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Du héros épique au guerrier du « sertão » : les anciens chez João Guimarães Rosa
From epic hero to «sertão» warrior : the ancients in João Guimarães Rosa's works

 

Résumé
Cet article traite de l’histoire d’un personnage présent dans deux textes de l’auteur brésilien João Guimarães Rosa. On explore le dialogue du héros Joãozinho Bem-Bem, avec la tradition épique à travers l’analyse des notes de l’auteur sur sa (re)lecture de l’Iliade et de l’Odyssée en 1950. De la construction du code guerrier et l’identité du héros antique et moderne, dans une perspective comparative, deux éléments sont analysés : la belle mort, en prenant comme source la nouvelle « L’heure et le tour d’Augusto Matraga » (1946), et la renommée du guerrier, que ce soit en raison de ses grandes actions ou de sa belle mort – cette fois, la source étant le roman Diadorim, originellement Grande Sertão : Veredas (1956).

Mots clés : Héros épique; Héros du « sertão »; Renommée.

Abstract
This essay seeks to develop two layers: the history and the story of a character named Joãozinho Bem-Bem, present in two texts by João Guimarães Rosa. We enphasize the dialogue of João Guimarães Rosa’s hero with the epic tradition, through the analysis of the author’s annotations of his reading of the Iliad and the Odyssey in 1950. Also, in an attempt to explore the construction of the ancient and the modern hero’s identity and the warrior code, two elements are investigated in a comparative perspective: the way of death, for which the source is a short story from Sagarana (1946), and the fame of the warrior, whether due to the great deeds or his brave death – this time, having as source The Devil to Pay in the Backlands (1956).

Keywords : Epic hero ; Backlands’hero ; Glory.

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Lorena Lopes da Costa

Docteur en Histoire
Professeur à l’Universidade Federal do Oeste do Para, Santarém, Brésil.

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Du héros épique au guerrier du « sertão » : les anciens chez João Guimarães Rosa

 

Introduction

            Y aurait-il une écriture littéraire récupérant des modèles précédents ou renouvelant notre image des héros antiques? La question de la réception de la poésie épique chez l’écrivain brésilien João Guimarães Rosa (1908-1967) est essentielle et il apparaît aujourd’hui de mieux en mieux que la motivation guerrière au « sertão », un univers particulièrement brésilien et qui est caractérisé dans la fiction de Guimarães Rosa non seulement à partir de sa description physique mais aussi de sa dimension métaphysique, a une histoire qui remonte à l’Antiquité et à Homère.

Grâce à l’étude de Suzi Sperber (1976), nous connaissons la liste des livres de la bibliothèque personnelle de l'auteur. On y trouve cinq exemplaires d’Homère : deux traductions de l’Iliade, une en anglais (Homer, The Iliad, Harmonds w. Middlesex, Peguin Books, 1950) et une autre en allemand (Homer, Ilias, Leipzig, Dieterich’sche, 1938) ; trois traductions de l’Odyssée, une en français (Homère, Odyssée, Paris, Garnier, 1941), une autre en allemand (Homer, Odyssee, Berlin, er Tempel Verlag, s / d. 2 vols), et une troisième en anglais (Homer, The Odyssey, Harmondsw, Penguin, 1948).

Selon ses notes, la lecture par Guimarães Rosa de l’Iliade et de l’Odyssée date de 1950, année où il termine la préparation de la troisième édition de Sagarana, un recueil de nouvelles. La révision de Sagarana se produit entre mai et juillet, et la lecture de l’Iliade et de l’Odyssée, en octobre et novembre 1950. Cependant, la genèse de Sagarana commence bien avant la (re)lecture de la poésie épique par Guimarães Rosa. Il a inscrit le volume Contes, au Prix Humberto de Campos, institué par les éditions José Olympio en 1937, mais n’a pas fini de travailler le texte à ce moment-là.

Compte tenu de ses notes de lecture, il est très probable que la réélaboration de Sagarana, publié en 1946 à Rio de Janeiro chez Editora Universal, ait influencé sa décision de relire les poèmes plus systématiquement en 1950. Il est aussi probable que de telles lectures aient participé activement au destin et à la caractérisation de personnages héros, comme Joãozinho Bem-Bem qui est présent dans Sagarana et repris dans le roman Diadorim, originellement Grande Sertão : Veredas (1956) chez J. Olympio. À partir de ses notes sur la poésie épique, prises en 1950, lorsqu'il habitait à Paris[1], nous pouvons alors souligner ce que nous allons démontrer ultérieurement : son attention à la figure héroïque et ses éléments de composition, comme la belle mort, et surtout la jonction entre les personnages de l’Iliade et ses propres personnages. Tel est en tout cas le propos central de cet article.

I.  L’étude par Guimarães Rosa du héros d’Homère et sa mort dans le « sertão »

            Dans la section « Iliade » [« Ilíada »] du cahier de lecture d’Homère (en portugais intitulé Dante, Homero e La Fontaine) de Guimarães Rosa, dans plus d’un passage, on lit des citations de « L’heure et le tour d’Augusto Matraga », conte publié dans Sagarana[2]. Dans la première d’entre elles, en référence au Chant X, Guimarães Rosa reprend le discours d’Ulysse, dans lequel le héros cherche à contenir les compliments de Diomède (Iliade, X, v. 249-250) : « Fils de Tydée, ne cherche pas plus à me louanger qu’à me quereller. Les Achéens savent déjà tout ce que tu nous dis là ». Ce discours, pourtant, n’est pas transcrit dans le cahier après la référence au nom d’Ulysse, comme on pouvait y attendre, mais après la référence au nom du personnage de Guimarães Rosa, Joãozinho Bem-Bem, un guerrier admiré du « sertão », dont le duel final avec Augusto Matraga aboutit à la mort des deux hommes.

Puisque la note révèle l’association entre Joãozinho Bem-Bem et Ulysse, Martins Costa (1997 ; 2002) trouve la transposition du dialogue entre Ulysse et Diomède dans la nouvelle en question : « Mais on peut même pas avoir le plaisir de se bagarrer, pasque y a plus personne sitôt qu’on annonce que m’sieu Joãzinho Bem-Bem va se mettre de la partie… » (Rosa, 1997, 368. Traduction de Jacques Thiériot)[3]. Joãzinho Bem-Bem, parce qu’il écoute tels mots, les interrompt en disant : « Y a pas besoin de parler de ma réputation, camarade, tout le monde est au courant » (Rosa, 1997 : 368)[4]. Pour Martins Costa, ce serait la preuve que l’auteur traduirait Homère dans une sorte de langue du « sertão ». Son héros incorporerait le discours et les valeurs du héros épique.

Le thème de la mort glorieuse, cher à la poésie épique, sera également présent dans le duel de Bem-Bem et Matraga. L’auteur ajoute l’annotation suivante en lisant le Chant XXI de l’Iliade : « (Joãozinho BEM-BEM et MATRAGA, 387) IMPORTANT (J. BEM-BEM) : 388 (« Vieux Frère »…) » (Document E17, section « Iliade », 25. Traduction par nos soins)[5]. Cette partie en question se réfère au moment où Achille sent que sa fin est proche, mais que celle-ci serait peu glorieuse et tout à fait contraire à celle que sa mère lui avait promis si elle se confirmait ainsi :

Ah ! Zeus Père ! se peut-il que nul dieu n’ait le cœur de sauver de ce fleuve le malheureux que je suis ? Eh bien ! arrive que pourra ! Mais nul des dieux, issus de Ciel, ici n’est coupable. Ma mère l’est seule, qui m’a endormi avec ses mensonges [ψεύδεσσιν ἔθελγεν]. Elle prétendait que je périrais sous les murs des Troyens belliqueux, victime des flèches rapides d’Apollon. Ah ! pourquoi n’est-ce pas plutôt Hector qui m’a tué, lui qui a grandi ici le meilleur de tous ? C’eût été un brave qui m’eût tué, il eût dépouillé un brave [τώ κ’ ἀγαθὸς μὲν ἔπεφν’, ἀγαθὸν δέ κεν ἐξενάριξε]. Tandis qu’en fait, mon destin, je le vois, est de périr ici, d’une morte atroce [λευγαλέῳ θανάτῳ], proie d’un fleuve effrayant, ainsi qu’un jeune porcher entraîne par le torrent qu’il passait un jour d’orage. (Iliade, XXI, v. 273-283. Traduction de Paul Mazon)

Le discours d’Achille, en particulier la logique propre à la belle mort[6] qu’il révèle en fait, semble résonner dans les mots de Joãozinho Bem-Bem lui aussi proche de sa fin : « – Je vais passer, vieux frère… Je meurs, mais je meurs de la main de l’homme le plus habile des deux et le plus courageux que j’aie jamais connu !… Je vous ai toujours dit que vous étiez vraiment à la hauteur, vieux frère… C’est comme ça seulement que quelqu’un comme moi a la permission de mourir… Je veux finir en étant des amis… » (Rosa, 1997 : 386)[7].

Une fois de plus, Guimarães Rosa transformerait le discours du héros homérique en discours de guerrier du « sertão ». Néanmoins, contrairement au passage dans lequel Achille craint d’être attrapé par le fleuve et de souffrir ainsi une mort misérable, Joãozinho Bem-Bem prévoit la gloire de sa mort, sa valeur étant reconnue précisément par son tueur, car Augusto Matraga, en percevant le désir des gens, qui ont regardé le combat, de bafouer le cadavre de Joãozinho Bem-Bem, crie fort : « – Arrêtez cette matine, bande de mécréants !… Et ensuite enterrez son corps comme il convient, avec beaucoup de respect et portez-le en terre consacrée, car cet homme est mon parent m’sieu Joãzinho Bem-Bem ! » (Rosa, 1997 : 387)[8].

Toujours dans son journal de lecture de l’Iliade, dans un passage concernant le corps de Patrocle, au Chant XVI, l’auteur rapporte : « (La lutte sacrée pour les cadavres. L’horreur de la profanation des morts) » (Document E17, section « Iliade », 21. Traduction par nos soins)[9]. L’auteur signale que le thème du traitement à donner au corps du guerrier mort, cher à l’Iliade, l’intéresse aussi. Entre autres passages également, au Chant XVII (v. 120-139), Hector enlève les armes de Patrocle, et son corps n’est pas violé que parce qu’il est alors protégé par Ajax. Au Chant XXII, Hector, en retour de son acte, bien qu’il ait prié Achille, avant la fin de la bataille, de faire remettre son corps aux siens, n’est pas exaucé :

À l’arrière des deux pieds, il [Achille] lui perce les tendons entre cheville et talon ; il y passe des courroies, et il les attache à son char, en laissant la tête traîner. Puis il monte sur le char, en portant les armes illustres ; d’un coup de fouet, il enlève ses chevaux, et ceux-ci pleins d’ardeur s’envolent. Un nuage de poussière s’élève autour du corps ainsi traîné ; ses cheveux sombres se déploient ; sa tête gît dans la poussière – cette tête jadis charmante et que Zeus maintenant livre à ses ennemis, pour qu’ils l’outragent à leur gré sur la terre de sa patrie ! (Iliade, XXII, v. 396-404)

II. La tradition épique de la belle mort et la belle mort chez Guimarães Rosa

            Dans l’Iliade, ce n’est pas la mort elle-même qui tourmente Achille, même quand le meilleur des Achéens est à son imminence, face à la fureur de la rivière qui a failli l’emporter. Il ne semble pas non plus que ce soit la mort qui tourmente Hector, le meilleur des Troyens, quand il sait qu’il peut être tué par Achille. Ce n’est pas que le héros ne le craigne pas, mais sachant qu’il doit y faire face, il part se battre pour défendre ses compatriotes (Iliade, XXII, v. 483-487 ; VI, v. 365 ; XXIV, v. 725). C’est la mort sans gloire [ἀκλειῶς ἀπολοίμην] qui terrifie le héros épique. Achille et Hector déplorent le risque de ne pas accéder à la renomée. Ils veulent qu’on se souvienne d’eux, ils veulent que les hommes des nouvelles générations entendent parler de leurs exploits, parce qu’ils savent « que le héros est mémorisé dans le champ épique qui, pour célébrer sa gloire immortelle, se place sous le signe de Mémoire, se fait mémoire en le rendant mémorable » (Vernant, 1989 : 70). Antithèse radicale de la vie, la mort, qui impliquerait en principe « l’annulation de l’existence, le dénigrement de tout, l’obscurité de l’Hadès ou, philosophiquement, la privation de l’être » (Murari, O ser divino e a condição humana), présente au héros homérique une solution. La mort du héros est, comme l’indique Jean-Pierre Vernant (1989), l’élément ultime qui non seulement guide évidemment la vie du héros, mais élève et élargit complètement sa qualité, en constituant irréversiblement l’identité du héros, qu’on retiendra pour les années à venir.

En fait, si le guerrier meurt sans avoir accompli quelque chose de grandiose [μέγα ῥέξας τι] dans la guerre qui met fin à sa vie, il devient juste l’un des nombreux guerriers auxquels le poète ne consacre plus que deux versets à l’instant de sa mort, sans exactement souligner son statut de héros, mais la condition héroïque, alors en développement, de son tueur. De ce point de vue, il serait possible d’affirmer que ce qui définirait le héros dans l’Iliade serait à la fois sa capacité à tuer (acte qui suppose évidemment que l’agent soit toujours vivant), comme l’affirme Teodoro Rennó Assunção (1995), et la forme de sa mort, une belle mort, telle que proposée par Vernant.

Néanmoins, même si les exploits du héros épique sont excellents et ne semblent dépendre que de lui pour générer sa propre gloire, celui qui tue le grand guerrier est aussi responsable de la renommée de sa victime à travers les âges. Autrement dit, la belle mort épique n’est pas du tout solitaire : le grand guerrier devient aussi un héros, en plus de ses grandes actions, parce que son meurtrier légitime autorise sa renommée. Hector est mort bravement, et Achille, qui l’a tué, a magnifié sa valeur en étant le plus grand héros des Achéens. C’est-à-dire qu’Hector est mort dans les mains du héros le plus grand, le plus excellent de ses ennemis. Achille, à son tour, se sent menacé par le fleuve, car s’il meurt là, il aura une mort misérable [λευγαλέῳ θανάτῳ]. S’il se noie, seules les eaux seront responsables de son passage, et aucun grand héros ne rendrait digne sa mort au moment où s’embrase son existence.

Parmi d’autres héros, surtout avec le brésilien Joãozinho Bem-Bem, nous observons l’idée de la belle mort constituant le code héroïque du « sertão » chez Guimarães Rosa. C’est pourquoi, à l’approche de sa fin, nous identifions dans son discours quelque chose qui pourrait être associé au sentiment de soulagement. Il meurt entre les mains d’Augusto Matraga, son ennemi et le meilleur, dit-il, qu’il ait connu. Sa mort est donc digne, elle est à la hauteur de ses actes énormes, elle est enfin belle. En outre, non seulement l’acte de tuer et de mourir, dans son histoire, seront des marques de sa grandeur, mais sa mort et son corps mort doivent être respectés désormais, puisque la mort et le cadavre appartiennent à un grand héros. En d’autres termes, pour consolider la figure du héros de Guimarães Rosa, il est impératif que son corps soit correctement inhumé et que tel passage de sa biographie, précisément celui de la fin, soit marqué par le respect de son corps, constituant sa mémoire. D’où le fait qu’Augusto Matraga demande aux personnes qui ont assisté au combat, en attendant la mort des personnes impliquées d’enterrer son corps avec beaucoup de respect et en terre consacrée.

On observe une correspondance avec l’économie épique, comme en témoignent les cahiers de l’écrivain, correspondance que Guimarães Rosa pourra remettre en scène, plus tard, dans Diadorim. Dès le début du roman publié dix ans après Sagarana, on sait que la mort est l’horizon du guerrier : la mort de l’ennemi, même si celle-ci se fait au prix de sa propre vie. Le (non) respect du corps sans vie de l’ennemi glorieux est, d’ailleurs, ce qui se voit dans Diadorim, quand le narrateur et ex-guerrier Riobaldo empêche ses hommes d’enterrer Ricardão, l’allié d’Hermógenes et l’un des plus haïs, après la bataille : « N’enterrez pas cet homme ! » (Rosa, 2006 : 458. Traduction de Maryvonne Lapouge-Pettorelli)[10]. Les tirs sur l’allié d’Hermógenes, précisément, à travers l’interdiction de l’enterrement de son corps, confirment la mort comme élément d’élaboration de la figure du héros. En outre après la mort d’Hermógenes, même sa femme n’est pas chargée de préparer le cadavre :

Ils étaient allés ouvrir cette chambre, et arrivaient dans le couloir avec la femme d’Hermógenes. Pour qu’elle voie. – Madame, approchez-vous de la fenêtre, regardez dans la rue… – lui dit João Concliz. Cette Femme n’était pas méchante. – Reconnaissez un homme, madame, qui fut un suppôt du diable : mais il a déjà commencé à sentir mauvais, occis par la vertu du fer… Cette Femme allait souffrir ? Mais elle dit que non, secouant seulement légèrement la tête, avec le sérieux du respect. – Je le haïssais… – elle dit, ce qui me fit trembler. (Rosa, 2006 : 489)[11]

La position des guerriers et même de la femme devant le corps d’Hermógenes (le contraire du compte rendu détaillé des étapes de la préparation du corps de Diadorim, qui, à son tour, nous rappelle les funérailles de Patrocle au Chant XXIII de l’Iliade, XXIII), distinguent sa fin de la fin des autres guerriers morts, même ceux qui, bien que respectables, ne seraient pas nommés par le poète : « – De morts, beaucoup ? – Bien trop… » (Rosa, 2006 : 489)[12], João Curiol dit à Riobaldo, pour dire aussi qu’une partie du groupe travaillait pour ouvrir les tombes pour l’enterrement des gens.

D’autre part, quelques épisodes racontant les soins apportés au défunt, présentent les actions prescrites par ce que l’on pourrait appeler le code héroïque du « sertão ». Le premier d’entre eux qui doit être mentioné n’est pas, en effet, le traitement donné au cadavre, mais les soins qui, selon Riobaldo, devraient plutôt être appliqués à Marcelino Pampa, guerrier des plus réputés. Ce grand homme, parce que la bataille était en cours, ne pourrait être veillé : « il méritait les larmes d’une femme auprès de lui, une main tremblante pour lui bien fermer les yeux – parce que quelqu’un comme lui, d’une valeur si légitime, et sachant être et valoir, sans chercher à paraître, ne se rencontre pas deux fois. Et une bougie allumée, une seule au besoin, afin que la flamme éclaire le premier itinéraire de son âme » (Rosa, 2006 : 477)[13].

La bataille continue, avec de nombreuses morts, parmi eux, Hermógenes, victime déjà mentionnée, et Diadorim. Effectivement, ce dernier avait déjà déclaré ouvertement vivre pour venger la mort de son père Joca Ramiro : « Je ne peux avoir aucune joie, ni même simplement vivre, aussi longtemps que ces deux monstres ne seront pas bel et bien exterminés… » (Rosa, 2006 : 42)[14]. Diadorim est mort. Sa fin contraste avec la fin d’Hermógenes. Diadorim est enterré avec tous les honneurs et les adieux : son corps sans vie est lavé, vêtu de la meilleure pièce qu’il puisse porter et, entre ses mains est déposé le scapulaire de Riobaldo ainsi qu’un chapelet. Pour lui, les guerriers apportent les bougies et tous pleurent. La fosse est ouverte où jamais personne ne saurait le retrouver. « Enterrez-le à part, à l’écart des autres, en lisière d'un chemin, où jamais personne ne connaitra sa tombe et ne pourra le retrouver » (Rosa, 2006 : 491).

Chacun des soins apportés au corps de Diadorim pour ses funérailles réitèrent le refus de donner à Hermógenes la fin que méritent les héros. Plus encore : devant l’absence des soins apportés au défunt et de ceux qui pourraient pleurer sa mort, ce sera précisément la femme d’Hermógenes qui prendra en charge, de son propre chef, les attentions au corps de Diadorim.

Enfin, l’utilisation des variantes du texte dans le processus d’élaboration de Diadorim, présentées dans l’étude de Cecília de Lara (1998), nous permet d’insister sur l’argument que la belle mort chez Guimarães Rosa et les soins apportés à la dépouille du guerrier mort sont liés à la renommée d’un guerrier pour la postérité. La mort d’Hermógenes est élaborée de manière continue par l’auteur de la version primitive du texte et de ses brouillons, au texte publié :

« Hermógenes, mort et remort, a été tué… » – celui, là, qui parla, fut João Curiol. Mort… Remort… Le suppôt du Démon. Il n’existait plus aucun Hermógenes. Son compte réglé sans conteste : à la façon dont quelqu’un poignardé, se vide par la faille ouverte au creux du cou, de la totalité du sang : il était aussitôt devenu jaune, entièrement, couleur ocre de terre, avec le parfait air goguenard de quelqu’un qui cherche à se moquer du monde – une face de cimetière… Un Hermógenes. (Rosa, 2006 : 488)[15]

La caractérisation de la mort en tant que fin inéluctable de l’être est présente dès le manuscrit initial de l’auteur, dans lequel on lit déjà : « Mort… Remort… Le suppôt du Démon. Il n’existait plus aucun Hermógenes ». Elle se complète, dans la version de 1956, pour réitérer la finitude de l’être, qui ressemble à tout autre corps sans vie : « il était aussitôt devenu jaune, entièrement, couleur ocre de terre, avec le parfait air goguenard de quelqu’un qui cherche à se moquer du monde – une face de cimetière… ».

D’autre part, le passage qui raconte la mort de Diadorim subit un profond changement de la version primitive à la version publiée. L’auteur adoucit la cruauté de la première description, et s’efforce ainsi, étape par étape, d’atténuer la corruptibilité du personnage. Dans le premier projet, nous lisons l’exposition suivante : « parce qu’il était mort d’un coup de couteau dans le trou du cou, et c’est ainsi qu’ils ** restent, couleur de cire, c’est perdu le sang entier tiré dans un jet, à une seule fois … Diadorim » (Rosa apud De Lara, 1998 : 47, Traduction par nos soins)[16]. Dans ce passage de la version primitive, nous voyons clairement la comparaison du cadavre de Diadorim avec des morts ordinaires [« et c’est ainsi qu’ils ** restent, couleur de cire »] ; cela aboutit à l’aveu par le narrateur que Diadorim a également trouvé sa fin définitive dans sa mort. Ces considérations ont disparu. Ainsi, dans le roman sorti en 1956, ce que nous lisons est un récit non seulement plus délicat que l’original, mais aussi plus obstiné à faire vivre Diadorim, malgré sa mort :

Et sa beauté demeurait, elle demeurait intacte, plus impossible que jamais. Même ainsi, gisant dans cette pâleur de poudre, pareil à une chose, à un masque, desséché. Ses yeux restés ouverts pour nous voir. Le visage émacié, la bouche fendillée. Dans les cheveux la marque de la permanence… Je n’écris pas, je ne parle pas ! – pour qu’ainsi cela ne soit pas : cela n’a pas été, cela n’est pas, cela ne peut demeurer d’être, Diadorim… (Rosa, 2006 : 490)[17]

Il y a un effort évident de la part du narrateur pour souligner ce qui se superpose à la fin, qui serait la mort, élevant Diadorim au niveau de ceux qui ne se corrompent pas avec la mort, à travers les expressions « ses yeux restés ouverts pour nous voir », « dans les cheveux la marque de la permanence… », « sa beauté demeurait ».

III.  Du guerrier du « sertão » au héros : la mort de Matraga, de Bem-Bem et la mémoire immortelle

            Ayant développé l’argument de la mort du grand guerrier dans le « sertão » de Guimarães Rosa, il est temps d’analyser l’évolution du guerrier en question, Joãozinho Bem-Bem, comme moyen de réfléchir à la construction de la figure du héros du « sertão » en réponse à la tradition épique de la belle mort.

Dans la Grèce archaïque, l’oubli, le silence et le manque de gloire représentent la vraie mort, la mort totale (Detienne, 2006). Le héros demeure vrai et en vie pour les nouvelles générations, parce qu’il est chanté par le poète. L’histoire de la vie et de la mort de Joãozinho Bem-Bem nous permet d’observer cette même logique, non seulement à travers la fiction, mais aussi à travers son histoire dans les journaux de lecture de Guimarães Rosa. L’histoire de Bem-Bem permet de concevoir la mort comme l’événement ultime qui qualifie les hauts faits du grand guerrier en confirmant son excellence et en le couronnant comme le héros, qui, comme les héros épiques, mérite d’être rappelé et le sera en effet.

Dans « L’heure et le tour d’Augusto Matraga », nouvelle qui raconte la mort de notre personnage, nous pouvons examiner la relation entre la mort ou le défunt et la consolidation de la gloire du héros de différentes manières. Celle qui serait la première mort d’Augusto Matraga, à ce moment-là encore Nhô Augusto Estêves, avait tout pour donner à cet homme la mauvaise réputation qu’il méritait, ce qui est souligné par la forme de la mort qui n’aurait rien de beau. Selon le plan du Major Consilva, Nhô Augusto devrait être emmené loin de la ville avant d’être assassiné. Nhô Augusto reçoit dans sa chair la marque de fer rouge utilisée pour identifier le bétail du major. Les assassins font une croix en haut de la colline, où, vraisemblablement, cet homme aurait connu la fin de ses jours. Tous croyaient que la victime deviendrait nourriture des vautours, comme affirme l’homme âgé qui, cependant, lui sauve la vie.

La logique du « sertão », même si c’est « une histoire inventée » (Rosa, 1997 : 360), démontre que la fin, celle de Nhô Augusto Estêves telle qu’exposée au début de l’histoire, jeté aux vautours, ne pourraient pas faire de lui un héros célébre. Effectivement, Augusto Matraga, soit par ses actions soit par sa presque-mort misérable, ne voulait pas que l’on se souvienne de lui pour la vie qu’il menait avant de presque mourir. C’est ce qu’il dit à une vieille connaissance, Tião da Thereza, dans la ville du Tombador, où il va vivre après avoir été sauvé :

Je te demande qu’une chose, c’est faire comme si tu m’as pas vu, et rien raconter à personne, pour l’amour de Dieu, pour l’amour de ta femme, de tes enfants et de tout ce qui t’est cher !… C’est pas un gros mensonge, parce que c’est la même chose que si j’étais mort pour de bon… Y a plus aucun Maître Augusto Estêves de Pindaíbas, Tião… (Rosa, 1997 : 362)[18]

Pour que rien de sa vie antérieure ne revienne jamais à la mémoire des hommes, Augusto Matraga voulait que Tião da Thereza s’engage à ne pas réveiller ses méfaits dans la mémoire de ceux qui l’ont connu par le passé où il était le redoutable Nhô Augusto Estêves.

Au contraire de sa presque-mort, sa vraie mort sera la limite à partir de laquelle ce qu’il a fait dans la deuxième phase de sa vie méritera d’être rappelé par les vivants, avec son consentement. Désormais, il allait falloir se souvenir de ses exploits dans la petite ville du Tombador, où il avait servi auprès de tous, après la violence qu’il a subie des hommes du Major Consilva. Il fallait aussi se souvenir de ses hauts faits dans le Rala-Côco, une autre petite ville où, pour protéger un vieillard et ses enfants innocents, il tue et meurt lui-même en grand héros.

Déjà dans ses derniers soupirs, Augusto Matraga reçoit des habitants du camp des marques de piété. Ils embrassent ses pieds et l’accueillent comme un saint, sans laisser aucun doute sur le bon trairement futur de son corps. Il apprend aussi dans les moments précédant son décès que son souvenir sera cultivé, car, au lieu de cacher à la mémoire des hommes ses actes odieux, désormais, après avoir tué le héros Joãozinho Bem-Bem, il veut savoir, des gens en cercle autour de lui, qui a entendu prononcer son nom. Il est reconnu par son cousin, João Lomba, et la reconnaissance est la garantie que ses hauts faits et sa belle mort ne seront pas oubliés. Sa mémoire sera vivante dans la chaîne continue des générations. Par conséquent, il ferme les yeux et de son visage émane un contentement serein.

Si à l’issue de l’histoire nous sommes sûrs qu’Augusto Matraga devient un héros, s’inscrivant dans la plus haute caste du « sertão », composée des grands héros, nous ne savons pas grand-chose de Joãozinho Bem-Bem. Nous avons déjà vu qu’en le tuant, Augusto Matraga demande, avant de mourir lui aussi, que le corps de son ami ne soit pas outragé, mais qu’il soit enterré avec beaucoup de respect et en terre consacrée. La fin que Matraga veut donner à Bem-Bem et qui indique aussi ce qu’il veut pour lui-même serait la fin méritée de chaque héros, dont la belle mort et dont les belles actions seront aussi attestées par le respect du corps et de la tombe. L’espoir de ne pas être oublié par l’histoire, cependant, repose sur la figure de Matraga et non sur celle de Bem-Bem. C’est comme si la demande miséricordieuse et juste d’Augusto Matraga mettait davantage en valeur sa propre grandeur plutôt qu’elle ne défendait la grandeur de l’autre, même s’il cherchait à la défendre aussi – ce qui, à la limite, nous rappelle le code héroïque de l’Iliade déjà mentionné, où les versets qui racontent la mort des guerriers mineurs soulignent non pas exactement leur condition héroïque, mais l’état héroïque de leur tueur.

Néanmoins, dix ans après la parution de « L’heure et le tour d’Augusto Matraga », dans le roman Diadorim, les nouveaux guerriers du « sertão » sont devenus les témoins de la renommée de Joãozinho Bem-Bem. Diadorim, le personnage qui donne son nom à la traduction française du roman, est un des témoins de la haute réputation acquise par Bem-Bem. Diadorim, qui n’hésite pas à mourir pour prendre la vie d’Hermógenes, et qui cherche sa belle mort pour accomplir son devoir, selon le narrateur et ex-guerrier Riobaldo, « prônait en exemple la règle de fer de Joãozinho Bem-Bem – toujours sans femme, mais en toute occasion vaillant » (Rosa, 2006 : 171)[19]. Comme Diadorim, Zé Bebelo, autre grand personnage du « sertão », se souvient des guerriers célèbres : « En exemple, leurs noms ont été ceux-ci : Joca Ramiro, Joãozinho Bem-Bem, Sieur Candelário !… » (Rosa, 2006 : 239)[20]. C’est encore Zé Bebelo, avant la mort de Joca Ramiro, qui dit que Joãozinho Bem-Bem, plus qu’un exemple, était le chef qu’il suivrait : « Le seul homme-jagunço que je pouvais respecter, Sieur Baldo, n’est déjà plus de ce monde… » (Rosa, 2006 : 122)[21]. Dans Diadorim, enfin, Bem-Bem est devenu légendaire ; sa figure, parmi celles d’autres héros, est associée à une tradition renforcée à chaque génération, puisque chaque génération fournit ses héros, complétant cette chaîne et la rendant encore plus forte et cohérente.

Ainsi, si le roman de Guimarães Rosa présente « des ruines, des fragments, des débris, des déchets » (Starling, 1999 : 16) de ce que le projet de modernisation du pays aurait rejeté parce qu’il ne pouvait ou ne voulait pas en profiter, les gens du « sertão », bergers, prostituées, malades et guerriers, un peuple, enfin, sans droits et sans existence politique dans l’histoire de cet univers, il nomme, en manière de réponse à cette histoire, l’histoire des héros de sa tradition ; parmi eux, Joãozinho Bem-Bem. Vivant au passé et au présent, le chant de kléos de Bem-Bem et d’autres anciens reste dans la mémoire des guerriers qui, comme Riobaldo, ne veulent pas être oubliés :

Trop vouloir le bien, de façon incertaine, peut déjà être comme vouloir le mal, pour commencer. Ces hommes ! Chacun tirait le monde à soi pour l’accomoder bien raccommodé. Mais chacun ne voit et ne comprend les choses qu’à sa seule façon. Sur le nombre, le plus sérieux, suprême, – fut Medeiro Vaz. Et un homme à l’ancienne mode… M’sieur Joãozinho Bem-Bem, le plus courageux de tous, jamais personne n’a pu déchiffrer de quoi en dedans il était fait. (Rosa, 2006 : 31)[22]

Riobaldo dit : « Je l’ai appris des anciens » (Rosa, 2006 : 325)[23]. Lui et ses compagnons veulent, comme les héros qui les ont précédés dans ce combat sans fin, atteindre la gloire, mais parce qu’ils les ont comme modèle, ils font de leur histoire une histoire vivante. Les hommes meurent, Medeiro Vaz, Joca Ramiro, Joãozinho Bem-Bem, mais la renommée leur survit.

Certes, grâce aux notes de l’auteur sur la poésie épique, très probablement prises en 1950, on peut identifier les confluences entre les personnages de l’Iliade et les personnages de Guimarães Rosa dans « L’heure et le tour d’Augusto Matraga ». La parution de la nouvelle en 1946 à Rio de Janeiro chez Editora Universal, pourtant, précède sa (re) lecture de l’Iliade et nous indique une connaissance antérieure d’Homère par l’auteur (ce qui est indirectement confirmé par les traductions de l’Iliade et de l’Odyssée trouvées dans la bibliothèque personnelle de l’auteur, acquise lors de son séjour en Allemagne entre 1938 et 1942, où l’on peut lire au verso : « Guimarães Rosa. Hambourg, 27/8/1940 »).

Il est possible d’aller au-delà des confluences entre l’Iliade et « L’heure et le tour d’Augusto Matraga », qui nous raconte la saga d’Augusto Matraga et, à côté d’elle, la saga de Joãozinho Bem-Bem et, dans ce sens, d’aller au-delà de ce que propose Ana Luiza Martins Costa par rapport à la nouvelle de Sagarana : « Guimarães Rosa traduit Homère dans une langue du « sertão », faisant que Joãozinho Bem-Bem incorpore le discours et les valeurs du héros épique » (2002 : 89).

Le parcours de Joãozinho Bem-Bem de « L’heure et le tour d’Augusto Matraga » jusqu’à Diadorim décrit sa transformation de guerrier du « sertão » en héros et fournit un complément au code héroïque qui, situé dans cet univers particulier, actualise le code héroïque de l’épopée grecque. Guimarães Rosa prend à témoin les nouvelles générations guerrières de la gloire de ceux qui, comme Bem-Bem, l’ont obtenue en mourant. Cette mise à jour n’est donc pas uniquement une traduction d’Homère dans l’arrière-pays brésilien, comme le propose Ana Luiza Martins Costa. L’écrivain adopte une attitude d’actualisation plutôt que d’incorporation de la tradition épique, son matériel de travail. L’auteur travaille sur les Anciens pour les actualiser, en incorporant des éléments de la tradition – la belle mort, les soins apportés au héros mort ou même l’interdiction de l’enterrement de son corps – pour finalement présenter le « sertão » ; mais le témoignage de Diadorim, Zé Bebelo et Riobaldo sur la valeur de Bem-Bem dans le roman de 1956 n’est pas un de ces éléments de tradition. Il répond à la tradition, parce que l’Iliade ne donne à ses grands héros que l’espoir de postérité glorieuse. Ce qui se passe effectivement chez Guimarães Rosa n’existe qu’à l’état d’espérance chez Homère.

La mort héroïque, malgré ce qu’elle est : la fin physique du bon guerrier en compétition avec un autre guerrier pour décider qui des deux est le meilleur, ne peut mettre en échec sa capacité guerrière et son droit à la renomée. Au contraire, cela prouve son mérite et sa hantise d’être oublié et c’est pour cela qu’elle est profondément associée à sa renommée. La construction de la mémoire dans l’Iliade, qui est tributaire des circonstances dans lesquelles meurt le héros, conviendrait également au code héroïque du « sertão ». Dans Diadorim, le narrateur caractérise un type de mort que nous pourrions également qualifier de mort héroïque et qui fait partie de la construction de la renommée du guerrier du « sertão ». Mais Guimarães Rosa, en confirmant la renommée de Bem-Bem dans Diadorim – c’est plus que présenter les hauts faits et la belle mort d’un personnage dans l'espoir qu’il conquerra par sa valeur sa renommée – ne transporte pas seulement Homère vers le « sertão ». Il démontre les mécanismes de fonctionnement de la tradition épique qu’il choisit d’actualiser et les certifie. Ainsi, intérieurement, Guimarães Rosa met à jour cette tradition parce qu’à travers l’histoire de nouveaux guerriers, nous voyons comment, en se remémorant les héros du passé, ils sont capables de les sauver de l’oubli, de les rendre réels, dans une certaine mesure vivants. C’est-à-dire qu’il y a un travail de mémoire élaboré intérieurement par la fiction qui réinvente l’idée de héros. Extérieurement aussi il met à jour cette tradition, parce que grâce à l’histoire de la création de ces personnages, que nous suivons un peu à travers ses notes de lecture de l’Iliade et de l’Odyssée, Guimarães Rosa se souvient lui aussi des Anciens et les sauve également de l’oubli, un mouvement mémoriel que la tradition détient mais qu’elle ne rend pas rigide.

 

Notes de fin

[1] João Guimarães Rosa était diplomate et a vécu quelques annés en France et en Allemagne. Voir son « Diário em Paris », diponibles à l’Université de São Paulo, Dossier E3 (1) e E3 (2) – France-Paris (121 p.), Archive Guimarães Rosa, Série Études pour l’œuvre.

[2] Originellement intitulée « A hora e vez de Augusto Matraga », la nouvelle a été traduite en français pour la première fois en 1958 par Antonio et Georgette Tavares Bastos avec pour titre « L’heure et la chance d’Augusto Matraga ». En 1997, la nouvelle a été traduite une deuxième fois chez Albin Michel par Jacques Thiériot, avec pour titre « L’heure et le tour d’Augusto Matraga ».

[3] Dans l’édition originale : « Mas a gente nem pode mais ter o gosto de brigar, porque o pessoal não aparece, no falar de entrar no meio o seu Joãozinho Bem-Bem… » (Rosa, 2001b, p. 391).

[4] « Prosa minha não carece de contar, companheiro, que todo o mundo já sabe » (Rosa, 1997 : 391).

[5] « Joãozinho BEM-BEM e MATRAGA: importante! p. 387) IMPORTANTE (J. BEM-BEM): p. 388 (« Mano Velho » …) » (Documento E17, seção « Ilíada », 25).

[6] La belle mort, qui reçoit ce nom des oraisons funèbres de l’époque classique (LORAUX, 1994), révèle l’homme [καλός θάνατος] qui accepte de payer de sa vie le refus de renoncer à combattre et la quête d’une gloire éternelle.

[7] « – Estou no quase, mano velho… Morro, mas morro na faca do homem mais maneiro de junta e de mais coragem que eu já conheci!… Eu sempre lhe disse quem era bom mesmo, mano velho… É só assim que gente como eu tem licença de morrer… Quero acabar sendo amigos… » (Rosa, 2001b : 411).

[8] « – Pára com essa matinada, cambada de gente herege!… E depois enterrem bem direitinho o corpo, com muito respeito e em chão sagrado, que êsse aí é o meu parente seu Joãozinho Bem-Bem ! » (Rosa, 2001b, p. 412).

[9] « (A sacra luta pelos cadáveres. O horror à profanação dos mortos) » (Documento E17, seção « Ilíada », 25).

[10] « Não enterrem esse homem! » (Rosa, 2001a, 574).

[11] « Como estavam indo abrir aquele quarto, trazendo do corredor a mulher do Hermógenes. Ela visse. […] – A senhora conheça, dona, um homem demõiado, que foi: mas que já começou a feder, retalhado na virtude do ferro. Aquela mulher ia sofrer? Mas ela disse que não, sacudindo só de leve a cabeça, com respeito de seriedade. – Eu tinha ódio dele… – ela disse; me estremecendo. » (Rosa, 2001a : 613).

[12] « – Mortos, muitos? – Demais… » (Rosa, 2001a : 613).

[13] « [Marcelino Pampa] merecia lágrimas dalguma mulher perto, mão tremente que lhe fechasse bem os olhos. Porque não se vê outro assim, com tão legítimo valor, capaz de ser e valer, sem querer parecer. E uma vela acêsa, uma que fosse, ali ao pé, a fim de que o fogo alumiar a primeira indicação para a alma dele » (Rosa, 2001a : 598).

[14] « Não posso ter alegria nenhuma, nem minha mera vida mesma, enquanto aqueles dois monstros não forem bem acabados… » (Rosa, 2001a : 46).

[15] « – O Hermógenes está morto, remorto matado… – quem falou foi o João Curiol. Morto… Remorto… O do Demo… Havia nenhum Hermógenes mais. Assim de certo resumido – do jeito de quem cravado com um rombo esfaqueante se sangra todo, no vão-do-pescoço: já ficou amarelo completo, oca de terra, semblante puxado escarnecente, como quem da gente se quer rir – cara sepultada… Um Hermógenes. » (Rosa, 2001a : 612).

[16] « porque ele tinha falecido de um rombo esfaqueante no vão do pescoço, e é desse jeito que **então êles (ms na ch) ficam, côr de cera, perdido o sangue todo ressurtido num repuxo só, de uma vez… Diadorim » (Rosa apud De Lara, 1998 : 47).

[17] « E a beleza dele permanecia, só permanecia, mais impossivelmente. Mesmo como jazendo assim, nesse pó de palidez, feito a coisa e máscara, sem gota nenhuma. Os olhos dele ficados para a gente ver. A cara economizada, a boca secada. Os cabelos com marca de duráveis… Não escrevo, não falo! – para assim não ser: não foi, não é, não fica sendo! Diadorim » (Rosa, 2001a : 614).

[18] « – Só te peço é para fazer de conta que não me viu, e não contar p'ra ninguém, pelo amor de Deus, por amor de sua mulher, de seus filhos e de tudo o que para você tem valor!… Não é mentira muito, porque é a mesma coisa em como se eu tivesse morrido mesmo… Não tem mais Nhô Augusto Estêves, das Pindaíbas, Tião… » (Rosa, 2001b : 384).

[19] « […] dava como exemplo a regra de ferro de Joãozinho Bem-Bem – o sempre sem mulher, mas valente em qualquer praça » (Rosa, 2001a : 208).

[20] « Meu exemplo, em nomes, foram estes: Joca Ramiro, Joãozinho Bem-Bem, Sô Candelário » (Rosa, 2001a : 294).

[21] « O único homem-jagunço que eu poderia aceitar, siô Baldo, já está falecido… » (Rosa, 2001a : 196).

[22] « Querer o bom com demais força, de incerto jeito, pode já estar sendo se querendo o mal, por principiar. Esses homens! Todos puxavam o mundo para si, para o concertar consertado. Mas cada um só vê e entende as coisas dum seu modo. Montanto, o mais supro, mais sério - foi Medeiro Vaz. Que um homem antigo… Seu Joãozinho Bem-Bem, o mais bravo de todos, ninguém nunca pôde decifrar como ele por dentro consistia » (Rosa, 2001a : 32).

[23] « Aprendi dos antigos » (Rosa, 2001a : 404).

 

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Pour citer cet article

Lorena Lopes da Costa, « Du héros épique au guerrier du "sertão" : les anciens chez João Guimarães Rosa», RITA [en ligne], N°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019 . Disponible en ligne: http://revue-rita.com/notes-de-recherche-12/du-heros-epique-au-guerrier-du-sertao-les-anciens-chez-joao-guimaraes-rosa-lorena-lopes-da-costaa.html