os rostos dos seus heróis nacionais, num tipo de culto cívico em que “os santos foram substituídos pelos heróis e os mártires da fé pelos mártires da pátria”[4] (Vejo, 2001: 98). Assim como a pintura de história, cujo principal mecenas era o próprio Estado, os retratos dos heróis nacionais projetavam “as aspirações e ideais dos grupos sociais que controlam o aparato estatal, as aspirações e ideais do Estado moderno.” (Vejo, 2001: 104).

As imagens de mulheres e homens que se destacaram nas pelejas por emancipação política atuavam no sentido de encarnar os diferentes relatos nacionais em disputa. Assim, não era raro que, à ascensão de certa facção política, algumas figuras outrora em ostracismo emergissem como heróis nacionais (Ades, 1997: 21). Ou ainda que as representações se transmutassem a fim de corresponder aos diferentes projetos políticos concorrentes.

Tomemos como exemplos dois dos retratos de Dona Leopoldina, ambos produzidos nos anos 1920, que divergem acerca do papel político da imperatriz. Domenico Failutti a representou a partir de suas funções reprodutivas, isto é, como mãe dos herdeiros da coroa. Ladeada por seus cinco filhos (dos quais, as quatro meninas carregam consigo algo no colo, indicando seus incontornáveis destinos maternais). Por outro lado, o quadro de Georgina de Albuquerque destaca o protagonismo da arquiduquesa na Sessão do Conselho de Estado que antecedeu o chamado “Grito do Ipiranga”, proclamado por Dom Pedro em 7 de setembro de 1822. Fora do ambiente doméstico, a imperatriz discute com José Bonifácio e outros homens a situação política frente às pressões das Cortes de Lisboa. Esse quadro de Albuquerque é considerado a primeira pintura histórica realizada por uma mulher no Brasil (Simioni, 2002). É interessante notas como as efemérides do centenário da Independência articularam distintas (em certa medida, contraditórias) abordagens do relevo da imperatriz no processo que levou à emancipação política brasileira.

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Imagem 1: Dona Leopoldina e seus filhos. Domenico Failutti. Óleo sobre tela, 1921. 155 x 253,5 cm. Museu Paulista da Universidade de São Paulo, São Paulo.

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Imagem 2: Sessão do Conselho de Estado. Georgina de Albuquerque. Óleo sobre tela, 1922. 210 cm x 265 cm. Museu Histórico Nacional, Rio de Janeiro.

Será, portanto, no âmbito da história da arte que encontraremos as ferramentas metodológicas para, a partir da análise das obras, discutir a função dos retratos na construção dos relatos fundacionais das nações latino-americanas. Ainda que não possamos prescindir dos aspectos biográficos a respeito dos indivíduos retratados, interessa-nos investigar principalmente os variados modos de representação artística em disputa e sua relação com as dinâmicas sociais inerentes às sociedades americanas do século 19 e início do século 20. As diferenças substanciais entre as obras aqui abordadas, ao invés de embaçar nossas lentes de análise, permitem configurar uma leitura poliédrica, em que se evidenciam as contradições e os embates.

Ao longo deste artigo, analisaremos aspectos iconográficos da retratística nacional brasileira a partir dos estudos de gênero e de problemas de etnicidade e representação. De modo mais específico, serão nossos objetos de análise os retratos da combatente Maria Quitéria de Jesus, produzidos em 1823 por Augustus Earle e em 1920 por Domenico Failutti. As representações de Maria Quitéria, uma personagem destacada sobretudo na Bahia, onde viveu e se engajou politicamente, revelam um aspecto da iconografia brasileira bastante relevante em face da emergência da categoria gênero na historiografia da arte[5]. Por outro lado, o retrato de Quitéria permite também abordar uma discussão premente nas primeiras décadas do século 20, qual seja, a ideia de que a formação da sociedade brasileira se estrutura a partir de seu aspecto multirracial, “mestiço”. Veremos como a intenção de representar o aspecto popular da Independência no panteão de heróis nacionais encontrou amparo na “indianização” da combatente baiana.

I. Rostos à nação

A retratística, historicamente reservada aos membros do poder hegemônico, tem papel fundamental na disputa discursiva pela emancipação e construção nacionais. Como escreve Natalia Majluf, ainda que bandeiras, moedas e selos permitissem “a materialização tangível e efetiva de noções abstratas como a soberania e a autoridade estatal”, uma parte significativa da economia visual do período pós-Independência era composta de símbolos menos desencarnados. Era necessário dar rosto às nações recém-fundadas, isto é, corporificar certas ideias e projetos de nacionalidade. Nesse sentido, o retrato emergiu como um “elemento decisivo, talvez o mais complexo e ambíguo” na formação visual dos Estados latino-americanos (Majluf, 2013: 92-93).

No caso republicano, a efígie do rei precisava ser derrubada e, em seu lugar, serem entronados conceitos políticos modernos e despersonificados (soberania, autoridade estatal, Constituição). O caso brasileiro é interessante pelo fato de ter se formado um império sob os trópicos e, nesse sentido, a figura do rei não poderia ser derrubada. Pelo contrário. De fato, em termos simbólicos, Dom Pedro e o Brasil formavam uma espécie de torvelinho, em que “[u]m se faz gêmeo e análogo do outro”. É justamente “essa elaboração sígnica e simbólica do imperador [que] vai dando uma conotação do que é o Brasil” (Souza, 1999: 17-18). Ainda assim, é possível perceber o esforço empreendido para forjar uma iconografia de Dom Pedro que agregasse elementos da tradição visual europeia, própria dos retratos da realeza, àqueles associados à monarquia americana e constitucional.

A individualização dos relatos nacionais na forma de retrato, a sintetização de processos políticos em alguns rostos icônicos remonta ao próprio desenvolvimento da retratística na arte europeia. É como se verdadeiro espírito nacional pudesse se revelar nos aspectos faciais de alguns notórios cidadãos americanos. Daí encontrarmos, na documentação relativa às encomendas, debates sobre “a verdadeira efígie” dos heróis (Costa, 2009) (Costa, 2013).

Em termos amplos, os retratos que compõe a imagística da Independência foram produzidos a partir de matrizes visuais oriundas dos mais recônditos imaginários americanos: retratos reais, miniaturas, ex-votos, imagens marianas e de santos católicos, arte de viajantes, alegorias de todo tipo e cenas costrumbristas. “Esta obras envolvem tanto uma continuação quanto uma rejeição das tradições estabelecidas durante a época colonial” (Ades, 1997: 9). É possível perceber, por exemplo, certas reelaborações a partir da tradição popular, como as extensas legendas características dos ex-votos.

Ao longo do tempo, os retratos dos próceres da Independência foram adquirindo “um aspecto de imagem votiva, agora a serviço de um idealismo secular” (Ades, 1997: 12). Os museus nacionais, que surgiam pari passu à consolidação dos Estados, eram concebidos como “santuários laicos da nação” e suas coleções (compostas não apenas por retratos, mas também por objetos pessoais e documentos que pudessem “encarnar” os heróis) como relíquias veneráveis que poderiam mobilizar os mais altos sentimentos patrióticos (Costa, 2010: 73-74). Em verdade, mesmo as figurações não escaparam de todo da herança da arte cristã, dominante em todo o período colonial - e em franca decadência a partir do século 19 (Ades, 1997: 10-12) (Vejo, 2001: 93-98). O caráter votivo das imagens guardava ainda algo dos cultos marianos e, especialmente, das representações de martírio cristão (Berbara, 2015).

Como objetos de devoção cívica, os retratos participavam também de festividades e desfiles militares, emulando muitas vezes a presença física do líder. Iara Lis de Souza narra como os retratos de Dom Pedro tinham papel fundamental nas cerimônias de aclamação que, incentivadas pelo Império, ocorriam em todo o território nacional. A Vila de São Francisco de Sergipe do Conde, na então província da Bahia e não muito distante de onde Maria Quitéria nasceu, foi avisada da chegada do retrato do imperador “com estrondos de instrumentos bélicos e girândolas” (Souza, 1999: 260). O tenente-capitão Vasco de Brito e Souza, que abrigou o retrato em sua casa, registrou que a rua da Matriz

nunca se viu tão habitada de pessoas de um e outro sexo, e debaixo de tão brilhante ajuntamento, e festejo, se conduziu o Fiel Retrato do Nosso Augusto Imperador para a Casa do mesmo Tenente, onde encerrado, e com a devida Reverência, foi colocado em uma sala já disposta e armada com a decência possível para semelhante fim (Souza, 1999: 261).

Além dos retratos em óleo sobre tela em grandes formatos, há um segmento significativo dos retratos de heróis nacionais em miniaturas, litografias e daguerreótipos. As primeiras, bastante populares até a irrupção da fotografia, tornaram-se o modo favorito de representação tão logo vieram à tona na América Latina do final do século 18. Isso decorreu, essencialmente, em função de sua portabilidade e do baixo custo. Uma tendência que começou a declinar a partir da popularização do daguerreótipo na segunda metade do século 19 (Bretos, 2004: 153-158). Por sua vez, os retratos litografados, sobretudo aqueles publicados em livros de viagem, constituem um dos capítulos mais interessantes da história da iconografia latino-americana do século 19.

Em certos casos emblemáticos, como o de Miguel Hidalgo (Ades, 1997: 24), de José Artigas (Costa, 2013) e de Maria Quitéria de Jesus, foi em litografias que apareceram as primeiras representações visuais dos líderes e combatentes das Independências latino-americanas. Mas é preciso salientar que essas gravuras, e muitas outras que circularam na América no século 19, chegaram na América via Europa, onde havia tecnologia e artistas especializados. Mesmo quando havia litógrafos experientes, como era o caso de Charles Simon Pradier na Corte do Rio de Janeiro, os recursos técnicos ainda eram raros para se trabalhar até meados dos Oitocentos. Em todo caso, estampas, retratos, vistas, cenas alegóricas etc. eram comercializados pelo território desde antes da independência (Lee, 2017). O aspecto original desses primeiros retratos acabou levando estas obras ao centro de acalorados embates artísticos acerca do seu valor de verdade – ainda que em muitos casos os artistas não tenham sequer feito os retratos ao natural, isto é, com o modelo posando ao vivo.

A disputa pela efígie de José Artigas é um caso notável e que, ainda hoje, mobiliza os artistas uruguaios. Artigas en la puerta de la Ciudadela, quadro que Juan Manuel Blanes começou a pintar em 1884 e que não terminou até sua morte, em 1901, é o retrato mais famoso do herói. Blanes, além de outros artistas que vieram depois dele, dedicou boa parte da sua vida a imaginar o rosto de Artigas. Seu referente principal era uma gravura representando o perfil do herói aos oitenta anos, no momento de seu exílio no Paraguai. No entanto, o autor do retrato, o médico e naturalista francês Alfred Demersay, descreve-o no livro em que a efígie foi publicada como um “chefe de ladrões da mais formidável espécie”, dentre outras caracterizações negativas (Costa, 2013: 4).

É esse retrato que era considerada a imagem verdadeira de Artigas, a despeito das intenções claramente demeritórias do artista em relação ao retratado. No entanto, vale levantar aqui a questão de Laura Malosetti Costa: “que classe de verdade envolve essa imagem”? (Costa, 2013: 2). A partir dessa primeira e única imagem tirada ao natural, o Museu Histórico Nacional do Uruguai dedica uma de suas principais sala aos retratos póstumos e aos estudos de rosto do general Artigas produzidos em diferentes contextos e por diferentes artistas. Nesse caso, o esforço algo obsessivo de imaginar o rosto do herói jovem e idealizado está intimamente relacionado ao desejo de dar um corpo sensível à noção abstrata de nação uruguaia.

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Imagem 3: Artigas en la puerta de la ciudadela. Juan Manuel Blanes. Óleo sobre tela, c.1884. 182 x 119 cm. Museu Histórico Nacional do Uruguai, no depósito da Casa de Governo.

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Imagem 4: Artigas [detalhe]. Alfred Dermersay (desenho) e C. Sauvaget (litografia). Litografia sobre papel, 1865. 41 x 25 cm. Museu Histórico Nacional do Uruguai (Casa de Fructuoso Rivera).

O caso de Policarpa Salavarrieta, popularmente conhecida na Colômbia como La Pola é emblemático pela notória e rápida fortuna de suas representações visuais (Carrasco, 2012). Ela aparece, poucos anos após sua execução pelos espanhóis, em peças de teatro e na pintura - culminando, contemporaneamente, na telenovela. La Pola foi uma costureira que, pelo seu trânsito na casa de realistas, atuava também como espiã para os conspiradores da Nova Granada. Acabou sendo capturada, presa e condenada à morte. Apenas oito anos após sua execução, Salavarrieta aparece naquele que é considerado o seu primeiro retrato, Policarpa Salavarrieta marchando ao suplício (1825). Na pintura anônima, a heroína é conduzida ao estrado de madeira onde será colocada de joelhos, em praça pública e à vista de todos, para ser executada. Logo abaixo, foi escrita uma curta epígrafe, como em um ex-voto, prática comum na iconografia do período (Bretos, 2004: 32). Beatriz González chama atenção para o fato de esta obra ser “um claro antecedente da pintura de Fernando Botero” (González, 1996: 31), marcada pelas formas voluptuosas.

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Imagem 5: Policarpa Salavarrieta marchando ao suplício. Óleo sobre tela, c. 1825. 74,5 x 93,5 cm. Museu Nacional da Colômbia.

Ainda no contexto neogranadino, o óleo sobre tela que Pedro José Figueroa pintou em 1819, Simón Bolívar libertador e pai da pátria, é um retrato do herói como presidente da República. Foi presenteado ao próprio Bolívar na principal praça de Bogotá, após a batalha de Boyacá, em agosto daquele ano. Há um elemento fantasmático na obra que é indicativo das disputas políticas que se seguiam no período. Ao girar a tela noventa graus à direita, um pentimento[6] se revela na altura da coxa da alegoria da América que, no quadro, faz a vez de alegoria da pátria. Àquela altura, não estava claro qual desfecho que teria a batalha de Boyacá e o pintor, que trabalhava para o vice-reino restaurado, possivelmente estava executando uma encomenda para os realistas. Vê-se claramente que se trata de um rosto masculino, mas os autores divergem se seria o do general Pablo Morillo ou do rei Fernando VII. Qual um palimpsesto, o quadro que celebra Bolívar como libertador da Nova Granada guarda uma alusão direta ao poder espanhol (Chincagana-Boyana, 2011: 157-161). O retrato demonstra de modo muito claro que os embates políticos eram travados também sob a superfície das telas.

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Imagem 6: Bolívar libertador e pai da pátria. Pedro José Figueroa. Óleo sobre tela, 1819. 125 x 95 cm. Museu Quinta de Bolívar, Bogotá, Colômbia.

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Imagem 7: Detalhe de Bolívar libertador e pai da pátria. Pedro José Figueroa. Óleo sobre tela, 1819. Museu Quinta de Bolívar, Bogotá, Colômbia.

II. Mulheres e armas

“Acabo de receber o retrato que o sr. Earle, um jovem artista inglês brilhante, esteve pintando da Senhora Alerez [?], Dona Maria de Jesus." (Graham, 1824: 302). Maria Graham (1785-1842), nessa passagem de seu Journal of a voyage to Brazil and residence there, during part of the years 1821, 1822 and 1823, refere-se a um desenho que Augustus Earle produziu de Maria Quitéria no período em que a baiana esteve na Corte do Rio de Janeiro[7], onde ela aportou para receber a comenda da Imperial Ordem do Cruzeiro em 1823. Quitéria havia combatido os portugueses na chamada Guerra de Independência do Brasil na Bahia (1822-1823), após fugir de casa travestida como homem. Segundo o comandante José Joaquim de Lima e Silva, que relatou ao imperador as façanhas da baiana em ofício de 24 de julho de 1823, ela

ao grito da Pátria em perigo, desamparou seus Pais, assentou praça de Soldado, e pegou em armas para sua defesa. Esta mulher tem-se distinguido em toda a campanha com indizível valor, e intrepidez. Três vezes que entrou em combate apresentou feitos de grande heroísmo, avançando de uma, por dentro de um rio com água até os peitos, sobre uma barca, que batia renhidamente nossa Tropa. O General Labatut conferiu-lhe as honras de 1º Cadete, e como tal tem sido considerada no Batalhão nº 3 do Exército Pacificador. (Silva, 1823)

Maria Graham, que demonstra grande interesse por Quitéria em seu diário, encomendou um retrato da baiana a Augustus Earle, um artista inglês que morava no Rio de Janeiro desde 1820. Mais tarde, notabilizou-se por ser o artista da expedição do HMS Beagle, navio em que viajava o jovem Charles Darwin, e que trouxe Earle pela segunda vez ao Brasil em 1832 (Martins, 2001: 126-127). A obra brasileira de Earle é composta, sobretudo, de aquarelas de cenas construmbristas, paisagens e alguns retratos e autorretratos. O artista, que frequentou informalmente as aulas da Royal Academy de Londres, é também autor da imagem que estampa o frontispício do livro de Graham, representando um mercado de africanos escravizados no Rio de Janeiro. Tanto essa cena urbana, quanto o retrato de Maria Quitéria foram gravados posteriormente por Edward Finden em Londres. Infelizmente, não há informações precisas sobre a localização do original do retrato publicado no livro. Conhecemos apenas um esboço representando o busto da heroína e que é, possivelmente, a obra citada textualmente por Graham no Diário.

O retrato que foi efetivamente publicado representa Maria Quitéria de pé, fardada e segurando o cano de um mosquete. O cabelo cortado bem curto emoldura seu rosto em três quartos de perfil. Alguns chumaços cacheados escapam do capacete, um possível indício de feminilidade na figura. Ela sorri vagamente, olhando para seu interlocutor de viés. É uma mulher branca com as maçãs do rosto ruborizadas. O rosto sereno contrasta com os soldados ao fundo que combatem inimigos dos quais vemos apenas as silhuetas. Em seu peito esquerdo, ostenta a insígnia da Imperial Ordem do Cruzeiro, que havia recebido do imperador dias antes da feitura do retrato[8]. Sua pose e aspecto plácido guardam algo do motivo dos anjos com espingarda, bastante recorrente na Escola Cusquenha de pintura do século 17. Além disso, sua atitude expressa algo das representações de tipos humanos muito comuns na produção de viajantes e também nos manuais militares da época.

A saia quadriculada, possivelmente feita de camelão (Reis Jr., 1953: 47), um tecido de pelo de cabra ou lã impermeável, cai por cima da calça branca. É de se notar a estampa que destoa da austeridade dos padrões militares, denotando certo grau de improviso na composição da farda. O sutil balançar da barra do saiote empresta algum movimento a Quitéria, que está um tanto inerte, além de destacar a saia na composição. É difícil precisar historicamente em que condições a saia apareceu no fardamento. Há especulações de que se tratou de uma imposição do comando militar ou mesmo de uma escolha deliberada da combatente. Ainda que as fontes consultadas nesta pesquisa, especialmente o livro de Graham (1824), não amparem qualquer uma das hipóteses, seus biógrafos tentam preencher essa lacuna de informações recorrendo a fatos sem comprovação documental (Vesentini, 1979). Sobretudo baseado no diário de Maria Graham, o que é possível afirmar é que, após fugir travestida de casa sob a identidade de José Medeiros (nome do cunhado), Maria Quitéria se alistou como homem no Batalhão dos Periquitos, que estava estacionado na cidade de Cachoeira. É bastante provável que a saia tenha aparecido a partir do momento em que o disfarce masculino foi desmanchado.

A saia cumpria a função de revelar a identidade de gênero de Quitéria, a despeito da conveniência de se combater com tal peça de roupa. O uniforme é, assim, um modo de regular a performance de gênero de Maria Quitéria. Isto é, como combatente, não bastaria que Maria Quitéria vestisse a farda do Batalhão dos Periquitos tal qual seus companheiros homens, era necessário identificá-la através desse figurino de mulher.

A ideia de figurino deriva do conceito butleriano de que o sujeito faz seu gênero através de “atos performativos”. Judith Butler, baseada na fenomenologia e nas teorias da performance e da representação, descreve como a identidade de gênero constitui-se como uma repetição estilizada de atos performativos, isto é, “o modo mundano como os gestos corporais, os movimentos, e as encenações de vários tipos constituem a ilusão de um eu permanentemente definido pelo gênero” (Butler, 2011: 70). Os atos são conformados por normas que ditam como deve ser interpretado o gênero o qual cada corpo é designado a performar. Ao longo do tempo, a sedimentação dessas normas “tem produzido um conjunto de estilos corpóreos, os quais, de uma forma reificada, surgem como configuração natural de corpos em sexos que existem numa relação binária com o outro.” (Butler, 2011: 77).

As possibilidades de transformação desse regime normativo residem num tipo de repetição diferente dos atos, “na quebra ou repetição subversiva desse estilo” (Butler, 2011: 70). Sendo um sistema de regulação fundamentalmente punitivo, a performatização de atos disruptivos está sujeita a sanções sociais que visam a corrigir a performance do sujeito. Ainda assim, “[h]á contextos e convenções sociais nos quais certos atos não só se tornam possíveis como também concebíveis enquanto atos. A transformação das relações sociais torna-se, então, uma questão de transformar as condições sociais hegemônicas, e não os atos individuais que são gerados por essas condições.” (Butler, 2011: 79).

De fato, Maria Quitéria, ao fugir de casa para lutar na guerra, certamente subverteu o encadeamento das peças que constituiriam a sua existência enquanto mulher. Mas sua ação isolada não foi capaz, por exemplo, de ampliar o acesso das mulheres às Forças Armadas brasileiras naquele momento. Dessa forma, a guerra aparece como um contexto historicamente possível de se performar o gênero feminino de modo radicalmente distinto do regime normativo. De fato, segundo Linda Nochlin, o caso da “mulher guerreira” é “o exemplo mais extremo de um ser feminino como agente autônomo do seu próprio destino” (Nochlin, 1999: 35).

Em termos visuais, o caráter disruptivo reside no fato de Maria Quitéria estar representada como uma guerreira. Como tal, os marcadores de gênero indicariam para uma performance do gênero masculino (a calça, a arma, a guerra). Mas a saia torna inequívoca a interpretação de que essa figura se trata de uma mulher. Essa peça da indumentária pode ser entendida então como uma punição no sentido butleriano, uma tentativa de corrigir o desvio de ordem performativa. Isso fica mais claro ao contrapormos a imagem de Quitéria com o retrato equestre de Madame de Saint-Balmont, pintado em 1643 por Claude Deruet. Para Nochlin, este quadro dissolve o paradoxo da mulher guerreira ao apresentar uma figura perfeitamente travestida, cujos elementos iconológicos principais ocultam os significantes de feminilidade. A saia de Quitéria, ao manifestar o aspecto feminino, serve como uma espécie de velamento corretivo do aspecto subversivo da sua performance de gênero.

Mesmo a arma poderia ser lida como elemento performativo de subversão. Maria Graham escreveu que Quitéria aprendera em casa a atirar para caçar e se defender dos “índios selvagens” (Graham, 1824: 292). Havia nisso, é claro, um componente de classe que fazia com que Maria Quitéria, filha de um fazendeiro que produzia algodão e criava gado no Recôncavo baiano, tivesse acesso e soubesse manejar a armas de fogo. Nesse caso, empunhar um mosquete não se apresentaria em si mesmo como um ato diferenciado das convenções que a caracterizariam como mulher. O que chama atenção é função pública da arma como um elemento central na representação de uma mulher do século 19.

De ponto de vista da teoria butleriana, o que parece mais significativo em Maria Quitéria é a função da arma em suas mãos, que passa de uma dimensão privada (caçar e se defender) para estar a serviço da política (a Guerra de Independência). Ou seja, é o fato de atuar armada no espaço da guerra, compreendida aqui como esfera pública, que é disruptiva do ponto de vista da construção de gênero. No retrato anônimo e sem data de Juana Azurduy, líder de guerrilheiros que lutavam pela Independência do vice-reino do Rio da Prata, a espada aparece discretamente – vemos apenas sua empunhadura. No quadro, pertencente ao Museu Histórico Nacional da Argentina, o sentido bélico é muito mais evidente pela farda e pelas condecorações do que exatamente pelo fato da figura estar armada. Note-se que, no monumento a Juana Azurduy em Buenos Aires, ao ser representada em posição de combate, a espada ganhou uma proeminência que não há no retrato.

O sentido bélico também aparece no fundo do retrato, em que ocorrem duas cenas alusivas às batalhas travadas no Recôncavo. Em um plano intermediário, veem-se três figuras fardadas como a baiana (à exceção da saia, evidentemente) surgirem em meio à fumaceira dos disparos – todos empunham armas. Mais ao fundo, à beira da praia, duas outras figuras emparedam três pequenas silhuetas humanas, no que parece ser um fuzilamento. A paisagem é construída a fim de montar um quadro tropical genérico, típico na arte de viajantes. A vegetação é formada, sobretudo, por palmeiras que ocupam distintos planos no retrato, de modo a acompanhar a sinuosidade da faixa de praia que se estende por trás da figura em primeiro plano. O fundo tipicamente tropical ajuda o observador europeu (o livro foi publicado na Inglaterra) a situar geograficamente Maria Quitéria no “Novo Mundo”.

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Imagem 8: Dona Maria de Jesus. Augustus Earle (desenho) e Edward Finden (litografia). Litografia e aquarela, 1824. 25 x 19.2 cm. Coleção Anne S. K. Brown da Biblioteca da Universidade Brown, Providence, Estados Unidos.

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Imagem 9: Uma soldada da América do Sul. Augustus Earle. Aquarela, 1823. 17 x 13 cm. Coleção Rex Nan Kivell da Biblioteca Nacional da Austrália, Canberra.      

III. Uma imagem do povo

O retrato de Augustus Earle foi levado à tela pelo artista italiano Domenico Failutti em 1920, sob encomenda do diretor do Museu Paulista de São Paulo, Affonso Taunay. O retrato havia sido comissionado como parte do projeto decorativo que Taunay empreendeu com vistas a comemorar o centenário da Independência do Brasil em 1922. A obra estava destinada ao prestigioso Salão de Honra, que abrigaria outros retratos dos chamados “vultos da Independência” ladeando o famoso quadro de Pedro Américo, Independência ou morte! (1888), que estava ali instalado desde 1890. Failutti também foi encarregado de outros dois retratos femininos ligados à emancipação política brasileira: o da abadessa Joana Angélica, mártir da Independência que foi abatida pelos portugueses na porta do convento que dirigia em Salvador, Bahia; e o de Dona Leopoldina, primeira imperatriz do Império do Brasil.

O projeto narrativo de Affonso Taunay para remodelar o Museu Paulista, que passaria de um museu eminentemente de história natural para um de história nacional, pressupunha uma série de encomendas de grandes retratos e monumentos. O ponto é que o projeto de Taunay pressupunha uma visão historiográfica positivista em que o documento reinava soberano (Brefe, 1999: 60) (Anhezini, 2002-2003). O diretor, que também era historiador, acreditava que se se valesse de fontes visuais consideradas “fidedignas”, poderia produzir obras que seriam, ao mesmo tempo, verdadeiros documentos históricos (Brefe, 2002-2003: 91). Nessa perspectiva, as questões próprias do campo da imagem seriam rebaixadas ao nível do meramente documental.

Esse ponto de vista teria levado, inclusive, à recusa de artistas egressos da Escola Nacional de Belas-Artes, como Rodolfo Amoedo, em participar da empreitada, conforme atesta a troca de missivas entre o artista e Taunay (Simioni, Lima Jr., 2018: 39). A indicação de Failutti, por sua vez, teria partido do próprio presidente do estado de São Paulo, Washington Luís (Taunay, 1926: 692). No caso do retrato de Maria Quitéria, a matriz escolhida por Taunay foi justamente a gravura de Augustus Earle publicada no livro de Maria Graham, conforme escreveu em um relatório ao então secretário do interior: “reproduziu o Cav. Failutti, em pintura a óleo, a tão conhecida e popular gravura de Miss Graham (sic) representando a heroína baiana da Campanha da Independência, Maria Quitéria de Jesus” (Taunay, 1926: 733). É importante salientar que é bastante provável que a gravura utilizada como base não fosse uma das coloridas (ou “iluminadas”, como chamavam à época) por Edward Finden, como a que reproduzimos neste artigo, mas umas das impressões em preto e branco que também circulavam no período.

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Imagem 10: Maria Quitéria de Jesus. Domenico Failutti. Óleo sobre tela, 1920. 155 x 253,5 cm. Museu Paulista da Universidade de São Paulo, São Paulo.

Assim como no caso de Artigas, a perspectiva de Taunay era de que a estampa representaria Maria Quitéria de forma verdadeira, numa relação de transparência com o real. O dado curioso é que Failutti alterou significativamente a composição do rosto em comparação com a retrato de Earle, possivelmente seguindo as recomendações de Taunay. Como nota Carlos Lima Jr., o pintor italiano intensificou aspectos faciais tidos como mais femininos (Taunay, 2016: 134). Do nosso ponto de vista, a mudança substancial diz respeito aos fenótipos que demarcam etnicamente a figura. Assim, os olhos, mais negros e profundos, adquirem um formato achatado. O nariz está mais proeminente e destacado. Os lábios, outrora finos e discretos, se avolumam e destacam-se pela cor enrubescida que contrasta com a pele. Esta foi colorida com um tom acobreado, próximo àquele característico dos indígenas. Em síntese, verificamos mais nitidamente o que Maria Graham definiu, ao descrever Quitéria, como “as mais acentuadas características dos índios”. É preciso que se registre que a própria inglesa afirma que a mãe e o pai eram ambos portugueses, mas mesmo assim vê traços indígenas especialmente nos olhos e na testa (Graham, 1824: 292).

Taunay certamente leu e interpretou como verossímil a passagem do diário de Graham a respeito da fisionomia de Quitéria, que a caracteriza com aspecto de pessoa indígena. Mas, como já foi dito, não é possível afirmar que o diretor do museu tivesse consciência dos retratos coloridos. É de se supor que houvesse creditado à palavra de Graham o valor de verdade que tanto buscava em suas fontes para os quadros. Essas transformações evidenciam as intenções de Taunay em colorir o Salão Nobre com tons “mais populares”. Dito de outro modo, o esforço parece ter sido em caracterizar uma figura essencialmente brasileira, isto é, de aspecto mestiço, ainda que inclinado para o fenótipo nativo. Dessa forma, Taunay fazia estar presente uma única figura não-branca entre os retratos do Salão de Honra e uma das raras mulheres.

A respeito da opção por “indianizar” Maria Quitéria, Carlos Lima Jr. aventa a possibilidade de o diretor supor uma pele queimada pelo sol forte da Bahia, o que traria verossimilhança à representação, em contraste com a pele alva de Dona Leopoldina, cujo retrato compõe a mesma galeria do museu (Lima Jr., 2016: 134). Outra hipótese seria a de que, consciente ou não, a escolha de Taunay recuperava o movimento indianista que instrumentalizou a figura do indígena como emblema nacional brasileiro no século 19. Dessa vertente, herdamos clássicos da literatura brasileira como os romances de José de Alencar, O guarani (1857) e Iracema (1865). Além de quadros célebres como O último tamoio (1893) de Rodolfo Amoedo e Iracema (1884) de José Maria Medeiros.

Paralela à vertente indianista na arte brasileira, em boa parte da América Latina houve a proliferação de imagens que relacionavam às nações recém-fundadas às imagens derivadas dos povos originários do território, notadamente através de alegorias da América (Chincagana-Boyana, 2011: 166). Se no período colonial, grosso modo, essas imagens representavam, junto às da África, uma exótica, primitiva e inferior porção do globo terrestre, a partir de certo momento, passaram a servir à auto-referência dos povos americanos, suavizando-se o sentindo pejorativo de que eram anteriormente imbuídas (Chincagana-Boyana, 2011: 147-150). É possível afirmar que esse modelo tão vastamente difundido opera, ainda que subterraneamente, na representação de Maria Quitéria. Podemos também aproximar a análise de um modelo visual bastante próximo ao imaginário independentista na Bahia, que gira em torno da adesão popular na campanha de libertação. Os símbolos da participação dos baianos na guerra, desde as primeiras décadas após a Independência, são as figuras de dois caboclos que saem às ruas de Salvador no desfile cívico de Dois de Julho, data em que a Bahia comemora a Independência do Brasil (Kraay, 1999; 2003).

As esculturas dos chamados Caboclos de Julho apresentam características comuns às alegorias da América que foram descritas no tratado Iconologia, publicado em 1613 por Cesare Ripa, especialmente a figura masculina. O italiano defendia que as representações da América deveriam seguir os seguintes preceitos: uma mulher nua, de pele escura, ornada de plumas coloridas e armada com arco e flechas. Sob seus pés, deveria estar representada uma cabeça humana flechada, demonstrando a natureza canibal dos povos americanos, e um lagarto de tamanho desmesurado (Ripa, 2002: 108-109). No caso baiano, a escultura do Caboclo, que desfila desde a década de 1820, segura com uma mão uma lança apontada para o dragão sob seus pés, que representa a tirania portuguesa, e com a outra a bandeira do Brasil. O teor belicoso da figura masculina teria impulsionado na década de 1840 o surgimento da Cabocla, uma imagem mais apaziguada, que atua como porta-bandeiras (Kraay, 1999: 60).

É possível que Taunay conhecesse ao menos os relatos do tradicional desfile dos Caboclos de Julho em Salvador. Essas esculturas já desfilavam pelas ruas da cidade há cem anos quando o quadro foi pintado e seguem, até hoje, incorporadas à tradição cívica (e religiosa, em certa medida) baiana. O fato é que o diretor do museu se interessava pelo desenrolar do processo da Independência na Bahia e mantinha diálogo com o intelectual baiano Teodoro Sampaio sobre isso. Na missiva que o diretor recebeu em São Paulo, a 30 de setembro de 1919, Sampaio fez questão de destacar a “variedade de tipos e raças” das tropas brasileiras na Guerra de Independência na Bahia, compostas por “levas de sertanejos”, “alguns índios [...] armados de arco e flecha” e “negros dos engenhos d’açúcar”, em suma, eram “os mais variados aspectos com referência à população nacional” envolvidos na campanha (Sampaio, 1919). Maria Quitéria representada de modo próximo aos indígenas possibilitaria, assim, uma imagem de heroísmo que emerge do povo, demonstrando que, ainda que profundamente elitista, a Independência do Brasil era também uma aspiração popular. Ainda assim, é sintomático que seja essa a única figura que não é branca no Salão de Honra e apenas a segunda feminina.

É interessante notar outros dois aspectos alterados entre a gravura de Earle e a pintura de Failutti. O primeiro diz respeito ao apaziguamento das cenas bélicas, traço que estava em consonância com o projeto decorativo de Taunay para o Salão Nobre após 1920 (Lima Jr., 2016: 133). São eliminadas as cenas de guerra que Augustus Earle havia incutido nos planos ulteriores da imagem, fazendo referência à atuação bélica de Maria Quitéria, já evidenciada na sua indumentária militar e na arma que ostenta apoiada no chão. A outra mudança diz respeito à natureza da paisagem, que se torna algo idílica e sem qualquer outra presença humana. A praia ornada de palmeiras ao fundo dá lugar aqui à vastidão exuberante do Recôncavo baiano, em que se vê correr um rio em direção ao horizonte. Seguindo o relato de Maria Graham, poderia ser o rio do Peixe, que atravessava a fazenda do pai de Quitéria. Ou ainda o notório rio Paraguaçu, que margeia a cidade de Cachoeira e remete ao local para onde Maria Quitéria fugiu e se apresentou travestida de homem para lutar.

Considerações finais

          A análise da iconografia relacionada aos mitos de origem das nações latino-americanas oferece chaves importantes para refletir sobre as implicações das imagens nos embates em torno dos projetos nacionais. Os retratos, fundamentalmente, estavam implicados no esforço de corporificar determinadas narrativas que elegeram homens e (algumas poucas) mulheres como próceres da Independência. Os retratos ganharam assim status privilegiado nas galerias de panteões nacionais. Não raro, os retratos de heróis eram os centros de debates artísticos na esfera pública. Produzidas em contextos os mais distintos – e adversos, em vários casos –, essas imagens foram sendo imbuídas de certo aspecto devocional, como objetos de um culto cívico (em que os museus seriam os templos por excelência).

É certo que outros modelos visuais também agiram sobre a produção dos retratos de heróis e heroínas. No caso de Maria Quitéria, lançamos mão de metodologias transdisciplinares, como os estudos de gênero, para montar uma análise iconográfica a partir da noção de gênero como encadeamento arbitrário de atos performativos. A partir disso, problematizamos como determinados elementos reforçam o caráter subversivo da figura da mulher guerreira.

A representação étnica de Maria Quitéria, originalmente como uma mulher branca no século 19, mas descrita com os “mais acentuados traços dos índios” (Graham, 1824: 292) na literatura de viagem, permaneceu um problema até o início do século 20, quando se comemorou o primeiro centenário da Independência do Brasil. O pintor, Domenico Failutti, valeu-se naquele momento da palavra de Maria Graham, num esforço de fazer sobressair tons mais populares na galeria de próceres do Museu Paulista. O retrato de Quitéria passou a ser, assim, o único a representar uma figura que destoa da branquitude hegemônica naquele panteão. O argumento para a ideia de que uma “indianização” da retratada traria o povo para dentro do Salão de Honra foi embasado, fundamentalmente, na herança visual das alegorias da América, que desembocou nas esculturas de Caboclos da Independência, que desfilam anualmente em Salvador na data cívica de 2 de julho. Essas figuras são, elas próprias, alegorias da participação popular na Guerra de Independência na Bahia, da qual Maria Quitéria é um dos grandes personagens.

 

Notas de fim

[1] Trecho do panfleto publicado em 1812, no México, sob o título de Llamado a las mujeres a luchar por la Independencia. Ainda que anônimo, é comumente atribuído a Josefa Ortiz de Domínguez. Mulher de posses, atuou como informante dos conspiradores, como Miguel Hidalgo. O que levou-lhe a ficar presa por longos períodos em conventos da Nova Espanha. Após a conquista da Independência, continuou a manter atividades políticas (Prado, 1999). Seu retrato anônimo e sem data compõe o acervo do Museu Nacional de História do México.

[2] Estrofe de Histórias para ninar gente grande, samba-enredo da Estação Primeira de Mangueira, que venceu o desfile das escolas de samba do Rio de Janeiro em 2019. A composição é de Deivid Domênico, Tomaz Miranda, Mama, Marcio Bola, Ronie Oliveira e Danilo Firmino.

[3] Este trabalho é dedicado à memória de Marielle Franco.

O autor agradece a Marcelo Campos, Leila Dazinger, Vera Beatriz Siqueira, Lucas Feres, Weder Ferreira e Carlos Lima Jr. pelas diversas contribuições ao longo da pesquisa.

[4] A partir daqui, as traduções do espanhol e do inglês são do próprio autor.

[5] Ver Nochlin, 1999, Pollock, 2003 e Reiman; Sáenz, 2007.

[6] Pentimento equivale a um sinônimo para “arrependimento” e se refere a uma alteração na composição de um quadro que já estava sendo pintado. Ele pode ser revelado através da restauração, luz infravermelha, raio X etc., mas, nesse caso, nota-se a olho nu.

[7] Possivelmente isso ocorreu entre 29 de agosto, quando Graham conheceu Maria Quitéria, e 24 de setembro de 1823, no dia em que isso foi registrado em Journal of a voyage to Brazil.

[8] Note-se que a insígnia representada na gravura diverge daquela projetada por Jean-Baptiste Debret em 1822 (Bandeira; Lago, 2007: 355).

 

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Pour citer cet article

Nathan Gomes, « A la guerra Americanas: Questões de gênero e etnicidade nos retratos de Maria Quitéria de Jesus », RITA [en ligne], N°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019. Disponible en ligne http://revue-rita.com/notes-de-recherche-12/a-la-guerra-americanas-questoes-de-genero-e-etnicidade-nos-retratos-de-maria-quiteria-de-jesus-nathan-gomes.html

Entre burocracias de calle y poblaciones asistidas. Mediaciones practicadas por beneficiarias de programas sociales
Between street bureaucracies and assisted populations. Mediations practiced by women beneficiaries of social programs

 

Resumen
En muchos países de América Latina, en la década de los noventa, comenzaron a implementarse programas sociales orientados a la reducción/contención de la pobreza. En estos programas las mujeres desempeñaron una multiplicidad de roles: como titulares de beneficios o como responsables de las condicionalidades, entre otros. A través del análisis de estudios de caso, el artículo describe cómo en Argentina las mujeres pobres entablan relaciones con otras poblaciones asistidas y con las agencias locales del Estado. Como resultado de estos vínculos, algunas de estas mujeres se convierten en interlocutoras directas de las burocracias estatales -especialmente de las “burocracias de calle”-, desarrollando tareas que, aunque exceden ampliamente lo normativamente dispuesto en cada programa, hacen a la gestión cotidiana de las políticas asistenciales. El costo que afrontan estas mujeres por la mediación que ofician (“poner la cara” en las ventanillas de atención frente a otros beneficiarios, el establecimiento de las lógicas de merecimiento) es elevado, pero las hace también portadoras de un saber práctico administrativo que es clave para entender cómo se concreta la política social a nivel local.

Palabras clave: Género; Política social asistencial; Burocracias de calle; Estado.

Abstract
In the 1990s, many Latin American countries began to implement targeted social programs aimed at poverty reduction/containment. In these programs, women played a multiplicity of roles: as benefit holders or responsible for many duties (conditionalities), among others. Through the analysis of case studies, this paper describes how in Argentina poor women establish relations with other assisted populations and with local agencies of the State. As a result of these bonds, some of these women become direct interlocutors of State bureaucracies -especially of “street level bureaucracies”- developing tasks that, though widely exceeding the normative terms of each program, play an important part in the day-to-day management of social policies. The cost faced by women involved in these particular tasks (“putting a face” on the windows of attention in front of other benefit holders, the establishment of logics of merit) is high, but it also makes them carriers of a practical knowledge that is a key to understanding how social policy takes form at the local level.

Key words: Gender; Social programs; Street-level bureaucracies; State.

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Carla Zibecchi

Doctora en Ciencias Sociales de la Universidad de Buenos Aires (UBA-Argentina), Socióloga.

Investigadora del Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas (CONICET) y del Centro de Investigaciones en Políticas Sociales Urbanas de la Universidad Tres de Febrero (CEIPSU- UNTREF). Profesora de la Universidad de Buenos Aires.

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Entre burocracias de calle y poblaciones asistidas. Mediaciones practicadas por beneficiarias de programas sociales

 

Introducción

          En América Latina la dinámica de asistencialización de la población comienza en la década del ochenta, a partir de numerosos y variados esquemas de programas sociales focalizados: programas alimentarios, becas escolares y diversas instancias de apoyo a los hogares con niños/as a su cargo. Finalizando la década de los noventa, comienzan a implementarse -más o menos aceleradamente en todos los países de la región- los programas de transferencias condicionadas de ingresos (PTC)[1], que entre sus objetivos se proponen reducir la pobreza a partir de una transferencia monetaria de manera condicionada, aumentar el número de niños/as que asisten a la escuela y/o mejorar las condiciones de salud (Valencia Lomelí, 2008)[2]. En todos los casos, estos programas asistenciales están dirigidos a los llamados grupos-meta o población objetivo y en ellos las mujeres han desempeñado diversos papeles en su condición de madres: como titulares del beneficio, responsables de las condicionalidades, jefas de hogar y líderes comunitarias, entre otras.

La participación de las mujeres en los programas sociales asistenciales abrió un campo de indagación importante en América Latina, que permitió estudiar el fenómeno desde diversas aristas. Como destacamos en otro trabajo (Zibecchi y Paura, 2017), los estudios de género y las investigaciones feministas –todas ellas desde diversas disciplinas y horizontes epistemológicos- contribuyeron en términos teóricos y metodológicos al análisis de estos dispositivos de intervención estatal. En consecuencia, existe una cuantiosa producción bibliográfica que se ocupó de analizar el diseño, los marcos normativos y la propuesta programática de los programas sociales asistenciales –en particular, de los PTC-, las concepciones de género y el lugar protagónico que desempeñan las mujeres pobres en el “éxito” de los mismos[3]. En particular, las investigaciones destacan que las condicionalidades en salud y educación -como característica central y definitoria de los PTC- tienen importantes implicaciones en la vida de las mujeres como principales responsables del cuidado de las personas dependientes y en el uso del tiempo que demandan estas tareas (Serrano, 2005; Arriagada y Mathivet, 2007). También se ha señalado que los PTC podrían estar generando una “trampa” en la inactividad desestimulando -en un contexto de pocas o nulas oportunidades laborales-, la búsqueda de empleo por parte de las mujeres (Pautassi, 2004; Rodríguez Enríquez, 2012). Al mismo tiempo, existen estudios que han constatado una mayor participación femenina en el espacio público a partir de estas políticas, cierta autonomía financiera obtenida a través del ingreso e importantes implicancias subjetivas en su población destinataria (Zibecchi, 2013, Daeren, 2004, Molyneux, 2007). El artículo que aquí se presenta se ha apoyado en los aportes de esta producción bibliográfica –y otros que serán retomados más adelante- lo cual ha permitido situar nuestro objeto de indagación y, al mismo tiempo, reconocer algunas particularidades de estos dispositivos desde la perspectiva de género.

Sin embargo, nuestra atención se concentra en examinar cómo las mujeres pobres establecen relaciones con otras poblaciones asistidas (población objetivo) y con las agencias locales del Estado y sus burocracias, a través de los papeles asignados por los programas sociales asistenciales. La hipótesis que nos guía es que, como resultado de estos vínculos, algunas mujeres se convierten en interlocutoras directas de las burocracias estatales –especialmente de las “burocracias de calle” desarrollando tareas que, aunque exceden ampliamente lo normativamente dispuesto en cada programa, hacen a la gestión cotidiana de las políticas asistenciales. Lipsky (1980) alude con el término “burocracias de calle” a diversos agentes (maestros, policías, jueces, trabajadores sociales) que ocupan un lugar decisivo en la re-hechura de las políticas públicas y en la definición de la experiencia de gobierno. En la vida interna de los programas asistenciales, estas burocracias establecen relaciones e intercambios cotidianos –de cooperación, de conflicto con poblaciones que se caracterizan por ser mujeres y pobres: las referentes de organizaciones territoriales, beneficiarias de programas sociales, entre otras.

Nuestra indagación se centra en Argentina que –al igual que otros países de América Latina- atravesó un proceso de casi treinta años de implementación de programas sociales asistenciales. Los datos analizados provienen de investigaciones cualitativas y las técnicas de construcción de datos han sido la observación participante de espacios de interacción entre agentes estatales y mujeres asistidas, entrevistas a informantes clave –en especial agentes estatales vinculados con la gestión cotidiana de los programas- y, principalmente, entrevistas en profundidad a beneficiarias, privilegiando el punto de vista de ellas como protagonistas de todo este proceso[4]. En primer lugar, nos basaremos en el caso de las mujeres beneficiarias del Plan Jefes y Jefas de Hogar y del Programa Familias –dos PTC emblemáticos de Argentina- que efectuaban su contraprestación en organizaciones territoriales y en instituciones estatales (oficinas, escuelas, centros de salud) ubicadas en la Región Metropolitana de Buenos Aires (RMBA)[5]. El segundo caso se centra en un programa asistencial de otra naturaleza, el programa alimentario Plan Más Vida, y en las actividades diarias que realizan las trabajadoras vecinales voluntarias (“manzaneras” o “comadres”) en sus propios hogares como espacio de reunión en los barrios, muchas de ellas también beneficiarias de los PTC anteriormente mencionados[6].

I. Las prácticas relacionales de las mujeres pobres con el Estado: actuar en los márgenes de los programas

          Algunos estudios señalan que, más allá de los alcances limitados que han tenido los programas en la región, hay que destacar que han puesto a las mujeres en una posición relacional con las instituciones estatales que antes no existía como tal (Rodríguez Enríquez, 2012). Este punto de interés requiere retomar algunos de los desarrollos analíticos de los estudios de género y feministas en cuanto han sido una clave para interpretar la acción estatal y los modos bajo los cuales se ha relacionado históricamente el Estado con las mujeres. Estos estudios habilitaron el reconocimiento de que las relaciones históricas que han establecido las mujeres con el Estado son distintas debido a que, en mayor medida, dependen del Estado benefactor en su condición de: empleadas, beneficiarias, clientas y consumidoras de servicios estatales (Lefaucheur, 1993; Bock, 1993; Molyneux, 2001), donde un atributo central reside en su condición de madres y cuidadoras, con las particularidades tuvo esta relación en cada país o región. Así, cada programa, política o servicio -con supuestos ideológicos y culturales institucionalizados- estructuran y “dan forma” a las relaciones de género (Orloff, 1999), al mismo tiempo que ciertos supuestos ideológicos y culturales de género son reforzados desde las políticas sociales que enfatizan las visiones maternalistas, señalando a la maternidad como el único destino que deberían privilegiar las mujeres pobres (Molyneux, 2007). En América Latina, por ejemplo, este énfasis de la maternidad a través la implementación de PTC ha dado lugar a lo que otros autores llaman el “maternalismo en el acceso a los servicios sociales”: los servicios sociales estatales se orientan a atender mujeres en función de su papel reproductivo o de cuidados (Martínez Franzoni y Voorend, 2008).

Ahora bien, la relación cotidiana de las mujeres con las burocracias estatales requiere, en función de nuestro punto de interés, una particular atención por lo menos en dos sentidos. A un nivel teórico podemos decir que, lejos de constituirse como actores neutros e impersonales, las burocracias estatales emplean símbolos culturales para relacionarse con la población que recibe ayuda social y establecen criterios acerca del modo en que se interpretan necesidades, demandas y quiénes son merecedores de asistencia. Como destaca Ana Laura Rodríguez Gustá (2014) -siguiendo a Goodwin (1997)- algunas corrientes dentro de las teorías feministas del Estado han examinado las interacciones entre actores públicos y poblaciones destinatarias de los programas sociales, destacando particularidades de esta relación: las burocracias responsables por las intervenciones sociales no son meras “poleas de transmisión” de construcciones culturales sino que tienen interpretaciones específicas sobre el papel normativamente asignado a mujeres y varones. Del mismo modo, las teorías feministas del Estado han efectuado importantes aportes al considerar la existencia de ciertos patrones de interpretación estatal de las necesidades asistenciales y la toma de decisión cotidiana que atraviesa la vida interna de las burocracias asistenciales (Haney, 2002), destacando que estos patrones no tienen solo una dimensión ideológica –“ideas en la cabeza de la gente” sino también concreta, en tanto constituyen actos administrativos, decisiones operativas y prácticas efectivas en donde se definen y redefinen los alcances de las políticas sociales (Fraser, 1991; Haney, 1998). En este sentido, partir de una concepción del Estado como un conjunto de aparatos y prácticas heterogéneo y contradictorio en su interior, también nos habilita a retomar el concepto de negociación de las interpretaciones que los agentes estatales hacen de las definiciones programáticas de los diversos dispositivos de intervención estatal, de las interacciones y de las necesidades de la población meta (Haney, 2002).

En un plano fáctico y empírico, entonces, observamos que estas burocracias interactúan cotidianamente con mujeres, en tanto son: mayoría en la población pobre, principales demandantes de subsidios y servicios estatales, encargadas del cuidado de sus familias y conocedoras de sus necesidades en relación con los servicios sociales, para nombrar algunos aspectos que explican el hecho que los encuentros cotidianos del Estado con “los pobres” tiene una dimensión de género que ocupa un lugar central.

A la luz de estos aportes nos interesa en este artículo describir ciertas experiencias a través de las cuales las mujeres median entre “burócratas de calle” y otras poblaciones asistidas. Siguiendo el análisis de Schijman y Laé (2010), planteamos que existe en torno a estos dispositivos de intervención estatal un trabajo invisible y mal reconocido no sólo porque aparece como “banal” y cotidiano -desde los propios patrones de interpretación que elaboran las burocracias estatales-, sino también porque está disperso entre las fronteras de lo público y lo privado, escondido atrás de ciertas sociabilidades que se consideran como saberes naturales e innatos del ser “mujer y madre”. Sin embargo, este trabajo incluye saberes prácticos administrativos complejos que son aprendidos -bajo un alto costo para las mujeres pobres- que permite relacionar a las agencias estatales con los hogares pobres. En función de tal propósito, nos centraremos en ilustrar algunas escenas que permiten hacer inteligibles estas actividades y los saberes prácticos administrativos que las acompañan.

II. Comunicar, censar y capacitar

         En la Argentina, la crisis de 2001-2003 marca un punto de inflexión en las formas de intervenir frente a la pobreza (Paura y Zibecchi, 2018). En un contexto de crisis económica[7], alta desocupación, elevados niveles de pobreza e indigencia e inestabilidad político institucional, se implementó el Plan Jefes y Jefas de Hogar Desocupados (PJJHD): se trataba de una transferencia monetaria de suma fija, destinada a jefes o jefas de hogar desocupados con hijos de hasta dieciocho años de edad o discapacitados de cualquier edad, o a hogares en los que la jefa de hogar o la cónyuge, concubina o cohabitante del jefe estuviera en estado de gravidez. Cabe destacar su amplia cobertura -como otra particularidad que lo distancia de los programas asistenciales precedentes- con cerca de 2 millones de beneficiarios en todo el país y una muy alta presencia de mujeres desde sus comienzos (casi un 70%)[8]. El Plan se propuso incorporar a los/as beneficiarios/as a proyectos productivos o servicios comunitarios –entre otras modalidades- bajo la modalidad de “contraprestación”.

Años después, en el período 2005-2006 se implementó el Programa Familias para la Inclusión Social estableciendo, nuevamente, la entrega de una transferencia monetaria a familias en situación de pobreza, con hijos/as menores de 19 años, cuya recepción estaba condicionada a la atención del cuidado de los/as niños/as, la permanencia de estos últimos en el sistema educativo (cumplimiento de las condicionalidades) y la realización de acciones de promoción familiar y comunitaria. Este nuevo dispositivo designa a las madres como responsables del cobro del beneficio y el cumplimiento de las condicionalidades.

Con el propósito de describir los modos bajo los cuales las mujeres pobres cumplían con las contraprestaciones requeridas en los programas, a continuación presentamos el caso de Paulina, una joven madre beneficiaria del primer de los PTC implementado en Argentina (el PJJHD). Su actividad consistió en colaborar con los técnicos municipales inscribiendo a otros beneficiarios, recibiendo la documentación, siendo la cara visible del PJJHD en las ventanillas del Estado en el contexto de la crisis 2001-2003. Tal primer experiencia es contada por ella como muy dolorosa, debido a las historias que escuchaba de los potenciales beneficiarios y por la imposibilidad de poder seguir inscribiendo luego de la fecha límite del cierre del plan[9]. Según lo analizado en Zibecchi (2019) podemos encontrar una experiencia significativa en el relato que transmite Paulina. Atender en las ventanillas del Estado en el contexto de la crisis no fue tarea fácil para ningún “burócrata de calle”. Sin embargo, lo singular de esta experiencia es que Paulina realizaba las mismas tareas, en el mismo lugar (ventanilla), siendo una beneficiaria del PJJHD. Al igual que muchos beneficiarios de planes y trabajadores del Estado nada sabía acerca de la fecha límite de inscripción, en consecuencia recuerda con mucho dolor informar acerca de la imposibilidad de seguir anotando “para el plan”. Otra singularidad de su experiencia reside en que ella conocía a muchos beneficiarios y a sus historias, no sólo por escucharlos, sino por “ser del barrio”. A diferencia de los “burócratas de calle” que “bajan” a los barrios para acercase a los destinatarios de los programas, ella “trabajaba en la zona donde vivía” conocía las historias de sus vecinos, sus penurias económicas y sus necesidades.

Al cerrarse el período de inscripción del PJJHD, Paulina es convocada para realizar otras tareas en la ventanilla del Estado, esto es, informar a otros beneficiarios sobre las fechas de pago del subsidio. Según su testimonio, esto es “poner la cara” en la ventanilla para informar una fecha de cobro –muchas veces, incierta- y, además, recibir una demanda permanente:

“era junio, ¡y eran los reclamos de la gente que no salía beneficiaria del plan y se había anotado en un primer momento y no salía beneficiada! Eran motivos por desorden administrativo, nosotros juntábamos planillas y poníamos la documentación adentro, y no es un sistema muy seguro... se traspapelaba... aparte las personas encargadas de cargar los datos era gente beneficiaria del plan y algunos eran gente capacitada, pero otros no, no eran gente capacitada, muy alto el nivel de error....y yo tenía que atender a toda esa gente... Porque ellos me hacían poner la cara a mí.... […] yo laburaba un montón: laburaba de lunes a viernes, sabía todo lo de Jefes y Jefas, sabía todo de los beneficiarios, lo que vos me preguntabas, yo lo sabía....” (citado en Zibecchi, 2019).

Podemos encontrar otras experiencias bajo la órbita del mismo programa y en el mismo contexto de crisis. Lorena, por ejemplo, se desempeñó en su barrio como promotora en salud y realizó otras actividades vinculadas a la implementación del PJJHD y, luego, del Programa Familias. En su relato se observa la lógica de mediación que realiza entre el Estado y otras poblaciones: capacita, realiza actividades en promoción en salud, censa familias. Tareas que son resignificadas por ella considerándolas como una vocación y el encuentro de “una oportunidad”. Ahora bien, ¿a qué se debe tan intensa valoración? ¿Por qué consideran que las contraprestaciones laborales que les asignan las burocracias estatales son una oportunidad y lo mejor que les pasó en la vida? Precisamente porque estas experiencias parecen ser un punto de inflexión en sus propias historias. Al igual que muchas beneficiarias del PJJHD y del Plan Familias la trayectoria laboral de Lorena se caracteriza por realizar trabajos informales y precarios (el servicio doméstico aparece como el recurso de mayor importancia en las trayectorias, seguido por el trabajo en fábricas como operarias y la venta informal). Como se observa en su relato, su vivencia no parece estar enlazada a un pasado mejor, pues, las sensaciones de caída social, de pérdida, no constituyen los núcleos de su experiencia vital. De allí que este trabajo de colaboración con las burocracias parece guardar otro significado.

“bueno termina el PEL [Programa de Emergencia Laboral][10] y vamos a la capacitación en prevención de enfermedades que nos la dan médicos, enfermeros… […] en distintas temáticas: diabetes, HIV, planificación familiar […] ¡Esto nos fascino! ¡Nos hizo sentir que podíamos dar al otro, ayudarlo con una prevención! ¡Y nos fascino sobre todo la planificación familiar! Porque casi todas las mamás, somos de más de 4 o 5 hijos, entonces, cuando nos hizo el “clic” es como que comprendimos lo de poder buscar un hijo, la felicidad de esperarlo… muchas cosas que no teníamos en claro por estar viviendo otro momento de nuestras vidas… bueno nos gustó tanto que empezamos a trabajar fuertemente con esto… trabajábamos como promotoras de salud en la sala, se trabajó mucho con la parte de epidemiología también, y después de esto nosotras elegimos trabajar fuertemente con planificación familiar y en prevención del HIV […] siempre con el acompañamiento de varias trabajadoras sociales del municipio del área de salud […] bueno trabajamos un tiempo más en esto y llega el tiempo del Programa Familias […] me dan la oportunidad de hacer el censo para el Familias, […] en algunas cosas nos ponían para poder ganar un poco de dinero nosotras como asistentes de talleres, cuando hubo talleres del Familias para las condicionalidades […] siempre nos dieron oportunidad, siempre nos dieron libertad, me he encontrado con gente maravillosa de verdad, que nos dejó crecer, que creyó en nosotros que eso es lo más importante.” (citado en Zibecchi, 2019).

Gran parte de la vida diaria de estas mujeres transcurre a través de una intensa interacción con las burocracias asistenciales: para tramitar un certificado, para acceder un programa. Al mismo tiempo, realizan actividades colaborativas con estas burocracias: capacitaciones, talleres para que otras mujeres puedan cumplir con las condicionalidades impuestas, censan familias para que ingresen a programas, colaboran en el llenado de formularios, entre otras acciones que permiten concretar la política social asistencial a nivel local. Si hay algo que une las experiencias transcriptas es que podemos observar a través de ellas cómo el accionar de estas mujeres permite relacionar a las agencias estatales con los hogares pobres, las familias y elaborar una interpretación de las necesidades (Fraser, 1991) de las poblaciones asistidas.

Más allá de la intensa valoración que encontramos en estas actividades en colaboración con las burocracias -al punto tal de considerarlas el encuentro “de una vocación”, una oportunidad-, las mismas son centrales para la gestión cotidiana de estos programas. Las actividades que realizan exceden ampliamente la letra oficial de los programas, pero constituyen una base para el funcionamiento y la vida interna de los programas: inscriben, controlan documentación, censan poblaciones, “ponen la cara” en las ventanillas, reúnen y capacitan, sin recibir ningún tipo de reconocimiento social y monetario más que la propia transferencia del subsidio (condicionado). Como destaca Cookson (2018), encontramos las tensiones que se producen entre las condicionalidades impuestas y la inclusión social que se proponen en la retórica de estos programas, tensiones que conllevan “costos ocultos” (hidden costs) para las madres pobres.

III. Distribuir, conseguir turnos, reunir y controlar

         En el año 1994, el Consejo Provincial de la Familia y Desarrollo Humano de la provincia de Buenos Aires creó a través de un plan alimentario (Plan Vida, luego denominado Plan Más Vida) una estructura de mujeres voluntarias trabajadoras vecinales (denominadas “manzaneras” y “comadres”) destinadas a articular, entre el Consejo y la población objetivo, una serie de acciones sociales para combatir la desnutrición infantil. En los primeros años del programa la trabajadora vecinal recibía la leche en su domicilio y éste era el lugar de abastecimiento y distribución de la zona. Con el correr del tiempo esto fue modificado y las familias reciben hoy una tarjeta para comprar esta mercadería. Actualmente, el plan depende del Ministerio de Desarrollo Social del Gobierno de la provincia de Buenos Aires, su objetivo y población meta se mantiene y las trabajadoras vecinales continúan cumpliendo un rol central en la “detección, orientación, asesoramiento, contención y acompañamiento de las familias”[11].

Nos interesa presentar algunos elementos que aparecen de forma recurrente en las experiencias de las mujeres beneficiarias de los programas. Como podrá verse a continuación, las “manzaneras” y “comadres” ocupan un lugar central en la mediación entre poblaciones asistidas y “burocracias de calle” (por caso, médicos, enfermeras). A través de estas experiencias podemos apreciar cómo se ubican entre los solapamientos de programas y, en consecuencia, entre condicionalidades, contraprestaciones y requisitos de distintos programas estatales: como trabajadoras vecinales realizan su tarea activa de gestión del Plan Más Vida y reciben a cambio un PTC.

Por otra parte, estas prácticas se ubican en la frontera de lo público y lo privado, ya que frente a los ojos de las beneficiarias directas encarnan la figura de lo público y del Estado, con toda la complejidad que reviste que sujetos privados (las vecinas: “manzanera”, “comadre”) resuelvan asuntos de interés público (recepción, distribución de leche, seguimiento de los controles de salud), construyendo una escena de negociación que lidia con los universos privados de las familias (a qué hora se levantan para ir a buscar la leche o que las madres “no se queden dormidas”, entre otros).

Nancy es “manzanera” y, a su vez, ha sido beneficiaria del Plan Servicios Comunitarios, el PJJHD y el Programa Familias. Es decir, además de efectuar el trabajo -no remunerado y voluntario- de trabajadora vecinal del Plan Más Vida, ha sido beneficiaria de tres programas asistenciales de manera consecutiva. Nancy se manifiesta explícitamente en términos de que ella, en su barrio, ha “renacido”. Indudablemente, su llegada al barrio se encuentra relacionada con un acontecimiento que marca un punto de inflexión en su vida: la invitan a ser parte del Plan Más Vida, lo cual la habilita para acceder luego a los demás PTC. Nancy efectúa en tanto “manzanera” tareas que exceden la entrega diaria de leche: cuenta que las reuniones, muy a menudo, son realizadas en su casa y que “cuando se necesita gente” viaja y participa activamente de eventos del partido justicialista bonaerense, y también en un comedor liderado por una referente[12] barrial que responde al partido peronista:

“Y hasta que vine al barrio es cuando yo…es como que renazco, digamos. Porque cuando estuve con el papá de los chicos [ex marido] era muy apagada siempre dependía de él cuando vine acá al barrio es como que hubiera renacido, cuando me pusieron de manzanera empecé a desenvolverme…me sentía más útil, a ser más yo…a sentir…a valorarme yo misma por lo que, una mujer y tenía derecho a poder decir yo lo que quería y lo que no quería, no como cuando vivía con el papá de los chicos que me sentía muy presionada [actividad como manzanera] yo siempre fui a las reuniones, ponía mi casa, y repartía leche…y bueno si hay que ir a eventos o viajes que, viste: a veces piden gente, yo acompaño […]. Ya te digo porque me gusta hacerlo y me siento satisfecha con la gente y con colaborar, me siento bien, siento que la gente me necesita. Yo misma como cuando no tengo la leche, siento que me falta algo y ya es un trabajo que quiero hacerlo, me siento bien hacerlo [relación con los destinatarios] yo soy manzanera y veo…tengo muchas dificultades con la gente […] yo a veces hablo con las mamás y les digo ¿por qué no vienen un día a retirar la leche? […] yo les hablo, les dije varias veces, hice varias reuniones, que respeten el horario de la leche…”

El segundo relato corresponde a una “comadre” del Plan Vida y también ex beneficiaria del PJJHD y del Plan Familias. Las “comadres” tenían bajo su control ocho manzanas y sus funciones formales eran detectar precozmente a las embarazadas, confeccionar listas de beneficiarias, contactar a las beneficiarias con los centros de salud locales, acompañar a las mujeres en el cumplimiento de los controles durante el embarazo y el puerperio (Zaremberg, 2000). Al igual que en el caso de las “manzaneras”, las “comadres” no cobran por su trabajo realizado y podían percibir un PTC que frecuentemente era habilitado por la red de relaciones en las cuales estas mujeres ya estaban insertas.

“En este momento estoy participando en el Plan Vida que estoy como comadre. Soy la que hace todos los papeles los ingresos de los chicos de las embarazadas todo eso toda la parte de papeles […] Porque yo me muevo por todos lados… no me quedo quieta, voy a todos lados, no me quedo quieta y me eligieron por eso […] Voy a todas las reuniones, charlas, a la salita de primero auxilios y si puedo ayudar a algún chico que necesita algún turno voy se lo saco y eso.

E: ¿El seguimiento este que me decías que les haces a las embarazadas ¿a quién se lo reportas?

Al médico de la sala… ellos están informados y ellos tienen un listado de los chicos que nacieron y de las embarazadas le hacen el seguimiento el obstetra… si ellas dejan de ir a un control y eso ellos mandan a avisar que por qué no va la embarazada al médico al control o porque se cambió a otro lado y eso […] Yo voy a la casa de la embarazada y averiguo por qué motivo no va y lo reporto al médico.”

Siendo importantes referentes de la vida barrial –“no me quedo quieta, me eligieron por eso” y sintiéndose reconocidas –“me siento satisfecha con la gente y con colaborar”-, “manzaneras” y “comadres” también enfrentan tensiones a la hora de realizar una interpretación de necesidades (Fraser, 1991, Haney, 1998), como así también de los comportamientos de otras mujeres pobres y beneficiarias como ellas (“que no se queden dormidas”, “que cumplan con el horario”, “saber por qué no van al médico”). Como destaca Masson (2004), en los hechos las “manzaneras” no sólo recibían alimentos en su domicilio, sino que también seleccionaban a los beneficiarios, constituyéndose en referentes centrales (Masson, 2004). En ese sentido, también la investigación de Cravino y otras autoras (Cravino, et al., 2002) observa que los criterios de atribución utilizados por ellas es el de “mayor necesidad”, evaluado “caso por caso”. De esta manera, las trabajadoras toman decisiones complejas a nivel simbólico desde tipificaciones cotidianas, redefiniendo, a partir de criterios de justicia implícitos, la letra oficial del plan y su lógica de focalización.

Conclusión

        En este escrito se consideró como ejemplos de “programas de lucha contra la pobreza” dos PTC de importante envergadura (PJJHD y Familias) y un plan alimentario emblemático (Plan Más Vida) y se observó cómo ambos tipos de programas necesitan de la incorporación de las mujeres-madres como “piedra angular” para su funcionamiento y el consiguiente logro de los objetivos principales (Molyneux, 2007), siendo la participación permanente de las mujeres pobres el principal medio para sostener el “éxito” de los mismos. Ciertamente, parte de lo que emerge de la investigación cualitativa que constituye la base de este artículo, es que el trabajo cotidiano e invisible que realizan las mujeres resulta mucho más complejo y arduo que lo que imponen los aspectos programáticos y la normativa en relación al cumplimiento de las condicionalidades y las contraprestaciones, entre otros aspectos.

En los diversos escenarios de interacción, las mujeres en calidad de mediadoras tienen relación cara a cara con maestros, médicos, trabajadores sociales, y otras las poblaciones destinatarias generando nuevas formas de sociabilidad, es decir, se constituyen en agentes de trámites de problemas sociales y colaboran en la formación local del Estado. Como señala Lipsky (1980), a través de la interacción cotidiana entre los pobres y los “burócratas de calle”, el Estado da lecciones políticas y contribuye a crear expectativas. Como vimos, ellas son las transmisoras de un mensaje y comunican información: la posibilidad de una vacante, de un turno, un control médico.

Problematizar cómo el Estado reinterpreta necesidades y sujetos del bienestar restringiendo las posibilidades de acceso a los derechos de destinatarios/as de protección social también implica prestar particular atención a cómo las políticas sociales tienen tanto efectos habilitantes como limitantes en la vida de sus destinatarias (Haney, 2002). A través de las escenas pudimos observar cómo esta nueva posición relacional lograda por las mujeres esconde un alto costo emocional vinculado a su trabajo cotidiano en torno a los programas (“poner la cara” en las ventanillas de atención frente a otros beneficiarios, el establecimiento de las lógicas de merecimiento). Sin embargo, también registramos que estas actividades las hace portadoras de un saber práctico administrativo que es clave para entender cómo se concreta la política social a nivel local, actividades que son cotidianas, subrepticias y silenciosas pero constantes (Schijman y Laé, 2010).

Los programas asistenciales despliegan tecnologías y saberes que se articulan íntimamente con ideologías de género y de clase (Haney, 1998, 2002). A las mujeres, los nuevos roles asumidos les permiten desarrollar saberes prácticos que están presentes en las formas cotidianas de negociación de las condiciones y las equivalencias de los intercambios que establecen con otros actores de lo local. Por ejemplo, Lorena encontró su “vocación” como promotora, Nancy como trabajadora vecinal se siente “satisfecha con la gente y con colaborar”, estos significados cobran un importante protagonismo en el quehacer cotidiano que las mujeres llevan adelante porque les permite evaluar lo que aprendieron y recibieron con lo que dan en términos de intercambios. En otro trabajo (Zibecchi, 2013) también dimos cuenta de cómo las mujeres beneficiarias “rotaban” en diversos espacios para cumplir con la contraprestación escapando de malos tratos de parte de referentes barriales, “burocracias de calle”, entre otros actores, cuando ellas consideraban que su trabajo no era valorado o no se las trataba como “ellas lo merecían”. En consecuencia, estos saberes prácticos-administrativos de los que las mujeres se saben portadoras, constituyen una dimensión de análisis que puede problematizar cuestiones vinculadas con los términos de equivalencias de los intercambios[13] que se producen entre estas mujeres y otros actores del mundo social vinculado a “los planes”, intercambios que siempre son negociados y que involucran nociones de lo justo y lo injusto, formando parte de la compleja relación del Estado y su “clientela” femenina.

 

Notas de fin

[1] CCT según las siglas en inglés de Conditional Cash Transfers.

[2] Entre ellos se encuentran: “Programa Familias” y “Plan Jefes y Jefas de Hogar” (Argentina), “Bolsa Familia” (Brasil), “Familias en Acción” (Colombia), “Programa de Transferencias Monetarias Condicionadas” (Costa Rica), “Puente-Chile Solidario” (Chile), “Bono de Desarrollo Humano” (Ecuador), “Red Solidaria” (Salvador”), “Programa de Asignación Familiar” (Honduras), “Programme of Advancement through Health and Education” (Jamaica), “Oportunidades” (México), “Red Oportunidades” (Panamá), Red de “Promoción y Protección Social” (Paraguay), “Juntos” (Perú), “Solidaridad” y “Plan Nacional de Emergencia Social” (Uruguay).

[3] Para el caso del Programa “Puente” de Chile (Tabusch, 2010); “Juntos” de Perú (Cookson, 2018); Juancito Pinto de Bolivia (Nagels, 2016), entre otros.

[4] El modo de acceso a las entrevistadas ha sido el de “bola de nieve” y la elaboración de un muestreo intencional, a través del cual un grupo inicial de entrevistadas identificaron a otras personas que pertenecen a la población meta de interés. Se buscó en los relevamientos mantener cierta heterogeneidad de casos particularmente centrada en la diversidad de lugares dónde efectuaban la contraprestación. Se trabajó en base a una guía de observación que permitió conocer el entorno en el cual se efectuaban las contraprestaciones de las beneficiarias y una guía de entrevista en profundidad no estructurada. Se entrevistaron 35 mujeres beneficiarias de programas residentes en la región RMBA y 15 burócratas de la gestión de programas sociales (en especial, técnicos/as de los programas). Tanto las entrevistas y observaciones fueron realizadas durante el período 2003-2009 que fue el momento en el cual en la Argentina se implementaron los PTC, a partir del año 2009 los mismos fueron reemplazados por la Asignación Universal por Hijo para la Inclusión Social

[5] Con el nombre Región Metropolitana de Buenos Aires se conoce a la región de la provincia de Buenos Aires que rodea a la Capital Federal y constituye el principal aglomerado urbano del país.

[6] El trabajo que aquí se presenta formó parte de los proyectos: “Género y Programas Sociales: un abordaje desde el punto de vista de las beneficiarias” y “Las organizaciones sociales y comunitarias proveedoras de cuidado y su vínculo con las políticas sociales. Un análisis desde las trayectorias de las cuidadoras” llevados adelante por la autora en el marco de su labor de investigación para el Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas (CONICET) de Argentina durante los períodos 2003-2009 y 2011-2015 respectivamente.

[7] Se trató de la crisis institucional, política y económica más importante de la historia Argentina luego de una recesión económica de casi 5 años. La pobreza de ingresos se incrementó del 35,4 % al 49,7% entre octubre de 2001 y mayo de 2002 para la RMBA–. La desocupación –para el conjunto de los aglomerados urbanos alcanzó en mayo de 2002 al 21,5% de la población activa (datos del Instituto Nacional de Estadísticas y Censos).

[8] Según datos de la Encuesta Permanente de Hogares del Instituto Nacional de Estadísticas y Censos de la Argentina, para el 2002 se estimaba una presencia mayoritaria de jefas de hogar (68%), en edades reproductivas (35 años promedio) y con mayor nivel de instrucción que los varones. La presencia mayoritaria de mujeres –en relación con los varones–se acentuó con el correr del tiempo, para el año 2005 superaba el 71%.

[9] En Argentina, los potenciales beneficiarios debieron inscribirse con anterioridad al 17 de mayo de 2002, fecha límite para acceder al beneficio. La vigencia de esta última restricción imposibilitó formalmente la incorporación de nuevos beneficiarios.

[10] El PEL fue un programa de empleo transitorio para personas desocupadas mayores de 18 años, y preferentemente jefe o jefa de hogar, que proponía obras o servicios a la comunidad. Se implementó en la Argentina durante el período 2000-2002, antes del PJJHD.

[11] El programa sigue vigente y, pese a algunas modificaciones con el correr de los años como la implementación de una tarjeta alimentaria, sigue destinado a mujeres embarazadas y familias con niños con edades comprendidas entre los 0 a 6 años. Para mayor información véase: https://www.gba.gob.ar/desarrollosocial (consultado en septiembre de 2018).

[12] Con el término referente barrial se denomina a los/as principales animadores de las organizaciones territoriales que tienen relación directa y cotidiana con los vecinos y, al mismo tiempo, trabajan con y para algún candidato, movimiento social o línea partidaria, movilizando las bases y reclutando votantes. Parte de la literatura científica también lo denomina “punteros” (Vommaro y Quirós, 2011).

[13] La noción de intercambio ha sido investigada desde distintas perspectivas y enfoques epistemológicos en los trabajos sobre clientelismo (Vommaro y Combes, 2016). Nos interesa particularmente rescatar aquellas investigaciones que intentan aprehender el fenómeno desde el punto de vista de los actores locales y que incorporan el “cálculo moral” como noción que define el valor de las cosas y los sentimientos intercambiados porque, en las relaciones políticas personalizadas, el “cómo” es tan importante como el “cuánto” (Vommaro y Combes, 2016; Vommaro y Quiróz, 2011).

 

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Pour citer cet article

Carla Zibecchi, "Entre burocracias de calle y poblaciones asistidas. Mediaciones practicadas por beneficiarias de programas sociales", RITA [en ligne], n°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019. Disponible en ligne: http://revue-rita.com/dossier-12/entre-burocracias-de-calle-y-poblaciones-asistidas-mediaciones-practicadas-por-beneficiarias-de-programas-sociales-carla-zibecchi.html

De victimes à « défenseures » : pratiques de résistance des femmes autochtones « défenseures des droits humains » au Guatemala
De victimas a « defensoras»: practicas de resistencia de mujeres indígenas «defensoras de derechos humanos» en Guatemala

 

Résumé
Cet article propose un éclairage sur la manière dont des femmes autochtones mayas, garifunas et xinkas « défenseures de droits humains » au Guatemala mobilisent des pratiques de résistance, qui passent par la réparation émotionnelle, telle que la sanación, comme actions politiques de transformation sociale. Il compte analyser les ressors individuels de la mobilisation collective des femmes autochtones dans le cadre de la pratique de sanación, processus qui a pour objectif de guérir les traumatismes des femmes par la récupération des pratiques ancestrales et par l’interprétation de l’histoire d’oppressions vécues. Cet article est le fruit d’un travail de recherche en cours de réalisation, recourant à la méthodologie de l’ethnographie collaborative avec un mouvement de femmes autochtones mayas, garifunas et xinkas.

Mots clés : Résistances; Femmes autochtones; Sanación; Guatemala.

 

Resumen
Este artículo propone estudiar la manera en que las mujeres indígenas mayas, garífunas y xinkas “defensoras de derechos humanos” en Guatemala, movilizan estrategias de resistencia, que pasan por la reparación emocional, como la sanación, considerándola como acciones políticas de transformación social. Se quiere analizar los recursos individuales de la movilización colectiva de las mujeres indígenas como parte de la práctica de sanación, un proceso con el objetivo de curar los traumas de las mujeres a través de la recuperación de las prácticas ancestrales y la interpretación de la historia de opresiones vividas. Este artículo es el resultado de un trabajo de investigación en curso que utiliza la metodología de la etnografía colaborativa con un movimiento de mujeres indígenas “defensoras de derechos humanos” mayas, garifunas y xinkas.

Palabras clave: Resistencias; Mujeres indígenas; Sanación; Guatemala.

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Sofia Dagna

Doctorante en anthropologie
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Laboratoire d’Anthropologie des Institutions et Organisations Sociales.

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De victimes à « défenseures » : pratiques de résistance des femmes autochtones « défenseures des droits humains » au Guatemala

 

Introduction

        Le Guatemala est un pays structuré par des systèmes d’oppressions multiples : de genre, de race et de classe (Falquet, 2016). Ces systèmes, imbriqués les uns dans les autres, se manifestent par un continuum[1] de violences (Cockburn, 2004) qui touche en particulier les femmes autochtones[2] et qui caractérise historiquement les relations de pouvoir au sein de la société. Entre 1960 et 1996, le pays a connu un conflit armé interne au cours duquel l’armée a commis des actes de génocide contre les peuples autochtones[3]. Ces derniers représentent au Guatemala 62% de la population, parmi lesquels 51% sont des femmes (CEPAL, 2013), sur un total de 15,6 millions de personnes (Encuestas nacional de condiciones de vida, 2016). On dénombre officiellement vingt-trois peuples autochtones : vingt-et-un peuples mayas[4], garifuna et xinka. Ils ont un niveau de pauvreté très élevé, en 2011, selon les statistiques officielles du gouvernement, 22,2% de la population autochtone était en situation « d’extrême pauvreté » contre 7,4% de la population non-autochtone dite ladina[5] (Encuestas nacional de condiciones de vida, 2016).

Cet article explore certaines pratiques de résistance d’un mouvement national, le Movimiento de Mujeres Indigenas Tz’ununija’ (MMITZ), regroupant des femmes autochtones mayas, garifunas et xinkas, qui s’autodéfinissent alternativement comme « défenseures des droits humains » ou défenseures communautaires (defensoras comunitarias) selon les espaces qu’elles investissent. Le MMITZ a été constitué dans les années 2000, par plus de quatre-vingt organisations communautaires de femmes autochtones. Il articule diverses actions de ces organisations locales. Dans le milieu des mouvements de femmes autochtones au Guatemala, le MMITZ se distingue par sa stratégie politique centrée sur l’accès à la justice. Pour lutter contre leur invisibilisation - causée par l’imbrication des structures d’oppressions (Curiel, 2007 ; Bastos et Cumes 2007), le mouvement organise des actions politiques et investie l’espace public. Outre des activités de plaidoyer auprès des institutions nationales, internationales et des autorités locales, les femmes du mouvement se forment et pratiquent l’accompagnement juridique et psychosocial (sanación) de celles victimes de violences. Les accompagnatrices, membres des organisations qui composent le mouvement, sont choisies à la fois sur des bases pratiques (notamment leur disponibilité) et en fonction du statut et du prestige social dont elles peuvent bénéficier au sein de leur organisation locale[6]. Les femmes autochtones du MMITZ cherchent à produire leurs propres analyses et à générer leurs propres conceptions du droit, dans une démarche de revendication identitaire, en tant qu’actrices et en déployant des pratiques de résistance non-violentes.

L’analyse présentée ici interroge les ressorts individuels de la mobilisation collective des femmes autochtones. Il s’agit notamment d’étudier comment et dans quels espaces les ressentis des expériences individuelles de violence sont partagés, réappropriés puis réinterprétés collectivement, à partir d’une lecture des cosmovisions et des histoires autochtones. Cette réinterprétation collective du vécu constitue une des bases du militantisme des membres du mouvement et de leurs actions politiques. La condition de victime de violence des femmes n'est cependant pas un élément suffisant pour comprendre le passage à la mobilisation. Parmi d’autres pratiques, comme l’organisation d’ateliers de formation juridique, les militantes de l’organisation réalisent un processus de sanación, que cet article prend pour objet[7], pour soigner les violences, s'en libérer et ainsi pouvoir se mobiliser. Au cœur de ce processus se trouve l’identification des causes structurelles des violences qu’elles subissent – le racisme, le sexisme et la domination de classe qui imprègnent l’ensemble de la société guatémaltèque – et des propositions concrètes de modes d’action collective. La sanación, bien que ce soit une pratique répandue et employée par d’autres associations au Guatemala (notamment Mujeres Mayas Kaqla) est ici utilisée dans une dimension plus politique, afin de promouvoir la transformation sociale et l’action collective.

C’est par l’intermédiaire du travail politique, mené au cours de ces séances, que des femmes victimes de violences et membres de l’association, se reconnaissent comme « défenseures des droits humains ». Le propos de l’article rend compte des mécanismes d’appropriation et de politisation de cette identification. Ce processus se produit lors de son importation par les femmes depuis les espaces de la coopération internationale vers le contexte guatémaltèque, notamment dans le cadre de leurs interactions avec les représentants des systèmes de justice locaux.

Cette étude repose sur des observations réalisées pendant des ateliers de sanación observés dans la capitale Ciudad de Guatemala, dans le Quiché (nord-ouest), à Livingston (est) et à Santa Rosa (sud-ouest) entre mars et décembre 2018. Cette même année, vingt-trois entretiens semi-dirigés ont été réalisés avec des femmes mayas k'iche', ch'orti', q'eqchi', garifunas et xinkas. Les interrogées ont entre dix-huit et soixante ans et sont, pour la plupart, travailleuses domestiques, vendeuses ou travailleuses saisonnières (notamment dans les plantations de café). Une majorité (quinze sur vingt-trois) vivent seules avec, en moyenne, quatre enfants. Toutes sont membres d'une organisation de femmes pratiquant l'accompagnement juridique des femmes victimes des violences et sont impliquées dans des mouvements de résistance autochtones. Deux d’entre elles, xinkas, sont par ailleurs des autorités autochtones et deux autres font partie du Parlement Xinka[8]. Elles militent notamment contre le projet d’extraction minière de San Rafael, à Santa Rosa, par l’entreprise canadienne Tahoe Resources.

Dans cet article, nous illustrerons, dans un premier temps, la continuité dans le présent des violences du passé (celles du conflit armé interne notamment), en analysant et en détaillant les oppressions historiques et contemporaines à l’encontre des femmes autochtones. Dans un deuxième temps, nous nous centrerons sur la construction d’une identification collective de « défenseures » des femmes du mouvement, qui les protège et les légitime face aux obstacles de l’accès à la justice. Enfin, nous nous intéresserons au déroulement de la sanación et à la manière dont elle contribue à façonner l’action politique des femmes du MMITZ.

I. Femmes autochtones : une histoire d’oppression de genre, de race et de classe

         A. Du « problème » autochtone au racisme institutionnel

       Au Guatemala, les formes de dominations reposent historiquement sur des rapports racistes et sexistes qui se sont normalisés dans la structure même de l’Etat (Casaús Arzú, 2008 ; Cumes, 2012). Matilde Gonzalez-Izás (2010) montre comment le projet de modernisation capitaliste, entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle, basé sur la constitution de plantations caféières, s’appuie sur un discours racial virulent. La société, en voie de modernisation, stigmatise les autochtones comme un « problème indien » et cherche à les « civiliser » par la violence (Gonzalez-Izás, 2010). Le racisme, dans le contexte de postindépendance, s’institutionnalise dans un ensemble de politiques publiques et dans les pratiques quotidiennes des administrations, et s’instaure dès lors comme un des principaux mécanismes d’oppression des populations autochtones. Il contribue à subordonner et limiter leurs droits pour accorder des privilèges à une minorité dominante non autochtone (Cojti, 2005). Les politiques néolibérales et la militarisation, promues par le gouvernement guatémaltèque à partir des années 1980, accroissent cette marginalisation des peuples autochtones et notamment des femmes, tout en faisant émerger de nouvelles formes de conflictualité. L’expropriation des terres par les multinationales - pour répondre à une logique économique prédatrice des ressources naturelles promue par l’Etat - engendre des résistances des populations autochtones, qui revendiquent le droit sur leurs territoires communautaires[9]. Le gouvernement y répond par une croissante militarisation de ces zones de conflits, sous prétexte de lutter contre le crime organisé et par une intense répression des mouvements de résistance (Paley, 2016). Au-delà de bafouer les droits des peuples concernés, cette situation entraîne la perte de territoires nécessaires à leurs économies de subsistance et aux productions matérielle et spirituelle de leurs cultures, et ce malgré la reconnaissance internationale dont ils bénéficient dans divers textes et traités[10] (Hale, 2002). Ainsi, la défense des cultures et des territoires se transforme en lutte centrale pour la survie des peuples autochtones.

Les femmes autochtones quant à elles souffrent, en plus, des conséquences d’un système patriarcal puissant, hérité de la colonisation et d’une domination sociale dans toutes les sphères de la société (Cumes, 2012). Elles luttent à la fois contre le racisme et les formes de pouvoir colonial qui les placent dans une situation de subordination par rapport au reste de la société, mais également contre le système de domination patriarcal (Cumes, 2007).

         B.  Un continuum de violence contre les femmes autochtones

          La reconstruction historique des violences exercées à l’encontre des femmes autochtones depuis l’invasion espagnole jusqu’au conflit armé (1960-1996) et plus récemment dans le cadre des projets extractivistes néolibéraux ainsi que les nombreux récits recueillis lors du travail de terrain, soulignent la cruauté de ces violences psychologiques, physiques et sexuelles. De ce fait, de nombreux auteurs s’accordent pour parler d’un « continuum de violence » qui transcende la temporalité du conflit armé (Cockburn, 2004 ; Fulchiron, 2007). Les femmes autochtones ont été particulièrement ciblées par les tortures, les viols et les expulsions, qui ont entrainé leur déplacement forcé durant le conflit armé. Les violences sexuelles[11], en particulier, étaient systématiquement et massivement utilisées par les forces armées de l’État en tant que politique contre-insurrectionnelle et visaient non seulement à violenter leurs corps mais aussi, plus largement, leurs cultures et leurs territoires (Sieder et Witchell, 2001 ; Fulchiron, 2007). La mémoire de cette forme de violence et des violences physiques et psychologiques subies pendant le conflit est encore très présente chez les femmes autochtones. Elle n’a été que récemment dévoilée publiquement à travers des procès tels que Sepur Zarco en février 2016 concernant quinze femmes maya q'eqchi’ séquestrées et violées pendant plusieurs mois par des soldats du détachement local de Sepur Zarco (Izabal) en 1982 (Mendez et Carrera, 2014 ; Falquet, 2018). Lors de la sentence, le délit d'esclavage sexuel est reconnu pour la première fois comme forme particulière de violence par un tribunal guatémaltèque (Burt et Estrada, 2017).

Mentionnons également, parmi tant d’autres cas, celui des viols collectifs, particulièrement brutaux, de femmes de la communauté q’eqchí de Lote Ocho (El Estor, Izabal), en janvier 2007, par des agents de sécurité de la Compagnie guatémaltèque de nickel (CGN), des policiers et des militaires lors de la destruction de leur village en vue de l’établissement d’une mine par la CGN (Mendez et Carrera, 2014 : 77-96). Lors des entretiens et des séances de sanación que j’ai observé, certaines femmes soulignaient également les violences indirectes dont elles souffrent lorsqu’un membre de leur famille est criminalisé. Elles se retrouvent alors seules à s’occuper des enfants, des tâches domestiques – même si elles n’étaient pas trop partagées auparavant - tout en s’efforçant de continuer leur activité politique ; une situation à l’origine de troubles émotionnels et psychologiques mais aussi économiques, la plupart n'ayant pas d’emploi fixe et se trouvant en difficulté pour subvenir aux besoins de leur famille.

Les témoignages recueillis montrent par ailleurs qu’au sein même de leurs communautés, ces femmes autochtones et tout particulièrement celles qui se démarquent par leur investissement militant dans les associations de défense des victimes de violence, sont confrontées à des agressions spécifiques. Elles sont quotidiennement les cibles de moqueries et sont stigmatisées pour leur activisme voire menacées et intimidées par leur propre entourage familial ou des membres de leurs communautés :

« Mon mari est en prison pour un délit qu’il n'a pas commis [...] je suis seule avec mes trois enfants et l'autre jour un voisin m'a dit que ce n’était pas bien d'être une femme sans protection. J’ai peur [...] et je me suis dit que c'était la faute de l’Etat » (femme maya k’iche’ de quarante ans et sans activité rémunérée, atelier de sanación, 2018).

« Sur la route pour Santa Cruz del Quiché, quand j’étais en train d’accompagner Juana au tribunal, nous avons rencontré mon voisin dans le bus, qui m’a demandé pourquoi j’étais en train de me mêler des affaires d’autres femmes, au lieu de m’occuper de mes enfants. Il m’a dit que c’était honteux ce que j’ai faisais » (Emma, femme k'iche’, atelier de sanación, 2018).

« Lorsque je suis sortie du tribunal où j’avais accompagné Elena, son mari est arrivé devant le tribunal et il m’a dit que j’étais une très mauvaise personne de faire cela et que j’allais le payer cher » (Ana, femme k'iche’, atelier de sanación, 2018).

Ces trois interactions peuvent être analysées comme des formes de rappel à l’ordre et autant de réaffirmations des normes de genre et des rôles assignés aux femmes dans les communautés. Nous voyons comment leur indépendance, notamment par rapport à l’autorité masculine du mari et leur action politique sont perçues comme des menaces pour la stabilité de la communauté. Celles qui transgressent ces normes perdent en respectabilité à l’égard de certains membres de la communauté (surtout des hommes mais aussi d’autres femmes) qui les considèrent comme des personnes immorales. Pour les défenseures du mouvement, ces menaces et stigmatisations émergent parfois même des membres de la famille ou du voisinage des victimes qu’elles accompagnent à leur procès. En raison du manque de reconnaissance de leurs expériences dans leur communauté, le silence et l’(auto)isolement peuvent même les amener à abandonner leurs activités politiques, autres conséquences des violences vécues dont les femmes témoignent régulièrement au sein des espaces de sanación :

« La violence peut détériorer la dignité et l’estime de soi. La violence nous fait peur et honte, nous fait du mal. J’ai reçu des menaces de mort et mes enfants aussi […], et j’ai dû abandonner l’organisation car la peur bloquait mes pas » (Mari, femme maya k’iche’, atelier de sanación, 2018).

Elles sont notamment accusées de ne pas ou de ne plus remplir leur rôle de femmes au foyer, et d’investir socialement et politiquement un espace public dominé par des hommes, en revendiquant leurs droits en tant que femmes autochtones organisées. Elles défient ainsi, en même temps, les normes culturelles et sociales de leurs communautés. C’est pour combattre ces violences qu’elles se sont organisées de manière communautaire puis à l’échelle nationale dans le MMITZ. En son sein, elles construisent une identification collective, celle de « défenseures des droits humains », qui les légitime et les protège dans leurs interactions avec l’État et les systèmes de justice[14].

II. « Défenseures des droits humains » : une identification collective protectrice

           A. Un mouvement internationalisé

           Depuis les années 1980, l’Amérique latine connait l’émergence d’un large mouvement de femmes (Monzon, 2015). Au Guatemala, ce sont notamment les victimes et actrices du conflit armé, et tout particulièrement les femmes autochtones, qui forment les premières organisations politiques : la Coordination nationale des veuves du Guatemala (CONAVIGUA, 1988), Mama Maquin (1990) et Ixmucane (2000). Elles dénoncent les violations des droits humains, soutiennent le respect des accords de paix et la démilitarisation du pays (Aguilar, 1997). En 1992, dans le cadre des actions des peuples autochtones et afro-descendants contre la commémoration du cinquième centenaire depuis la colonisation des Amériques, les femmes autochtones ont commencé à nommer le racisme historique et à créer des espaces tels que le Conseil des femmes mayas, puis elles ont rejoint la dynamique d’articulation continentale des femmes autochtones en 1993 (Monzon, 2015). Par ailleurs, l’essor du mouvement autochtone depuis les années 1980 sur la scène internationale et la récupération des identités autochtones, reconnues officiellement par les États d’Amérique latine, offrent aux femmes autochtones un contexte inédit leur permettant de rendre visible leurs revendications et d’exiger le respect de leurs droits en tant que femmes et en tant qu’autochtones[15]. C’est dans ce cadre globalisé, que les fondatrices et leaders du MMITZ se sont politisées et ont posé les bases du mouvement au cours des années 2000. Comme le raconte Blanca (femme maya mam), c’est à partir de la prise de contact avec des représentants de la coopération internationale au Guatemala (Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits humains, ONG partenaires et Union européenne) et de leurs actions de plaidoyer à l’ONU qu’elles commencent à s’identifier comme « défenseures des droits humains ». Ensuite, un transfert de cette identification s’effectue dans l’espace politique guatémaltèque. Ce transfert se fait lorsque la réputation du mouvement comme organisation de référence sur le sujet de la promotion des droits des femmes autochtones se consolide et est reconnue par les institutions nationales et internationales, notamment entre les années 2014-2015[16].

Si la prégnance du terme dans les discours des femmes du MMITZ peut témoigner d’une certaine adaptation de leurs modes d’actions aux standards institutionnels promus par les organisations internationales, elle n’empêche pas, en pratique, sa politisation, lors de son importation dans le contexte guatémaltèque.

           B. « Défenseure des droits humains » : une catégorie pour se légitimer

          Le terme « défenseure », prend des significations différentes pour les femmes du mouvement et est assorti d’épithètes différents en fonction des espaces où elles circulent. Ces dernières revendiqueront plus volontiers le terme de défenseure communautaire au sein de leur communauté et celui de « défenseures des droits humains »[17] face aux agents de la justice de l’État (polices, avocats, juges et autres fonctionnaires) et face aux représentants de la coopération internationale dont l’ONU. Le premier, les légitime en tant que leaders locales et communautaires ou dans les organisations de femmes dont elles font partie, où elles sont reconnues comme représentantes, capables de porter la voix et les revendications des femmes de leurs peuples. Le second, leur ouvre des portes institutionnelles aux échelles nationale et internationale. Elles l'utilisent notamment pour se légitimer mais aussi se protéger lorsqu’elles interagissent avec des agents de justice alors qu’elles accompagnent les femmes victimes de violences au tribunal, dans un contexte où leur activité politique est régulièrement dévalorisée voir criminalisée.

En effet, les expériences de violences évoquées par les membres du mouvement - et qui sont sources de leur mobilisation - ne se limitent pas à leur condition de femme dans leur communauté ou dans la société dans son ensemble, mais s’étendent aussi à leur activité politique, tout particulièrement lors des accompagnements. La première difficulté qu’elles évoquent est celle de légitimer le discours sur les droits des femmes autochtones, dans des espaces et des institutions dominées par les normes patriarcales et racistes, et face à l’androcentrisme[18] des procédures judiciaires. Cela constitue un obstacle majeur à l’accès à la justice des femmes autochtones dans leur ensemble (Molyneux, 2008 ; Lang et Kucia 2009). Les fonctionnaires d’État rencontrés par les femmes interrogées, reproduisent un point de vue patriarcal et ethnocentrique qui favorise les hommes violents au détriment des femmes violentées et qui contribue à les « revictimiser »[19]. Celles-ci doivent alors systématiquement justifier qu’elles ne méritaient pas les violences qui ont été exercées sur elles. Lors d’un entretien, il m’est raconté l’histoire d’une femme victime de violence intrafamiliale qui, au moment de sa première déclaration, reçoit cette remarque de la part du juge : « si votre mari vous a frappé c'est peut-être parce que vous n'êtes pas une bonne cuisinière. Ce n'est pas lui le coupable, au fond, si vous ne lui faites pas du bien » (Lilian maya ch'orti' de 35 ans, célibataire avec un enfant, travailleuse domestique, 2018). De plus, dans la plupart des cas, au Guatemala comme ailleurs dans les Amériques (Lacombe, 2015 ; Sieder, 2017 ; Perez, 2018) mais aussi dans le monde occidental[20] (Jorge, 2006 ; Frenette et al, 2018), les femmes qui déposent une plainte pour violence sont considérées comme coupables, surtout dans les cas de violences sexuelles, dans le sens où leurs comportements justifieraient les violences exercées par les hommes (Smart, 1995 ; Salinas, 2017).

De plus, les interactions qu’elles ont avec le personnel de justice (juges, avocats, policiers) comptent parmi les violences que les femmes du mouvement mentionnent le plus souvent lors des séances de sanación observées : menaces à caractère sexuel ou proférées à l’encontre de leurs enfants ; stigmatisations basées sur des stéréotypes de genre (accusations d’être des « prostituées » ou des « mauvaises mères »[21]) ; intimidations et agressions physiques et verbales[22]. L’expérience de Berta (femme de 45 ans, mariée avec cinq enfants), autorité autochtone xinka et membre du mouvement, lors d’une séance de sanación (2018) illustre l’imbrication du racisme et du sexisme qui caractérise leurs interactions avec un policier à l’entrée du tribunal :

[…] j’étais en train d’accompagner Nanci pour déposer une plainte et j’avais la vara [objet sacré symbolisant sa fonction d’autorité autochtone] avec moi. Le policier qui nous a reçues s’est tout de suite moqué de moi, en me demandant ce que c’était que ce « morceau de bois » et me disant que je ne pouvais pas accompagner cette femme car je n’en avais pas l’autorité […], il disait que les femmes comme nous doivent rester à la maison pour cuisiner et pas aller faire ces choses-là, il disait que de toute façon je ne savais ni lire ni écrire. Je sais qu’il m’a discriminée [...] il m’a dévalorisée.

L’assimilation de la vara à un simple morceau de bois, tout comme l’accusation d’analphabétisme sont ici des moyens pour le policier de réaffirmer son autorité – et en creux celle de l’État sur le droit autochtone – mais aussi de dénigrer l’accès des peuples autochtones à la représentation politique. En cela, il nie le droit de la victime à se faire représenter face au tribunal étatique.

En outre, s’ajoute la criminalisation dont les accompagnatrices font de plus en plus l’objet, comme c’est le cas de Julieta, femme maya k’iche’ (femme de 35 ans avec trois enfants, séparée), cible de plusieurs plaintes au tribunal, déposées par différents responsables politiques locaux pour agressions et menaces. Ces plaintes sont apparues dès les débuts de son activité d’accompagnement légal des victimes (entretien, Quiché, 2018). Deux aspects peuvent expliquer que les défenseures soient l’objet de ces violences : d’une part elles rapportent et visibilisent les violences sexistes et le système dans lequel elles se produisent puis, d’autre part, elles y ajoutent une dénonciation des crimes racistes et notamment la spoliation des terres de leurs peuples par les multinationales et les projets extractifs (Tzul Tzul, 2015 ; Falquet, 2016, MacLeod, 2017). Ce sont ces expériences qui les amènent à renforcer leur attachement à l’identification en tant que « défenseures des droits humains ». Nombreuses sont celles qui, lors des entretiens, évoquent comme une « nécessité », l’acquisition d’une « carte de défenseure », objet qui leur donnerait un statut officiel et qui protègerait leurs activités d’accompagnement en leur donnant une légitimité. Ainsi le concept de « défenseure des droits humains », bien qu’il soit défini de manière vague par les conventions internationales[23], revêt d’une signification particulière dans le contexte des militantes du mouvement : il se réfère non seulement à une activité politique précise mais évoque aussi la possession d’un statut particulier. L’organisation, en investissant des espaces institutionnels, revendique ce statut pour construire une identification collective. À l’aune de ces circulations entres espaces internationaux et nationaux, il est possible de saisir combien l’identification[24] en tant que « défenseure des droits humains » est mouvante, prenant une signification toute particulière pour les femmes du mouvement qui témoigne de leurs rapports ambigus aux systèmes de justices guatémaltèques.

Dans ce contexte, devenir « défenseure » au sein du MMITZ implique un travail politique de relecture des violences subies, générant de ce fait une prise de conscience du poids des systèmes d’oppression raciste et sexiste dans leurs expériences individuelles. De plus, il s’agit de proposer des modes d’action collective, basés sur la solidarité entre femmes autochtones, et une identification commune. Les séances de sanación, décrites dans la suite de l’article, constituent un lieu privilégié pour l’observation de ce processus.

 III. Devenir « défenseure »

          Les séances de sanación reposent sur l’analyse politique du vécu individuel des femmes et de l’histoire collective de leur peuple. Elle a pour finalité d’amener les femmes autochtones à se construire comme sujet politique et comme femmes « défenseures » à part entière. Cette pratique a aussi comme objectif la construction de modes d’action collective, libérant des stéréotypes de genre et de race qui les assimilent à des femmes pauvres, uniquement dédiées au travail de reproduction et qui les excluent des espaces de production du savoir et de l’énonciation politique.

           A. La réinterprétation de l’histoire et de la culture de son peuple comme source de revendication politique

Les femmes du mouvement fondent leurs revendications politiques et leurs actions sur un ensemble de pratiques qu’elles tirent de leurs modes de vie en tant qu’autochtones : rituels, représentations du monde (cosmovision) et organisation sociale communautaire. La sanación est une de ces pratiques entendues comme « un chemin cosmico-politique » selon Blanca, une femme maya mam à l’origine du mouvement (entretien, 2018). Elles considèrent cette pratique de soutien psychosocial et émotionnel comme un moyen de guérir (sanar) les multiples blessures, provoquées par les situations de violence vécues, en puisant dans les cosmovisions mayas, garifunas et xinkas. Une des conditions permettant le passage à l’action politique est la réhabilitation d’une histoire spécifique à chaque peuple, qui révèle les oppressions subies et raconte les résistances passées, notamment celles liées à leur vision du monde, et les relations fondées sur les savoirs et les récits transmis par les femmes. Chaque peuple ayant des représentantes au sein de l’organisation, possède sa propre histoire et sa propre cosmovision, fortement influencées par les environnements naturels qu’il habite. Les séances de sanación sont des moments clefs de ce travail de production de l’histoire : la guérisseuse (sanadora), qui dirige la séance, invite les femmes de chaque peuple à raconter les histoires transmises par leurs grands-mères et les rituels qu’elles pratiquent dans leurs communautés. Les deux sanadoras rencontrées sont des femmes mayas k’iche’. Elles ont été invitées par les membres du MMITZ avec qui elles ont échangé dans le cadre de luttes de femmes autochtones où leurs pratiques de contestations se sont avérées être similaires à celles du mouvement (plaidoyer, accompagnement de femmes victimes de violences). Elles sont par ailleurs reconnues comme femmes sanadoras par les autres organisations féminines. Ces guérisseuses ont également une formation universitaire en psychologie, dans laquelle elles puisent pour leurs séances de sanación. Le contenu des séances dépend beaucoup des peuples qui sont représentés, dans la mesure où les sanadoras adaptent leurs discours aux récits ancestraux qui leurs sont racontés par les femmes présentes. Les cosmovisions maya et garifuna semblent plus stabilisées (plus connues et pratiquées) – la première s’appuie notamment sur des sources écrites tel que le Popol Vuh, livre sacré des Mayas sur la création du monde, qui insiste sur la cohabitation et l’équilibre avec la nature (Sieder et MacLeod, 2009 ; Cumes, 2012) – que celle des Xinkas qui se sont plus récemment investis dans un important travail de récupération de leur histoire et savoirs ancestraux, notamment dans le cadre de leur lutte contre les projets extractivistes dans leur région[25]. Ainsi, ces processus de réinterprétation des histoires et des cultures sont directement liés aux luttes politiques contemporaines. Le mouvement reprend des pratiques militantes classiques des mouvements politiques guatémaltèques (Cumes, 2007). C’est ce qui transparait dans les propos tenus par Flori, guérisseuse maya k’iche’ lors d’un atelier de sanación : « Nous devons être conscientes de notre histoire et de notre savoir qui ont été longtemps réprimés : si nous savons d’où vient notre force, nous pouvons combattre l’ennemi. Les Etats ont essayé de nous coloniser de l’intérieur, d’effacer notre science » (entretien, 2018). Ana, femme xinka, montre, lors d’un autre atelier en 2018, combien cette récupération ancestrale renforce l’identification avec son peuple et fortifie psychologiquement les femmes afin de pouvoir continuer à résister contre les relations de domination et les violences exercées :

En tant que femmes xinkas, nous nous reconnaissons progressivement les unes les autres […] ce qui nous motive à partager avec d'autres femmes, pour que chaque jour, nous ayons cette énergie et ce courage. Nous voulons être libérées de la peur pour nous défendre et défendre la mère nature.

Les femmes du Mouvement considèrent la « mère nature » comme une motivation pour leurs actions politiques, aussi importante que la relecture de leurs expériences individuelles.

          B. Parler des violences pour s’en « libérer »

Au cœur de la sanación, les sanadoras invitent les femmes à partager émotions et expériences individuelles de violence. Elles parlent des situations de violence vécues au sein de leurs familles, face au système de justice et à l’Etat, et face à d’autres acteurs communautaires. C’est notamment l’occasion de prendre conscience des causes structurelles des violences et d’apprendre à désigner les acteurs étatiques comme responsables, lorsque c’est le cas. En effet, c’est au cours de ces activités, ainsi que dans des ateliers de formation juridique, que j’ai pu accéder aux témoignages qui identifient les responsables des violences : les hommes de leurs communautés, les agents de justice qui les discriminent, etc. Lors des entretiens réalisés à l’issue des ateliers, les femmes affirment généralement que c’est la première fois qu’elles parlent de ces violences à d’autres personnes. C’est ainsi que la sanación devient un espace où elles « peuvent rompre le silence » et sortir de l’isolement (Mendez et Carrera, 2014). Elles s’appliquent des plantes aromatiques sur les parties du corps affectées par les violences – sur le cœur ou sur la tête pour les douleurs psycho-émotionnelles – pour chasser les mauvaises énergies et se soigner. La sanadora leur apprend à faire des exercices de respiration et de libération de ces énergies pour gérer leur stress ou leur état dépressif. En plus du travail visant à gérer la douleur et les événements traumatiques, elles cherchent à établir un lien avec des états positifs et joyeux, avec des souvenirs agréables et avec ce qui les rendent heureuses. Les rituels liés à leurs cosmovisions établis en début de sanación, contribuent à façonner un temps et un espace sûrs, qui leur sont entièrement consacrés, libres de toute insécurité et sans qu’il n’y ait aucune intrusion extérieure. La figure de la sanadora est centrale tout au long du processus, elle représente un guide qui conduit les femmes à se « libérer » des violences et des différentes formes d’oppressions, c’est-à-dire à s’en distancer pour que leurs conséquences ne soient plus un obstacle à l’action politique et à la vie quotidienne. En entretien, les deux sanadoras insistent sur la nécessité de se soigner comme une condition sine qua non pour leur travail de « défenseure ». Les femmes apprennent dans les sanaciones à prendre soin les unes des autres, dans l’optique de créer les conditions d’une solidarité qu’elles mettent en pratique lors des accompagnements en justice et autres actions politiques. In fine, c’est l’articulation entre la relecture de leur propre histoire individuelle et celle de l’histoire de leur peuple, relectures centrées sur les oppressions subies, qui constituent le moteur de leur résistance :

On travaille sur les blessures et traumas mais pendant le processus nous allons prendre conscience de notre réalité et notre histoire. […] Nous chercherons les solutions de façon collective, avec une pensée politique à partir de l’identité xinka, pour revendiquer nos droits. C’est un défi politique envers nous-mêmes car se valoriser nous rend humaines et nous dote d’une capacité de décision pour l’action politique (Margarita, femme xinka de 40 ans avec trois enfants et célibataire, entretien à l’issue d’une séance de sanación, 2018).

           C. De l’expérience individuelle à l’action collective

Par le biais de la sanadora, s’opère le passage du constat des violences et du traumatisme à l’action politique et collective :

Vous voyez, vous avez des situations communes qui parlent des violences que vous vivez, mais cette douleur déclenchée, et ensuite guérie par la sanación, doit servir pour exiger vos droits, vis-à-vis du système de justice et des agresseurs. N’oubliez pas que ce qui est spirituel, peut être utilisé comme arme politique. Quand nous nous sentons bien, sanadas, nous pouvons parler fermement, regarder les agents de justice droit dans les yeux, et exiger le respect de nos droits (Flori, sanadora, atelier de sanación, 2018).

Après ces paroles, les femmes parviennent à redonner un sens politique à leurs expériences passées. Une femme xinka illustre bien cela :

Je me rappelle quand ma grand-mère me parlait du temps de la guerre. Elle racontait comment nous [les femmes xinkas], avons souffert à cause de ce que nous avait fait l’homme blanc, dès son arrivée. Depuis l’invasion [espagnole], ils ont cherché à nous éliminer. Maintenant ils font la même chose, car ils veulent nous prendre nos territoires et nos corps (Linda, femme xinka, lors d’un atelier de sanación, 2018).

Ces espaces de sanación ont donc pour finalité l’élaboration de pratiques de résistance collectives qui leurs sont propres, afin de revendiquer publiquement leurs droits. Par ailleurs, ils sont conçus comme des espaces de formation afin que les femmes du mouvement sanadas puissent à leur tour aider des femmes de leur organisation, elles-mêmes victimes de violences, à se « libérer » et devenir elles-mêmes défenseures. A ce titre, elles reproduisent certaines techniques apprises dans les sanaciones, au sein de leur organisation communautaire.

Outre les accompagnements juridiques qui constituent le cœur de leur activité, la pratique politique du mouvement est caractérisée par des actions qui reposent, entre autres, sur le dialogue avec les institutions judiciaires et gouvernementales. Lors des ateliers de sanación, une fois qu’elles ont identifié les problématiques structurelles qui donnent lieu aux violences subies, les femmes décident ensemble des revendications politiques à présenter aux institutions. À l’occasion d’un atelier de sanación la veille du 5 septembre 2018, « journée internationale des femmes autochtones », une trentaine de jeunes femmes mayas, xinkas et garifunas (entre dix-huit et trente-cinq ans, la plupart avec enfants et célibataires) du mouvement ont préparé les revendications qu’elles porteraient le lendemain dans diverses institutions. Elles placent au cœur de leurs revendications la défense de leur cosmovision pour s’ancrer dans la lignée des luttes des peuples autochtones. Elles exigent également la fin de la criminalisation des militantes de l’organisation mais plus généralement de tous les militants autochtones, la reconnaissance officielle de leur qualité de « défenseures des droits humains » et la fin des féminicides. Elles préparent, pour l’occasion, une marche de « visite aux institutions » dans la capitale, à Ciudad de Guatemala, au cours de laquelle elles remettent aux sièges de ces institutions la liste de leurs revendications[26]. Leur marche se termine par la tenue d’un forum devant le palais du gouvernement comprenant des manifestations artistiques et des témoignages de luttes de femmes autochtones des organisations membres du mouvement. L’autre objectif de cette action, discuté lors de la séance de sanación, ciblait l’investissement politique de l’espace public de la capitale où les femmes autochtones sont généralement invisibles, à exception des vendeuses ambulantes.

Conclusion

          Dans cet article, nous avons analysé les expériences de femmes autochtones organisées en mouvement social au Guatemala afin de contribuer aux réflexions autour de la création d’espaces qui leurs sont réservés – ici à travers l’étude d’un processus : la sanación – et leur utilisation dans la formation de pratiques de résistance. Leur observation permet de mesurer le rôle de la relecture de l’histoire et des cultures des peuples autochtones dans la mobilisation politique des enquêtées. Par ailleurs, les actions et les interactions des femmes du MMITZ avec les agents de justice témoignent de la permanente négociation (MacLeod, 2008) de leur place et de leur rôle dans la participation politique au sein de la société. En dehors des agents de la justice de l’État, les femmes sont régulièrement amenées à interagir avec des autorités du système ordinaire et au sein de systèmes parallèles de justice autochtone. À partir des premières observations et entretiens réalisés qu’il convient d’approfondir, il semblerait suggérer que la catégorie de « défenseure » leur permet tout autant de se légitimer face à ces acteurs que face aux représentants de l’État, dans la mesure où les militantes se retrouvent à occuper des positions sociales au sein de leur communauté qui leurs sont très rarement octroyées. Enfin, leur pratique politique, qui se fonde notamment sur la réinterprétation de leurs cultures, les amène à proposer une reconceptualisation du droit, alternative au droit autochtone d’une part et au droit des institutions de l’État d’autre part. Cela invite à se pencher plus concrètement sur les formes de savoir contre-hégémoniques que les femmes autochtones sont à même de produire.

 

Notes de fin

[1] Le terme continuum est entendu ici selon l'acception de Cynthia Cockburn (2004) qui fait référence à une inertie et une continuité de la violence dans la vie des individus, en particulier des femmes, dans toutes leurs sphères de vie.

[2] Dans le contexte latino-américain, le terme « autochtone » désigne généralement les populations d’origines préhispaniques, descendantes de peuples qui occupaient des territoires colonisés. Ces peuples revendiquent aujourd’hui une continuité historique, génétique et culturelle avec la période précoloniale (Stavenhagen, 1992). Au Guatemala, les Accords de paix de 1996, qui mettent un terme au conflit armé, comprennent l’Accord des identités et droits des peuples autochtones reconnaissant l'existence de trois peuples autochtones en plus des ladinos : maya, garífuna y xinka (Dary, 2016).

[3] Selon l’expression officiellement en vigueur depuis la signature des Accords de Paix. Le coup d’État en 1954, appuyé par la CIA, contre le président Jacobo Árbenz Guzmán et l'interdiction des élections en 1963 par les Etats Unis, a conduit à trente-six ans de conflit armé, causant 200 000 morts ou disparus (notamment parmi les peuples mayas) et un million de déplacés. Le génocide des peuples autochtones, dénoncé par le Tribunal permanent des peuples dès 1983, est finalement reconnu officiellement en 1999 par la Commission d’éclaircissement historique - créée à la suite des Accords de paix, sous l’égide de l’ONU, pour enquêter sur les violations des droits humains pendant le conflit (Commission d’éclaircissement historique, 1999 ; Casaus Arzu, 2009).

[4] Les vingt-et-un peuples mayas au Guatemala sont : Achi', Akateko, Awakateko, Ch'orti', Chuj, Ixil, Itza', Kaqchikel, K'iche', Mam, Mopan, Poqomam, Poqomchi', Popti', Q'anjob'al, Q'eqchi', Sakapulteko, Sipakapense, Tektiteko, Tz'utujil et Uspanteko.

[5] Le terme ladino signifie, aujourd'hui, une personne née du métissage entre espagnol et autochtone. Lors d’échanges avec des intellectuels non-autochtones, j’ai pu observer qu’ils et elles s’autodéfinissent mestizos et non ladinos, terme qu’ils associent à l’idéologie du blanchiment de la race comme base du racisme au Guatemala (voir Gonzalez-Izas, 2010).

[6] Les conditions concrètes de sélection locale des membres des organisations affiliées, participant aux actions politiques et aux formations du mouvement, demandent des investigations supplémentaires que je conduis dans le cadre de ma recherche de doctorat.

[7] Dans un souci de place et de clarté, le présent article se concentre sur la sanación tout en sachant que les mécanismes similaires de relecture des expériences de violences pour construire des modes d’actions collectives sont présents dans des ateliers de formation juridique, organisés par le mouvement et destinés aux femmes des organisations. Ces ateliers ont pour objectif de les former aux lois nationales et internationales dans le cadre d’un accompagnement juridique des femmes victimes de violences.

[8] Le Parlement Xinka est un organe de représentation du peuple du même nom.

[9] Entendu ici comme : « un espace communautaire spécifique, à la fois fonctionnel et symbolique, où des pratiques et une mémoire collective sont construites dans la durée. [...] la continuité […] permet la transmission de valeurs et de significations localement référencées, assurant la pérennité de la représentation collective de soi et de l’identification au lieu » (Jolivet et Lena, 2000 : 8).

[10] Citons la Convention 169 de l'OIT (1989), la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) et la Convention interaméricaine pour les droits des peuples autochtones (2016), ratifiés par certains États latino-américains, dont le Guatemala.

[11] Viols individuels ou collectifs, commis publiquement et revendiqués en tant que punition, dans les contextes de répression sélective contre les femmes leaders (Fulchiron, 2016).

[12] Parmi les actions adoptées : la Defensoría de la Mujer Indígena, la Secretaria Presidencial de la Mujer (SEPREM), ainsi que la Coordinadora Nacional para la Prevención de la Violencia Intrafamiliar y contra las Mujeres (CONAPREVI) ont été créées en 2000. Un dialogue avec la société civile a été ouvert à travers la Red de la No Violencia (REDNOVI). Ont été également adoptées : la Ley para Prevenir, Sancionar y Erradicar la Violencia Intrafamiliar (1996), la Ley contra el Femicidio y Otras Formas de Violencia contra la Mujer (2008) et la Ley contra la Violencia Sexual, Explotación y Trata (2009), en plus de l'instauration d'une justice spécialisée (2010), ainsi qu’un système d'attention intégrale aux femmes victimes de violences.

[13] « La criminalisation est l’application de sanctions pénales pour des actes qui justifient au maximum une sanction administrative. Cela peut également inclure des limites et restrictions à la contestation sociale et à la résistance pacifique individuelle et collective ; détention arbitraire ; mesures préventives telles que la détention provisoire ; absence de garanties de procédure régulière etc. La criminalisation transforme l’activisme en crime » (Birss, 2017 : 316).

[14] Au Guatemala est pratiqué le pluralisme juridique, lequel fait référence à l’interaction de systèmes juridiques différents dans le même domaine social (Moore, 1986). Cela se réfère à une pluralité d’ordres juridiques : celui de l’État et ceux des peuples autochtones (les pratiques varient selon l’endroit). La pratique de la justice autochtone implique une administration propre de la justice, depuis les peuples, parfois en coordination avec l’État mais souvent en tension.

[15] Cette nouvelle visibilité a débouché sur un ensemble de politiques publiques comme en 2007 avec l’intégration d’une partie des propositions des femmes autochtones issues de différents groupes ethniques dans la Política Nacional de Promoción y Desarrollo Integral de las Mujeres 2008-2023.

[16] En 2009 et en 2017 elles présentent deux rapports alternatifs au Comité de la convention contre toute discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), et en 2012 au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et à l’Examen périodique universel (EPU). Dans le rapport de 2017 à la CEDEF les militantes utilisent pour la première fois le terme « défenseures des droits humains ». Elles s’autodéfinissent « défenseures » qu’à partir de 2014, quand elles répondent à un appel à projets sur la protection des défenseures des droits humains de l’Union européenne.

[17] Les femmes xinkas, aujourd’hui particulièrement affectées par la lutte contre le projet minier San Rafael tendent à s’identifier davantage comme « défenseures du territoire » pour insister sur la question de la terre et des cultures qui est au cœur de leur lutte (Langlois, 2016).

[18] Construction légitimée de normes qui privilégient les aspects associés à la masculinité (Fraser, 1997).

[19] Fréquemment évoquée lors des séances de sanación et lors de leurs différentes actions de plaidoyer, la revictimización renvoie toujours le sujet des violences à sa condition de victime en lui demandant de répéter son histoire de violence en la présence de plusieurs opérateurs tels que des médecins, des avocats et des juges. Thelma Aldana, ex-directrice de cabinet du Ministerio Publico au Guatemala, la définit aussi comme « victimisation secondaire » (voir l’article : « Guatemala presenta nuevo protocolo de atención integral a víctimas de delitos ». La noticia en Guatemala. 20 novembre 2014).

[20] Malgré les dénonciations militantes, notamment, récemment, à travers le mouvement global Me too, les recherches empiriques traitant ces questions dans les pays occidentaux restent encore peu développées, à l’exception du Québec où une enquête a été réalisée en 2018, de la Suisse et des enquêtes ENVEFF (2000) et Virage (2017) en France.

[21] Ici nous n’avons pas l’opportunité d’analyser plus en profondeur les stéréotypes. Cela sera fait dans le cadre de ma thèse.

[22] L’androcentrisme, le sexisme et le racisme des procédures judiciaires ne se limitent pas au cas du Guatemala. Ils ont été observés dans d’autres États d’Amérique Centrale, du Sud et au Mexique (Hernández Castillo, 2004).

[23] Selon la définition de la Déclaration sur les défenseurs des droits humains, le défenseur ou la défenseure des droits humains est une personne qui « promeut ou qui lutte individuellement ou en association avec d’autres, pour la protection et la réalisation des droits humains et des libertés fondamentales aux niveaux national et international » (ONU, 1999 : 3).

[24] Rogers Brubaker (2001) puis Martina Avanza et Gilles Laferté (2005) insistent sur le caractère négocié et incertain des identités et proposent d’ailleurs la notion « d’identification », plus à même de rendre compte de la dimension processuelle de formation des identités.

[25] La cosmovision garifuna est fortement caractérisée par la référence à la mer et à l’histoire du peuple qui s’est émancipé de l’esclavage lors du naufrage d’un navire négrier (Arrivillaga 2013). La cosmovision xinka repose sur la relation avec les montagnes et l’eau, considérées comme des êtres vivants, en tant que source de vie (Dary, 2015).

[26] Parmi les institutions visitées se trouvent le Ministerio Publico, la Defensoría de la Mujer Indígena, la Comisión Presidencial contra la discriminación y el racismo, la Procuraduría de los Derechos Humanos et le Registro Nacional de Personas.

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Pour citer cet article :

Sofia Dagna, « De victimes à "défenseures" : pratiques de résistance des femmes autochtones "défenseures des droits humains" au Guatemala », RITA [en ligne], n°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019. Disponible en ligne: http://revue-rita.com/trat-d-union-12/de-victimes-a-defenseures-pratiques-de-resistance-des-femmes-autochtones-defenseures-des-droits-humains-au-guatemala-sofia-dagna.html

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Edito n°12

 

          Il est de coutume de dire que le hasard fait bien les choses et c’est peut dire, donc, qu’au moment de rédiger cet édito, la victoire des Etasuniennes à la coupe de monde de football féminin tombe à pic. Certes, qui connaît ne serait-ce qu’un tout petit peu le ballon aurait pu pronostiquer sans trop de risque qu’Alex Morgan et ses coéquipières était (presque) assurées de l’emporter. De là à écrire que nous aurions pu rédiger le présent texte il y a six ou huit mois aurait été exagéré tant la production du dossier « Femmes des Amériques » a été aussi exigeante que passionnante.

Elle a été exigeante en raison d’un travail de sélection rendu plus difficile qu’à l’accoutumée à cause, ou plutôt grâce au nombre record de propositions que nous avons reçues, preuve s’il en fallait que cette thématique devait être abordée. Il est vrai que plusieurs articles publiés dans certains des anciens numéros de RITA avaient déjà permis d’ouvrir des réflexions sur la question des femmes dans les Amériques. Toutefois, il nous semblait que le temps était venu de consacrer un numéro entier à cette thématique. S’il fallait remonter dans le temps et dans les mémoires, cette envie d’un dossier consacré aux femmes trouve sans doute son origine lors de la préparation du numéro 8 sur les « Icônes Américaines ». Alors que Jean-Marie Théodat, dans l’entretien qu’il nous avait accordé, avait déploré « l’absence des femmes de la vie politique et le confinement de leurs talents à la scène artistique ou la sphère privée », nous nous étions fixés l’objectif de produire un numéro sur les « Femmes des Amériques », afin de stimuler un débat qui serait porté, comme c’est toujours le cas au sein de RITA, par des chercheurs de différentes générations.

Elle a également été passionnante parce qu’elle a permis à RITA et à son équipe d’exprimer son engagement en consacrant un dossier entier à celles qui, du Nunavut à la Terre de Feu, souffrent encore, en 2019, de toutes sortes de violences et de discriminations. Ainsi, la référence, au début de ce texte, à la victoire des étasuniennes à la coupe du monde de football ne relevait pas uniquement du hasard (ou de l’opportunisme). Après avoir consacré l’édito du numéro 11 de RITA sur le « Pouvoir des médias » aux footballeurs américains, il semblait opportun de parler de la même façon des footballeuses américaines et de donner un coup de projecteur sur une compétition qui aura permis de révéler des sportives de grand talent, mais surtout des femmes charismatiques. Alors que le droit à l’avortement est vigoureusement remis en question aux États-Unis, comme en Alabama où il a récemment été supprimé, il ne pouvait être autrement que de faire référence dans ces lignes aux prises de position publiques de la joueuse Megan Rapinoe qui s’est exprimée en faveur des droits des femmes, de la communauté LGBTQI et des minorités ethniques. Ainsi, la co-capitaine étasunienne a permis de contredire (en partie) Eduardo Galeano, en montrant que le football n’était pas seulement devenu un « spectacle »[1] (Galeano, 2014 [1995]) mais qu’il était, aujourd’hui, propice à la diffusion de messages humanistes et politisés portées par des femmes. Il ne pouvait être autrement, non plus, que de rappeler que la pensée d’extrême droite n’a pas complètement triomphé au Brésil puisque, cette année, l’Estação Primeira de Mangueira a remporté le concours des écoles de samba lors du Carnaval de Rio, en rendant hommage à la députée Marielle Franco, militante des droits Humains assassinée à Rio de Janeiro le 14 mars 2018. Au-delà de l’allégresse qu’il a produite, cet évènement a rappelé que lorsque la violence politique est manifeste, l’art subsiste pour faire vivre les figures emblématiques, et notamment celles qui se battent pour plus d’égalité entre femmes et hommes. RITA est une jeune revue, mais elle a voulu contribuer à ce que dans le champ scientifique, des travaux pluridisciplinaires soient consacrés aux « Femmes des Amériques ». C’est désormais chose faite, dans la partie Théma de ce 12e numéro.

Dans la rubrique Dossier, plusieurs auteurs interrogent sous divers points de vues – géographique, temporel, disciplinaire et méthodologique – l’actualité des femmes dans les Amériques. Ainsi, Salian Sylla étudie les reconfigurations politiques des États-Unis sous Donal Trump depuis l’analyse historique, sur la longue durée, des luttes sociales et des débats féministes, au XXe siècle, autour du projet d’amendement inscrivant l’égalité femmes-hommes dans la Constitution étatsunienne sous le nom d’Equal Rights Amendment. L’industrie cinématographique nord-américaine a été choisie par Alexander Maria Leroy pour présenter, à travers les héroïnes des studios Disney, la fabrique de code relatifs à la désirabilité féminine auprès d’un public juvénile. La littérature est également mise à contribution dans ce dossier thématique. Depuis la lecture de polars, Nicolas Balutet s’interroge sur l’inaction de l’État mexicain face aux féminicides sexuels perpétrés à Ciudad Juárez, conséquences de tournages de snuff movies, de trafic d’organes et de rites sataniques. Les questions de genre et de discrimination sont abordées, entre autres, dans l’article commun de Claire Laurant et de Margarita Avilés Flores qui questionnent le rôle d’accompagnement des sages-femmes traditionnelles mexicaines dans l’exercice thérapeutique laissé vacant par les institutions de santé publique. Le dossier thématique offre également l’opportunité de s’interroger sur les actrices féminines dans les Amériques contemporaines. Ainsi, Carla Zibecchi s’attèle à déconstruire le rôle joué par des femmes argentines dans les programmes sociaux étatiques de luttes contre la pauvreté des années 2000 et l’émergence, parmi elles, de médiatrices privilégiées entre des populations dites « assistées » et les représentations locales de l’État. De la même façon, Andrea Bravo et Ivette Vallejo analysent les actions collectives de résistances menées par des leaderships féminins « autochtones » contre l’exploitation de leur territoire amazoniens par l’État équatorien et les entreprises transnationales au cours du XXIe siècle.

La rubrique Trait d’union fait également échos aux actrices féminines et à leurs capacités d’action et d’organisation face à toutes formes d’exploitation et de discrimination. Caroline Weill nous propose un regard genré sur les résistances communautaires contre un projet minier dans la province d’Espinar au Pérou. De son côté, Sofia Dagna expose, à partir de son enquête de terrain doctoral, le processus de formation de militantes sociales autochtones depuis des ateliers de sanación – guérison collective d’origine préhispanique - proposés aux victimes de violences par le Mouvement des femmes indigènes Tz’ununija (MMITZ).

Pour clore ce dossier, Cléa Fortuné et Guillaume Duarte, tous deux membres du Comité de rédaction de RITA, se sont entretenus avec la chercheure de l’université de Tours, Anna Perraudin, dans le cadre de la rubrique Rencontre. Passant d’enquêtrice à enquêtée, elle revient sur son parcours de chercheure dans la ville de Mexico, ses recherches sur les flux migratoires et nous offre une lecture approfondie des migrations féminines entre le Mexique et les États-Unis tout en déconstruisant le processus de fabrique de relations entre l’enquêtrice et ses enquêtés et l’organisation de terrains de recherche transnationaux.

Comme elle l’a fait pour ses précédents numéros, RITA propose pour son douzième opus une section Champ Libre rassemblant plusieurs articles aux formes et aux sujets multiples.

Dans la rubrique Note de recherche, Nathan Gomes, formé à l’histoire de l’Art, interroge la figure de Maria Quitéria de Jésus, héroïne bahianaise de l’indépendance brésilienne, et à travers elle, la représentation féminine dans les peintures militaires des XIXe et XXe siècles. Poursuivant dans l’analyse des représentations du héros dans les Amériques, Lorena Lopes da Costa s’attarde sur les survivances de l’héroïsme épique décrite par Homère dans l’Iliade et l’Odyssée dans l’œuvre contemporaine du romancier brésilien João Guimarães Rosa.

De son côté, Etienne Sauthier, membre du Comité de rédaction de RITA, propose un Résumé de l’ouvrage de l’historienne Maud Chirio, intitulé La politique en uniforme, l’expérience brésilienne (1960-1980), paru en 2016, à même de comprendre la persistance du sentiment anticommuniste véhiculé par l’actuel président de la république, Jair Bolsonaro, et hérité de la dictature militaire (1964-1985). Sa lecture apparaît utile pour comprendre l’histoire contemporaine du Brésil ainsi que les causes de la résurgence récente de la pensée réactionnaire dans le plus grand pays latino-américain.  

Enfin, dans la rubrique Regards, Cléa Fortuné propose une réflexion intéressante sur les effets paradoxaux de la politique de sécurisation de la frontière États-Unis/Mexique conduite actuellement par Donald Trump. Elle montre en effet que la stratégie de criminalisation des migrants aboutit à la création de nouveaux problèmes de sécurité dans une région qui, historiquement, est marquée par des échanges transfrontaliers multiples. Elle offre ainsi une analyse critique permettant de mettre en déroute l’approche sécuritaire du contrôle des frontières à l’heure où, dans les Amériques comme dans le reste du monde, les tensions aux frontières semblent on ne peut plus vives.      

En guise de conclusion, nous souhaitons remercier chaleureusement les auteur.e.s et les lecteur·rice·s de ce douzième numéro que nous sommes particulièrement fiers de vous présenter et de vous proposer. Bonne lecture à toutes et à tous.

 

Nasser REBAÏ et Guillaume DUARTE, membres du Comité de Rédaction de RITA.

 

[1] Galeano Eduardo (1995). Football, ombre et lumière. Trad. de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu (2014). Montréal : Lux Éditeur.