• Numéro 16
  • Numéro 16
  • Numéro 16
  • Numéro 16
  • Numéro 16

    Crise dans les Amériques
  • Numéro 16

    Crise dans les Amériques
  • Numéro 16

    Crise dans les Amériques
  • Numéro 16

    Crise dans les Amériques

Les sages-femmes traditionnelles mexicaines, actrices ou instruments des systèmes de santé publique ?
¿Las parteras tradicionales mexicanas: actrices o instrumentos de los sistemas de salud pública?

Résumé
En une trentaine d’années, le contexte d’exercice de la profession des sages-femmes traditionnelles mexicaines a connu d’importants changements. Groupe de thérapeutes le plus important en nombre, jouissant d’une reconnaissance sociale dans leurs communautés, les sages-femmes furent les premières cibles des institutions dans l’intégration des thérapeutes traditionnels au système de santé national au Mexique, politique mise en œuvre avant même la déclaration de l’OMS à Alma Alta en 1978. Instrumentalisées au gré des politiques de santé publique ou des objectifs des ONG’s, reléguées au rang d’emblème folklorique d’un passé idéalisé voire de doulas américaines (accompagnatrices bien-être des femmes enceintes sans statut de professionnel de santé)… elles voient leur champ d’action se réduire inexorablement, entrainant non seulement la disparition de connaissances et savoir-faire plurimillénaires mais également un déficit d’attention et de soins aux femmes au cours de la santé reproductive. Les sages-femmes traditionnelles ne sont finalement jamais considérées pour leur savoir-faire.  Entre mépris, utilisation voire récupération, quel est leur véritable statut, quelle reconnaissance leur accorde-t-on et pour quel espace thérapeutique ?

Mots clés : Sages-femmes traditionnelles; Genre; Santé reproductive; Politiques publiques; Mexique.


Resumen
En treinta años, el contexto de ejercicio del oficio de las parteras tradicionales conoció importantes cambios. Siendo el grupo de terapeutas más numeroso, gozando de un reconocimiento dentro de su comunidad, las parteras tradicionales fueron las primeras elegidas para  implementar los programas de integración de la medicina tradicional en el sistema nacional de salud pública en México, política aplicada incluso antes de la declaración de la OMS en Alma Alta en 1978. Instrumentadas según las políticas de salud pública o de los objetivos de les ONG’s, relegadas al rango de emblema folclórico de un pasado idealizado o incluso de doulas americanas (acompañantes para el bienestar de las mujeres embarazadas sin estatuto profesional en la salud)…, ellas ven a su campo de acción reduciéndose inexorablemente, llevando no solo a la desaparición de conocimientos y sabiduría de varios milenios sino también a una falta de atención de las mujeres en la salud reproductiva. Las parteras tradicionales nunca son reconocidas por sus habilidades. Entre el desprecio, el uso e incluso la recuperación ¿cuál es su verdadero estatus, qué reconocimiento se le concede y para qué espacio terapéutico?

Palabras clave: Parteras tradicionales; Género; Salud reproductiva; Políticas de salud pública; México.


------------------------------
Claire Laurant

Docteure en Anthropologie
Instituto de Antropología e Historia (INAH) Morelos

Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Margarita Avilés Flores

Bachelor biologie, Responsable Projet Ethnobotanique et Plantes Médicinales
Intituto de Antropología e Historia (INAH) Morelos.

Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Les sages-femmes traditionnelles mexicaines, actrices ou instruments des systèmes de santé publique ?

 

Introduction

          En trois décennies de terrain ethnographique dans l’Etat de Morelos auprès de sages-femmes traditionnelles dans des zones urbaines (Cuernavaca et Temixco), suburbaines (Jiutepec) et rurales (Santa Marἰa, Tres Marἰas, Huitzilac et Hueyapan), nous avons constitué un important corpus de données sur les plantes médicinales et les pratiques thérapeutiques relatives à la santé reproductive[1]. Cette longue période de terrain présente l’intérêt de mettre en lumière l’évolution de ces pratiques et de mesurer l’impact de différents facteurs, politiques de santé publique, migration, globalisation… dans une approche à la fois synchronique et diachronique. Les données ont été recueillies selon la méthodologie classique en ethnologie, entretiens semi-participatifs enregistrés à partir d’un questionnaire structuré, permettant à la fois des échanges et une liberté de conversation sans perdre le fil conducteur des pratiques relatives à la prise en charge de chaque étape de la santé reproductive, grossesse, accouchement, période puerpérale et troubles gynécologiques.

L’étude des plantes médicinales dans ce contexte particulier s’envisage dans une perspective interdisciplinaire avec une méthodologie intégrant des éléments de botanique, d’histoire et d’anthropologie médicale (Martἰnez Alfaro, 1976 :75-83). La relation des sages-femmes au végétal s’insère dans leur système de représentation du monde et permet ainsi d’accéder à leurs connaissances (Barrau, 1971 : 15-32).

À partir des années 1970, l’OMS recommande aux pays du sud la mise en œuvre de deux objectifs dans leur politique de santé : l’accès aux soins de santé primaire et l’intégration des médecins traditionnels au système de santé avec, comme thématique centrale, le développement communautaire. Le lien entre ces deux objectifs apparaît de nature purement idéologique (Pottier, 1983 : 107-15), un programme de soins de santé primaire impliquant une amélioration du niveau de vie des populations d’une part et, d’autre part, de trouver des acteurs locaux suffisamment reconnus dans leur communauté pour relayer ces politiques de développement socio-économiques. Les sages-femmes furent les premières cibles.

Héritières actives d’une connaissance et d’un savoir-faire relatifs à la santé reproductive, les sages-femmes traditionnelles accompagnent les femmes dans les cycles de la vie. Personnages clés dans leur communauté, leur champ d’action dépasse largement le cadre thérapeutique, elles exercent une fonction sociale de conseillères voire de confidentes grâce à la connaissance qu’elles ont de l’histoire familiale de leurs patients et des rapports sociaux internes à leur communauté, car elles partagent les mêmes référents culturels.

Les sages-femmes représentent le groupe de thérapeutes le plus important en nombre au Mexique, douze mille environ et, pour l’État de Morelos, aux alentours de neuf cents. Leur vocation est révélée souvent précocement ; leurs connaissances sont transmises par un ascendant, sage-femme, herboriste, guérisseur, parfois dès leur plus jeune âge et consolidées par un apprentissage clinique auprès d’un autre thérapeute, dans certains cas par un médecin.

La construction de leur connaissance et de leur savoir-faire est le fruit d’un processus d’intégration complexe d’éléments issus aussi bien de traditions savantes que populaires acquises au fil des rencontres et des échanges et par la convergence d’aires culturelles de savoirs (Lieutaghi, 1986 : 36-41). Le passage de ces éléments au filtre de leur vision du monde et notamment à travers un référent commun à l’aire mésoaméricaine, le concept de chaud et froid, autorise l’intégration de ces connaissances et savoirs-faire au corpus thérapeutique des sages-femmes qui les rendent dynamiques et opérationnels par leur expérience clinique quotidienne. Rares sont celles qui ne sont que sages-femmes, la plupart exercent d’autres spécialités pour lesquelles elles sont reconnues. Leurs patients se déplacent parfois de très loin pour les consulter.

Elles occupent un espace thérapeutique vacant dans l’accompagnement de la femme au cours de sa vie reproductive et plus activement au cours de la grossesse et de la période puerpérale, dans une approche globale de santé physique et émotionnelle. Elles prodiguent des soins aussi bien que des conseils concernant l’hygiène de vie, la diététique et la transmission de valeurs socioculturelles (interdits et représentations).

De par la nature même de leur travail avec les femmes et parce que cet espace thérapeutique est convoité par la biomédecine quasi exclusivement masculine, elles sont confrontées quotidiennement aux questions de genre. Malgré les apparences du discours institutionnel, leur traitement est le plus souvent discriminatoire et l’application des programmes de santé publique les menace directement dans l’exercice de leur profession.

I. Construction des connaissances et savoir-faire des sages-femmes

          A. Héritage mésoaméricain et médecine hippocratique

          Dans l’Etat de Morelos, le groupe des sages-femmes traditionnelles est hétérogène quant à leur appartenance culturelle, nahuas ou métisses, originaires de la région ou migrantes venues d’autres États, au lieu dans lequel elles exercent, zones urbaines, suburbaines ou rurales et à leurs pratiques thérapeutiques. La plupart pratiquent d’autres spécialités thérapeutiques à filiation culturelle (Zolla, 1993)[2]. Toutes ont en commun une personnalité bien plantée et jouissent de prestige dans leur communauté ; cependant toutes ne vivent pas leur métier de la même façon… quelques-unes surfent sur la vague des médecines intégratives en adaptant leurs pratiques traditionnelles à leur négoce tandis que d’autres exercent leur talent de thérapeute pour répondre aux attentes des patientes avant tout autre considération. Il n’existe pas de cohésion de groupe en tant que tel, ce qui ajoute à leur vulnérabilité.

Leurs pratiques constituent un métissage culturel constitué d’éléments issus de systèmes de référence parfois opposés (médecines savante et populaire, préhispanique ou coloniale), sorte de tequitqui[3] ou mudéjar mexicain, employé par Somolinos d’Ardois (1971 :473-80) pour décrire des pratiques syncrétiques en matière de médicine. Les sages-femmes font aisément cohabiter ces pratiques.

Bien que leurs frontières soient mobiles et perméables, schématiquement la construction des connaissances et savoir-faire des sages-femmes renvoie à cinq catégories principales : médecine précolombienne (mésoaméricaine[4]), médecine savante hippocratique ou galénique introduite dans les décennies qui suivirent la conquête[5], biomédecine avec la mise en place des formations pour les agents de santé communautaires dans les années 1970 au Mexique, médecines intégratives, véhiculées par la globalisation, et, élément central, leur immense expérience clinique. Ces femmes se transmettent des pratiques relatives à l’obstétrique depuis des temps anciens ; « Moi, [c’est] seulement en regardant et ma maman était une bonne sage-femme et pourtant elle ne savait ni lire ni écrire non plus (…) et voilà comment j’ai commencé à apprendre[6] ». Leur habileté et leur curiosité à intégrer des connaissances nouvelles sont remarquables.

L’héritage de la médecine précolombienne transparaît par l’usage des massages, des bains, des plantes médicinales, des conseils prodigués par la sage-femme à la femme enceinte où diètes et interdits sont très présents (Avilés et al., 2003 : 9-14 ; Laurant-Berthoud, 2009 ; 134-19) Ces pratiques sont décrites par Sahagún (1999 : 377) et sont étroitement liées à la vision du monde précolombien, système construit à partir des connexions entre les différents plans du cosmos, ciel, intérieur de la terre, surface de la terre où évoluent l’homme, les plantes et les animaux, appelée aussi « trilogie homme/nature/cosmos » par López Austin. Dans ce système, la santé de l’homme résulte de l’équilibre entre les différents plans, physique, émotionnel, de son état d’esprit et de la relation qu’il entretient aux autres. Certains organes ou parties du corps détiennent en plus de leur fonction physiologique une fonction énergétique, comme le foie, le cœur ou le sommet de la tête (López Austin, 2008 : 261). Ainsi, plusieurs pathologies sont en lien direct avec la cosmovision comme la caida de mollera (chute de la fontanelle), la pérdida de la sombra (perte de la force animique) ou encore le caxan (fièvre puerpérale), requérant des traitements en accord avec la nosologie. Cette cosmovision constitue le fil d’Ariane qui permet l’intégration à leurs pratiques de chaque élément nouveau.

          B. Médecine et pharmacopée aztèque

Dans les premiers temps de la conquête, la richesse des pharmacopées indigènes, les connaissances botaniques et pharmacologiques, la compétence des médecins nahuas et l’efficacité de leurs traitements fascinent les Européens (Viesca, 1995 : 73). Cependant cette médecine sera rejetée quelques décennies plus tard car considérée comme empirique et magique (Comas, 1995 : 91-2). La médecine des humeurs entre en force dans le Nouveau Monde avec les colons et, parmi eux, des médecins formés à la médecine galénique encore enseignée dans les universités européennes. Le système humoral s’articulant aux catégories classificatoires déjà présentes dans l’aire Mésoaméricaine (López Austin, 2008 : 303-18),  un « métissage » des pratiques thérapeutiques apparaît d’autant plus facilement que les médecins nahuas, à l’instar de toutes les autres pratiques culturelles, religieuses, sont connus pour leur capacité à intégrer des éléments d’autres cultures. L’intégration de plantes nouvelles reste la meilleure illustration (Anzures y Bolaños, 1983 : 39). Ainsi les sages-femmes adoptent des plantes d’origine européennes dans leur pharmacopée comme la rue (Ruta graveolens ou R. chalepensis), plante des femmes bien connue en Europe et dans les pays méditerranéens pour ses propriétés emménagogues et abortives. Grâce à leur savoir-faire, elles découvrent des usages originaux à la plante comme celui d’accélérer l’accouchement et de faciliter la délivrance. Une autre plante médicinale emblématique de la connaissance des sages-femmes illustre à elle seule le parcours de ces savoirs traditionnels à travers les siècles et les attentes des protagonistes, médecins, chimistes et institutions publiques : le zoapatle (Montanoa tomentosa). Zoapatle provient de la déformation de son nom nahuatl, cihuapatli, la plante des femmes, que les Espagnols ne parvenaient pas à prononcer. Arbuste appartenant à la famille des Astéracées, son histoire au fil du temps se transforme en véritable saga botanique, pharmacologique, chimique, thérapeutique et commerciale mais surtout révèle des faits de société. Les feuilles de cette plante endémique de l’Altiplano central du Mexique sont administrées par les sages-femmes pour différentes indications, avorter au cours des trois premiers mois de la grossesse, prévenir un accouchement prématuré entre les septième et neuvième mois et pour faciliter l’accouchement, accélérer la délivrance et prévenir les hémorragies post partum. Pour le moins contradictoire ! La préparation se fait en décoction, les dosages et les posologies sont très précis et toujours les mêmes en fonction de l’effet recherché, en infusion ou décoction dans du chocolat avec de la cannelle. Il n’y a aucune variante dans les données de terrain, les pratiques relatives à la plante sont homogènes (Lozoya et Lozoya, 1982 : 193-224, Laurant, 2009 : 355-8). Le cihuapatli est représenté dans le Codex Badiano[7] dans la rubrique Remèdes pour la parturiente avec comme indication de faciliter l’accouchement associé à d’autres plantes et substances animales, puis mentionné dans le Codex Florentino (1547-1558), par Francisco Hernández (1570-1577) et dans les Relations géographiques. Au cours du XVIIe siècle, plusieurs auteurs citent la plante, son intégration à la médecine humorale transparaît : « En plus, elle dissout admirablement bien les humeurs… », « elle est sèche au troisième degré… » (Hernández, 1959). Au XVIIIe siècle, des botanistes publient une détermination botanique de l’arbuste[8] et Flores (1886) décrit plusieurs propriétés non encore mentionnées de la plante (tumeurs abdominales, anasarque, dysenterie, comme diurétique…), reprenant cependant les indications gynécologiques dans son ouvrage, sans en relever les contradictions:

(…) pour faciliter l’accouchement en cas de paresse et augmenter la lactation ; en association avec d’autres plantes, en cataplasme sur le ventre et la vulve pour faire revenir les règles. Elle évite merveilleusement l’avortement.

Dès la fin du XVIIIe siècle les théories humorales sont abandonnées, physiopathologie et clinique deviennent les références du discours médical et la démarche scientifique est progressivement intégrée par les médecins (Foucault, 2003). L’intérêt des médecins créoles pour la plante s’éveille progressivement, elle devient l’objet d’étude des sociétés savantes. La Société Mexicaine d’Histoire Naturelle décrit ses propriétés ocytociques[9], emménagogues et galactogènes. A la fin du XIXe siècle, des médecins initient des observations de l’activité pharmacologique de la plante sous l’égide de l’Instituto Nacional de Medicina. Dès lors, les médecins se déchaînent contre l’emploi du zoapatle par les sages-femmes en termes virulents :

(…) Avant l’introduction de l’ergot de seigle dans notre thérapeutique, les médecins utilisaient la poudre du zihuapatl, qui est aujourd’hui entre les mains des commères ignorantes qui l’utilisent, une arme dangereuse qui travaille de façon aveugle et implacable, causant la mort de nombreux fœtus et de quelques mères à cause de son administration intempestive et imprudente. (Cota, 1883)

Des médecins rapportent des accidents terrifiants de parturientes qui arrivent à l’hôpital dans un état de tétanie totale de la matrice les empêchant d’accoucher à cause d’un surdosage de tisane de zoapatle supposément administré par une commère. Cosminky (1977) émet l’hypothèse qu’il s’agit d’une condamnation gratuite, ethnocentrique, hypocrite et orientée car, à l’époque, ces mêmes médecins ne géraient pas plus les effets secondaires et les accidents liés à l’ergot de seigle qu’ils prescrivaient avec les mêmes indications que les sages-femmes donnaient dans le cas du zoapatle. De plus, le Dr Cota revendique l’antériorité de l’usage de la plante… une première étape dans la tentative de détournement de la plante.

En effet, quelques temps plus tard, un médecin, le Dr Reza, poursuit ses investigations cliniques sur la Montanoa tomentosa et publie en 1896 une thèse sur l’activité comparée du zoapatle et de l’ergot de seigle en gynécologie. Il administre des extraits aqueux de la plante à des femmes post partum et déclare : 

(…) J’ai toujours obtenu une excellente rétractation utérine lorsque les tissus ne retrouvaient pas leur place antérieure, c’est-à-dire que ce produit agit sur les fibres de la musculature lisse de l’utérus, que l’action du cihuapatli intervient par voie orale entre 15 et 20 minutes et que sa durée est de 6h. J’ai administré le produit à la dose de 8 grammes par jours pendant 4 jours, sans noter de changement dans l’état général de la patiente, et le bénéfice qui en résulte consiste à juguler les hémorragies post partum.

Le ton de ces assertions contraste grandement avec les avertissements du Dr Cota sur les dangers de la drogue et ces publications amènent les médecins de l’époque à considérer le zoapatle comme un succédané avantageux de l’ergot de seigle. La plante est alors recommandée officiellement dans des dosages similaires à ceux employés par les sages-femmes (2 à 4 grammes) avec les mêmes indications que l’ergot de seigle, faciliter l’accouchement en cas de paresse utérine, en prévention des hémorragies post natales et pour favoriser la rétractation des tissus matriciels après l’accouchement.  À la suite de ces publications, la vente de la plante est interdite sur les marchés dans tout le pays.

Avec l’avènement de la chimie extractive à la fin du XIXe siècle, une première tentative d’extraction des principes actifs de la Montanoa tomentosa est réalisée (Altamirano, 1871). La plante est inscrite à la Pharmacopée mexicaine en 1902. Des essais de standardisation d’extraits de la plante  sont effectués et des essais cliniques sur des groupes de femmes sont menés par des médecins pour observer différents effets, avorter, stopper ou prévenir des hémorragies post natales ainsi que sur des patientes souffrant de fibromes et d’endométriose. Le corps médical poursuit l’investigation du potentiel thérapeutique de cette drogue et, en parallèle, la cabale contre les usages de la plante se transforme en chasse aux sorcières. Une étude intitulée « le Zoapatle comme mal social en milieu rural » est publiée par un médecin qui propose que :

(...) L’usage du zoapatle soit totalement interdit ; que les usagers soient punis par des peines corporelles et financières énergiques lorsque le cas sera constaté par un médecin légiste ; il faut combattre la plante comme s’il s’agissait de marihuana et en interdire la vente. (Lozoya y Lozoya, 1982 : 211) 

Ce pamphlet est pour le moins orienté car toutes les données ethnographiques concordent pour signifier que seules les sages-femmes emploient la plante car elles en connaissent les dosages et les posologies ; la renommée de la puissance de la plante réserve son maniement aux spécialistes, en aucun cas à l’automédication. Quant aux supposés accidents, jamais les sages-femmes, y compris celles qui pourraient l’utiliser comme abortif, n’ont mentionné de complications liées à la prise de la drogue dans son exercice (ibid. : 218-219). Il serait intéressant de consulter les registres d’admission des hôpitaux.

A partir des années 1950, avec l’avènement des ocytociques de synthèse, l’administration en gynécologie obstétrique d’extraits d’ergot de seigle comme ceux du zoapatle tombe en désuétude. Deux décennies plus tard, un nouvel intérêt pour la Montanoa tomentosa naît. Pharmacologues, biologistes et chimistes se penchent sur la drogue, une trentaine de principes actifs sont isolés, quelques-uns font l’objet de dépôt de brevets dans le but de produire un contraceptif naturel. Plusieurs mécanismes d’action sont révélés, levant le voile sur les mystérieux effets contraires de la plante. D’une part, les études in vivo sur de animaux de laboratoire montrent que si l’utérus est gravide, la drogue a une action stimulante sur la motilité utérine ; en revanche si l’utérus n’est pas gravide, elle a un effet inhibiteur de la motilité et, d’autre part, l’investigation biochimique dévoile que le zoapatle a des effets inverses en fonction du taux de progestérone circulant dans le plasma (ibid. : 193-224).

Les principes actifs isolés se sont révélés toxiques et n’ont pas montré les effets biologiques attendus. Lozoya conclut :

L’action de la préparation aqueuse à base de feuilles de cihuapatli, d’usage ancestral, semble provoquer l’ensemble des effets produits au niveau local sur la musculature utérine et sur le système hormonal spécialement actif lorsque le sujet est en cours de gestation.

La production d’un contraceptif a échoué ; en revanche toutes ces études ont mis en lumière la pertinence des usages traditionnels : la drogue active et non toxique est celle préconisée par les sages-femmes depuis plusieurs centaines d’années.

Actuellement, les sages-femmes de l’État de Morelos utilisent la rue des jardins (Ruta chalepensis) ou le zoapatle en fonction de leur origine ethnique ; les migrantes venant d’autres régions où l’arbuste ne pousse pas ne s’en servent pas, parfois elles évoquent même une certaine crainte vis-à-vis de la plante.

Au plan réglementaire, le décret publié en 1999 limitait l’usage de la plante aux sages-femmes… cependant, les médecins responsables de leur formation auprès des institutions de santé leur recommandent de ne pas administrer de tisane au moment de l’accouchement.

II. Acteurs institutionnels et non institutionnels : chacun ses objectifs

          A. Les politiques de santé publique

        Les politiques d’intégration des thérapeutes traditionnels comme agents de santé communautaires ont eu pour première cible au Mexique les sages-femmes avec la mise en place de formations dès les années 1970. La rencontre d’Alma Ata et les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé pour « la promotion et le développement de la médecine traditionnelle[10] » ont apporté un cadre institutionnel et juridique à l’exercice des sages-femmes ainsi qu’une reconnaissance professionnelle. Depuis des milliers de sages-femmes ont suivi ces cours et ont reçu une attestation ou un brevet d’aptitude à suivre une grossesse, à détecter un accouchement à risque, à prendre la tension, à peser femme enceinte et nouveau-né mais aussi à assurer des accouchements et à remplir les formulaires de déclaration de naissance.

Hier empiriques ou commères voire potiches (rinconeras) ou pilulières (pastilleras), aujourd’hui « sages-femmes traditionnelles » et demain probablement doulas, ces dénominations reflètent l’évolution du regard porté sur ces femmes –et de la considération de leur pratique thérapeutique- en fonction des courants de pensée et des intérêts collectifs de la société. Ils mettent surtout en lumière les manipulations et l’utilisation qu’elles subissent ; finalement elles ne sont jamais considérées pour ce qu’elles sont réellement et ce qu’elles apportent à la femme et à la société.

L’adjectif « traditionnelle » ajouté à sage-femme renvoie à l’absence de formation académique et sous-entend que son système de référence ne fait pas partie intégrante de la biomédecine. D’ailleurs, jusque dans les années 1990 elles étaient appelées empiriques ou commères[11], termes faisant référence d’une part à la constitution de leur corpus de connaissances et d’autre part à une fonction sociale, celle d’accompagner l’enfant et sa mère de sa conception à sa petite enfance. Le terme sage-femme traditionnelle relève du politiquement correct, ces femmes ont rang de « sages-femmes » mais pas tout à fait quand même puisqu’elles ont reçu un enseignement qui appartient à la tradition, catégorie floue et indéterminée qui sert de fourre-tout à tout ce qui n’est pas la biomédecine. Le terme « tradition », utilisé de manière ambiguë, rappelle cependant le riche passé précolombien, filiation obligée mais reléguée au rang de folklore identitaire. Quant à pilulières, cette dénomination très péjorative fait référence à un rôle qui leur a été imposé par les instances de santé, celui de distribuer des pilules contraceptives dans le cadre des politiques de contrôle de la natalité dans le pays.

Les politiques en matière de santé reproductive sont des directives nationales appliquées sous forme de programmes dans chacun des 31 états du Mexique et mis en œuvre par les deux instances de santé publique, l’Instituto Mexicano de Seguro Social (Institut Mexicain de Sécurité Sociale) et la Secretaria de Salud (Ministère de la Santé). Ces deux instances prennent en charge les programmes de formation des sages-femmes, parfois en collaboration avec d’autres entités.

          B. Entités et organisations non gouvernementales et associations civiles

Diverses institutions comme le Jardin Ethnobotanique de Cuernavaca[12] ou des organisations non gouvernementales comme CIDHAL[13] assurent un relai dans la formation. Ce dernier a une mission d’information et d’éducation sur les questions de santé reproductive et est membre du comité « Promotion pour une Maternité sans risque dans le Morelos[14] ». Ces entités dispensent certains modules de la formation des sages-femmes. Ainsi CIDHAL a pris l’initiative de former des sages-femmes au dépistage du cancer du col de l’utérus[15] ou d’introduire des disciplines comme l’auriculothérapie à leurs pratiques. Le Jardin Ethnobotanique, quant à lui, propose depuis plusieurs décennies des ateliers thématiques entre les sages-femmes avec échanges de savoirs et organise des sorties botaniques ou des rencontres internationales avec les associations panaméricaines des sages-femmes comme MANA[16].

À chaque congrès organisé par MANA, des sages-femmes mexicaines sont parmi les participants ; des rencontres ont eu lieu aux Etats-Unis, au Costa Rica, au Mexique… occasion d’échanger des connaissances avec des sages-femmes d’autres cultures. Ainsi une de nos informatrices a intégré à ses pratiques, à la suite d’une présentation des usages du placenta par une sage-femme chinoise, une soupe de placenta qu’elle propose à la femme nouvellement accouchée lorsque celle-ci présente des signes de faiblesse et d’anémie.

Des sages-femmes ont constitué des associations civiles, probablement influencées par le modèle de MANA, pour se regrouper, échanger leurs connaissances, créer des centres d’accouchement naturel ; malheureusement, les tiraillements et les conflits de personnalité ont empêché l’aboutissement de ces initiatives. Actuellement, aucune de ces associations ne fonctionne[17].

          C. Impacts des programmes de formation

Des neuf cents et quelque sages-femmes recensées dans l’Etat de Morelos, environ six cent soixante participent aux formations proposées par les deux organismes de santé publique mexicains. Le contenu de ces formations est construit sur le modèle de la biomédecine hégémonique ; les connaissances des sages-femmes et leur apport au plan thérapeutique ne sont pas valorisés voire le plus souvent abaissés au rang de folklore avec des réflexions, de la part de personnes en charge des formations, faisant référence à des pratiques spécifiques comme les massages ou la position verticale pour accoucher : « on ne peut pas les leur retirer[18] ».

Les massages, aussi bien au long de la grossesse pour positionner le bébé et éviter ainsi de nombreuses complications (douleurs au cours de la grossesse, césarienne, épisiotomie…) que pendant la période puerpérale pour accompagner le processus de récupération de la mère, sont au mieux tolérés voire rejetés selon l’état d’esprit du médecin en charge de la formation des sages-femmes, alors qu’ils constituent une ressource majeure dans leurs pratiques. 

Dans les discours institutionnels transparaît une fascination pour la médecine traditionnelle, néanmoins la plupart des pratiques thérapeutiques des sages-femmes sont interdites. La méconnaissance de ces pratiques de la part des professionnels de santé de la biomédecine se transforme souvent en suspicion et même en préjugés tant qu’elles ne sont pas validées par la biomédecine. Il s’agit là d’un ethnocentrisme flagrant, étant donné que ces pratiques appartiennent à un autre registre de savoir (Argüello-Avendaño et Mateo-González, 2014 : 25). Un exemple récent illustre la situation : celui du parto vertical (accouchement vertical), technique pratiquée depuis toujours par les sages-femmes selon les desiderata de la parturiente mais inconfortable pour l’obstétricien ; un article est paru en 2008 dans la rubrique pluriculturalité de la gazette de la Secretaría de Salud promouvant la position verticale pour accoucher alors que pendant des décennies il leur a été inculqué que la position allongée était recommandée (México Sano, 2008).

Mais les ambiguïtés ne s’arrêtent pas là. La Secretaría de Salud de Cuernavaca a embauché une anthropologue avec pour mission « d’aider les sages-femmes à préserver leurs traditions » alors que les programmes instaurés par les institutions de santé portent préjudice à la pérennité des pratiques des sages-femmes. Entre l’application d’Arranque parejo en la Vida, Oportunidades et le dernier, Seguro Popular[19] les objectifs implicites sont limpides : institutionnaliser et médicaliser au maximum la prise en charge de la santé reproductive (Argüello-Avendaño et Mateo-González, 2014 : 17-8)[20].  L’impact a été immédiat, les sages-femmes ont perdu 80% des accouchements entre 2007 et 2011 (Arraya, 2011 : 119-125).

Parallèlement, une nouvelle mode venue des Etats-Unis se propage au Mexique, celle des « doulas[21] ». La doula est une sorte d’accompagnatrice de la femme au cours de sa grossesse qui lui apporte un soutien moral et émotionnel mais qui n’a aucune fonction ni formation thérapeutique, rôle qui incomberait aux sages-femmes traditionnelles, encouragé par les institutions de santé. Une nouvelle fois, la dimension de thérapeute des sages-femmes est occultée !

          D. Quelles perspectives pour les sages-femmes dans le contexte actuel ?

Au cadre institutionnel viennent se greffer des questions de société auxquelles sont confrontées les sages-femmes et qui ont une incidence directe sur l’exercice de leur pratique.

Des phénomènes actuels comme la migration[22] ou les troubles de la reproduction transforment les modèles de parenté traditionnels et entraînent les sages-femmes, souvent à leur insu, dans des situations périlleuses actuellement non régulées sur le plan juridique et sortant du cadre de leurs compétences (abandon d’enfants connexes aux situations de migrants, mères porteuses…). En revanche, elles savent adapter leurs soins à l’évolution des pathologies ; par exemple, des sages-femmes se sont spécialisées dans les troubles de la fertilité. Dans une situation d’infertilité chez une femme, elles expliquent que la cause peut être une trompe de Fallope bouchée, une hypo-activité ovarienne, une impossibilité d’implantation de l’ovule fécondé dans l’utérus… et, in fine, l’étiologie[23] est attribuée au froid de la matrice pour lequel elle mettra en œuvre un traitement à base de plantes, de massages, d’une diète stricte, d’une supplémentation en minéraux et d’interdits sexuels. Elle obtiendra des résultats intéressants qui feront d’elle la spécialiste des troubles de la fertilité.

Le new-age et l’engouement pour les médecines dites « alternatives » ont ravivé l’intérêt pour les médecines précolombiennes. Des translations se sont ainsi opérées, par exemple le bain de temazcal[24] n’était plus utilisé que dans quelques communautés nahuas il y a une trentaine d’années ; à l’heure actuelle il n’est plus en fonction dans les villages nahuas du Morelos, mais est proposé par des sages-femmes métisses à leurs patientes ou aux touristes intéressés par les rituels de purification. À l’inverse, des cours de yoga ou des thérapies cranio-sacrées sont offerts aux femmes enceintes ou nouvellement accouchées dans des maisons de naissance par des sages-femmes traditionnelles[25].

L’engouement pour les produits naturels et la demande sans cesse croissante de soins par les plantes médicinales stimulent l’activité des sages-femmes qui exercent aussi l’herboristerie mais constituent une pression sur l’environnement et un risque d’accélération de l’extinction des espèces sauvages. Les sages-femmes rencontrent des difficultés d’approvisionnement pour certaines plantes, ce qui rend la réalisation des préparations de plus en plus aléatoire (Hersch Martinez, 1996 : 198) ; par ailleurs, n’ayant pas conscience de la valeur de leurs remèdes, elles les cèdent à bas prix à des revendeurs.

Conclusion

          À la fois passeuses de connaissances et cliniciennes habiles, les sages-femmes montrent des capacités d’adaptation aux nouvelles situations sociales, économiques et épidémiologiques. Leurs pratiques perdurent malgré toutes les tentatives de spoliation ou de réappropriation de leurs connaissances et savoir-faire à travers les siècles. Elles ont résisté jusqu’à présent… Mais, en ce début de XXIe siècle, il semblerait que la pression qu’elles subissent s’intensifie, les massages sont tolérés mais pas vraiment reconnus, les plantes interdites de prescription au moment de l’accouchement, les restrictions dans l’attention de l’accouchement sont nombreuses et témoignent de la méconnaissance de leurs compétences de la part des institutions de santé. La complémentarité d’activité et la collaboration entre la biomédecine et la médecine traditionnelle prônée par l’OMS demeurent au plan des bonnes intentions.

Finalement que leur reste-t-il ?

In fine, la situation des sages-femmes mexicaines n’a pas beaucoup évolué depuis les siècles passés, leur statut a été officialisé mais leurs pratiques ne sont toujours pas reconnues ; la dimension de thérapeute leur est systématiquement niée. Ce conflit ne date pas d’aujourd’hui, cette violence sur fond de question de genre a une profondeur historique si bien illustrée par la saga du zoapatle. Au-delà de la question de genre, à savoir la sage-femme ou le médecin (Gelis, 1988), Argüello-Avendaño et Mateo-González (2014), dans le contexte des politiques de santé néolibérales, avancent l’hypothèse d’un conflit de territoire pour un espace d’exercice thérapeutique, économique et de reconnaissance sociale.

Cette situation met en péril la pérennité de traditions obstétriques millénaires.

 

Notes de fin

[1] De 1983 à 1985 en continu, période dédiée essentiellement à trois informatrices, une sage-femme d’origine Mazahua, migrante dans la ville de México, une herboriste guérisseuse et sage-femme de Santa Catarina del Monte, État de México, vendant des plantes au marché Sonora et une sage-femme métisse à Cuernavaca, Morelos ; la période 2002-2008 est dédiée à ma thèse (Laurant-Berthoud, 2009), uniquement dans l’État de Morelos, en plusieurs séjours, avec une dizaine d’informatrices ; de 2008 à 2009, dans le cadre d’un projet ECOS/Nord/Mexique sur le thème « Parenté élective : le rôle des sages-femmes traditionnelles dans les questions de santé reproductive », sous la direction de Françoise Lestage. Une publication a conclu ce projet, « Les sages-femmes traditionnelles confrontées aux transformations sociales. Etude de cas dans l’Etat de Morelos, Mexique » in F. Lestage et M.E. Olavarria, Adoptions, dons et abandons au Mexique et en Colombie. Des parents vulnérables. L’Harmattan, 2014. Margarita Avilés, en charge du projet « Plantes médicinales et Ethnobotanique » au Jardin Ethnobotanique de Cuernavaca, INAH Morelos, a des échanges continus avec les sages-femmes traditionnelles depuis 1983.

[2] Huesera  (rebouteuse), herboriste, curandera (guérisseuse), par exemple l’empacho, sorte d’indigestion qui correspond à la première cause de consultation au Mexique ou la tronada de angina (littéralement « faire sonner l’angine »… ou encore la limpia, sorte de balayage du corps ayant à la fois une fonction diagnostique et curative… La liste est non exhaustive.

[3] Terme propre à l’histoire de l’art colonial mexicain.

[4] Avec des variantes culturelles et régionales, notamment dans l’usage des plantes médicinales et des bains.

[5] Les premiers enseignements ont lieu au Collège de Tlatelolco fondé par les Franciscains en 1547 environ.

[6] Données de terrain, entretien octobre 1983.

[7] Le texte du Libellus de medicinalibus indorum herbis est rédigé en nahuatl par Martin de la Cruz, élève indigène du Colegio Santa Cruz de Tlatelolco et traduit en latin par Juan Badiano, également indigène originaire de Xochimilco, en 1552. Cet ouvrage a probablement été commandité par le vice-roi Mendoza avec pour objectif de faire connaître la richesse de la flore médicinale de Nouvelle-Espagne à la couronne espagnole. On y retrouve les glyphes de l’écriture nahuatl.

[8] Cervantes et ses disciples classent le zoapatle dans le nouveau genre « Montanoa » en l’honneur d’un médecin créole, José Montaña.

[9] L’ocytocine est une hormone déclenchée entre autres par les contractions utérines qui facilite l’accouchement et favorise la montée de lait. Certaines plantes stimulent sa production comme la Montanoa tomentosa.

[10] Document du 12 septembre 1978 sur les soins de santé.

[11] « Comadronas », l’étymologie latine, commater ou cum mater (avec la mère), signifie « marraine ».

[12] Instituto Nacional de Antropólogia e Historia, Cuernavaca, Estado de Morelos.

[13] Comunicación, Intercambio y Desarrollo en América Latina, émanation du CIDOC fondé en 1969 par Ivan Illitch et destinée à mener des actions de développement pour les femmes, notamment sur les questions de maltraitance mais aussi d’avortement, de prévention, grossesse chez les adolescentes ou encore des pathologies gynécologiques avec une orientation biomédicale et une idéologie féministe alors que le CIDOC était un centre de documentation. La directrice actuelle du centre est médecin généraliste.

[14] Programme international de santé sous les auspices de l’Unicef, du fond des Nations Unies pour l’Enfance, de la fondation MacArthur et de Family Care International avec la participation au Mexique d’ONG’s, des institutions de santé et des universités. Il s’agit d’une initiative mondiale.

[15] Jusqu’au moment où les institutions de santé ont décidé que seuls les médecins étaient habilités à faire le dépistage.

[16] Midwives Alliance of North America, groupement de sages-femmes constitué aux USA dans les années 80 et dont l’objet est de reconnaître la diversité de pratiques de la profession et à considérer la grossesse et l’accouchement comme des processus naturels qui ne relèvent pas nécessairement d’une prise en charge en milieu hospitalier. Des rencontres internationales sont organisées.

[17] Données de terrain personnelles.

[18] Ibid.

[19] Ce programme donne accès aux soins médicaux aux familles les plus démunies et n’ayant aucune affiliation à d’autres organismes de santé à condition qu’elles participent au programme Oportunidades. Le décret d’application du programme est entré en vigueur le 1er janvier 2004.

[20] Alors qu’environ 10% des accouchements sont considérés à risque et requièrent une prise en charge médicalisée.

[21] « Servante, esclave » en grec.

[22] D’une région à l’autre ou du Mexique vers les États-Unis, qui compteraient 31 millions de Mexicains.

[23] D’après Argüello et Sanhueza, ethnohistoriens, « (…) parler d’étiologie n’est pas seulement parler de l’origine de la maladie, mais cela transcende les limites de la médecine et entre dans le champ des questionnements philosophiques, raison pour laquelle faire référence à l’étiologie, c’est entrer dans le champ de la cosmovision et de l’idéologie ». 1999, p. 45.

[24] Bain de vapeur rituel de l’Altiplano central qui rappelle des éléments de la cosmovision et qui était utilisé, par exemple, par les sages-femmes pour « réchauffer » la parturiente ou la nouvelle accouchée du « froid » de l’accouchement et qui marquait le terme de la quarantaine.

[25] Casa Luna à San Cristobal de Las Casas, Chiapas.

 

Bibliographie

Anzures y Bolaños María del Carmen (1983). La medicina tradicional en México. México DF : UNAM.

Argüello Silvia y Sanhueza Ricardo (1996). La medicina tradicional ecuatoriana. Quito : Col. Pendoneros.

Argüello-Avendaño Hilda, Mateo-Gonzalez Ana (2014). « Parteras tradicionales y parto medicalizado, ¿Un conflicto del pasado ? Evolución del discurso de los organismos internacionales en los últimos veinte años. » Revista Limina Vol. 12, n°2 : 13-29. México : Estudios sociales y humanísticos.

Arraya María José (2011). Partera indígenas. Los conocimientos tradicionales frente al genocidio néolibéral. Quito : Ediciones Abya Yala.

Avilés Margarita (1994). « Intercambio de experiencias con parteras tradicionales de Morelos en el Jardín Etnobotánico. » INAH, Memoria. Tercer Congreso Interno. Cuernavaca: Centro INAH Morelos.

Avilés Margarita, Barranco Sofía y Cerezo Teresa (2003). Masajes y Manteadas utilizadas por Parteras Tradicionales de Morelos. México : INAH, INI.

Barrau Jacques (1971). « L’ethnobotanique au carrefour des sciences naturelles et des sciences humaines ». Bulletin de la Société Botanique de France. N°118: 237-48. Paris : Laboratoire d’ethnobotanique, Museum d’Histoire Naturelle.

Comas Juan (1995). « La influencia indígena en la medicina hipocrática, en la Nueva España del siglo XVI ». Dans El mestizaje cultural de la medicina y su influencia en Europa. Valencia : Ed. López Pinero y Fresquet. Instituto de Estudios Documentales e Históricos sobre la ciencia. Universitat de Valencia. CSIC.

Cosminsky Sheila (1977). « El papel de la comadrona en Mesoamérica ». América Indígena. Vol. 37 N°2 : 305-35. México.

Cota Francisco (1897). Algo sobre el zihuatlpatl. Tesis Escuela Nal. de Medicina. México : Universidad de México.

Cruz Martἰn (de la) (1996). Libellus de Medicinalibus Indorum Herbis. Manuscrito Azteca de 1552. Según traducción latina de Juan Badiano. Fondo de Cultura Económica. Instituto Mexicano del Seguro Social.

Flores Francisco (1886) Historia de la Medicina en México desde la época de los Indios hasta el presente. México: Oficina Tip. de la Secretarἰa de Fomento.

Foucault Michel (2003). Naissance de la clinique.  [1963] Paris : PUF, 7ème réédition.

Gelis Jacques (1988). La sage-femme ou le médecin. Une nouvelle conception de la vie. Mesnil-sur-Estrée : Fayard.                        

Hersch Martinez Paul (1999). Destino común: los recolectores y su flora medicinal. México : INAH, [1996]

Laurant-Berthoud Claire (2009). Les herbes de la vie : ente Tlazotéotl et Hippocrate, plantes médicinales et pratiques thérapeutiques des sages-femmes traditionnelles de l’Altiplano central du Mexique. Thèse de Doctorat en Anthropologie. Paris : Université Sorbonne Nouvelle-Paris III. Non publiée.

Lieutaghi Pierre (1986). L’Herbe qui renouvelle, Un aspect de la médecine traditionnelle en Haute Provence. Paris : MSH.

López Austin Alfredo (1980). Cuerpo humano e ideología. Las concepciones de los antiguos Nahuas. 2 tomos. México: UNAM.

Lozoya Xavier y Lozoya Mariana (1982). Flora medicinal de México. Primera parte: Plantas indígenas. México. Instituto Mexicano del Seguro Social.

Marcos Silvia y Avilés Margarita (1996). « Entre la Medicina et la Tradición : Las Parteras de  Morelos ». Dans Maternidad sin Riesgos en Morelos. México : Comité Promotor por una Maternidad sin Riesgos en México : 115-29.

Martnez Alfaro Miguel Ángel (1976). « Posible metodologἰa a seguir en el estudio de las plantas medicinales mexicanas ». Dans Estudios sobre etnobotánica y antropologἰa medica. México : Carlos Viesca Treviño editor. Instituto Mexicano para el Estudio de las Plantas Medicinales, A.C. : 75-83.

Pottier Richard (1983). « Réhabilitation de la médecine traditionnelle et soins de santé primaires : deux idéologies d’encadrement des masses rurales ». Dans Une anthropologie médicale en France ? Exposés et débats de la Table Ronde « Santé et sciences humaines » CNRS, mars 1980, réunis et présentés par Dr A. Retal-Laurentin. Paris : Editions du Centre National de la Recherche Scientifique.

Reza Andrés (1896). Acción fisiológica comparada del cuernecillo de centeno y del cihuapatli. Tesis. México : Escuela Nacional de Medicina.

Sahagún Fray Bernardino (de) (1999). Historia General de las cosas de Nueva España. México : Porrua.

Secretarἰa de Salud (2008). México sano.  N°2.

Somolinos d’Ardois Germán (1971). « Sobre la fusión indoeuropea en la medicina mexicana del siglo XVI ». Dans Extremos de México. Homenaje a Don Daniel Cosío Villegas. El Colegio de México. Centro de Estudios Históricos. N° 14 : 475-80.

Viesca Treviño Carlos (1995). « El códice de la Cruz-Badiano, primer ejemplo de una medicina mestiza ». Dans El mestisaje cultural de la medicina y su influencia en Europa. Valencia : Ed. López Pinero y Fresquet. Instituto de Estudios Documentales e Históricos sobre la ciencia. Universitat de Valencia : CSIC : 71-90.

Ximénes Francisco (1615). Cuatro libros de la naturaleza y virtudes de las plantas y animales que están recevidos en el uso de la medicina en la Nueva España y la método y corrección y preparación que para administrarlas se requiere. México: en casa de la viuda de Diego López Dauolos.

Zolla Carlos (1993). Diccionario enciclopédico de la medicina tradicional mexicana. México: Instituto Nacional Indigenista.

 

Pour citer cet article

Claire Laurant, Margarita Avilés Flores, 2019, "Les sages-femmes traditionnelles mexicaines, actrices ou instruments des systèmes de santé publique ?", RITA [en ligne], n°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019 . Disponible en ligne: http://revue-rita.com/dossier-12/les-sages-femmes-traditionnelles-mexicaines-actrices-ou-instruments-des-systemes-de-sante-publique-claire-laurant-et-margarita-aviles-flores.html

Pou

Les femmes désirables dans le répertoire Disney
Desirable women in Disney’s repertoire

 

Résumé
Parce qu’il est visuel et narratif à la fois, le cinéma alimente particulièrement les représentations collectives et se présente comme un objet d’étude d’une grande richesse pour le sociologue. Dans la multitude des productions, le répertoire constitué par les films Disney s’impose par son universalité et son intemporalité qui font de lui une source majeure de l’imaginaire commun. Ceci se vérifie aussi en matière de fantasmes sexuels. L’univers disneyen en effet propose, dès l’enfance, des normes et des codes relatifs au désir et, plus particulièrement, relatifs à la désirabilité féminine. Cet article s’intéresse aux héroïnes des studios Disney qui, à travers leurs apparences et leurs attitudes, définissent un idéal fixant des repères en matière d’érotisme, de sensualité et de qualités morales. Un idéal qu’une étude qualitative du répertoire disneyen conduit à plutôt envisager comme un ensemble de modèles relativement hétérogène, quoique des constantes s’observent.

Mots-clefs : Disney ; Fantasmes sexuels ; Idéal féminin ; Sociologie de la sexualité ; Sociologie du cinéma.

 

Abstract
Since cinema is visual and tells a story at the same time, it is a medium that specifically contributes to shared representations, constituting a rich source of study for the sociologist. With its huge number of productions, the diverse films made by Disney are marked by their universal and timeless character, which makes them an important source for the collective imagination. This can equally be applied to sexual fantasy. Indeed the universe created by Disney proposes standards and codes related to desire and more particularly to feminine desirability to a young audience. This article focuses on the Disney studios’ heroines, who, through their appearance and attitudes, define an ideal by establishing references in eroticism, sensuality and moral values. This is an ideal that a qualitative study of the range of Disney’s films leads one to consider as a set of fairly disparate models even if some degree of consistency between them can be observed.

Key words: Disney; Feminine ideal; Sexual fantasy; Sociology of cinema; Sociology of sexuality.

 

------------------------------
Alexander María LEROY

Professeur de lettres modernes, ingénieur social et doctorant en sociologie
Centre d’Etude et de Recherche sur les Risques et les Vulnérabilités, groupe de recherches Santé : Enjeux Humains et Sociétaux, Université de Caen Basse-Normandie

Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Les femmes désirables dans le répertoire Disney

 

Introduction

          L’influence du septième art sur les représentations communes et individuelles est majeure, notamment en ce qui concerne les fantasmes sexuels, ces scénarios du désir englobant tout ce qui stimule sur le plan amoureux et érotique et dont le décryptage sociologique a essentiellement été initié par John Gagnon, aux Etats-Unis, ainsi que par André Béjin, Michel Bozon et Alain Giami, en France, qui ont proposé de considérer les fantasmes (ou scripts sexuels) comme des produits sociaux, dans la mesure où, pour la sociologie, le sexuel est social (Monteil, 2016). Offrant des idéaux-types et des répertoires se diffusant à différentes échelles culturelles, le cinéma est remarquablement influent du fait de son expression visuelle et narrative (scénarisée), ce qui en fait un objet d’étude très riche, quoique peu exploité par la sociologie[1]. Si les spectateurs ont pu être analysés de façon complète (Ethis, 2009), les contenus cinématographiques le sont rarement, même si les études portant sur le genre, qui se multiplient en France, s’attèlent à proposer de plus en plus de lectures sociologiques des films[2]. Il faut bien dire néanmoins que tous les genres cinématographiques n’ont pas le même impact sur les représentations. Et s’il en est un qui domine incontestablement tous les autres par sa primauté, c’est le genre disneyen.

Producteurs majeurs depuis les années 1920, les studios créés par Disney se sont définitivement imposés comme incontournables en 1937 avec leur premier long-métrage d’animation (qui s’avérait également être le premier long-métrage en couleurs) : Blanche-Neige et les Sept Nains (Hand, 1937). A partir de ce moment, le célèbre Mickey est devenu l’ambassadeur d’un vaste univers fictionnel présent à travers les frontières et générations et alimentant, dès l’enfance (période durant laquelle l’ampleur prise dans les représentations par les éléments assimilés est particulièrement forte, notamment en raison de la moindre présence de résistances culturelles ancrées dans les esprits des individus), une imagerie collective omniprésente, « de Mickey peint sur les murs des écoles [au Sud-Liban] à l’effigie de Blanche-Neige brodée sur les vêtements des jeunes élégantes des quartiers branchés de Pékin » (Mary, 2004 : 15). La diffusion internationale du répertoire disneyen n’est cependant pas le seul fait des films. Les produits sous licence (exploitant les réalisations Disney en contrepartie du versement de royalties) constituent en effet un relais permettant d’amplifier le poids déjà fort des longs-métrages comme l’écrivait, non sans une certaine amertume, Michèle Mattelart en 1978 :

Ainsi Disney ne colonise pas seulement les kiosques, les écrans et les rayons de disques. Il encombre le petit déjeuner. Il sature la vie quotidienne. Accompagnant inévitablement l’apprentissage du sucré et du salé, du fluide et du cartonné, des constructions et du coloriage, il s’insinue dans tous les interstices du rapport de l’enfant au monde, à la vie, aux gens, aux choses. Il est plus envahissant qu’une école. Il l’est autant qu’une écologie (Mattelart, 1978 : 34-43).

Par la variété de leurs sources culturelles (des contes de Perrault à la légende de Mulan), les productions de Walt Disney parviennent à atteindre un large public auquel elles s’imposent selon deux caractéristiques remarquables : leur primauté dans la multitude des autres productions cinématographiques (entre 1945 et 2009, huit des vingt-cinq plus grandes réussites en France, tous genres confondus, sont des productions animées Disney – Ethis, 2009 : 22) et leur intemporalité (par l’utilisation stratégique des ressorties en salles – Andrault, 1978 : 45 – et de la commercialisation des supports domestiques qui a permis la persistance mémorielle des premières créations – Leroy, 2014[3]). Les dessins animés Disney ne sont donc pas des films influents parmi d’autres, mais se démarquent parce qu’ils sont, et de loin, le genre dominant le septième art, ce qui justifie l’observation du répertoire qu’ils constituent (et qui doit être retenu dans son intégralité). C’est cette démarche qui va être entreprise maintenant en vue de connaître avec précision les modèles féminins proposés par les studios Disney. Des modèles qui, depuis quatre-vingts ans, alimentent l’imaginaire collectif, mais influencent également les fantasmes sexuels puisque, d’un point de vue sociologique, l’individu, quoique pouvant connaître des socialisations secondaires, reste marqué par sa socialisation primaire, c’est-à-dire par la transmission de codes, normes, valeurs et représentations, y compris relativement à l’érotisme et au désir, survenue durant son enfance, qui demeure le soubassement de ce qu’il est (Dubar, 2015).

Précisons ici que le fantasme sexuel dépasse le très réducteur cadre génital pouvant lui être spontanément associé, en sorte que les créations n’abordant pas la sexualité sous l’angle du rapport sexuel peuvent, et doivent, être étudiées dans la mesure où elles traitent du sujet de façon plus large : par exemple en définissant une orientation sexuelle « normale » (celle que la société dans laquelle vit l’individu considère comme telle), en codifiant les possibilités en matière de différence d’âge et de situation sociale ou encore en définissant des critères comportementaux et esthétiques. Ainsi, les productions Disney norment l’hétérosexualité, présentent des unions entre des protagonistes d’âges proches, mais offrent des modèles variés en matière de positions sociales, l’homogamie n’étant pas la règle (les héroïnes Disney connaissent aussi bien des unions vers le haut, comme dans Cendrillon – Geronimi, Jackson et Luske, 1950 – ou La Belle et la Bête – Trousdale et Wise, 1991 – que vers le bas, dans Aladdin – Clements et Musker, 1992 – et La Reine des Neiges – Buck et Lee, 2013 – par exemple). Certaines de ces histoires comportent même une dose de sexualité explicite qu’il convient de souligner, car elle n’échappe pas à l’enfant qui assimile ces éléments, même quand il ne les comprend pas pleinement, et qui peuvent constituer pour lui, sinon le premier, du moins l’un des premiers, discours de recommandations sexuelles. Il ne faut pas oublier que « le développement de l’enfant est "un processus par lequel un être de nature, le petit d’homme, s’approprie le patrimoine culturel initialement extérieur à lui, patrimoine déposé dans des œuvres, dans un langage, dans un univers d’outils, dans les connaissances accumulées d’une société" » (Broussard et Doopffer, 1978) : c’est notamment ce processus qui permet l’assimilation des codes de conduite socialement attendus.

Si ce sont des binômes idéaux que développent les romances disneyennes, la partie féminine est toujours au moins aussi élaborée, mais souvent bien davantage, étant donné que les héroïnes ayant le premier rôle sont deux fois plus nombreuses que les héros lorsqu’il est question d’amour entre adultes de l’espèce humaine (Tableau 1) et que, dans les cas où c’est l’inverse, les personnages féminins ne sont pas de simples accessoires narratifs comme peuvent l’être, en particulier, les princes de Blanche-Neige et les Sept Nains (Hand, 1937) et de Cendrillon (Geronimi, Jackson et Luske, 1950), mais aussi, dans une moindre mesure, ceux de La Belle au Bois Dormant (Geronimi, 1959) et de La Petite Sirène (Clements et Musker, 1989). De surcroît, Helga Sinclair et Elsa, jeunes femmes idéales (ce n’est qu’à la fin du film que les sombres projets d’Helga Sinclair sont révélés[4]), se trouvent être, malgré cela, des personnages solitaires, n’étant épris de personne, ce qui n’existe pour aucun personnage masculin. Du reste, dans l’optique d’une étude liée aux fantasmes, l’observation des modèles féminins peut également être vue comme plus pertinente que celle des modèles masculins pour leur dimension davantage érotique. Giovanna Zapperi explique en effet que « loin de se limiter à reproduire un monde déjà existant, les représentations construisent "la femme" comme un ensemble de significations » de sorte qu’elle devient l’objet du regard, un élément passif, réifié même, cristallisant le désir dans des images relevant du voyeurisme fétichiste et s’inscrivant dans une logique photographique : extraite du support narratif pour n’être qu’iconographique, elle devient alors l’image du désir (Zapperi, 2016). Ce sont donc les modèles féminins qui vont maintenant être étudiés, de façon à mettre en évidence la variété, mais aussi les constantes de ces idéaux, à partir du visionnage et de l’analyse qualitative des longs métrages disneyens mettant en scène au moins un de ces modèles féminins qui s’affichent comme des idéaux de désir (charnels et amoureux) tout en s’imposant comme des exemples à suivre pour les femmes.

A travers cette observation, c’est la manière dont la société conçoit l’idéal féminin qui se dégagera. Les Disney, à l’instar de tous les films, sont effectivement à la fois fruits et racines des représentations sociales puisque les réalisateurs sont façonnés par leur société et que les œuvres influencent leurs récepteurs. Evidemment, la primauté des longs métrages Disney justifie l’intérêt particulier de ce corpus. La proportion élevée d’enfants parmi les récepteurs de ces œuvres renforce encore cet intérêt d’une part en raison de l’impact plus grand que peut avoir un répertoire lorsqu’il agit sur des représentations en construction, mais d’autre part aussi parce que ce jeune public étant identifié par les créateurs des films et le visionnage de ceux-ci étant permis, voire encouragé par les responsables de la socialisation des enfants (notamment les parents), il est possible de considérer que l’étude de l’imagerie Disney permet de savoir comment les adultes parlent de la société aux enfants et, en l’occurrence, comment ils leur parlent des femmes idéales, que ce soit à propos de leur apparence, de leur caractère ou de leur érotisme.

I. Un répertoire commun caractérisé par sa diversité – L’apparence

          Le tableau suivant (Tableau 1) recense tous les longs-métrages d’animation Walt Disney mettant en scène dans un rôle majeur (le premier rôle féminin, ce qui exclut donc Nani, la grande-sœur de l’héroïne de Lilo et Stitch (DeBlois et Sanders, 2002) qui n’a pas le rôle principal quoiqu’elle soit un protagoniste fortement mis en avant : pour cette raison, elle sera malgré tout évoquée dans ce travail, mais de façon marginale) une héroïne humaine (sont donc exclues également les figures animalières, même celles qui, à l’instar de Belle Marianne dans Robin des Bois (Reitherman, 1973), s’inscrivent dans un anthropomorphisme marqué) et jeune adulte[5] ou plus exactement nubiles (les fillettes et adolescentes ne sont pas prises en compte, mais les jeunes femmes en âge de se marier dans leur fiction respective sont retenues, précisément pace qu’elles sont présentées comme nubiles même si la société du récepteur de l’œuvre pourrait les considérer comme adolescentes[6]). Il indique, pour chaque film, le titre, l’année de sortie, le nom de l’héroïne, l’importance de son rôle (si elle est le personnage principal ou si elle a le « second » rôle, quand le personnage masculin a le « premier », auquel cas elle a malgré tout le premier rôle féminin), puis ses caractéristiques physiques essentielles : morphologie, couleur de la peau, des cheveux (avec précision de leur longueur) et des yeux.

Tableau 1Les héroïnes humaines et jeunes adultes du répertoire disneyen Auteur : A. M. Leroy

AML Tableau 1

Il se dégage à la lecture de ce tableau qu’aucun idéal physique ne s’impose véritablement dans l’univers disneyen. Si les femmes à la peau blanche sont plus nombreuses, près d’un tiers des héroïnes a la peau mate ou noire. Ces héroïnes sont d’origines ethniques diverses : moyen-orientale pour Jasmine, amérindienne pour Pocahontas, atlante pour Kida et afro-américaine en ce qui concerne Tiana (l’origine géographique d’Esméralda, également mate, n’est pas connue car bien qu’elle soit surnommée « l’Egyptienne », rien ne prouve qu’elle le soit réellement). Il faut également dire que Mulan, quoique « blanche », est chinoise. Il y a donc une véritable pluralité des populations, même si les « populations blanches », et plus spécialement les populations d’origine européenne, prédominent. L’absence de dominante est plus vraie encore en ce qui concerne la couleur des cheveux : six héroïnes sont brunes, quatre sont blondes, trois sont châtains et deux sont rousses (Ariel et Kida font exception avec leurs chevelures rouge ou blanche). Bien que les cheveux noirs obtiennent une petite majorité et les roux la plus faible représentation, ce n’est assurément là que la traduction d’une réalité observable à l’échelle mondiale. A propos des yeux, la couleur bleue représente la moitié des cas, ce qui n’est pas conforme à la réalité biologique (l’allèle récessif bleu étant minoritaire), mais à un idéal esthétique occidental, sans néanmoins éclipser les autres (quatre personnages ont les yeux marron, deux les ont noirs et deux également verts). Quant aux sourcils qui les surmontent, ils vont du très long et très fin chez Megara et Helga Sinclair à l’épais chez Jasmine et Esméralda.

Cette absence de physique-type n’a rien d’étonnant étant donné que, déjà, les deux premières princesses créées par les studios Disney, à savoir Blanche-Neige et Aurore (Cendrillon est fille d’un gentilhomme), qui s’avèrent être les deux seules héroïnes bénéficiant d’une description lyrique, se trouvent être assez différentes. Blanche-Neige, présentée par le miroir magique de la Reine comme la plus belle femme qui soit, a les « lèvres rouges comme la rose, [les] cheveux noirs comme l’ébène, [le] teint blanc comme la neige » (Hand, 1937 : 00:03), tandis que la Princesse Aurore reçoit, à sa naissance, le don de la beauté sous la formule suivante : « Elle aura la beauté, des cheveux blonds comme le blé, l’éclat du plus beau soleil et ses lèvres seront d’un pur vermeil. » (Geronimi, 1959 : 00:05 à 00:06). Notons, au passage, que la beauté de ces femmes est naturelle, et non artificielle, auquel cas elle serait supercherie et vice (Ghigi, 2016). Ursula, dans La Petite Sirène (Clements et Musker, 1989), abuse d’ailleurs des cosmétiques, elle qui ne parvient guère à être belle et affiche une laideur qui reflète celle de son âme. De même, la beauté de Mère Gothel (Raiponce de Greno et Howard, 2010) est contre-nature (puisque produite par magie) et rend compte d’une corruption inacceptable de l’âme. La valorisation de la jeunesse à l’œuvre dans le répertoire Disney s’accompagne donc, ici au moins, d’un appel à l’acceptation de la vieillesse, ce qui n’est pas si évident dans les sociétés occidentales contemporaines qui se montrent obsédées par la jeunesse (ou l’apparente jeunesse) des corps (Murphy, 1987).

La multitude des apparences prises par les figures féminines Disney présente cependant quelques constantes. Toutes les héroïnes disneyennes (à l’exception de Nani dont le cas sera traité plus loin) affichent notamment une silhouette mince, voire maigre (dans le cas de Megara, la maigreur est même caricaturale, ce qui s’explique toutefois par le fait que les caractéristiques des personnages de Hercule, réalisé par Clements et Musker en 1997, soient exagérées), qu’elles soient dotées d’une musculature développée (en particulier Helga Sinclair, mais aussi, dans une moindre mesure, Pocahontas et Kida) ou non. Une minceur qui ressort d’autant plus lorsque les tenues vestimentaires sont proches du corps (ce qui est particulièrement le cas avec Esméralda, Megara, Jane et Helga Sinclair) et plus encore quand le ventre est découvert : Ariel, Jasmine et Kida affichent un ventre extrêmement fin y compris dans sa partie basse que leurs habillements dévoilent. Les modèles disneyens ont donc en commun de porter cet idéal physique dont Solenn Carof écrit qu’il s’est « éloigné de la réalité pondérale d’une partie non négligeable de la population » (Carof, 2016) et que Murphy, sociologue états-unien, décrivait en 1987 comme un culte rendu à un corps devant être, pour les hommes comme pour les femmes, non seulement beau, mais propre, mince, musclé et jeune (éléments conditionnant même la beauté). Les cheveux longs sont également une règle à laquelle seule Blanche-Neige déroge. Ariel, Esméralda et Megara arborent une chevelure particulièrement fournie tandis que c’est par la longueur de leurs cheveux que Jasmine et Pocahontas se distinguent, sans rivaliser toutefois avec Raiponce dont les cheveux se mesurent en dizaines de mètres, en raison d’un enchantement (leur donnant, en plus de leur éclat et de leur longueur, un pouvoir guérisseur), mais qui seront coupés en fin d’histoire. C’est alors un code habituel de la féminité qui s’adjoint à la minceur pour constituer le socle commun des modèles disneyens.

Le port, par l’héroïne, d’une tenue vestimentaire « ordinaire », durant la majeure partie du film, puis d’une robe de bal ou de cérémonie à la fin est un dernier élément incontournable, même s’il n’est pas systématique, de l’apparence des figures féminines Disney. C’est l’exemple de Cendrillon, dont la robe en lambeaux devient, d’un coup de baguette magique une robe de bal scintillante, qui est repris, quoique la différence d’apparence ne soit jamais aussi tranchée. Jane est la seule à aller en sens inverse puisqu’elle passe d’une tenue victorienne à un habillement réduit, quand elle s’installe dans la jungle, avant de se limiter à deux bandes de tissus équivalentes au pagne de Tarzan, au moment où elle décide de rester avec lui : pour elle, l’amélioration de sa situation va de pair avec un dépouillement matériel radical. A cette exception près, la norme proposée par Disney est donc de mobiliser le vêtement pour traduire le statut social ou la réussite sociale dans une logique qui est celle des sociétés occidentales contemporaines (Barbier et al., 2016).

II. Un répertoire commun caractérisé par sa diversité – Le caractère

          Les caractéristiques morales des figures féminines proposées par les studios Disney ne sont pas à négliger. Le fantasme étant, pour la sociologie, scénario, il ne se limite pas à des images sensuelles, érotiques ou pornographiques, mais englobe inévitablement une personnalité des protagonistes rêvés. Le rapport entre hommes et femmes est particulièrement important puisqu’il établit des liens pouvant aller de la domination masculine à l’émancipation féminine. En ce qui concerne le caractère, la redondance de certains traits et la variété d’autres sont également de mise. Ainsi, toutes les héroïnes sont vertueuses, souvent porteuses de cette bienveillance et de ce « souci des autres » dont les études portant sur le care ont montré qu’ils étaient associés à la féminité et même souvent considérés comme son essence morale[7] (à ce titre ils seraient le pendant moral de la sensualité culturellement considérée comme consubstantielle à l’idée même de féminité). Aucune de ces héroïnes n’est donc animée par la cruauté, la cupidité ou tout autre sentiment que la culture occidentale considère comme négatif tel que l’esprit de luxure, toujours absent, même chez les figures féminines disneyennes les plus glamours et désirées. De même, toutes les héroïnes ont une belle voix (ou presque : Jane, Kida et Helga Sinclair ne chantent à aucun moment). La Princesse Aurore obtient même ce don des fées venues célébrer sa naissance, juste après le don de la beauté (Geronimi, 1959 : 00:05 à 00:07) tandis qu’Ariel doit l’échanger contre les jambes dont elle rêve. Le chant est presque toujours, pour les personnages principaux de l’univers Disney, le moyen d’exprimer leurs sentiments et désirs les plus profonds. Il a donc un double rôle : mettre en avant la beauté de la voix qui constitue un atout de séduction majeur des héroïnes (Blanche-Neige, par exemple, attire l’attention du Prince par la beauté de sa voix dans la scène d’ouverture) et assurer la pureté de leurs sentiments et désirs qu’elles dévoilent par cet acte.

La douceur et la capacité à être en harmonie avec les animaux figure aussi sur la liste des caractéristiques habituelles. Cette particularité par laquelle s’exprime notamment une sensualité dépourvue d’érotisme est déjà centrale avec Blanche-Neige, constamment entourée d’animaux auxquels elle confie ses rêves et avec lesquels elle travaille, ainsi que le soulignent les commentaires audio de l’édition DVD (Canemaker, Disney et Disney, 2001 : 00:11) : « Les animaux l’aiment et la comprennent. Cela l’élève au rang de mystique en harmonie avec la nature. » Beaucoup d’héroïnes ont d’ailleurs des animaux de compagnie, ou plutôt des amis animaux (Cendrillon, Ariel, Jasmine, Pocahontas, Esméralda, Mulan, Raiponce), dont certains vont jusqu’à parler. Pocahontas pousse la communion avec la nature à son apogée puisque, d’un bout à l’autre du film, elle semble fusionner avec elle, s’inscrivant, de ce fait, dans une approche stéréotypée de la culture amérindienne souvent perçue, avec erreur, comme toujours respectueuse de la nature par opposition aux colons blancs (Jacquin, 2012). Jane, pour sa part, consacre sa vie à l’étude de la zoologie. Là encore, il existe des exceptions car Kida n’est vue qu’une fois en contact avec un animal et c’est pour le tuer (il s’agit d’une sorte de homard géant qui vient d’être pêché – Trousdale et Wise, 2001 : 00:50) tandis qu’Helga Sinclair porte de la fourrure à l’occasion de sa première apparition (Trousdale et Wise, 2001 : 00:07), ce qui peut d’ailleurs être vu comme un indice quant à ce qu’elle est véritablement puisque le respect de la vie animale est une qualité fondamentale chez les héroïnes disneyennes (au contraire, le mépris de Cruella pour la vie des chiots dont elle veut se faire un manteau, dans le film Les 101 dalmatiens, réalisé par Geronimi, Reitherman et Luske en 1961, constitue le paroxysme de sa cruauté). Reste Megara qui n’affiche pas de sympathie ou d’inimitié particulière vis-à-vis des bêtes.

Les divergences, elles, portent davantage sur les idéaux des personnages. Certaines rêvent avant tout d’échapper un jour à la cruauté (Blanche-Neige, Cendrillon, Esméralda) ou rêvent d’amour (Blanche-Neige et Cendrillon pour qui l’amour est vu comme une échappatoire, Aurore, Anna). D’autres veulent accroître leur connaissance du monde (Ariel, Pocahontas, Jane, Kida) ou cherchent à se libérer d’un quotidien qui les entrave, ne sachant pas vraiment ce qu’elles désirent, mais étant prêtes à tout : Belle se livre à la Bête autant pour fuir une vie monotone que pour aider son père, tout comme Mulan, et elle l’avoue, choisit de prendre la place de son père dans l’armée par rejet de son statut de femme destinée au mariage plus que pour préserver son père ; Jasmine pour sa part fuit son propre palais associé aux contraintes de l’étiquette et la Reine Elsa abandonne son rôle de souveraine pour vivre en ermite. Certaines héroïnes s’avèrent toutefois plus pragmatiques. Ainsi, Megara, soumise à la volonté de Hadès à qui elle a livré son âme, a pour priorité de s’en libérer comme Raiponce a pour but de quitter sa tour. Tiana enfin s’affiche comme la plus matérialiste de toutes, exception faite de la finalement cupide Helga Sinclair, puisqu’elle désire simplement ouvrir son propre restaurant, s’inscrivant ainsi dans l’idéal du self-made-man. Toujours victimes d’un enfermement, qu’il soit physique, moral ou social, ces figures féminines cherchent donc à s’en délivrer et cette quête de liberté est bien souvent au cœur des films dans lesquels elles apparaissent.

Le message porté par les héroïnes disneyennes l’est aussi à travers leur rapport aux hommes. Blanche-Neige, Cendrillon et Aurore ne luttent contre aucun homme, mais vivent dans un affrontement avec d’autres femmes : Blanche-Neige et Cendrillon sont sous la coupe de leurs marâtres jalouses (la marâtre de Blanche-Neige n’accepte pas qu’une femme soit plus belle qu’elle, celle de Cendrillon ne supporte pas de voir une jeune femme dotée de nombreuses qualités quand ses propres filles n’en ont guère) et Aurore est victime de la haine de Maléfique. Leur statut de souillon (pour Blanche-Neige et Cendrillon) ou de paysanne (pour Aurore), elles le doivent à ces femmes. En étant faites souillons, Blanche-Neige et Cendrillon sont censées cesser de rayonner, comme l’indiquent ces quelques phrases figurant dans le livre de conte qui s’ouvre au début de Blanche-Neige et les Sept Nains (Hand, 1937) : « Il était une fois une jeune Princesse qui s’appelait Blanche Neige. Sa marâtre, la Reine, hautaine et cruelle, craignait qu’un jour la beauté de Blanche Neige ne surpassât la sienne. Elle couvrit la jeune Princesse de haillons et la força à travailler comme Souillon. » Mais c’est l’effet inverse qui se produit puisque leur beauté et leur douceur n’en sont que plus évidentes : « une jeune fille en loque, dont les haillons ne peuvent dissimuler la grâce, est, hélas, encore plus belle que toi » annonce le miroir magique à la Reine (Hand, 1937 : 00:03) avant que Blanche-Neige n’apparaissent pour la première fois, en guenilles et chaussée de grossiers sabots, brossant les dalles de la cour, mais rayonnante et entourée de fleurs et de tourterelles pour qui elle chante si bien que le Prince en sera charmé, malgré les haillons ; de même, Cendrillon est montrée briquant le sol, à genoux, mais chantant tandis qu’une nuée de bulles colorées dans lesquelles elle se reflète l’entoure, prouvant que, même en souillon, elle resplendit (Geronimi, Jackson et Luske, 1950 : 00:25 à 00:27). Ce n’est donc pas un fantasme de domination masculine, qu’incarnent certaines figures de souillon du cinéma[8], qui est visible dans ces films puisque la domination à l’œuvre est féminine. Pour autant, l’arrivée du personnage masculin qu’elles épousent constitue l’élément de résolution de leurs souffrances et les rend plus ou moins dépendantes des hommes (une dépendance qui est toutefois distincte de la soumission car elle n’exclut pas la réciprocité).

Les femmes développées à partir de 1989 sont plus critiques envers les hommes, qui obtiennent parallèlement plus de temps de présence à l’écran. Ainsi, Ariel brave son père. Et si elle est dans l’erreur en allant solliciter l’aide d’Ursula, c’est bien lui, comme il le reconnaît, qui se trompait en prétendant que les humains étaient des êtres exclusivement mauvais et barbares. La même contestation d’une autorité masculine traditionnelle, cristallisant des injustices ou des erreurs de jugement, se retrouve avec Jasmine et Pocahontas qui refusent d’épouser un homme dont elles ne veulent pas (« Je ne suis pas le premier prix d’une tombola ! » souligne Jasmine – Clements et Musker, 1992 : 00:50), avec Pocahontas encore dans le refus de la xénophobie dont fait preuve son père, avec Mulan qui met en question la réclusion au foyer des femmes, et avec Kida qui accuse son père de ne pas chercher à sauver son pays de la décadence. Belle et Megara sont néanmoins celles qui se heurtent le plus aux codes misogynes de la masculinité. Belle les affronte directement en faisant face à Gaston, personnification du machisme : admiré de tous pour sa force et sa beauté, cet individu brutal, orgueilleux et inculte est, pour Belle, l’incarnation de la monstruosité véritable, par opposition à la Bête dont seul l’aspect est repoussant. De son côté, Megara subit ces codes puisqu’elle a été trahie par l’homme qu’elle aimait qui, après qu’elle eut livré son âme à Hadès afin de le sauver, l’a abandonnée pour une autre.

III. Le charme (plus ou moins) discret des héroïnes disneyennes

          Très tôt, Walter Disney a souhaité orienter ses studios vers des réalisations sortant du grossier trait de crayon qui suffisait à la réussite de Mickey pour faire du dessin animé l’égal des autres films. Obtenir une animation fine et réaliste est alors devenu, pour lui, une priorité. Cette animation d’une qualité inédite à l’époque cherchait à élaborer des héroïnes porteuses d’un charme réel, d’un attrait rivalisant avec celui des actrices de chair et de sang. Si les histoires, contes et légendes qui sont racontés font rêver, c’est aussi parce qu’ils mettent en scène des personnages idéalisés, fantasmés. Les créations Disney ont donc voulu retranscrire, en particulier avec leurs personnages féminins, cette idéalité, ce qui a conduit à choisir Natwick, animateur de Betty Boop, pour façonner une Blanche-Neige qui ne soit pas « un personnage neutre avec des symboles grossiers de féminité […] mais un personnage fondamentalement féminin » et même « une héroïne attirante » (Canemaker, Disney et Disney, 2001 : 00:51 à 00:54).

La sensualité des jeunes femmes dessinées par les studios Disney n’est pas toujours très marquée. Blanche-Neige, Cendrillon, Belle, Mulan, Tiana, Raiponce et Anna sont dotées d’un charme et d’une sensualité réels, mais retenus, conformément à cette exigence sociale dont Rossella Ghigi dit qu’elle est une « double injonction contradictoire faite aux femmes » puisqu’elle consiste à « ne pas lancer de messages trop explicites de disponibilité sexuelle, mais également [à] ne pas être totalement désexualisées, dans la mesure où la sexualisation du corps fait partie de la définition dominante de la féminité » (Ghigi, 2016 : 81). Les choses sont différentes pour les autres. Pour un personnage animé, la sensualité est créée essentiellement par l’attribution de silhouettes (aux courbes féminines marquées), de manières (telles le déhanché, les regards, les mouvements de bouche, de sourcils ou de cheveux) et de tenues vestimentaires associées, chez les femmes de chair et de sang, à ce qui suscite le désir, comme l’indiquaient les analyses de Walt Disney et John Canemaker citées plus haut. Le sociologue Richard Poulin faisait le même constat lorsqu’il soulignait, en 2013, que « les tenues vestimentaires et les corps des personnages des films de Disney [étaient] beaucoup plus sexy qu’auparavant », attribuant cette « sexualisation des personnages féminins » aux vêtements, à la silhouette et aux manières (Poulin, 2013 : 151). Dans cette logique, plus ces éléments sont fortement connotés sur le plan érotique, plus le sex-appeal de la femme dessinée est grand. De même, leur multiplication amplifie la sensualité du personnage et influence l’imagerie érotique des récepteurs, pouvant s’ajouter aux fantasmes déjà existants ou en poser les fondations.

Ce sont assurément les vêtements qu’il faut voir comme le premier niveau d’érotisme des héroïnes Disney, bien que le style du dessin, les courbes données au corps, la structure du visage et le maquillage aient déjà un effet majeur, comme en témoigne la sensualité plus grande d’Aurore, par rapport à Blanche-Neige et Cendrillon, qui ne vient pourtant pas de ses tenues, très comparables à celles de Cendrillon notamment. Cependant, ces traits, communs à Ariel, Jasmine, Pocahontas, Esméralda, Megara, Jane, Kida et Helga Sinclair, sont fortement soulignés, voire amplifiés, par l’habillement dont Aurélia Mardon a montré, en se penchant sur la socialisation relative à la lingerie, qu’il était au cœur d’un véritable apprentissage social de la féminité et de la sensualité (Mardon, 2005). Ariel est la première à s’afficher dénudée, exception faite du court passage de Cendrillon qui montre le haut du dos de la jeune héroïne alors qu’elle se lave (Geronimi, Jackson et Luske, 1950 : 00:06). Sirène, elle n’est évidemment que peu vêtue. Néanmoins, comme toutes les sirènes du film, sa poitrine est couverte. Couverte, mais avec légèreté, les deux demi-coquillages utilisés en guise de soutien-gorge ne masquant que peu son jeune et fin corps de femme et le faisant de sorte que se combinent la lingerie, dont on a rappelé la charge érotique (d’un point de vue culturel), et une nudité (en l’occurrence partielle), tout aussi sensuelle dans les codes occidentaux qui associent la nudité au désir et à l’érotisme, et ce en particulier chez les femmes (Gaté, 2016), pour pousser à son paroxysme l’érotisation de ce corps qui, du reste, présente les caractéristiques essentielles du corps perçu comme idéal par l’Occident contemporain tel que l’a décrit Murphy en 1987 : beauté, propreté, minceur et jeunesse (Figure 1) (Murphy, 1987). N’allant pas de pair avec une attitude sensuelle (Ariel n’est absolument pas aguicheuse), la petite sirène est donc érotique de fait (de par son corps esthétique, dévoilé et paré), mais pas par les faits, au contraire de Jasmine qui, trois ans plus tard, combine dévoilement du corps et attitude sensuelle. En effet, s’inscrivant dans la tradition des fantasmes orientalistes, la jeune femme dévoile son corps presque autant qu’Ariel (couvrant sa poitrine d’un bandeau révélant largement son ventre mince, elle est de surcroit la première à mettre en avant son pubis en arborant un pantalon qui, quoique bouffant, est plaqué au niveau du bassin) tout en s’inscrivant, en plus, dans des codes comportementaux plus sensuels. L’érotisation, toutefois, reste retenue, même si, à la fin du film, Jasmine va jusqu’à se montrer provocante pour piéger Jafar.

 AML Figure 1

Figure 1 : Croquis préparatoires d’Ariel © Walt Disney Productions. Auteur : C. Buck.

Après Jasmine, la tenue peu couvrante de Pocahontas ne semble pas particulièrement sensuelle quoique la jeune Amérindienne dévoile ses jambes. De même, Jane, alors qu’elle se montre plus légèrement vêtue encore que celles qui l’ont précédée (exception faite d’Ariel), puisqu’elle ne porte qu’un pagne dans la dernière séquence du film, ne s’inscrit pas dans une démarche sensuelle. En revanche, en 2001, Kida rivalise avec Jasmine. Vêtue, en temps normal, d’un mince et très moulant bandeau, soulignant son ventre dénudé comme sa poitrine, et d’une courte jupe révélant largement ses cuisses, Kida se démarque surtout des autres héroïnes disneyennes au moment où elle ôte sa jupe pour une séquence sous-marine, devenant ainsi la première femme Disney à s’afficher en bikini, vêtement à la charge érotique comparable à celle de la lingerie (Mardon, 2005), d’autant plus qu’il est en l’occurrence très échancré (Trousdale et Wise, 2001 : 00:52 à 00:57). Malgré cet effeuillage, Kida demeure moins sensuelle qu’Helga Sinclair qui, bien que moins dévêtue, s’impose comme la seule véritable femme fatale disneyenne.

Dans l’univers Disney, trois femmes pourraient être considérées comme relevant du modèle de la femme fatale (femme ayant une beauté et un charme tels qu’aucun homme ne peut y résister et à l’effet inéluctablement funeste). La première est Esméralda. Néanmoins, la Gitane, comme bien des personnages comptés comme femmes fatales, est une femme irrésistible plus qu’une femme fatale. Ce n’est effectivement qu’aux yeux de Frollo que cette femme vertueuse a une dimension diabolique et lui seul souffrira de sa passion pour elle. De même, Megara n’est pas une véritable femme fatale. Comparable à Gilda (Vidor, 1946), elle agit contre Hercule par contrainte et décide même de se sacrifier pour lui. Pour autant, elle est, par ses déhanchés permanents et irréels, les mouvements de sa bouche, de ses immenses et fins sourcils, la mèche de cheveux qui balaye son visage ou encore sa bretelle récalcitrante, particulièrement séduisante (on retrouve chez elle tous les codes de la séduction présentés notamment par Goffman en 1977 et Baudrillard en 1979), d’où Hadès explique vouloir l’utiliser, ainsi que ses courbes, pour appâter Hercule. En revanche, Helga Sinclair, elle, est une véritable femme fatale, dans le sens où elle ne l’est pas uniquement du point de vue d’un homme qui la jugerait comme telle pour lui imputer la responsabilité de ses propres souffrances. Son charme et sa sensualité, qui rendent les hommes hagards, lui permettent, en effet, de masquer ses sombres dessins et d’accomplir ses méfaits.

Possédant une silhouette glamour et musclée, l’élégante Helga, seule « méchante » du répertoire Disney à être jeune et belle, apparaît pour la première fois dans une longue robe noire, fendue jusqu’à la hanche, moulante et particulièrement décolletée (Trousdale et Wise, 2001 : 00:07 à 00:08). Durant l’expédition qui constitue l’essentiel du film, elle porte un pantalon militaire et de hautes bottes avec un col roulé, très près du corps, qui laisse place, après l’incendie du camp (Trousdale et Wise, 2001 : 00:35), à un simple top blanc, épousant sa poitrine et découvrant largement le haut de son buste. Au-delà de ses formes et de ses tenues aux bretelles systématiquement récalcitrantes, Helga possède un visage au charme très marqué et dont absolument toutes les mimiques, tous les regards, tous les mouvements de sourcils, de bouche ou de lèvres, expriment une sensualité provocante dont nulle actrice de chair et de sang n’aurait pu faire preuve. Les mèches rebelles qui barrent son visage, la mouche qu’elle a sous l’œil gauche, ses fréquents et très accentués déhanchés parachèvent cette aventurière irrésistible qui rappelle la très séduisante Elsa Schneider, exploratrice nazie dissimulant dans un premier temps ses liens avec le Reich et usant de son charme pour piéger les héros dans Indiana Jones et la Dernière Croisade (Spielberg, 1989), mais la dépasse de beaucoup dans la puissance évocatrice de son charme. Comble du glamour, Helga Sinclair est la parfaite preuve d’une réelle présence d’érotisme dans les films Disney. Reprenant tous les codes occidentaux de la séduction, elle devient une sorte d’allégorie de celle-ci.

En 2002, le film Lilo et Stitch rompt avec le style visuel habituel des films Disney. Le choix est fait d’opter pour des dessins très arrondis cherchant à être agréables et chaleureux (Spencer et al., 2010). L’aspect sympathique de Nani, la grande-sœur et tutrice de Lilo, prime alors sur sa sensualité que l’histoire ne met pas non plus en avant. Quoique jeune, et probablement tout juste majeure, et donc s’inscrivant dans la lignée de ces héroïnes nubiles composant notre corpus, elle s’approche alors d’une figure maternelle asexuée, invitant à considérer qu’il existe probablement un impératif social exigeant à qui possède un rôle maternel de se mettre à distance de l’érotisme et de la séduction (sans nécessairement s’en détacher pleinement pour autant : Nani est courtisée par un jeune collègue, mais ne peut que difficilement répondre favorablement à ses avances, précisément du fait de son rôle de tutrice). Pourtant, son corps est beaucoup dévoilé par ses différentes tenues légères et le bikini qu’elle porte dans beaucoup de scènes. Son ventre, toujours découvert, se distingue fortement de ceux d’Ariel, Jasmine et Kida qui l’affichaient également nu. Sans être épais, il possède un trait légèrement rond qui l’éloigne du modèle d’extrême minceur que les héroïnes disneyennes incarnent toutes, parfois dans des proportions irréelles. L’irréalité de la silhouette de Nani, mise en avant par ses animateurs, est toutefois tout aussi grande que celle de Megara, héroïne la plus mince du répertoire, mais pour des raisons différentes puisque cette fois les jambes sont massives, de même que les bras (Spencer et al., 2010). La comparaison des croquis préparatoires d’Ariel (Figure 1) et de Nani (Figure 2) fait ressortir de façon très nette la spécificité de la jeune Hawaïenne par rapport aux autres jeunes protagonistes disneyennes (qui s’inscrivent dans une même orientation qu’Ariel).

 AML Figure 2

Figure 2 : Croquis préparatoires de Nani © Walt Disney Productions. Auteur : S. Sainte-Foi.

Après Helga Sinclair, l’érotisme s’est fait plus discret dans les productions disneyennes, y compris donc dans le cas de Nani. Une séquence de La Reine des Neiges marque le retour d’une sexualisation qui reste néanmoins beaucoup plus ténue que celles précédemment observées : lorsqu’elle s’enfuit dans la montagne (Buck et Lee, 2013 : 00:29 à 00:33), la Reine Elsa laisse s’exprimer ses pouvoirs en érigeant un palais de glace et en métamorphosant son apparence. C’est l’occasion pour elle de libérer sa sensualité : elle relâche ses cheveux, ses nouveaux vêtements se plaquent à son corps qu’ils découvrent davantage, son pubis se dessine sous sa robe et surtout sa démarche et ses mimiques se teintent d’un érotisme qui pourrait sembler l’inscrire dans une démarche de séduction. Il est possible de voir cette scène comme une métaphore. Elsa en effet s’effraye de la force mystérieuse qui grandit en elle et préfère la laisser s’exalter loin de tous. Une force qui pourrait, par la charge érotique du passage, être assimilée à la sexualisation qui ouvre l’âge adulte. Le palais de glace symboliserait alors le renfermement défensif résultant de ces mutations et pourrait être rapproché du sommeil d’Aurore tel qu’analysé par Bruno Bettelheim (1976). Néanmoins, ces éléments restent peu explicites et, par la suite, la Reine Elsa ne conserve pas cette charge érotique soudainement apparue et le film reste plutôt distant de la thématique sexuelle.

Conclusion

          Omniprésent et influent, le répertoire disneyen, acteur incontournable de la socialisation par le support artistique, intègre à l'imagerie collective un idéal féminin qui, inévitablement, a des conséquences sur les normes et valeurs des individus récepteurs, notamment en matière de fantasmes sexuels. Malgré une incontestable variété, les modèles disneyens présentent une certaine homogénéité qui peut être considérée comme formant l’idéal féminin de ce répertoire, l’arête en constituant le cœur inchangeable. Le cinéma étant fruit et racine des représentations sociales, cet idéal nous dit quelque chose de la société occidentale contemporaine qui, malgré quelques variations telles que l’ouverture à une certaine diversité ethnique observable dans les productions des studios Disney à partir des années 1990, porte un modèle féminin, invariable depuis un siècle, inscrit dans le culte rendu à la jeunesse, caractérisé par sa beauté, sa minceur et la longueur de ses cheveux, mû par le désir de liberté (si emblématique de la culture des Lumières, et de la culture américaine), la douceur morale (conforme à la logique féminisant le care) et la communion avec la nature (renforçant cet idéal de douceur). L’érotisation, parfois assez marquée, des héroïnes disneyennes, parce qu’elle s’effectue dans le cadre d’une idéalisation, norme le degré de sensualité socialement admis et valorisé tout autant qu’elle traduit les normes en place. Les studios Disney se font donc acteur de la transmission de la norme à désirer, mais aussi de la norme à laquelle se conformer pour être désirable.

Notes de fin

[1] Ainsi, par exemple, L’adolescente et le cinéma – De Lolita à Twilight (Paris et Dupont, 2013), riche ouvrage s’intéressant au contenu cinématographique, ne compte que quatre sociologues et un anthropologue sur les vingt auteurs l’ayant rédigé.

[2] Les analyses présentées dans cet article sont le fruit d’un travail plus large mené entre 2012 et 2014 (Leroy, 2014). Les travaux abordant la question des modèles disneyens sont moins rares depuis car ce support intéresse les études queer qui sont parmi les rares courants de la recherche en sciences humaines à mobiliser les cultural studies dans leurs publications (Cervulle et Quemener, 2015 ; Djavadzadeh, 2016 ; Massei, 2017) ou dans leurs communications (Dehgan, 2015).

[3] Une enquête quantitative que nous avions menée en 2014 permettait de constater que la plus ancienne des réalisations Disney avait été vue par autant d’enfants que la plus récente.

[4] Helga Sinclair est envisagée, pendant presque tout le film, comme idéale et présente, de ce fait, toutes les caractéristiques associées à une femme idéale (ce qui permet de duper le spectateur) tout en les portant (et transmettant potentiellement) puisque la rupture d’intelligibilité qui s’opère pour le spectateur lorsqu’il comprend qui elle est véritablement ne peut effacer complètement ce qu’elle a incarné.

[5] Le cinéma, nous l’avons vu, tend à mettre en scène des femmes érotisées. Celles-ci sont habituellement jeunes, et souvent tout juste nubiles, la désirabilité étant culturellement vue comme s’amenuisant à mesure que passe le temps (Rennes, 2016).

[6] A ce sujet, il n’est sans doute pas inutile de rappeler les paradoxes qui peuvent exister dans les législations comme dans les représentations : en France, l’âge nubile des femmes a été aligné sur celui des hommes en 2006 et est passé de 15 à 18 ans ; toutefois la vulnérabilité n’est reconnue par le juge que pour les mineurs de 15 ans (Verdrager, 2013 ; Rennes, 2016). Du côté des représentations, l’érotisation des jeunes femmes, voire des jeunes filles est courante dans l’art (Birraux, 2004 ; Paris et Dupont, 2013 ; Leroy, 2015).

[7] L’ouvrage de Pascale Molinier Le travail du care (2013) propose une approche assez complète de cette notion de care aux usages parfois militants.

[8] A titre d’exemples, citons Duel au soleil (Vidor, 1946), ou encore Le Salaire de la peur (Clouzot, 1953).

 

Bibliographie

Andrault Jean-Michel (1978). « La distribution des films Disney en France ». La Revue du Cinéma, n°334 : 45.

Bancroft Tony, Cook Barry (réa.) (1998). Mulan [DVD]. Studios Disney, 84 minutes.

Barbier Pascal et al. (2016). « Vêtement ». Dans, Rennes J. (dir.). Encyclopédie critique du genre – Corps, sexualité, rapports sociaux. Paris : La Découverte : 659-669.

Baudrillard Jean (1979). De la séduction. Paris : Ed. Galilée.

Béjin André (2004). « Fantasmes (sociologie des) ». Dans, Brenot P. (dir.). Dictionnaire de la sexualité humaine. Le Bouscat : L'Esprit du Temps.

Bettelheim Bruno (1976). Psychanalyse des contes de fées. Trad. de l’anglais par Théo Carlier (1999). Paris : Pocket.

Birraux Annie (2004). Le corps adolescent. Paris : Bayard.

Bozon Michel, Giami Alain (1999). « Les scripts sexuels ou la mise en forme du désir – Présentation de l’article de John Gagnon ». Actes de la recherche en sciences sociales, n°128 : 68-72.

Bozon Michel (2001). « Orientations intimes et constructions de soi – Pluralité et divergences dans les expressions de la sexualité ». Sociétés contemporaines, n°41-42 : 11-40.

Bozon Michel (2009). Sociologie de la sexualité. Paris : Armand Colin.

Broussard Michel, Doopffer Marie (1978). « L’enfant, le cinéma : approche psychologique ». La Revue du Cinéma, n°328.

Buck Chris (1989). Croquis préparatoires d’Ariel. Dans, Clements R., Musker J. (réa.). La Petite Sirène [DVD]. Studios Disney, 83 minutes.

Buck Chris, Lima Kevin (réa.) (1999). Tarzan [DVD]. Studios Disney, 88 minutes.

Buck Chris, Lee Jennifer (réa.) (2013). La Reine des Neiges [DVD]. Studios Disney, 102 minutes.

Canemaker John, Disney Roy, Disney Walter (com.) (2001). Commentaires audio. Dans, Hand D. (réa.) (1937). Blanche-Neige et les Sept Nains [DVD]. Studios Disney, 83 minutes.

Carof Solenn (2016). « Poids ». Dans, Rennes J. (dir.). Encyclopédie critique du genre – Corps, sexualité, rapports sociaux. Paris : La Découverte : 470-478.

Cervulle Maxime, Quemener Nelly (2015). Cultural Studies – Théories et méthodes. Paris : Armand Colin.

Clements Ron, Musker John (réa.) (1989). La Petite Sirène [DVD]. Studios Disney, 83 minutes.

Clements Ron, Musker John (réa.) (1992). Aladdin [DVD]. Studios Disney, 87 minutes.

Clements Ron, Musker John (réa.) (1997). Hercule [DVD]. Studios Disney, 89 minutes.

Clements Ron, Musker John (réa.) (2009). La Princesse et la Grenouille [DVD]. Studios Disney, 97 minutes.

Clouzot Henri-Georges (réa.) (1953). Le Salaire de la peur [DVD]. Vera Films, 141 minutes.

DeBlois Dean, Sanders Chris (réa.) (2002). Lilo et Stitch [DVD]. Studios Disney, 85 minutes.

Dehgan Lauren (2015). « Un état des lieux des représentations liées au genre dans la production animée orientée jeunesse (2010-2015) ». Les ateliers du genre de l’UCBN (Maison de la Recherche en Sciences Humaines de Caen, Mercredi 30 septembre 2015). Genre et production audiovisuelles.

Djavadzadeh Keivan (2016). « Culture populaire ». Dans, Rennes J. (dir.). Encyclopédie critique du genre – Corps, sexualité, rapports sociaux. Paris : La Découverte : 183-191.

Dubar Claude (2015). La socialisation – Construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.

Ethis Emmanuel (2009). Sociologie du cinéma et de ses publics. Paris : Armand Colin (coll. Domaines et approches).

Gabriel Mike, Goldberg Eric (réa.) (1995). Pocahontas : Une légende indienne [DVD]. Studios Disney, 81 minutes.

Gagnon John (1973 et 2004). Les scripts de la sexualité – Essais sur les origines culturelles du désir. Trad. De l’anglais par Marie-Hélène Bourcier et Alain Giami (2008). Paris : Payot.

Gagnon John (1999). « Les usages explicites et implicites de la perspective des scripts dans les recherches sur la sexualité ». Actes de la recherche en sciences sociales, n°128 : 73-78.

Gaté Juliette (2016). « Nudité ». Dans, Rennes J. (dir.). Encyclopédie critique du genre – Corps, sexualité, rapports sociaux. Paris : La Découverte : 409-417.

Geronimi Clyde, Jackson Wilfred, Luske Hamilton (réa.) (1950). Cendrillon [DVD]. Studios Disney, 74 minutes.

Geronimi Clyde (réa.) (1959). La Belle au Bois Dormant [DVD]. Studios Disney, 75 minutes.

Geronimi Clyde, Reitherman Wolfgang, Luske Hamilton (réa.) (1961). Les 101 Dalmatiens [DVD]. Studios Disney, 79 minutes.

Ghigi Rossella (2016). « Beauté ». Dans, Rennes J. (dir.). Encyclopédie critique du genre – Corps, sexualité, rapports sociaux. Paris : La Découverte : 77-86.

Goffman Erving (1977). « La ritualisation de la féminité ». Actes de la recherche en sciences sociales, n°14 : 34-50.

Greno Nathan, Howard Byron (réa.) (2010). Raiponce [DVD]. Studios Disney, 100 minutes.

Hand David (réa.) (1937). Blanche-Neige et les Sept Nains [DVD]. Studios Disney, 83 minutes.

Jacquin Philippe (2012). « Etaient-ils les premiers écologistes ? ». L’Histoire (Les Collections), n°54 : 20-21. Paris : Sophia Publications

Leroy Alexander María (2014). Fantasme sexuel – Social par nature. Université de Caen Basse-Normandie.

Leroy Alexander María (2015). « Lolita ou le concept de l’adolescente fatale ». RITA, n°8, 17 juin 2015. [URL : http://www.revue-rita.com/dossier8/lolita-ou-le-concept-de-l-adolescente-fatale.html. Consulté le 13 février 2019].

Mardon Aurélia (2005). « ‘Comment la parure vient aux jeunes filles’ – Socialisation corporelle et lingerie ». Dans, Le Gall D. (dir.) Genres de vie et intimités – Chroniques d’une autre France. Paris : L’Harmattan (coll. Sociologies et Environnement) : 221-235.

Mary Bertrand (2004). Walt Disney et nous – Plaidoyer pour un mal-aimé. Paris : Calmann-Lévy

Massei Simon (2017). « L’esquisse du genre ». Genre, sexualité & société, n°17, 01 juin 2017. [URL : http://journals.openedition.org/gss/4015. Consulté le 10 février 2019].

Mattelart Michèle (1978). « Disney chez les Gallo-Ricains ». La Revue du Cinéma, n°334 : 34-43.

Molinier Pascale (2013). Le travail du care. Paris : La Dispute.

Monteil Lucas (2016). « Scripts sexuels ». Dans, Rennes J. (dir.). Encyclopédie critique du genre – Corps, sexualité, rapports sociaux. Paris : La Découverte : 584-595.

Murphy Robert (1987). Vivre à corps perdu – Le témoignage et le combat d’un anthropologue paralysé. Trad. De l’anglais par Paul Alexandre (1993). Paris : Presses Pocket.

Paris Hugues, Dupont Sébastien (dir.) (2013). L’adolescente et le cinéma – De Lolita à Twilight. Toulouse : Ed. Erès.

Poulin Richard (2013). « Pornographisation : Adocentrisme, juvénilisation des femmes et adultisation des filles ». Dans, Paris H., Dupont S. (dir.). L’adolescente et le cinéma – De Lolita à Twilight. Toulouse : Ed. Erès : 145-162.

Reitherman Wolfgang (réa.) (1973). Robin des Bois [DVD]. Studios Disney, 83 minutes.

Rennes Juliette (dir.) (2016). Encyclopédie critique du genre – Corps, sexualité, rapports sociaux. Paris : La Découverte.

Rennes Juliette (2016). « Âge ». Dans, Rennes J. (dir.). Encyclopédie critique du genre – Corps, sexualité, rapports sociaux. Paris : La Découverte : 42-53.

Sainte-Foi Stéphane (2002). Croquis préparatoires de Nani. Dans, DeBlois D., Sanders C. (réa.). Lilo et Stitch [DVD]. Studios Disney, 85 minutes.

Spencer Clark et al. (com.) (2010). « Le graphisme de Lilo & Stitch ». Dans, DeBlois D., Sanders C. (réa.) (2002). Lilo et Stitch [DVD]. Studios Disney, 85 minutes : Bonus.

Spielberg Steven (réa.) (1989). Indiana Jones et la Dernière Croisade [DVD]. Lucasfilm, 127 minutes.

Trousdale Gary, Wise Kirk (réa.) (1991). La Belle et la Bête [DVD]. Studios Disney, 87 minutes.

Trousdale Gary, Wise Kirk (réa.) (1996). Le Bossu de Notre-Dame [DVD]. Studios Disney, 87 minutes.

Trousdale Gary, Wise Kirk (réa.) (2001). Atlantide, l’empire perdu [DVD]. Studios Disney, 91 minutes.

Verdrager Pierre (2013). L’enfant interdit – Comment la pédophilie est devenue scandaleuse. Paris : Armand Colin (coll. Individu et société).

Vidor Charles (réa.) (1946). Gilda [DVD]. Columbia Pictures, 110 minutes.

Vidor King (réa.) (1946). Duel au soleil [DVD]. The Selznick Studio, 129 minutes.

Zapperi Giovanna (2016). « Regard et culture visuelle ». Dans, Rennes J. (dir.). Encyclopédie critique du genre – Corps, sexualité, rapports sociaux. Paris : La Découverte : 549-558.

 

Pour citer cet article

Alexander María Leroy, « Les femmes désirables dans le répertoire Disney », RITA [en ligne], N°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019. Disponible en ligne: http://revue-rita.com/dossier-12/les-femmes-desirables-dans-le-repertoire-disney-alexander-maria-leroy.html

Mujeres indígenas amazónicas. Autorepresentación, agencialidad y resistencia frente a la ampliación de las fronteras extractivas
Amazonian indigenous women. Self resentation, agency and resistance to the expansion of extractive borders

 

Resumen
El artículo analiza la acción colectiva de mujeres lideresas que se autoidentifican como parte de las nacionalidades kichwa, sapara, waorani, shiwiar y shuar[1] y que durante el período gubernamental afín con el Socialismo del Siglo XXI en Latinoamérica (2007-2017) y el gobierno actual de retorno al neoliberalismo, han sostenido la resistencia al extractivismo en la Amazonía ecuatoriana. Partiendo de una mirada retrospectiva al papel que han tenido las mujeres en los procesos de movilización de las organizaciones indígenas frente al Estado y empresas transnacionales, en décadas previas, se visibiliza su protagonismo contemporáneo. Dentro del argumento principal del artículo, se discute si existe una feminización de sus luchas al incorporar reivindicaciones de género en sus propuestas político-organizativas.

Palabras clave: Extractivismo; Agencialidad; Mujeres indígenas; Amazonía.

 

Abstract
The article analyzes the collective action of women leaders who self-identify as part of the Kichwa, Sapara, Waorani, Shiwiar and Shuar nationalities and that during the government period aligned with the Socialism of the XXI Century in Latin America (2007-2017), and the current government that returns to neoliberalism, have sustained resistance to the deepening of extractivism in the Ecuadorian Amazon. Based on a retrospective look at the role that women have played in the processes of mobilization of indigenous organizations vis-à-vis the State and transnational corporations, in previous decades, their contemporary protagonism has become visible. Within the main argument of the article, we discusse if there is a feminization on their struggles, while gender claims are incorporated in their political-organizational proposals.

Key words: Extractivism; Agency; Indigenous women; Amazon.

 

------------------------------
Andrea Bravo Aguilar 

Master en Estudios Socioambientales

 

Ivette Vallejo Real

Doctora en Ciencias Sociales
Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales

 

Mujeres indígenas amazónicas. Autorepresentación, agencialidad y resistencia frente a la ampliación de las fronteras extractivas

Introducción

          Los procesos organizativos indígenas en la Amazonía ecuatoriana se fraguaron entre los años 60 y 70, fortaleciéndose más adelante entre las décadas de los 80 y fines de los 90. Durante la implementación de las políticas neoliberales de ajuste estructural y de privatizaciones (Favre, 2009) y en el tiempo que empresas transnacionales petroleras, penetraban fuertemente en la región con el aval del Estado, las organizaciones indígenas[2] formularon demandas de reconocimiento cultural, educación intercultural bilingüe, autodeterminación y titulación de territorios colectivos (Yashar, 2005).

Históricamente la exploración petrolera se concentró en la Amazonía norte (provincias de Sucumbíos, Napo y Orellana). No obstante, desde la década del noventa, a través de varias rondas de licitación petrolera, distintos gobiernos de turno intentaron ampliar las áreas de operación hacia el centro y sur amazónico (provincias de Pastaza y Morona Santiago), lo que se detuvo por una fuerte resistencia indígena en esas provincias.

En la provincia de Pastaza, a lo largo de los procesos organizativos y de reivindicaciones ante el Estado, la participación de las mujeres ha sido constante. En la marcha de 1992 denominada Allpmanda causaimanda Jatarishun (Por el territorio, por la vida, levantémonos) liderada por la Organización de Pueblos Indígenas de Pastaza (OPIP), las mujeres tuvieron una importante participación en logística y comisiones, y en exigir la titulación de territorios. En esa década, dentro de la estructura de la OPIP se conformó la Comisión de la Mujer, y en el pueblo Kichwa de Sarayaku se creó la Asociación de Mujeres Indígenas (AMIS), que articulada a la organización mixta efectuó capacitaciones en derechos indígenas a mujeres de comunidades de base (Zárate, 2002). En 1998, lideresas kichwa miembros de la OPIP participaron en la elaboración de la propuesta de moratoria ante la séptima y octava rondas de licitación petrolera (Ojeda, 2005). De 2003 a 2005, con la amenaza de concesión territorial por parte del Estado a la compañía petrolera CGC, las mujeres del pueblo kichwa de Sarayaku tuvieron un rol fundamental en impedir el ingreso de trabajadores petroleros y militares a su territorio. Además, estas mujeres fueron parte de la elaboración de la propuesta de zonas prioritarias de interés biológico, histórico y cultural a ser excluidas a perpetuidad para el extractivismo (Ojeda, 2005); y, más adelante participaron en audiencias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos, en la demanda interpuesta por su pueblo al Estado por haber permitido prospecciones en sus territorios, sin un proceso de consulta previa libre e informada.

En el marco de la VII Ronda petrolera de 1994, alrededor de 200 mujeres de las nacionalidades kichwa, sapara, shuar y achuar, denominadas sinchi warmikuna (mujeres fuertes), marcharon de Puyo a Quito, acompañadas por la ONG Acción Ecológica[3], avivando la consigna “fluye el petróleo, sangra la tierra”, y pancartas de “Pachamama: una marcha por la vida, por la selva, y el respeto a la identidad cultural de los pueblos indígenas. No a los petroleros”. Esta acción les convirtió en un símbolo de fuerza y resistencia (Sawyer, 2004). Con el paso al nuevo milenio, a medida que aumentaba la conflictividad con respecto al Estado y transnacionales, las mujeres participaron en bloqueos de carreteras poniendo el cuerpo en primera línea frente a militares y trabajadores de compañías petroleras, para frenar las prospecciones sísmicas (Ortiz, 2004).

Durante el gobierno de Rafael Correa (2007-2017) afín al Socialismo del Siglo XXI, se acentuó la amenaza de la ampliación de las fronteras extractivas sobre la Amazonía centro y sur, y se inauguró la minería a gran escala. Su sucesor en el gobierno, Lenin Moreno (2017 al presente), ha dado un giro hacia el neoliberalismo, manteniendo el extractivismo petrolero y minero como pilares para la atracción de inversión extranjera. Ante esto, lideresas amazónicas han sostenido la resistencia anti extractiva.

La finalidad de este artículo es profundizar en la acción colectiva de mujeres que se autoidentifican como kichwa, sapara, waorani, shiwiar y shuar en la defensa territorial, y dimensionar la integración de demandas de género a los procesos organizativos de sus pueblos. Nos guiamos por las interrogantes: ¿se experimenta actualmente un mayor protagonismo de las mujeres en los procesos organizativos en la Amazonía?, ¿qué nuevos contenidos y repertorios de acción colectiva incluyen en las agendas organizativas de defensa territorial?, ¿las mujeres indígenas en la Amazonía están feminizando sus procesos organizativos y luchas?

En el proceso investigativo[4] del que deviene este artículo, se utilizaron técnicas como entrevistas a profundidad con mujeres lideresas, observación participante en talleres, eventos y foros. Se revisaron medios de comunicación escrita, pronunciamientos y declaratorias de las mujeres e información que difunden en redes sociales. Además, en el 2018 realizamos tres talleres sobre Sumak Kawsay (Buen Vivir) y género con mujeres kichwa de Pastaza, de las cuencas del Bobonaza y Curaray, en colaboración con el Instituto Quichua de Biotecnología Sacha Supay (IQBSS)[5].

Dentro del argumento central del artículo sostenemos que las mujeres que se autoidentifican como kichwa, waorani, sapara, shiwiar y shuar y que se denominan Mujeres Defensoras de la Selva han alcanzado un alto protagonismo en la última década. En este proceso, las mujeres refuerzan la histórica defensa territorial efectuada por el movimiento indígena amazónico frente al extractivismo, pero incorporan a las agendas organizativas amazónicas el cuestionamiento a la patriarcalización[6] de los territorios y las violencias de género.

En cuanto a la estructura del artículo, en el primer acápite se presentan las orientaciones conceptuales, en el segundo se analiza la profundización extractiva acaecida en el gobierno del Socialismo del Siglo XXI y en el actual, en el tercero y cuarto se aborda la feminización de las luchas de defensa territorial, y al final se presentan conclusiones.

I. Orientaciones conceptuales

          El análisis e interpretación se efectúa desde la ecología política feminista en diálogo con el feminismo decolonial y comunitario, más abordajes sociológicos sobre la acción social propuestos por Tilly (1994) y Cefaï (2011).

La ecología política aborda las dinámicas de poder y las estructuras de desigualdad que median las relaciones humano-ambiente (Biersak, 2006; Hvalkof y Escobar, 1998). La naturaleza es objeto de disputas entre distintos actores por el control de recursos, así como por la legitimación de los significados y representaciones que se construyen en torno a ella (Álvarez, Dagnino y Escobar, 1998). La ecología política post-estructural toma interés por las agencialidades que se despliegan en las interacciones entre lo local, regional y global (Biersack, 2006), expresadas en formas de negociación, involucramiento, contestación o resistencia (Hvalkof, 2006), sin perder de vista constreñimientos estructurales impuestos por la dinámica del sistema-mundo capitalista.

La ecología política feminista considera que el género es una construcción social que condiciona el acceso y el control diferencial de hombres y mujeres a los recursos naturales. Coloca especial énfasis en los “procesos de toma de decisiones y el contexto económico, político y social que conforma las políticas y las prácticas ambientales” (Rocheleau, et al, 1996: 345), y en cómo las mujeres se configuran como sujetos políticos en las contiendas ambientales. Entra en sintonía con los feminismos decolonial y comunitario, que proponen que las experiencias coloniales y patriarcales forman una misma matriz estructuradora de jerarquías sociales. Desde estas perspectivas, se desestructura y des-universaliza el sujeto del feminismo hegemónico, al complejizar las opresiones no únicamente basadas en el género, sino también en la clase, raza y etnicidad. El feminismo comunitario, se ancla en lo colectivo, con énfasis en la lucha por defender el “territorio-cuerpo” de las mujeres, tanto como el “territorio-tierra” (Cabnal, 2010).

En el tratamiento de los movimientos sociales y la acción colectiva asumimos un enfoque atento a los contextos de experiencia de los actores, considerando que éstos no se guían exclusivamente por elecciones racionales (Cefaï, 2011). Los movimientos sociales son una forma compleja de acción que tienden a asegurar su continuidad en un tiempo y lugar determinados (Tilly, 1995). Tienen distinto estilo organizacional, lazos con otros miembros, normas discursivas y un ethos; además de ocupar lugares en arenas interorganizacionales.

Cefaï (2011) reconoce una multiposicionalidad en la acción colectiva, lo que conlleva a un pluralismo de perspectivas en una organización, apertura a ideas externas. Muchas veces se puede retomar estructuras previas de organización, así como reactivar saberes y símbolos. Puede haber entrecruzamientos de redes heterogéneas. Las movilizaciones colectivas en este sentido, remodelan campos de experiencia y horizontes de expectativas tanto públicos, como privados de los actores; pueden llevar a innovaciones jurídicas e institucionales. Se pueden crear “nuevos principios éticos, políticos o metafísicos (...) calificados como cosmopolíticos” (Cefaï, 2011: 162), siendo la acción colectiva susceptible de difusión de nuevas afectividades, sensibilidades, nuevos lenguajes y repertorios de argumentación y motivación basados en saberes locales y experiencias vividas.

Entraremos a continuación al contexto más reciente de profundización extractiva en la Amazonía ecuatoriana para explicitar el escenario de los procesos contemporáneos de agencialidad de las mujeres indígenas y la feminización de sus luchas.

II. Profundización extractiva: petróleo y minería a gran escala

          Entre 2007 y 2017, el gobierno de Rafael Correa propuso refundar el país sobre varios aspectos; entre ellos, el fortalecimiento del Estado para contrarrestar los efectos de décadas de neoliberalismo, el cambio de la matriz productiva y energética, que implicaba salir de una economía primario exportadora y dependiente, y la adopción de fuentes de energía alternativas a los combustibles fósiles; implementar el Sumak Kawsay (Buen Vivir) en la planeación nacional de la política pública. Dicho principio integrado a la Constitución (2008) se fundamenta en preceptos de pueblos indígenas basados en la procura de una relación armónica entre sociedad y naturaleza. A partir de esto, se esperaba que se viabilicen alternativas al desarrollo que permitan el tránsito del Ecuador hacia un post extractivismo (Acosta, 2011). En la práctica, el gobierno impuso con gran fuerza actividades extractivas petroleras y la mega minería (Burchardt et al, 2016) con la retórica de la construcción de una “Nueva Amazonía, libre de pobreza” (Vallejo, 2014). En el período Ecuador vivió un nuevo auge económico, en consonancia con el “boom de los commodities” de comienzos del siglo XXI (Peters, 2016) marcado por los precios altos de las materias primas.

El 28 de noviembre de 2012 se convocó la XI Ronda de licitaciones, que incluyó 16 bloques en las provincias de Napo, Pastaza y Morona Santiago. Con ello, tres millones de hectáreas de bosque tropical y siete nacionalidades indígenas (kichwa, shuar, achuar, shiwiar, andoa, sapara y waorani), se vieron afectadas. En agosto de 2012, la Subsecretaría de Hidrocarburos efectuó un proceso acelerado de consulta previa en los territorios a ser licitados y suscribió acuerdos con algunos dirigentes de organizaciones indígenas y juntas parroquiales para obras de desarrollo en áreas de influencia de los bloques. En la opinión de dirigentes de la CONAIE, la CONFENIAE, y ONG ecologistas (Fundación Pachamama y Acción Ecológica), el proceso de consulta previa fue inconstitucional, al no ceñirse a estándares internacionales de derechos de los pueblos indígenas (Vallejo, 2014)[7].

 

Imagen 1: Mapa XI Ronda petrolera

Fuente:https://quieroamazonia.files.wordpress.com/2013/11/nueva-ronda-petrolera-oct-2012.jpg Consultado el 20 de marzo de 2019.

A fines de 2008 el gobierno también impulsó la minería a gran escala en la Amazonía sur (Provincias de Morona Santiago y Zamora Chinchipe), como estrategia para una economía post-petrolera (Lalander y Ospina, 2012). En 2009 se configuró un marco normativo para atraer inversión extranjera y en el 2013 se flexibilizó los requisitos previamente fijados y lo establecido en la Constitución[8] para volver más atractiva la inversión y acelerar licenciamientos ambientales. Actualmente, tres mega-proyectos se encuentran en marcha (Panantza San Carlos, Mirador y Fruta del Norte), los cuales afectan a comunidades shuar y campesinas, sometidas a procesos de despojo y a la militarización de sus territorios.

 

Imagen 2: Mapa de conceciones mineras

Fuente: https://ecuadorendangered.com/wp-content/uploads/2018/01/RIC-Mapping-Report-v1.1-20180117-esp.pdf Consultado el 20 de marzo de 2019.

En mayo de 2017, Lenin Moreno asumió la presidencia de Ecuador y pese a que ha intentado marcar distancias con el gobierno previo, estableciendo diálogos con el movimiento indígena, ha continuado con la política extractiva. En el segundo semestre del año 2018, el gobierno anunció una XII Ronda petrolera para la Amazonía centro y sur, y en octubre del mismo año, en el Encuentro Anual de Energía, Petróleo y Minas formalizó la licitación de los bloques petroleros 86 y 87, superpuestos a territorios kichwa, shiwiar, sapara y achuar y a la cabecera parroquial Río Tigre. Además del grupo Nashiño de pueblos indígenas aislados (ver Figura 3).

Imagen 3: XII Ronda petrolera

Fuente: Carlos Mazabanda, Amazon Watch 2018, com base a catastro petrolero MRNR,2014; Ecociencia 2013, IGM 2016

En el contexto descrito, mujeres de distintas nacionalidades y pueblos indígenas han asumido de forma protagónica la resistencia anti extractiva en sus territorios y se están consolidando cada vez más como actoras claves en la contienda política que enfrenta organizaciones indígenas-Estado-empresas transnacionales y estatales petroleras y mineras.

III. Las “Mujeres amazónicas defensoras de la selva”

Imagen 4: Mujeres Defensoras de la Selva.

Fuente: https://www.facebook.com/MujeresAmazonicasDefensoras/photos/p.816122405410850/816122405410850/?type=1&theater. Plaza Grande- Quito, 12 de marzo de 2018.

Desde el 2013, mujeres autoidentificadas con las nacionalidades kichwa, sapara, waorani, shiwiar y shuar, quienes se denominan Mujeres Defensoras de la Selva, sin separarse de las estructuras organizativas mixtas, comenzaron a cuestionar el debilitamiento organizativo de sus pueblos. Las mujeres rechazaron los acuerdos de inversión firmados por algunos líderes con el gobierno, efectuados en el contexto de la XI Ronda de licitaciones en el 2012, por no haber contado con el consentimiento de sus pueblos en procesos asamblearios, así como tampoco el de las organizaciones de mujeres. Desde la perspectiva de las mujeres, el silenciamiento de sus voces facilita la entrada de empresas extractivas en sus territorios. Las mujeres consideran que al estar relacionadas cotidianamente con los lugares del territorio donde manejan agroecosistemas, pescan y hacen recolección de productos del bosque para el sustento familiar, divisan los efectos nocivos que las empresas pueden generar

Es una posición que tenemos todas las mujeres, que no queremos petróleo, ni minería, ni las madereras, porque nosotras somos las que cultivamos, nos hacemos cargo de la selva, de la comida, de los hijos y de los ríos. Nosotros somos selva, río, somos árbol, delfín, y por eso nos damos cuenta que la tierra se está dañando (Entrevista Alicia Cawiya, lideresa waorani, 10/03/18) [9].

Las mujeres han fomentado espacios de articulación para cuestionar todo aquello que amenaza la sostenibilidad de la vida. Su propuesta integra la lucha histórica y cotidiana de los pueblos por la recuperación y la defensa del territorio, “como una garantía de espacio concreto territorial, donde se manifiesta la vida de los cuerpos” (Cabnal, 2010: 22). En sintonía con otras mujeres indígenas de América Latina (de Bolivia, Perú, Guatemala, Chile, México), perciben que viven afectadas por múltiples violencias: “sus cuerpos aún siguen expropiados” (Cabnal, 2010: 24); por lo que vislumbran la necesidad de enfrentar tanto la opresión histórica contra los cuerpos sexuados de las mujeres, su “cuerpo-territorio”, como la explotación capitalista hacia los “territorios-tierra” de sus pueblos.

A través de talleres organizados por las ONG Acción Ecológica, Fundación Pachamama[10] y el IQBSS, con tópicos relacionados con el extractivismo, cambio climático, territorio, violencia de género y liderazgo, las mujeres han accedido a información para la exigibilidad de sus derechos. Varias mujeres han visitado la Amazonía norte para visibilizar los impactos del extractivismo petrolero generados por la trasnacional Chevron Texaco. En el 2014, lideresas amazónicas visitaron a mujeres campesinas en La Oroya y Cerro de Pasco en Perú, visibilizando las afectaciones ambientales y sociales de la minería a cielo abierto.

Las lideresas amazónicas han construido alianzas con ONGs internacionales y activistas de derechos de los pueblos indígenas que abordan problemáticas como el cambio climático[11]. Han participado a nivel internacional en el Foro Social Mundial, Foro Permanente de Asuntos Indígenas en la sede de ONU en Nueva York, las Conferencias Marco sobre Cambio Climático en distintos países y en eventos globales del Sistema de Naciones Unidas sobre derechos indígenas y de las mujeres.

Con estas capacitaciones, las mujeres están luchando. Ya no están con ese ánimo de antes, ahora están más animosas para luchar sus defensas territoriales. Hemos venido aprendiendo de nuestros derechos, ya sabemos cómo tenemos que defender. Así también ya no tienen el mismo miedo de antes (Entrevista Salomé Aranda, Lideresa kichwa de la zona de Villano, Pastaza, 02/06/18).

En octubre de 2013, las Mujeres Defensoras de la Selva marcharon desde la provincia de Pastaza a Quito, y pidieron ser recibidas por el presidente Correa para entregarle un Mandato. Poniendo en escena en la arena de lo público sus demandas ante el Estado (Cefaï, 2011), se situaron en distintos sitios de la ciudad, en los que reimprimieron sus repertorios de acción colectiva, dieron ruedas de prensa y entrevistas[12].

Esta marcha se efectuó después de un encuentro de mujeres de las nacionalidades indígenas de Pastaza, en rechazo a la XI Ronda Petrolera. Ellas denunciaron la inconstitucionalidad de los procesos de consulta previa del gobierno, rechazaron las concesiones en sus territorios y posicionaron su propuesta de Kawsak Sacha (selva viva), como modo orientador de vida que procura mantener las relaciones entre humanos, no humanos y espíritus, y que implica evitar que la selva se contamine y altere. Con ello, elevaron demandas cosmopolíticas en la esfera pública (Micoud, 2007 en Cefaï, 2011).

Las mujeres en encuentros y talleres a lo largo del decenio previo han discutido sobre los impactos del extractivismo y han perfilado una agenda organizativa de defensa territorial. Han efectuado recorridos ribereños (Yaku Chaski) por las cuencas del Bobonaza y Curaray alertando a las comunidades que visitan sobre los impactos del extractivismo petrolero en los bosques, los ríos y las afectaciones en los agroecosistemas. Han compartido formas de interacción y espacios de sociabilidad en torno a la toma de guayusa, que orientan tanto la vida cotidiana como la política.

 

Imagen 5: Yaku chaski en el río Curaray, realizado entre el 15 y 29 de febrero de 2016.

Fuente: Miriam García.

A inicios de 2018, ante la amenaza de una nueva ronda petrolera, varias lideresas de autoidentificación kichwa, waorani, sapara, shiwiar y shuar de Pastaza, miembros de las organizaciones mixtas NAWE, NASE, NASHIE, FICSH y Kawsak Sacha organizaron, el 8 de marzo, una marcha por el día internacional de la mujer y una Asamblea de mujeres del 9 al 11 de marzo en la ciudad del Puyo (Pastaza), en la sede de la CONFENIAE. En el encuentro también participaron mujeres siona, siekopai, kichwa de la Amazonía norte, y de la nacionalidad shuar de la Amazonía sur. Formularon al término del encuentro un Mandato al Estado constituido por 22 demandas.

En el mandato denunciaron los impactos socio-ambientales en la Amazonía norte y en el bloque 10 (provincia de Pastaza): contaminación de ríos, esteros y suelos, disminución de producción de cultivos, alejamiento de la fauna, afectación de medios de vida, incremento del consumo de alcohol y violencia de género. Exigieron al Estado una reparación integral, ambiental y social; así como, el reconocimiento y pago de la histórica deuda ecológica por daños socio-ambientales ocasionados a lo largo de décadas de operaciones de empresas concesionarias en la Amazonía norte y en las comunidades del bloque 10, en Pastaza.[13]

Las mujeres instan al Estado a revertir los contratos de concesión de la XI Ronda petrolera, rechazan nuevas licitaciones en el sur oriente y el cese de los proyectos mineros en la Amazonía sur. Exigen al Estado el cese de la criminalización de la protesta, así como la salida de militares y policías de territorios de la Amazonía sur (caso Nankintz y Tsuntsuim en Morona Santiago) para que familias expulsadas de sus territorios, retornen a sus comunidades.[14]

En su mandato, las mujeres de la Amazonía norte expresaron que las compensaciones económicas de las empresas extractivas no han mejorado sus condiciones de vida, y han ahondado las desigualdades de género, al controlar los hombres los recursos, sin que los destinen a necesidades familiares. Asimismo, las mujeres rechazan los procesos de consulta previa enmarcados en el Decreto 1247 de 2012, por no ser vinculantes, no haberse efectuarse con pertinencia cultural, ni lingüística. Ellas propusieron la realización de autoconsultas[15], en que cada pueblo tome decisiones respecto al extractivismo.[16]

El 13 de marzo de 2018, al término de la Asamblea en el poblado de Unión Base, se dirigieron hacia la ciudad de Quito para presentar al presidente Moreno su Mandato. El 22 de marzo fueron recibidas y al no ser sus demandas procesadas, efectuaron visitas en octubre de 2018 a la Defensoría del Pueblo, a la Comisión de Participación Ciudadana y Control Social, y a funcionarios de la ONU.

En noviembre de 2018 las mujeres se apostaron en la planta baja del Ministerio de Recursos Naturales No Renovables en la ciudad de Quito, para cuestionar al Ministro el anuncio de licitación de los bloques petroleros 86 y 87. En esta movilización, Nancy Santi, Kuraka (dirigente) del pueblo Kawsak Sacha, expresó: “yo vengo en nombre de mi pueblo, de mi naturaleza, de los supay (entidad), de los amos de los saladeros, del juri juri”. En estos lenguajes de movilización al enunciar a otros seres, en la palestra de lo político, su lucha adquiere dimensiones ontológicas.

Mediante dispositivos creativos (marchas, yaku chasquis, cantos, encuentros, uso de redes sociales) las mujeres amazónicas resisten a las fuerzas globales, que articulan sus territorios al Estado y al mercado (empresas transnacionales, corporaciones, organismos multi y bilaterales entre otros). Sus movilizaciones y prácticas, basadas en el lugar, enlazan dimensiones materiales y simbólicas e “involucran un conjunto interrelacionado de transformaciones alrededor del cuerpo, ambiente, y economía” (Harcourt y Escobar, 2005: 1). Sus acciones no solo “involucran resistencia, sino también reconstrucciones, reinvenciones, y relocalizaciones” (Harcourt y Escobar, 2005: 3).

Siguiendo a Cefaï (2011) se puede visualizar una multiposicionalidad en las redes de relaciones en las que se insertan las mujeres. Continúan con los anclajes de sus redes familiares, de sus comunidades y pueblos, a la vez que se articulan como red de defensoras en una interacción con mujeres blanco-mestizas activistas, tanto de Pastaza como de Quito y con lideresas andinas. Algunas mujeres manejan a la vez sus propias redes con aliados internacionales. Esta multiposicionalidad, les genera variados compromisos, lo que les permite un pluralismo de perspectivas. Si bien enuncian elementos relacionados con sus ontologías amazónicas, se abren, a nuevos lenguajes de movilización, relacionados por ejemplo con el cambio climático.

IV. Feminización de las luchas

          A la par de que enfrentan el extractivismo, las mujeres lideresas amazónicas perciben opresiones histórico-estructurales en sus propias culturas, como resultado de procesos en que han incidido distintos agentes coloniales (misioneros, ejército, funcionarios públicos, empresarios y técnicos, entre otros)[17]. Con sus reflexividades convergen con nuevos tipos de feminismo con base en la comunidad. Están repensando la historia y la cotidianidad para transformar los esencialismos étnicos (Cabnal, 2010), en el sentido de que no todo aspecto de la cultura favorece a las mujeres y no todo es armonía y complementariedad en las relaciones de género en sus comunidades. También generan reflexiones sobre las desigualdades existentes en la sobrecarga que tienen en los trabajos del cuidado.[18]

En las reflexiones que hacen las mujeres al interno de sus comunidades reconocen que en las distintas formas de colonialismo vivenciadas, se ha otorgado a los hombres indígenas ventajas sobre las mujeres. Los pactos patriarcales entre colonizadores/actores externos y hombres de las comunidades en la figura de kurakas (autoridad), cónyuges, padres u otros, les han oprimido y colocado en desventaja[19].

Las lideresas enfatizan en que pese a haber estado históricamente en diferentes “repertorios de acción colectiva” (Tilly, 1995) de defensa territorial ante distintas rondas de licitación petrolera, su participación quedó oculta “bajo fuertes liderazgos masculinos, en tanto las negociaciones políticas, la interlocución con los actores externos y el reconocimiento público estuvieron en manos de dirigentes varones” (Vallejo y García, 2017: 13). Desde el 2012 las mujeres amazónicas comenzaron a cuestionar el ventriloquismo político[20] en las organizaciones indígenas en la Amazonía, y el que los dirigentes hombres se hayan asumido como interlocutores válidos en la intermediación política con personeros del Estado, empresas transnacionales y otros actores (Viatori, 2008); es decir como intermediarios entre sus pueblos y la esfera pública (Segato, 2014). Distinguen que “hay jerarquías sociales superpuestas unas sobre otras fundadas en privilegios masculinos sobre las formas de organización social” (Galindo en Arellano, 2015), la toma de decisiones sobre las intervenciones del desarrollo en sus territorios y en el manejo de recursos económicos.

Es por esto, que ha sido difícil para las mujeres lograr una vocería propia, participar a nivel organizativo y político, y ocupar cargos dirigenciales relacionados con temas económicos y territoriales. A excepción de las organizaciones sapara, kichwa de Sarayaku, y de Kawsak Sacha, el acceso de mujeres a cargos directivos mayores (como presidentas, vicepresidentas u otros) es todavía incipiente.

En palabras de Nancy Santi, kuraka del pueblo kichwa de Kawsak Sacha y miembro de la articulación de Mujeres Defensoras de la Selva,

Desde muy joven me gustaba defender la naturaleza y nuestros derechos como mujeres porque veíamos que éramos muy calladas, discriminadas. Teníamos poca voz en las asambleas, pocas mujeres hablábamos y el resto nada. Eso me motivó para decir que no tenemos que ser así. Tenemos que participar, tener voz y voto en las asambleas, que nos escuchen los hombres y demostrar como mujeres indígenas que somos capaces de liderar un pueblo o una comunidad (Entrevista Nancy Santi, 17/03/18).

Las mujeres destacan que si la selva y los bosques aún perviven en la Amazonía, se debe, en gran parte, a sus acciones de defensa territorial desde décadas previas. Las mujeres explican su posición de defensa del territorio y la selva por el vínculo de correspondencia que tienen con la naturaleza, en dos dimensiones: por ser madres y por su responsabilidad en la gestión del cuidado[21]. Desde una auto-esencialización estratégica[22], las mujeres se atribuyen el papel de “defensoras de la pachamama (naturaleza)” y “guardianas de la selva”[23].

Habría que considerar los enlaces existentes entre la auto-esencialización que realizan las mujeres con respecto a sí mismas y la esencialización que realizan otros actores sobre el papel que ellas juegan en la defensa territorial. Las ONG entre los 90 y 2000 incidieron en una esencialización de las mujeres indígenas (Viatori, 2008), como custodias de la cultura y la lengua. En la actualidad, ONG ecologistas esencializan a las mujeres indígenas amazónicas como “guardianas de la selva” o “defensoras de la naturaleza” para catapultar su movilización política. En consonancia, se produce una auto-esencialización estratégica por parte de las mujeres para que sus voces sean escuchadas al interior de sus comunidades y organizaciones; para que el Estado les reconozca como interlocutoras y para acceder a recursos y financiar sus procesos organizativos y de movilización.

Cabe aquí profundizar en las conexiones mujeres-naturaleza que se gestan en la Amazonía. Desde vertientes del ecofeminismo, se ha planteado que esta conexión en los países del sur global es central, debido al funcionamiento de las economías domésticas en términos de aprovisionamiento de alimento, combustible, plantas medicinales, entre otros (Warren, 1997); también en el sentido de que cuando se degrada el ambiente y deterioran los suelos, las mujeres son las principales afectadas en sus medios de vida. Esto por ser quienes en función de los roles de género las responsables del acarreo del agua, del aprovisionamiento de biomasa como fuentes de combustible para la cocción de alimentos, y ser gestoras de los agroecosistemas que cultivan. Al contaminarse suelos, ríos y esteros sufren mayores dificultades para proveer de alimento e insumos a sus familias, teniendo que aumentar tiempo de trabajo o movilizarse a mayores distancias.

En otra perspectiva, las afectaciones en la naturaleza que se dan con las dinámicas extractivas (deforestación, contaminación de suelos y agua, pérdida de biodiversidad) y aquellas que pesan sobre las mujeres (violencia de género, sobrecarga de trabajo, desvalorización) se explican en términos de las formas de dominación que ejercen sobre ambas, el patriarcado y la colonialidad; así mujeres y naturaleza son vistas como expropiables, objeto de dominio y con menor estatus (Warren, 1997). De ahí que los planteamientos de las mujeres amazónicas de cuestionar el extractivismo, la violencia de género, el irrespeto a sus voces, converjan con los postulados de los feminismos decoloniales y comunitarios.

En base al énfasis que hacen las mujeres amazónicas en su conexión con la tierra, o Pachamama, legitiman sus luchas en los contextos extractivos. En sus enunciaciones manifiestan: “Si las mujeres no dejan entrar a las petroleras, no van a entrar”, “somos más luchadoras que los hombres”, “las mujeres somos valientes”, “tenemos más valor que los hombres”[24].

Las mujeres lideresas reflexionan que cuando alcanzan cargos dirigenciales, no se reconoce el valor de su gestión; su comportamiento es vigilado socialmente por las comunidades, a la vez que son celadas por sus cónyuges. Esto limita su participación en talleres y capacitaciones. Los dirigentes ven con recelo el despunte que han tenido las mujeres y temen que conformen sus propios espacios organizativos. Se revela en esto, “fundamentalismos culturales que ven en cualquier intento de las mujeres por transformar prácticas que afectan su vida, una amenaza para la identidad colectiva del grupo” (Hernández, 2017: 31). Un ejemplo de lo mencionado fue la intervención en marzo del 2018 del Presidente la CONAIE en la Asamblea de las Mujeres Defensoras de la Selva, quien enfatizó la lucha común de defensa territorial y solicitó a las mujeres no ser feministas[25]. Esto demuestra el intento de subordinar las demandas específicas de las mujeres.

Las mujeres perciben que la desigualdad en la participación organizativa y política tiene su origen en los roles asignados a ellas socialmente en la gestión del cuidado, lo que limita su desenvolvimiento en la esfera de lo público. El ocupar cargos dirigenciales, representar a las organizaciones de sus pueblos, y defender su territorio requiere cumplir con itinerarios hacia ciudades amazónicas, Quito (la capital) y otros países para participar en capacitaciones, talleres y eventos, lo que no pueden cumplir a cabalidad, al no contar con la corresponsabilidad por parte de sus conyugues y comunidades en el cuidado de los hijos e hijas, y en el mantenimiento de sus agroecosistemas y animales de crianza (aves u otros)[26].

Con la intervención de las compañías petroleras y mineras ingresan actores externos a sus comunidades (funcionarios, militares, policías, operarios), lo que genera en las mujeres sentimientos de inseguridad al verse expuestas a acoso y violencia sexual.[27] Sobre esto existe una memoria silenciada de abusos de parte de operarios de empresas y militares desde décadas previas en la Amazonía norte y en el bloque 10 en Pastaza. En el ámbito comunitario y familiar, las mujeres denuncian que sufren violencias física y psicológica; abuso sexual por parte de sus cónyuges y, además, que las niñas son objeto de violencia sexual en las escuelas. A la vez, sobre ellas se ejerce violencia patrimonial cuando sus conyugues les arrebatan fondos de políticas públicas (Bono de Desarrollo Humano[28] y Socio Bosque) que reciben[29]. La violencia de género por tanto es central en las preocupaciones de las mujeres[30], y temen se recrudezca si en sus territorios se asientan actividades extractivas.

La gama de posicionamientos de las mujeres, pueden ser vistos como una feminización de las luchas indígenas. Sin que esto signifique que se autodefinan como feministas, en parte porque no quieren que hombres de sus comunidades y dirigentes les increpen de dividir a los pueblos, crear organizaciones independientes o de quererlos dominar. Otras argumentan que entienden el sentido de las luchas feministas, valoran los aportes de sus reivindicaciones, pero prefieren marcar distancias con colectivos urbanos feministas cuando las posturas pierden de vista lo comunitario. Las mujeres sostienen que sus luchas de defensa del territorio y la selva, y las luchas contra la violencia de género no son solamente para ellas. Una mujer kichwa en un taller se autodefinía como “sumak kawsaycista, más que feminista”, que implica que su lucha es por la armonización de la vida, lo que incluye a grupos familiares y otros seres (no humanos y entidades).

Conclusiones

          Pese a los constreñimientos de género que enfrentan las mujeres indígenas amazónicas dentro de las estructuras organizativas de sus pueblos y nacionalidades, en la contemporaneidad reivindican su sitial histórico en la lucha de sus pueblos por la defensa territorial. Las mujeres consideran que han sido parte fundamental de los procesos de lucha de los pueblos y nacionalidades indígenas ante la ampliación y profundización extractiva por varias décadas, y que sostienen la resistencia hasta la actualidad.

Las mujeres amazónicas que se autodenominan Defensoras de la Selva, han adquirido un alto protagonismo en los procesos organizativos amazónicos conforme se ha tratado en este artículo, y a diferencia de otros momentos históricos, han adquirido una vocería propia, conformado alianzas entre mujeres de distintos pueblos y nacionalidades indígenas, sin necesariamente deslindarse de las organizaciones mixtas.

Las mujeres se han posicionado en contra del extractivismo petrolero y minero, al argumentar que son las que más perciben los impactos de la contaminación de suelos, fuentes de agua, y la pérdida de la diversidad de la selva, siendo sus cuerpos-territorio los más violentados cuando pierden su libre movilidad y son objeto de asedio por actores externos, o por parte de sus propios cónyuges cuando la violencia de género se incrementa en estos contextos.

Han posicionado sus voces frente a la política extractiva gubernamental y las estructuras patriarcales que les afectan a distintos niveles (comunitario, organizativo a nivel de pueblo o nacionalidad y en la interlocución con el Estado), incluyendo demandas de género en las agendas organizativas de sus pueblos. Así, sin que se definan como feministas, se está produciendo una feminización de sus luchas. Actualmente, en un contexto en que las políticas extractivas continúan, bajo formatos de un retorno hacia el neoliberalismo, las mujeres lideresas mantienen su articulación y prosiguen en la construcción de sus vocerías.

Notas de fin

[1] Otras nacionalidades indígenas en la Amazonía son: A ‘I Cofan, siona, siekopai, achuar y andoa. Además, de pueblos indígenas en aislamiento voluntario.

[2] En la Amazonía ecuatoriana difícilmente podríamos hablar de un movimiento indígena homogéneo. La Confederación de Nacionalidades Indígenas de la Amazonía Ecuatoriana (CONFENIAE), filial de la Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador (CONAIE), articula y representa a organizaciones de los pueblos y nacionalidades amazónicos, que tiene a su vez su propia organización. En las coyunturas de mayor confrontación derivadas del avance del extractivismo han emergido organizaciones paralelas que intentan obtener recursos económicos y apoyos de parte de las empresas transnacionales y Estado.

[3] ONG ecologista que desde la década del ochenta acompaña a organizaciones indígenas y campesinas en conflictos socioambientales. Efectúa campañas en contra del extractivismo.

[4] El análisis de este proceso se hace a partir de una investigación entre 2014-2016 en el marco de un proyecto sobre Ecologías políticas de la diferencia en contextos extractivos en la Amazonía efectuado desde FLACSO Ecuador, y de una investigación de maestría en Estudios Socioambientales efectuada en el 2018 relacionada con mujeres indígenas y cambio climático, que discute la feminización y ecologización contemporánea de las luchas en la Amazonía.

[5] Funciona como una ONG, la cual está orientada a la construcción del Sumak Kawsay del Pueblo Kichwa de Pastaza, basado en la gestión sostenible de los territorios y los recursos naturales.

[6] Nos referiremos al patriarcado como una toma de poder histórico por parte de los hombres sobre las mujeres, elevado a categoría política y económica. Es un sistema que justifica la dominación sobre la base de una supuesta inferioridad de las mujeres, basada en lo biológico (Facio y Fires, 2005).

[7] En una sentencia emitida por la juez de la Corte Provincia de Pastaza en abril de 2019, ante una acción de protección interpuesta por tres mujeres waorani (Nemonte Nenquimo, Nihua Omanca y Huiña Omaca) y dos hombres (Gabriel Dica Guiquita y Memo Yahuiga), se reconoce que la consulta previa en el marco de la XI Ronda petrolera no fue apropiada, al no guardar correspondencia con los estándares internacionales y nacionales de derechos de los pueblos indígenas.

[8] Esto en el sentido de que se obviaron procesos de consulta previa en los proyectos mineros implantados en territorios indígenas.

[9] Fue dirigente de la Asociación de Mujeres Waorani (AMWAE), vicepresidenta de la Nacionalidad Waorani (NAWE) y es una de las mujeres miembro de la articulación de Mujeres Defensoras de la Selva.

[10] Hace más de 16 años actúa en defensa de los derechos de los pueblos indígenas de la Amazonía y protección de los territorios amenazados por proyectos extractivos.

[11] Las lideresas amazónicas tienen varias redes y aliados internacionales, entre ellos con: Amazon Watch, que trabaja en la protección de bosques tropicales y derechos de los pueblos indígenas en la cuenca amazónica; con WECAN (Women´s Earth and Climate Action Network), una red internacional de mujeres que busca soluciones al cambio climático; y, con es Rainforest Alliance que busca combatir la deforestación y el cambio climático, entre otras.

[12] Datos de diario de campo.

[13] Datos de diario de campo y de la revisión del documento del Mandato de las Mujeres.

[14] Datos de diario de campo. Observación participante en Asamblea de Mujeres Defensoras de la Selva (9-11, 03, 2018, Unión Base).

[15] En ciertos pueblos los mecanismos son asamblearios, en otros son a nivel de grupos familiares. En otros casos la orientación de los ancianos y ancianas son fundamentales. Hay decisiones que se adoptan a partir de lo que se sueña en el mundo de lo onírico, o a través de la ingesta de alucinógenos.

[16] Reflexiones al respecto fueron efectuadas entre las mujeres lideresas y miembros de Amazon Watch que acompañaron la Asamblea de las Mujeres Defensoras de la Selva (9-11, 03, 2018, Unión Base).

[17] Taller IQBSS, 2018

[18] Reflexiones al respecto se efectuaron a lo largo de los tres talleres realizados por el IQBSS.

[19] Entre los pactos patriarcales mencionan el caso de los bogas, quienes eran indígenas o mestizos militares, que ejercían violencia sexual sobre las jóvenes mujeres y estas debían guardar silencio. Los los jefes políticos y los padres no reaccionaban por temor a represalias. Situaciones así fueron vivenciadas en Canelos, Sarayaku, Pakayaku y Montalvo donde había bases militares entre los años 1950-1980 (Taller IQBSS, 2018).

[20] Guerrero (1994, 242) conceptualiza “ventrílocuo es un intermediario social que conoce la semántica que hay que poner en boca de los indígenas, que sabe el contenido, la gama y el tono de lo que el estado (…) quiere y puede captar”.

[21] Datos de diario de campo. Asamblea de Mujeres en Fátima 2015. Observación participante en Asamblea de las Mujeres de Mujeres Defensoras de la Selva, en Unión Base 2018. Entrevistas con mujeres lideresas sapara, kichwa y waorani en 2018. Planteamientos similares fueron registrados en los talleres del IQBSS.

[22] La esencialización deviene de actores que crean representaciones de los sujetos subalternizados. Por su parte, la auto-esencialización según Spivak (1994) puede tener un sentido estratégico de los subalternos frente a los discursos coloniales. Siendo así, el identificarse como “las guardianas de la naturaleza” les permite posicionarse de forma contenciosa frente al Estado y las transnacionales, mientras les genera aliados en el marco del ambientalismo global.

[23] Frases en que se reconocen a sí mismas, tomadas de intervenciones de las mujeres en sus marchas hacia Quito, en 2018.

[24] Datos de Diario de Campo. Observación participante en Asamblea de Mujeres Defensoras de la Selva (9-11, 03, 2018, Unión Base).

[25] Datos de Diario de Campo. Observación participante en Asamblea de Mujeres Defensoras de la Selva (9-11, 03, 2018, Unión Base).

[26] Nos referimos a los trabajos del cuidado, a todo aquello relacionado con la preparación de alimentos, limpieza de la casa, crianza de los hijos e hijas, atención a mayores y enfermos, entre otros. Este tema se expresó por parte de las mujeres en Talleres del IQBSS y en la Asamblea de Mujeres Defensoras de la Selva.

[27] Datos de Diario de Campo, 2018.

[28] Transferencia económica que reciben mujeres consideradas bajo el umbral de la pobreza.

[29] Taller IQBSS, 2018.

[30] Taller IQBSS, 2018.

 

Bibliografía

Acosta Alberto (2011). "Extractivismo y Neo extractivismo: Dos caras de la misma maldición". En Lang, Miriam y Mokrani, Dunia (eds). Más allá del desarrollo. Quito: Abya Yala, 83-120.

Álvarez S., Dagnino E. y Escobar A. (eds) (1998). Cultures of Politics/Politics of Cultures: Reviosioning Latin American Social Movements. Boulder: West View Press.

Arellano Claudia (2015). “Despatriarcalizando: Julieta Paredes y su vinculación con el discurso político y poético de mujeres mapuche”. Revista Antropologías del Sur, Vol. 2, n°4: 53-65.

Biersack Aletta (2006). Reimagining Political Ecology. Durham NC: Duke University Press.

Burchardt Hans-Jürgen, Domínguez Rafael, Larrea Carlos y Peters Stefan (2018) Nada dura para siempre. Neo-extractivismo tras el boom de las materias primas. Quito: UASB.

Cabnal Lorena (2010). “Feminismos diversos: el feminismo comunitario”. ACSUR-Las Segovias. 6-36.

Cefaï Daniel (2011). “Diez propuestas para el estudio de las movilizaciones colectivas. De la experiencia al compromiso”. Revista de sociología, n°26: 137-166.

Escobar Arturo (1999a). “After Nature: Steps to an Antiessentialist Political Ecology”. Current Anthropology. Vol. 40 n°1: 1-30.

Escobar Arturo (1999b). El final del salvaje. Naturaleza, cultura y política en la antropología contemporánea. Bogotá: Instituto Colombiano de Antropología.

Facio Alda y Fries Lorena (2005). “Feminismo, Género y Patriarcado”. Academia. Revista sobre Enseñanza del Derecho de Buenos Aires. Vol. 3, n°6: 259-294.

Favre Henri (2009): “El movimiento indianista: un fenómeno «glocal»”. En, Robin Valérie y Salazar Carmen (eds.). El regreso de lo indígena: retos, problemas y perspectivas. Lima: Instituto Francés de Estudios Andinos: 29-37.

Guerrero Andrés (1994). Una imagen ventrílocua: el discurso liberal de la “desgraciada raza indígena” a fines del siglo XIX. Quito, FLACSO-Ecuador.

Harcourt Wendy y Escobar Arturo (2005). Women and the Politics of Place. West Hartford, CT: Kumarian Press.

Hernández Rosalva (2017). “Confrontando la Utopía Desarrollista: El Buen Vivir y la Comunalidad en las luchas de las Mujeres Indígenas.” En, Varea, S y Zaragocin S. Feminismo y Buen Vivir: Utopías decoloniales. Cuenca: PYDLOS Ediciones – Universidad de Cuenca: 26-43.

Hvalkof Soren (2006). “Progress of the Victims: Political Ecology in the Peruvian Amazon”. En, Biersack A. y Greenberg J. (eds). Reimagining Political Ecology. Durham, NC: Duke University Press: 195-232.

Lalander Rickard y Ospina Pablo (2012). “Movimiento indígena y revolución ciudadana en Ecuador”. Cuestiones Políticas. Vol. 28, no48: 13-50.

Ojeda Lautaro, Almeida Ileana y Arrobo Nidia (2005). Autonomía indígena frente al Estado nación y a la globalización neoliberal. Quito, Abya-Yala.

Ortiz Pablo (2004). "Petróleo, extractivismo, desarticulación social y conflictos en Villano, Pastaza" En, Harari R., Korovkin T., Larrea C., Martínez L. y Ortiz P. Efectos sociales de la globalización: petróleo, banano y flores en Ecuador. Quito: Abya Yala: 16-78.

Ortiz Pablo (2013). Gobernanza territorial y conflictos entre Estado y pueblos indígenas.  Una perspectiva comparada de Ecuador y Bolivia. Quito: UASB.

Paredes Julieta (2016). “El machismo es la matriz patriarcal que sostiene un sistema colonialista, racista, capitalista”. Resumen Latinoamericano, no 145. 8-9.

Peters Stefan (2016). “Fin del ciclo: el neo-extractivismo en Suramérica frente a la caída de los precios de las materias primas. Un análisis desde una perspectiva de la teoría rentista”. En, Burchardt H., Domínguez R., Larrea C. y Peters S. Nada dura para siempre. Neo-extractivismo tras el boom de las materias primas. Quito: UASB: 21-64.

Rocheleau D., Thomas-Slayter B. y Wangari E. (1996). “Gender and Environment: A feminist Political Ecology Perspective”. En, Feminist Political Ecology: Global Issues and Local Experiences, London: Routledge, 3-23.

Sawyer Suzana (2004). Crude Chronicles: Indigenous Politics, Multinational Oil and Neoliberalism in Ecuador. Durham, NC: Duke University Press.

Segato Rita (2014), “Colonialidad y patriarcado moderno: expansión del frente estatal, modernización, y la vida de las mujeres”. En, Espinosa Y., Gómez D. y Ochoa K (eds). Tejiendo de otro modo: feminismo, epistemología y apuestas descoloniales en Abya Yala. Cauca. Universidad del Cauca: 75-90.

Spivak Gayatri (1994) “Can the subaltern speak”. En, Williams P y Christman L (eds.) Colonial Discourse and Post-Colonial Theory: A reader. New York: Columbia University Press: 66-111.

Tilly Charles (1995). “Los movimientos sociales como agrupaciones históricamente específicas de actuaciones políticas”. Revista sociología, Vol. 10, no 28. 119-127. [URL: http://www.sociologicamexico.azc.uam.mx/index.php/Sociologica/article/view/667/640 Consultado el 12 de marzo 2019].

Vallejo Ivette y García Miriam (2017). “Mujeres indígenas y neo-extractivismo petrolero en la Amazonía centro del Ecuador: Reflexiones sobre ecologías y ontologías políticas en articulación”. Brújula, Vol. 11: 1-43.

Vallejo Ivette (2014). “Petróleo, desarrollo y naturaleza: aproximaciones a un escenario de ampliación de las fronteras extractivas hacia la Amazonía suroriente en el Ecuador”. Antropológica,Vol. 32, no 32:115-138.

Viola Andreu (2014). Discursos “pachamamistas” versus políticas desarrollistas: el debate sobre el sumak kawsay en los Andes. Iconos. Revista de Ciencias Sociales, no 48: 55-72.

Warren Karen (1997). Ecofeminism. Women, Culture and Nature. Bloomington: Indiana University Press.

Yashar Deborah (2005). Contesting Citizenship in Latin America: The Rise of Indigenous Movements and the Post-Liberal Challenge. Cambridge: Cambridge University Press.

Zárate Coralia (2002). Síntesis de la situación del bloque 10, Pastaza. Región Amazonía Ecuatoriana. Quito: Fundación COMUNIDEC, Instituto Amazanga.

 

Para citar este articulo

Andrea Bravo Aguilar et Ivette Vallejo Real, « Mujeres indígenas amazónicas. Autorepresentación, agencialidad y resistencia frente a la ampliación de las fronteras extractivas», RITA [en linea], N°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019 . Disponible en ligne http://revue-rita.com/dossier-12/mujeres-indigenas-amazonicas-autorepresentacion-agencialidad-y-resistencia-frente-a-la-ampliacion-de-las-fronteras-extractivas-andrea-bravo-ivette-vallejo.html

Du héros épique au guerrier du « sertão » : les anciens chez João Guimarães Rosa
From epic hero to «sertão» warrior : the ancients in João Guimarães Rosa's works

 

Résumé
Cet article traite de l’histoire d’un personnage présent dans deux textes de l’auteur brésilien João Guimarães Rosa. On explore le dialogue du héros Joãozinho Bem-Bem, avec la tradition épique à travers l’analyse des notes de l’auteur sur sa (re)lecture de l’Iliade et de l’Odyssée en 1950. De la construction du code guerrier et l’identité du héros antique et moderne, dans une perspective comparative, deux éléments sont analysés : la belle mort, en prenant comme source la nouvelle « L’heure et le tour d’Augusto Matraga » (1946), et la renommée du guerrier, que ce soit en raison de ses grandes actions ou de sa belle mort – cette fois, la source étant le roman Diadorim, originellement Grande Sertão : Veredas (1956).

Mots clés : Héros épique; Héros du « sertão »; Renommée.

Abstract
This essay seeks to develop two layers: the history and the story of a character named Joãozinho Bem-Bem, present in two texts by João Guimarães Rosa. We enphasize the dialogue of João Guimarães Rosa’s hero with the epic tradition, through the analysis of the author’s annotations of his reading of the Iliad and the Odyssey in 1950. Also, in an attempt to explore the construction of the ancient and the modern hero’s identity and the warrior code, two elements are investigated in a comparative perspective: the way of death, for which the source is a short story from Sagarana (1946), and the fame of the warrior, whether due to the great deeds or his brave death – this time, having as source The Devil to Pay in the Backlands (1956).

Keywords : Epic hero ; Backlands’hero ; Glory.

------------------------------
Lorena Lopes da Costa

Docteur en Histoire
Professeur à l’Universidade Federal do Oeste do Para, Santarém, Brésil.

Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Du héros épique au guerrier du « sertão » : les anciens chez João Guimarães Rosa

 

Introduction

            Y aurait-il une écriture littéraire récupérant des modèles précédents ou renouvelant notre image des héros antiques? La question de la réception de la poésie épique chez l’écrivain brésilien João Guimarães Rosa (1908-1967) est essentielle et il apparaît aujourd’hui de mieux en mieux que la motivation guerrière au « sertão », un univers particulièrement brésilien et qui est caractérisé dans la fiction de Guimarães Rosa non seulement à partir de sa description physique mais aussi de sa dimension métaphysique, a une histoire qui remonte à l’Antiquité et à Homère.

Grâce à l’étude de Suzi Sperber (1976), nous connaissons la liste des livres de la bibliothèque personnelle de l'auteur. On y trouve cinq exemplaires d’Homère : deux traductions de l’Iliade, une en anglais (Homer, The Iliad, Harmonds w. Middlesex, Peguin Books, 1950) et une autre en allemand (Homer, Ilias, Leipzig, Dieterich’sche, 1938) ; trois traductions de l’Odyssée, une en français (Homère, Odyssée, Paris, Garnier, 1941), une autre en allemand (Homer, Odyssee, Berlin, er Tempel Verlag, s / d. 2 vols), et une troisième en anglais (Homer, The Odyssey, Harmondsw, Penguin, 1948).

Selon ses notes, la lecture par Guimarães Rosa de l’Iliade et de l’Odyssée date de 1950, année où il termine la préparation de la troisième édition de Sagarana, un recueil de nouvelles. La révision de Sagarana se produit entre mai et juillet, et la lecture de l’Iliade et de l’Odyssée, en octobre et novembre 1950. Cependant, la genèse de Sagarana commence bien avant la (re)lecture de la poésie épique par Guimarães Rosa. Il a inscrit le volume Contes, au Prix Humberto de Campos, institué par les éditions José Olympio en 1937, mais n’a pas fini de travailler le texte à ce moment-là.

Compte tenu de ses notes de lecture, il est très probable que la réélaboration de Sagarana, publié en 1946 à Rio de Janeiro chez Editora Universal, ait influencé sa décision de relire les poèmes plus systématiquement en 1950. Il est aussi probable que de telles lectures aient participé activement au destin et à la caractérisation de personnages héros, comme Joãozinho Bem-Bem qui est présent dans Sagarana et repris dans le roman Diadorim, originellement Grande Sertão : Veredas (1956) chez J. Olympio. À partir de ses notes sur la poésie épique, prises en 1950, lorsqu'il habitait à Paris[1], nous pouvons alors souligner ce que nous allons démontrer ultérieurement : son attention à la figure héroïque et ses éléments de composition, comme la belle mort, et surtout la jonction entre les personnages de l’Iliade et ses propres personnages. Tel est en tout cas le propos central de cet article.

I.  L’étude par Guimarães Rosa du héros d’Homère et sa mort dans le « sertão »

            Dans la section « Iliade » [« Ilíada »] du cahier de lecture d’Homère (en portugais intitulé Dante, Homero e La Fontaine) de Guimarães Rosa, dans plus d’un passage, on lit des citations de « L’heure et le tour d’Augusto Matraga », conte publié dans Sagarana[2]. Dans la première d’entre elles, en référence au Chant X, Guimarães Rosa reprend le discours d’Ulysse, dans lequel le héros cherche à contenir les compliments de Diomède (Iliade, X, v. 249-250) : « Fils de Tydée, ne cherche pas plus à me louanger qu’à me quereller. Les Achéens savent déjà tout ce que tu nous dis là ». Ce discours, pourtant, n’est pas transcrit dans le cahier après la référence au nom d’Ulysse, comme on pouvait y attendre, mais après la référence au nom du personnage de Guimarães Rosa, Joãozinho Bem-Bem, un guerrier admiré du « sertão », dont le duel final avec Augusto Matraga aboutit à la mort des deux hommes.

Puisque la note révèle l’association entre Joãozinho Bem-Bem et Ulysse, Martins Costa (1997 ; 2002) trouve la transposition du dialogue entre Ulysse et Diomède dans la nouvelle en question : « Mais on peut même pas avoir le plaisir de se bagarrer, pasque y a plus personne sitôt qu’on annonce que m’sieu Joãzinho Bem-Bem va se mettre de la partie… » (Rosa, 1997, 368. Traduction de Jacques Thiériot)[3]. Joãzinho Bem-Bem, parce qu’il écoute tels mots, les interrompt en disant : « Y a pas besoin de parler de ma réputation, camarade, tout le monde est au courant » (Rosa, 1997 : 368)[4]. Pour Martins Costa, ce serait la preuve que l’auteur traduirait Homère dans une sorte de langue du « sertão ». Son héros incorporerait le discours et les valeurs du héros épique.

Le thème de la mort glorieuse, cher à la poésie épique, sera également présent dans le duel de Bem-Bem et Matraga. L’auteur ajoute l’annotation suivante en lisant le Chant XXI de l’Iliade : « (Joãozinho BEM-BEM et MATRAGA, 387) IMPORTANT (J. BEM-BEM) : 388 (« Vieux Frère »…) » (Document E17, section « Iliade », 25. Traduction par nos soins)[5]. Cette partie en question se réfère au moment où Achille sent que sa fin est proche, mais que celle-ci serait peu glorieuse et tout à fait contraire à celle que sa mère lui avait promis si elle se confirmait ainsi :

Ah ! Zeus Père ! se peut-il que nul dieu n’ait le cœur de sauver de ce fleuve le malheureux que je suis ? Eh bien ! arrive que pourra ! Mais nul des dieux, issus de Ciel, ici n’est coupable. Ma mère l’est seule, qui m’a endormi avec ses mensonges [ψεύδεσσιν ἔθελγεν]. Elle prétendait que je périrais sous les murs des Troyens belliqueux, victime des flèches rapides d’Apollon. Ah ! pourquoi n’est-ce pas plutôt Hector qui m’a tué, lui qui a grandi ici le meilleur de tous ? C’eût été un brave qui m’eût tué, il eût dépouillé un brave [τώ κ’ ἀγαθὸς μὲν ἔπεφν’, ἀγαθὸν δέ κεν ἐξενάριξε]. Tandis qu’en fait, mon destin, je le vois, est de périr ici, d’une morte atroce [λευγαλέῳ θανάτῳ], proie d’un fleuve effrayant, ainsi qu’un jeune porcher entraîne par le torrent qu’il passait un jour d’orage. (Iliade, XXI, v. 273-283. Traduction de Paul Mazon)

Le discours d’Achille, en particulier la logique propre à la belle mort[6] qu’il révèle en fait, semble résonner dans les mots de Joãozinho Bem-Bem lui aussi proche de sa fin : « – Je vais passer, vieux frère… Je meurs, mais je meurs de la main de l’homme le plus habile des deux et le plus courageux que j’aie jamais connu !… Je vous ai toujours dit que vous étiez vraiment à la hauteur, vieux frère… C’est comme ça seulement que quelqu’un comme moi a la permission de mourir… Je veux finir en étant des amis… » (Rosa, 1997 : 386)[7].

Une fois de plus, Guimarães Rosa transformerait le discours du héros homérique en discours de guerrier du « sertão ». Néanmoins, contrairement au passage dans lequel Achille craint d’être attrapé par le fleuve et de souffrir ainsi une mort misérable, Joãozinho Bem-Bem prévoit la gloire de sa mort, sa valeur étant reconnue précisément par son tueur, car Augusto Matraga, en percevant le désir des gens, qui ont regardé le combat, de bafouer le cadavre de Joãozinho Bem-Bem, crie fort : « – Arrêtez cette matine, bande de mécréants !… Et ensuite enterrez son corps comme il convient, avec beaucoup de respect et portez-le en terre consacrée, car cet homme est mon parent m’sieu Joãzinho Bem-Bem ! » (Rosa, 1997 : 387)[8].

Toujours dans son journal de lecture de l’Iliade, dans un passage concernant le corps de Patrocle, au Chant XVI, l’auteur rapporte : « (La lutte sacrée pour les cadavres. L’horreur de la profanation des morts) » (Document E17, section « Iliade », 21. Traduction par nos soins)[9]. L’auteur signale que le thème du traitement à donner au corps du guerrier mort, cher à l’Iliade, l’intéresse aussi. Entre autres passages également, au Chant XVII (v. 120-139), Hector enlève les armes de Patrocle, et son corps n’est pas violé que parce qu’il est alors protégé par Ajax. Au Chant XXII, Hector, en retour de son acte, bien qu’il ait prié Achille, avant la fin de la bataille, de faire remettre son corps aux siens, n’est pas exaucé :

À l’arrière des deux pieds, il [Achille] lui perce les tendons entre cheville et talon ; il y passe des courroies, et il les attache à son char, en laissant la tête traîner. Puis il monte sur le char, en portant les armes illustres ; d’un coup de fouet, il enlève ses chevaux, et ceux-ci pleins d’ardeur s’envolent. Un nuage de poussière s’élève autour du corps ainsi traîné ; ses cheveux sombres se déploient ; sa tête gît dans la poussière – cette tête jadis charmante et que Zeus maintenant livre à ses ennemis, pour qu’ils l’outragent à leur gré sur la terre de sa patrie ! (Iliade, XXII, v. 396-404)

II. La tradition épique de la belle mort et la belle mort chez Guimarães Rosa

            Dans l’Iliade, ce n’est pas la mort elle-même qui tourmente Achille, même quand le meilleur des Achéens est à son imminence, face à la fureur de la rivière qui a failli l’emporter. Il ne semble pas non plus que ce soit la mort qui tourmente Hector, le meilleur des Troyens, quand il sait qu’il peut être tué par Achille. Ce n’est pas que le héros ne le craigne pas, mais sachant qu’il doit y faire face, il part se battre pour défendre ses compatriotes (Iliade, XXII, v. 483-487 ; VI, v. 365 ; XXIV, v. 725). C’est la mort sans gloire [ἀκλειῶς ἀπολοίμην] qui terrifie le héros épique. Achille et Hector déplorent le risque de ne pas accéder à la renomée. Ils veulent qu’on se souvienne d’eux, ils veulent que les hommes des nouvelles générations entendent parler de leurs exploits, parce qu’ils savent « que le héros est mémorisé dans le champ épique qui, pour célébrer sa gloire immortelle, se place sous le signe de Mémoire, se fait mémoire en le rendant mémorable » (Vernant, 1989 : 70). Antithèse radicale de la vie, la mort, qui impliquerait en principe « l’annulation de l’existence, le dénigrement de tout, l’obscurité de l’Hadès ou, philosophiquement, la privation de l’être » (Murari, O ser divino e a condição humana), présente au héros homérique une solution. La mort du héros est, comme l’indique Jean-Pierre Vernant (1989), l’élément ultime qui non seulement guide évidemment la vie du héros, mais élève et élargit complètement sa qualité, en constituant irréversiblement l’identité du héros, qu’on retiendra pour les années à venir.

En fait, si le guerrier meurt sans avoir accompli quelque chose de grandiose [μέγα ῥέξας τι] dans la guerre qui met fin à sa vie, il devient juste l’un des nombreux guerriers auxquels le poète ne consacre plus que deux versets à l’instant de sa mort, sans exactement souligner son statut de héros, mais la condition héroïque, alors en développement, de son tueur. De ce point de vue, il serait possible d’affirmer que ce qui définirait le héros dans l’Iliade serait à la fois sa capacité à tuer (acte qui suppose évidemment que l’agent soit toujours vivant), comme l’affirme Teodoro Rennó Assunção (1995), et la forme de sa mort, une belle mort, telle que proposée par Vernant.

Néanmoins, même si les exploits du héros épique sont excellents et ne semblent dépendre que de lui pour générer sa propre gloire, celui qui tue le grand guerrier est aussi responsable de la renommée de sa victime à travers les âges. Autrement dit, la belle mort épique n’est pas du tout solitaire : le grand guerrier devient aussi un héros, en plus de ses grandes actions, parce que son meurtrier légitime autorise sa renommée. Hector est mort bravement, et Achille, qui l’a tué, a magnifié sa valeur en étant le plus grand héros des Achéens. C’est-à-dire qu’Hector est mort dans les mains du héros le plus grand, le plus excellent de ses ennemis. Achille, à son tour, se sent menacé par le fleuve, car s’il meurt là, il aura une mort misérable [λευγαλέῳ θανάτῳ]. S’il se noie, seules les eaux seront responsables de son passage, et aucun grand héros ne rendrait digne sa mort au moment où s’embrase son existence.

Parmi d’autres héros, surtout avec le brésilien Joãozinho Bem-Bem, nous observons l’idée de la belle mort constituant le code héroïque du « sertão » chez Guimarães Rosa. C’est pourquoi, à l’approche de sa fin, nous identifions dans son discours quelque chose qui pourrait être associé au sentiment de soulagement. Il meurt entre les mains d’Augusto Matraga, son ennemi et le meilleur, dit-il, qu’il ait connu. Sa mort est donc digne, elle est à la hauteur de ses actes énormes, elle est enfin belle. En outre, non seulement l’acte de tuer et de mourir, dans son histoire, seront des marques de sa grandeur, mais sa mort et son corps mort doivent être respectés désormais, puisque la mort et le cadavre appartiennent à un grand héros. En d’autres termes, pour consolider la figure du héros de Guimarães Rosa, il est impératif que son corps soit correctement inhumé et que tel passage de sa biographie, précisément celui de la fin, soit marqué par le respect de son corps, constituant sa mémoire. D’où le fait qu’Augusto Matraga demande aux personnes qui ont assisté au combat, en attendant la mort des personnes impliquées d’enterrer son corps avec beaucoup de respect et en terre consacrée.

On observe une correspondance avec l’économie épique, comme en témoignent les cahiers de l’écrivain, correspondance que Guimarães Rosa pourra remettre en scène, plus tard, dans Diadorim. Dès le début du roman publié dix ans après Sagarana, on sait que la mort est l’horizon du guerrier : la mort de l’ennemi, même si celle-ci se fait au prix de sa propre vie. Le (non) respect du corps sans vie de l’ennemi glorieux est, d’ailleurs, ce qui se voit dans Diadorim, quand le narrateur et ex-guerrier Riobaldo empêche ses hommes d’enterrer Ricardão, l’allié d’Hermógenes et l’un des plus haïs, après la bataille : « N’enterrez pas cet homme ! » (Rosa, 2006 : 458. Traduction de Maryvonne Lapouge-Pettorelli)[10]. Les tirs sur l’allié d’Hermógenes, précisément, à travers l’interdiction de l’enterrement de son corps, confirment la mort comme élément d’élaboration de la figure du héros. En outre après la mort d’Hermógenes, même sa femme n’est pas chargée de préparer le cadavre :

Ils étaient allés ouvrir cette chambre, et arrivaient dans le couloir avec la femme d’Hermógenes. Pour qu’elle voie. – Madame, approchez-vous de la fenêtre, regardez dans la rue… – lui dit João Concliz. Cette Femme n’était pas méchante. – Reconnaissez un homme, madame, qui fut un suppôt du diable : mais il a déjà commencé à sentir mauvais, occis par la vertu du fer… Cette Femme allait souffrir ? Mais elle dit que non, secouant seulement légèrement la tête, avec le sérieux du respect. – Je le haïssais… – elle dit, ce qui me fit trembler. (Rosa, 2006 : 489)[11]

La position des guerriers et même de la femme devant le corps d’Hermógenes (le contraire du compte rendu détaillé des étapes de la préparation du corps de Diadorim, qui, à son tour, nous rappelle les funérailles de Patrocle au Chant XXIII de l’Iliade, XXIII), distinguent sa fin de la fin des autres guerriers morts, même ceux qui, bien que respectables, ne seraient pas nommés par le poète : « – De morts, beaucoup ? – Bien trop… » (Rosa, 2006 : 489)[12], João Curiol dit à Riobaldo, pour dire aussi qu’une partie du groupe travaillait pour ouvrir les tombes pour l’enterrement des gens.

D’autre part, quelques épisodes racontant les soins apportés au défunt, présentent les actions prescrites par ce que l’on pourrait appeler le code héroïque du « sertão ». Le premier d’entre eux qui doit être mentioné n’est pas, en effet, le traitement donné au cadavre, mais les soins qui, selon Riobaldo, devraient plutôt être appliqués à Marcelino Pampa, guerrier des plus réputés. Ce grand homme, parce que la bataille était en cours, ne pourrait être veillé : « il méritait les larmes d’une femme auprès de lui, une main tremblante pour lui bien fermer les yeux – parce que quelqu’un comme lui, d’une valeur si légitime, et sachant être et valoir, sans chercher à paraître, ne se rencontre pas deux fois. Et une bougie allumée, une seule au besoin, afin que la flamme éclaire le premier itinéraire de son âme » (Rosa, 2006 : 477)[13].

La bataille continue, avec de nombreuses morts, parmi eux, Hermógenes, victime déjà mentionnée, et Diadorim. Effectivement, ce dernier avait déjà déclaré ouvertement vivre pour venger la mort de son père Joca Ramiro : « Je ne peux avoir aucune joie, ni même simplement vivre, aussi longtemps que ces deux monstres ne seront pas bel et bien exterminés… » (Rosa, 2006 : 42)[14]. Diadorim est mort. Sa fin contraste avec la fin d’Hermógenes. Diadorim est enterré avec tous les honneurs et les adieux : son corps sans vie est lavé, vêtu de la meilleure pièce qu’il puisse porter et, entre ses mains est déposé le scapulaire de Riobaldo ainsi qu’un chapelet. Pour lui, les guerriers apportent les bougies et tous pleurent. La fosse est ouverte où jamais personne ne saurait le retrouver. « Enterrez-le à part, à l’écart des autres, en lisière d'un chemin, où jamais personne ne connaitra sa tombe et ne pourra le retrouver » (Rosa, 2006 : 491).

Chacun des soins apportés au corps de Diadorim pour ses funérailles réitèrent le refus de donner à Hermógenes la fin que méritent les héros. Plus encore : devant l’absence des soins apportés au défunt et de ceux qui pourraient pleurer sa mort, ce sera précisément la femme d’Hermógenes qui prendra en charge, de son propre chef, les attentions au corps de Diadorim.

Enfin, l’utilisation des variantes du texte dans le processus d’élaboration de Diadorim, présentées dans l’étude de Cecília de Lara (1998), nous permet d’insister sur l’argument que la belle mort chez Guimarães Rosa et les soins apportés à la dépouille du guerrier mort sont liés à la renommée d’un guerrier pour la postérité. La mort d’Hermógenes est élaborée de manière continue par l’auteur de la version primitive du texte et de ses brouillons, au texte publié :

« Hermógenes, mort et remort, a été tué… » – celui, là, qui parla, fut João Curiol. Mort… Remort… Le suppôt du Démon. Il n’existait plus aucun Hermógenes. Son compte réglé sans conteste : à la façon dont quelqu’un poignardé, se vide par la faille ouverte au creux du cou, de la totalité du sang : il était aussitôt devenu jaune, entièrement, couleur ocre de terre, avec le parfait air goguenard de quelqu’un qui cherche à se moquer du monde – une face de cimetière… Un Hermógenes. (Rosa, 2006 : 488)[15]

La caractérisation de la mort en tant que fin inéluctable de l’être est présente dès le manuscrit initial de l’auteur, dans lequel on lit déjà : « Mort… Remort… Le suppôt du Démon. Il n’existait plus aucun Hermógenes ». Elle se complète, dans la version de 1956, pour réitérer la finitude de l’être, qui ressemble à tout autre corps sans vie : « il était aussitôt devenu jaune, entièrement, couleur ocre de terre, avec le parfait air goguenard de quelqu’un qui cherche à se moquer du monde – une face de cimetière… ».

D’autre part, le passage qui raconte la mort de Diadorim subit un profond changement de la version primitive à la version publiée. L’auteur adoucit la cruauté de la première description, et s’efforce ainsi, étape par étape, d’atténuer la corruptibilité du personnage. Dans le premier projet, nous lisons l’exposition suivante : « parce qu’il était mort d’un coup de couteau dans le trou du cou, et c’est ainsi qu’ils ** restent, couleur de cire, c’est perdu le sang entier tiré dans un jet, à une seule fois … Diadorim » (Rosa apud De Lara, 1998 : 47, Traduction par nos soins)[16]. Dans ce passage de la version primitive, nous voyons clairement la comparaison du cadavre de Diadorim avec des morts ordinaires [« et c’est ainsi qu’ils ** restent, couleur de cire »] ; cela aboutit à l’aveu par le narrateur que Diadorim a également trouvé sa fin définitive dans sa mort. Ces considérations ont disparu. Ainsi, dans le roman sorti en 1956, ce que nous lisons est un récit non seulement plus délicat que l’original, mais aussi plus obstiné à faire vivre Diadorim, malgré sa mort :

Et sa beauté demeurait, elle demeurait intacte, plus impossible que jamais. Même ainsi, gisant dans cette pâleur de poudre, pareil à une chose, à un masque, desséché. Ses yeux restés ouverts pour nous voir. Le visage émacié, la bouche fendillée. Dans les cheveux la marque de la permanence… Je n’écris pas, je ne parle pas ! – pour qu’ainsi cela ne soit pas : cela n’a pas été, cela n’est pas, cela ne peut demeurer d’être, Diadorim… (Rosa, 2006 : 490)[17]

Il y a un effort évident de la part du narrateur pour souligner ce qui se superpose à la fin, qui serait la mort, élevant Diadorim au niveau de ceux qui ne se corrompent pas avec la mort, à travers les expressions « ses yeux restés ouverts pour nous voir », « dans les cheveux la marque de la permanence… », « sa beauté demeurait ».

III.  Du guerrier du « sertão » au héros : la mort de Matraga, de Bem-Bem et la mémoire immortelle

            Ayant développé l’argument de la mort du grand guerrier dans le « sertão » de Guimarães Rosa, il est temps d’analyser l’évolution du guerrier en question, Joãozinho Bem-Bem, comme moyen de réfléchir à la construction de la figure du héros du « sertão » en réponse à la tradition épique de la belle mort.

Dans la Grèce archaïque, l’oubli, le silence et le manque de gloire représentent la vraie mort, la mort totale (Detienne, 2006). Le héros demeure vrai et en vie pour les nouvelles générations, parce qu’il est chanté par le poète. L’histoire de la vie et de la mort de Joãozinho Bem-Bem nous permet d’observer cette même logique, non seulement à travers la fiction, mais aussi à travers son histoire dans les journaux de lecture de Guimarães Rosa. L’histoire de Bem-Bem permet de concevoir la mort comme l’événement ultime qui qualifie les hauts faits du grand guerrier en confirmant son excellence et en le couronnant comme le héros, qui, comme les héros épiques, mérite d’être rappelé et le sera en effet.

Dans « L’heure et le tour d’Augusto Matraga », nouvelle qui raconte la mort de notre personnage, nous pouvons examiner la relation entre la mort ou le défunt et la consolidation de la gloire du héros de différentes manières. Celle qui serait la première mort d’Augusto Matraga, à ce moment-là encore Nhô Augusto Estêves, avait tout pour donner à cet homme la mauvaise réputation qu’il méritait, ce qui est souligné par la forme de la mort qui n’aurait rien de beau. Selon le plan du Major Consilva, Nhô Augusto devrait être emmené loin de la ville avant d’être assassiné. Nhô Augusto reçoit dans sa chair la marque de fer rouge utilisée pour identifier le bétail du major. Les assassins font une croix en haut de la colline, où, vraisemblablement, cet homme aurait connu la fin de ses jours. Tous croyaient que la victime deviendrait nourriture des vautours, comme affirme l’homme âgé qui, cependant, lui sauve la vie.

La logique du « sertão », même si c’est « une histoire inventée » (Rosa, 1997 : 360), démontre que la fin, celle de Nhô Augusto Estêves telle qu’exposée au début de l’histoire, jeté aux vautours, ne pourraient pas faire de lui un héros célébre. Effectivement, Augusto Matraga, soit par ses actions soit par sa presque-mort misérable, ne voulait pas que l’on se souvienne de lui pour la vie qu’il menait avant de presque mourir. C’est ce qu’il dit à une vieille connaissance, Tião da Thereza, dans la ville du Tombador, où il va vivre après avoir été sauvé :

Je te demande qu’une chose, c’est faire comme si tu m’as pas vu, et rien raconter à personne, pour l’amour de Dieu, pour l’amour de ta femme, de tes enfants et de tout ce qui t’est cher !… C’est pas un gros mensonge, parce que c’est la même chose que si j’étais mort pour de bon… Y a plus aucun Maître Augusto Estêves de Pindaíbas, Tião… (Rosa, 1997 : 362)[18]

Pour que rien de sa vie antérieure ne revienne jamais à la mémoire des hommes, Augusto Matraga voulait que Tião da Thereza s’engage à ne pas réveiller ses méfaits dans la mémoire de ceux qui l’ont connu par le passé où il était le redoutable Nhô Augusto Estêves.

Au contraire de sa presque-mort, sa vraie mort sera la limite à partir de laquelle ce qu’il a fait dans la deuxième phase de sa vie méritera d’être rappelé par les vivants, avec son consentement. Désormais, il allait falloir se souvenir de ses exploits dans la petite ville du Tombador, où il avait servi auprès de tous, après la violence qu’il a subie des hommes du Major Consilva. Il fallait aussi se souvenir de ses hauts faits dans le Rala-Côco, une autre petite ville où, pour protéger un vieillard et ses enfants innocents, il tue et meurt lui-même en grand héros.

Déjà dans ses derniers soupirs, Augusto Matraga reçoit des habitants du camp des marques de piété. Ils embrassent ses pieds et l’accueillent comme un saint, sans laisser aucun doute sur le bon trairement futur de son corps. Il apprend aussi dans les moments précédant son décès que son souvenir sera cultivé, car, au lieu de cacher à la mémoire des hommes ses actes odieux, désormais, après avoir tué le héros Joãozinho Bem-Bem, il veut savoir, des gens en cercle autour de lui, qui a entendu prononcer son nom. Il est reconnu par son cousin, João Lomba, et la reconnaissance est la garantie que ses hauts faits et sa belle mort ne seront pas oubliés. Sa mémoire sera vivante dans la chaîne continue des générations. Par conséquent, il ferme les yeux et de son visage émane un contentement serein.

Si à l’issue de l’histoire nous sommes sûrs qu’Augusto Matraga devient un héros, s’inscrivant dans la plus haute caste du « sertão », composée des grands héros, nous ne savons pas grand-chose de Joãozinho Bem-Bem. Nous avons déjà vu qu’en le tuant, Augusto Matraga demande, avant de mourir lui aussi, que le corps de son ami ne soit pas outragé, mais qu’il soit enterré avec beaucoup de respect et en terre consacrée. La fin que Matraga veut donner à Bem-Bem et qui indique aussi ce qu’il veut pour lui-même serait la fin méritée de chaque héros, dont la belle mort et dont les belles actions seront aussi attestées par le respect du corps et de la tombe. L’espoir de ne pas être oublié par l’histoire, cependant, repose sur la figure de Matraga et non sur celle de Bem-Bem. C’est comme si la demande miséricordieuse et juste d’Augusto Matraga mettait davantage en valeur sa propre grandeur plutôt qu’elle ne défendait la grandeur de l’autre, même s’il cherchait à la défendre aussi – ce qui, à la limite, nous rappelle le code héroïque de l’Iliade déjà mentionné, où les versets qui racontent la mort des guerriers mineurs soulignent non pas exactement leur condition héroïque, mais l’état héroïque de leur tueur.

Néanmoins, dix ans après la parution de « L’heure et le tour d’Augusto Matraga », dans le roman Diadorim, les nouveaux guerriers du « sertão » sont devenus les témoins de la renommée de Joãozinho Bem-Bem. Diadorim, le personnage qui donne son nom à la traduction française du roman, est un des témoins de la haute réputation acquise par Bem-Bem. Diadorim, qui n’hésite pas à mourir pour prendre la vie d’Hermógenes, et qui cherche sa belle mort pour accomplir son devoir, selon le narrateur et ex-guerrier Riobaldo, « prônait en exemple la règle de fer de Joãozinho Bem-Bem – toujours sans femme, mais en toute occasion vaillant » (Rosa, 2006 : 171)[19]. Comme Diadorim, Zé Bebelo, autre grand personnage du « sertão », se souvient des guerriers célèbres : « En exemple, leurs noms ont été ceux-ci : Joca Ramiro, Joãozinho Bem-Bem, Sieur Candelário !… » (Rosa, 2006 : 239)[20]. C’est encore Zé Bebelo, avant la mort de Joca Ramiro, qui dit que Joãozinho Bem-Bem, plus qu’un exemple, était le chef qu’il suivrait : « Le seul homme-jagunço que je pouvais respecter, Sieur Baldo, n’est déjà plus de ce monde… » (Rosa, 2006 : 122)[21]. Dans Diadorim, enfin, Bem-Bem est devenu légendaire ; sa figure, parmi celles d’autres héros, est associée à une tradition renforcée à chaque génération, puisque chaque génération fournit ses héros, complétant cette chaîne et la rendant encore plus forte et cohérente.

Ainsi, si le roman de Guimarães Rosa présente « des ruines, des fragments, des débris, des déchets » (Starling, 1999 : 16) de ce que le projet de modernisation du pays aurait rejeté parce qu’il ne pouvait ou ne voulait pas en profiter, les gens du « sertão », bergers, prostituées, malades et guerriers, un peuple, enfin, sans droits et sans existence politique dans l’histoire de cet univers, il nomme, en manière de réponse à cette histoire, l’histoire des héros de sa tradition ; parmi eux, Joãozinho Bem-Bem. Vivant au passé et au présent, le chant de kléos de Bem-Bem et d’autres anciens reste dans la mémoire des guerriers qui, comme Riobaldo, ne veulent pas être oubliés :

Trop vouloir le bien, de façon incertaine, peut déjà être comme vouloir le mal, pour commencer. Ces hommes ! Chacun tirait le monde à soi pour l’accomoder bien raccommodé. Mais chacun ne voit et ne comprend les choses qu’à sa seule façon. Sur le nombre, le plus sérieux, suprême, – fut Medeiro Vaz. Et un homme à l’ancienne mode… M’sieur Joãozinho Bem-Bem, le plus courageux de tous, jamais personne n’a pu déchiffrer de quoi en dedans il était fait. (Rosa, 2006 : 31)[22]

Riobaldo dit : « Je l’ai appris des anciens » (Rosa, 2006 : 325)[23]. Lui et ses compagnons veulent, comme les héros qui les ont précédés dans ce combat sans fin, atteindre la gloire, mais parce qu’ils les ont comme modèle, ils font de leur histoire une histoire vivante. Les hommes meurent, Medeiro Vaz, Joca Ramiro, Joãozinho Bem-Bem, mais la renommée leur survit.

Certes, grâce aux notes de l’auteur sur la poésie épique, très probablement prises en 1950, on peut identifier les confluences entre les personnages de l’Iliade et les personnages de Guimarães Rosa dans « L’heure et le tour d’Augusto Matraga ». La parution de la nouvelle en 1946 à Rio de Janeiro chez Editora Universal, pourtant, précède sa (re) lecture de l’Iliade et nous indique une connaissance antérieure d’Homère par l’auteur (ce qui est indirectement confirmé par les traductions de l’Iliade et de l’Odyssée trouvées dans la bibliothèque personnelle de l’auteur, acquise lors de son séjour en Allemagne entre 1938 et 1942, où l’on peut lire au verso : « Guimarães Rosa. Hambourg, 27/8/1940 »).

Il est possible d’aller au-delà des confluences entre l’Iliade et « L’heure et le tour d’Augusto Matraga », qui nous raconte la saga d’Augusto Matraga et, à côté d’elle, la saga de Joãozinho Bem-Bem et, dans ce sens, d’aller au-delà de ce que propose Ana Luiza Martins Costa par rapport à la nouvelle de Sagarana : « Guimarães Rosa traduit Homère dans une langue du « sertão », faisant que Joãozinho Bem-Bem incorpore le discours et les valeurs du héros épique » (2002 : 89).

Le parcours de Joãozinho Bem-Bem de « L’heure et le tour d’Augusto Matraga » jusqu’à Diadorim décrit sa transformation de guerrier du « sertão » en héros et fournit un complément au code héroïque qui, situé dans cet univers particulier, actualise le code héroïque de l’épopée grecque. Guimarães Rosa prend à témoin les nouvelles générations guerrières de la gloire de ceux qui, comme Bem-Bem, l’ont obtenue en mourant. Cette mise à jour n’est donc pas uniquement une traduction d’Homère dans l’arrière-pays brésilien, comme le propose Ana Luiza Martins Costa. L’écrivain adopte une attitude d’actualisation plutôt que d’incorporation de la tradition épique, son matériel de travail. L’auteur travaille sur les Anciens pour les actualiser, en incorporant des éléments de la tradition – la belle mort, les soins apportés au héros mort ou même l’interdiction de l’enterrement de son corps – pour finalement présenter le « sertão » ; mais le témoignage de Diadorim, Zé Bebelo et Riobaldo sur la valeur de Bem-Bem dans le roman de 1956 n’est pas un de ces éléments de tradition. Il répond à la tradition, parce que l’Iliade ne donne à ses grands héros que l’espoir de postérité glorieuse. Ce qui se passe effectivement chez Guimarães Rosa n’existe qu’à l’état d’espérance chez Homère.

La mort héroïque, malgré ce qu’elle est : la fin physique du bon guerrier en compétition avec un autre guerrier pour décider qui des deux est le meilleur, ne peut mettre en échec sa capacité guerrière et son droit à la renomée. Au contraire, cela prouve son mérite et sa hantise d’être oublié et c’est pour cela qu’elle est profondément associée à sa renommée. La construction de la mémoire dans l’Iliade, qui est tributaire des circonstances dans lesquelles meurt le héros, conviendrait également au code héroïque du « sertão ». Dans Diadorim, le narrateur caractérise un type de mort que nous pourrions également qualifier de mort héroïque et qui fait partie de la construction de la renommée du guerrier du « sertão ». Mais Guimarães Rosa, en confirmant la renommée de Bem-Bem dans Diadorim – c’est plus que présenter les hauts faits et la belle mort d’un personnage dans l'espoir qu’il conquerra par sa valeur sa renommée – ne transporte pas seulement Homère vers le « sertão ». Il démontre les mécanismes de fonctionnement de la tradition épique qu’il choisit d’actualiser et les certifie. Ainsi, intérieurement, Guimarães Rosa met à jour cette tradition parce qu’à travers l’histoire de nouveaux guerriers, nous voyons comment, en se remémorant les héros du passé, ils sont capables de les sauver de l’oubli, de les rendre réels, dans une certaine mesure vivants. C’est-à-dire qu’il y a un travail de mémoire élaboré intérieurement par la fiction qui réinvente l’idée de héros. Extérieurement aussi il met à jour cette tradition, parce que grâce à l’histoire de la création de ces personnages, que nous suivons un peu à travers ses notes de lecture de l’Iliade et de l’Odyssée, Guimarães Rosa se souvient lui aussi des Anciens et les sauve également de l’oubli, un mouvement mémoriel que la tradition détient mais qu’elle ne rend pas rigide.

 

Notes de fin

[1] João Guimarães Rosa était diplomate et a vécu quelques annés en France et en Allemagne. Voir son « Diário em Paris », diponibles à l’Université de São Paulo, Dossier E3 (1) e E3 (2) – France-Paris (121 p.), Archive Guimarães Rosa, Série Études pour l’œuvre.

[2] Originellement intitulée « A hora e vez de Augusto Matraga », la nouvelle a été traduite en français pour la première fois en 1958 par Antonio et Georgette Tavares Bastos avec pour titre « L’heure et la chance d’Augusto Matraga ». En 1997, la nouvelle a été traduite une deuxième fois chez Albin Michel par Jacques Thiériot, avec pour titre « L’heure et le tour d’Augusto Matraga ».

[3] Dans l’édition originale : « Mas a gente nem pode mais ter o gosto de brigar, porque o pessoal não aparece, no falar de entrar no meio o seu Joãozinho Bem-Bem… » (Rosa, 2001b, p. 391).

[4] « Prosa minha não carece de contar, companheiro, que todo o mundo já sabe » (Rosa, 1997 : 391).

[5] « Joãozinho BEM-BEM e MATRAGA: importante! p. 387) IMPORTANTE (J. BEM-BEM): p. 388 (« Mano Velho » …) » (Documento E17, seção « Ilíada », 25).

[6] La belle mort, qui reçoit ce nom des oraisons funèbres de l’époque classique (LORAUX, 1994), révèle l’homme [καλός θάνατος] qui accepte de payer de sa vie le refus de renoncer à combattre et la quête d’une gloire éternelle.

[7] « – Estou no quase, mano velho… Morro, mas morro na faca do homem mais maneiro de junta e de mais coragem que eu já conheci!… Eu sempre lhe disse quem era bom mesmo, mano velho… É só assim que gente como eu tem licença de morrer… Quero acabar sendo amigos… » (Rosa, 2001b : 411).

[8] « – Pára com essa matinada, cambada de gente herege!… E depois enterrem bem direitinho o corpo, com muito respeito e em chão sagrado, que êsse aí é o meu parente seu Joãozinho Bem-Bem ! » (Rosa, 2001b, p. 412).

[9] « (A sacra luta pelos cadáveres. O horror à profanação dos mortos) » (Documento E17, seção « Ilíada », 25).

[10] « Não enterrem esse homem! » (Rosa, 2001a, 574).

[11] « Como estavam indo abrir aquele quarto, trazendo do corredor a mulher do Hermógenes. Ela visse. […] – A senhora conheça, dona, um homem demõiado, que foi: mas que já começou a feder, retalhado na virtude do ferro. Aquela mulher ia sofrer? Mas ela disse que não, sacudindo só de leve a cabeça, com respeito de seriedade. – Eu tinha ódio dele… – ela disse; me estremecendo. » (Rosa, 2001a : 613).

[12] « – Mortos, muitos? – Demais… » (Rosa, 2001a : 613).

[13] « [Marcelino Pampa] merecia lágrimas dalguma mulher perto, mão tremente que lhe fechasse bem os olhos. Porque não se vê outro assim, com tão legítimo valor, capaz de ser e valer, sem querer parecer. E uma vela acêsa, uma que fosse, ali ao pé, a fim de que o fogo alumiar a primeira indicação para a alma dele » (Rosa, 2001a : 598).

[14] « Não posso ter alegria nenhuma, nem minha mera vida mesma, enquanto aqueles dois monstros não forem bem acabados… » (Rosa, 2001a : 46).

[15] « – O Hermógenes está morto, remorto matado… – quem falou foi o João Curiol. Morto… Remorto… O do Demo… Havia nenhum Hermógenes mais. Assim de certo resumido – do jeito de quem cravado com um rombo esfaqueante se sangra todo, no vão-do-pescoço: já ficou amarelo completo, oca de terra, semblante puxado escarnecente, como quem da gente se quer rir – cara sepultada… Um Hermógenes. » (Rosa, 2001a : 612).

[16] « porque ele tinha falecido de um rombo esfaqueante no vão do pescoço, e é desse jeito que **então êles (ms na ch) ficam, côr de cera, perdido o sangue todo ressurtido num repuxo só, de uma vez… Diadorim » (Rosa apud De Lara, 1998 : 47).

[17] « E a beleza dele permanecia, só permanecia, mais impossivelmente. Mesmo como jazendo assim, nesse pó de palidez, feito a coisa e máscara, sem gota nenhuma. Os olhos dele ficados para a gente ver. A cara economizada, a boca secada. Os cabelos com marca de duráveis… Não escrevo, não falo! – para assim não ser: não foi, não é, não fica sendo! Diadorim » (Rosa, 2001a : 614).

[18] « – Só te peço é para fazer de conta que não me viu, e não contar p'ra ninguém, pelo amor de Deus, por amor de sua mulher, de seus filhos e de tudo o que para você tem valor!… Não é mentira muito, porque é a mesma coisa em como se eu tivesse morrido mesmo… Não tem mais Nhô Augusto Estêves, das Pindaíbas, Tião… » (Rosa, 2001b : 384).

[19] « […] dava como exemplo a regra de ferro de Joãozinho Bem-Bem – o sempre sem mulher, mas valente em qualquer praça » (Rosa, 2001a : 208).

[20] « Meu exemplo, em nomes, foram estes: Joca Ramiro, Joãozinho Bem-Bem, Sô Candelário » (Rosa, 2001a : 294).

[21] « O único homem-jagunço que eu poderia aceitar, siô Baldo, já está falecido… » (Rosa, 2001a : 196).

[22] « Querer o bom com demais força, de incerto jeito, pode já estar sendo se querendo o mal, por principiar. Esses homens! Todos puxavam o mundo para si, para o concertar consertado. Mas cada um só vê e entende as coisas dum seu modo. Montanto, o mais supro, mais sério - foi Medeiro Vaz. Que um homem antigo… Seu Joãozinho Bem-Bem, o mais bravo de todos, ninguém nunca pôde decifrar como ele por dentro consistia » (Rosa, 2001a : 32).

[23] « Aprendi dos antigos » (Rosa, 2001a : 404).

 

Bibliographie

Assunção Teodoro Rennó (1994-1995). «Nota crítica à “bela morte” vernantiana». Clássica. v. VII/ VIII : 53-62. São Paulo.

De Lara Cecília (1998). «Grande Sertão : Veredas : Processos de criação». SCRIPTA. v. 2, n. 3 : 41-49. Belo Horizonte.

Detienne Marcel (2006). Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque. Paris : Librairie Générale Française.

Freud Sigmund (2005). Œuvres complètes : psychanalyse. Volume XIII – 1914-1915. Paris : Presses Universitaires de France.

Ginzburg Jaime (2010). «Notas sobre o "Diário de Guerra" de João Guimarães Rosa». Aletria, v. 20 : 95-110. Belo Horizonte : UFMG.

Graziosi (2016). «Inspiração divina e técnica narrativa na Ilíada». Revista Classica, v. 29, n. 1 : 171-191.

Homeri Ilias (1931), vols. 2–3, Ed. Allen, T.W. Oxford : Clarendon Press.


Homeri Odyssea (1962), Ed. Peter von der Mühll. Basel : Helbing & Lichtenhahn.

Homero (2011). Odisseia. Traduction de Frederico Lourenço. São Paulo : Penguin Classics ; Companhia das Letras.

Homero (2013). Ilíada. Traduction de Frederico Lourenço. São Paulo : Penguin Classics ; Companhia das Letras.

Otte Georg (2003). «O "Diário Alemão" de João Guimarães Rosa». Dans, Duarte Lélia Parreira (Org.). Veredas de Rosa II. Belo Horizonte : Editora PUC Minas, v. II : 285-290.

Lima Sônia Maria Van Dijck (1998). « Reconstituição da gênese de SAGARANA». Revista Philologus, n.12 : 33-40. Rio de Janeiro.

Lopes Lorena (2013). Dos ventos : História, Crítica Literária e Linguagem em Grande Sertão : Veredas. Belo Horizonte : Fino Traço.

Loraux Nicole (1978). « Mourir devant Troie, tomber pour Athènes De la gloire du héros à l’idée de la cité». Social Science Information. n.17 : 801-817.

Loraux Nicole (1994). Invenção de Atenas. Rio de Janeiro : Editora 34.

Martins Costa Ana Luiza Borralho (1997). «Rosa, ledor de Homero». REVISTA USP. n.36 : 46-73. São Paulo : Universidade de São Paulo.

Martins Costa Ana Luiza Borralho (2002). «Homero no Grande sertão». Kleos. v. 5-6 : 79-124. Rio de Janeiro.

Murari Pires Francisco. O ser divino e a condição humana. [URl : http ://www.fflch.usp.br/dh/heros/humancondition/ensaios/divinohumano.html] .

Nagy Gregory (1980). The Best of the Achaeans : concepts of the hero in Archaic Greek Poetry. Revised Edition Gregory Nagy. Baltimore : The Johns Hopkins University Press.

Nagy Gregory (2013). The Ancient Greek Hero in 24 hours. Cambridge, London : Harvard University Press.

Parker Robert (2011). On Greek religion. Ithaca ; London : Cornell University Press.

Riambau Vanessa (2006). «O herói roseano : Augusto Matraga, da violência à santidade». Revista eletrônica de crítica e teoria de literaturas. Vol. 02 N. 02. Porto Alegre : PPG-LET-UFRGS.

Rosa João Guimarães (1958). « L’heure et la chance d’Augusto Matraga ». Traduction de Antonio e Georgette Tavares Bastos. In: Les Vingt meilleures nouvelles de l’Amérique Latine. Paris : Seghers.

Rosa João Guimarães (1971). Sagarana, 14a ed., Rio de Janeiro : Livraria José Olympio.

Rosa João Guimarães (1997). Sagarana. Traduction de Jacques Thiériot. Paris : Éditions Albin Michel.

Rosa João Guimarães (2001). Grande Sertão : Veredas. 20a. ed. Rio de Janeiro : Nova Fronteir

Rosa João Guimarães (2001). Sagarana. Rio de Janeiro : Nova Fronteira.

Rosa João Guimarães (2006). Diadorim. Traduction de Maryvonne Lapouge-Pettorelli. Paris : Éditions Albin Michel.

Rosa João Guimarães. Diário de Guerra de João Guimarães Rosa. Documento do Acervo de Escritores Mineiros da Universidade Federal de Minas Gerais.

Rosa João Guimarães. Diário em Paris. Pasta «E3 (2)-França», Série «Estudos para a Obra», In : Arquivo Guimarães Rosa (AGR), do Instituto de Estudos Brasileiros (IEB/USP).

Rosa João Guimarães. Documento E17 – Série «Estudos para a Obra». In : Arquivo Guimarães Rosa (AGR), do Instituto de Estudos Brasileiros (IEB/USP)

Rosa Vilma Guimarães (1983). Relembramentos : João Guimarães Rosa, meu pai. Rio de Janeiro : Nova Fronteira.

Sperber Suzi (1976). Caos e Cosmos. Leituras de GR. São Paulo : Duas Cidades.

Starling Heloisa (1999). Lembranças do Brasil : teoria política, história e ficção em Grande Sertão : Veredas. Rio de Janeiro : Revan UCAM/IUPERJ.

Vernant Jean-Pierre (1989). «La belle mort et le cadavre outragé». Dans, Vernant Jean-Pierre. L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce Ancienne. Paris : Éditions Gallimard.

 

Pour citer cet article

Lorena Lopes da Costa, « Du héros épique au guerrier du "sertão" : les anciens chez João Guimarães Rosa», RITA [en ligne], N°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019 . Disponible en ligne: http://revue-rita.com/notes-de-recherche-12/du-heros-epique-au-guerrier-du-sertao-les-anciens-chez-joao-guimaraes-rosa-lorena-lopes-da-costaa.html

Migrer vers la ville: Quelle ouverture pour les femmes andines en contexte minier ?
Migrar hacia la ciudad: Qué posibilidades para las mujeres andinas en contexto minero?

 

Résumé
Les conséquences du projet minier à ciel ouvert Tintaya-Antapaccay se font lourdement sentir dans les communautés avoisinantes de la province d’Espinar (Cusco – Pérou). Le constat d’une dégradation de l’environnement ainsi que de la pollution de l’air et de l’eau est transversal et constitue une dégradation de leurs moyens de production. Or, du fait d’une division sexuelle du travail partiellement reconfigurée par le contexte minier, ces conséquences impactent différemment les hommes et (plus spécifiquement) les femmes. Face au constat d’une situation sanitaire et économique sous forte tension, les femmes cherchent à migrer pour pallier la perte de leurs moyens de subsistance. L’efficacité de cette stratégie d’adaptation, cependant, s’avère être dépendante de la position sociale des femmes en question.

Mots clés : Activité minière ; Femmes ; Migration ; Andes péruviennes.

 

Resumen
Los impactos del proyecto minero a tajo abierto Tintaya-Antapaccay son importantes en las comunidades aledañas de la provincia de Espinar (Cusco - Peru). La afectación ambiental, como la contaminación del aire y del agua, es un problema generalizado para esas comunidades, y representa una pérdida de sus medios de sobrevivencia. A raíz de una parcial reconfiguración de la division sexual del trabajo en este contexto minero, las consecuencias impactan diferentemente a los hombres y (más específicamente) las mujeres. Frente a una situación sanitaria y económica muy difícil, las mujeres buscan migrar para compensar la pérdida de sus medios de sobrevivencia. La eficiencia de esta estrategia de adaptación, sin embargo, parece depender en gran parte de la posición social de dichas mujeres.

Palabras claves : Actividad minera ; Mujeres ; Migración ; Andes peruanos.

 

------------------------------
Caroline Weill

Master en Sciences Politiques
IEP de Strasbourg

 

Migrer vers la ville: Quelle ouverture pour les femmes andines en contexte minier ?

 

Introduction

          Au Pérou comme dans le reste de la région latino-américaine, de plus en plus de personnalités féminines deviennent le symbole des mouvements de contestation qui secouent le continent contre des projets extractifs[1] depuis quelques dizaines d’années[2]. De Maxima Acuña à Cajamarca (nord andin péruvien) à Berta Cáceres au Honduras, ces femmes militantes suscitent une question relativement nouvelle, tant pour les mouvements sociaux que pour la recherche. Il s’agit de penser l’articulation entre la catégorie d’analyse du genre[3] et la compréhension des changements induits par des activités industrielles à grande échelle, qui représentent un secteur clé de l’économie péruvienne (Bos et Lavrard-Meyer, 2015). Cet article a pour objectif de contribuer à ce champ de recherche en se penchant sur un cas d’étude : celui de femmes vivant dans les communautés adjacentes aux projets miniers Tintaya et Antapaccay, dans la province d’Espinar, au sud des Andes péruviennes. En particulier, nous nous intéresserons ici à l’une des stratégies auxquelles elles ont recours pour faire face à un contexte social, environnemental et économique fortement dégradé, qui est la possibilité de migrer vers les zones urbaines.

Située à presque 3 928 m d’altitude, Espinar fait partie des « provinces hautes » de la région de Cusco. À cette élévation, l’agriculture, qui reste l’activité économique principale de plus de la moitié des habitant·es de la province, est peu productive. L’élevage de bétail et la production de céréales et de tubercules peinent à dépasser l’autoproduction. Les habitant·es d’Espinar ont pour langue maternelle le Quechua, et en 2009, presque les deux tiers de la population vivaient sous le seuil de pauvreté (Municipalidad Provincial de Espinar, 2010).

Aujourd’hui, la province d’Espinar est connue pour être une région minière : la présence de l’activité minière à grande échelle y date de la fin des années 1980. D’abord propriété d’une entreprise publique, puis privatisé dans les années 1990, le méga-projet minier à ciel ouvert Tintaya, aujourd’hui en phase de clôture, s’est étendu avec le nouveau site d’exploitation de cuivre Antapaccay, aux mains de l’entreprise anglo-suisse Glencore. Grâce au Canon Minero[4], la province d’Espinar a reçu 89 millions de nuevos soles (soit près de 23,21 millions d’euros) et 9 millions de soles (soit 2,35 millions d’euros) via le Convenio Marco[5] signé en 2007. Cette activité s’est donc consolidée au fil du temps comme une ressource financière importante, aiguisant les appétits locaux et se positionnant comme un enjeu de premier ordre pour l’économie nationale (Bos et Lavrard-Meyer, 2015). Cependant, ses conséquences négatives, en particulier sur l’environnement, sont sources de conflits réguliers dans la région (Cuadros, 2011). En effet, l’extraction minière à ciel ouvert se caractérise par la grande quantité d’eau nécessaire à ses opérations. Pour extraire le minerai disséminé dans la roche, il faut d’abord la moudre, puis la mélanger à des eaux contenant certains produits chimiques. Une fois le minerai extrait, la boue toxique est stockée dans ce qui est communément appelé des relaveras, ou botaderos, lieu d’entrepôt de ces résidus miniers. À Espinar, ces déchets sont déversés à l’endroit même où la roche a été extraite, laissant une fosse de plusieurs centaines de mètres de long, aux abords de laquelle vivent plusieurs communautés.

J’ai réalisé un travail de terrain dans huit de ces communautés entre janvier et mars 2017 au cours de trois séjours (l’un exploratoire de quatre jours, l’autre de trois semaines et le dernier d’une semaine) : Cala Cala, Alto Huarca, Huarca, Alto Huancané, Bajo Huancané, Huisa, Huisa Ccollana, et Tintaya Marquiri, désignées comme faisant partie de la « zone d’influence directe » du projet Antapaccay. Certaines se situent en amont du projet (celui-ci se situant donc entre la communauté et la capitale provinciale, Yauri), et d’autres en aval. Les arguments apportés par cet article se basent sur trois types de sources. La première correspond à des entretiens : 30 entretiens semi-directifs (individuels ou en groupe de trois) réalisés avec 40 femmes de ces huit communautés[6] et 18 entretiens avec des travailleur·ses de différentes institutions (personnel de l’hôpital provincial, fonctionnaires de programmes sociaux, représentant·es d’organisations sociales provinciales, etc.). La deuxième concerne les sources publiées : des documents institutionnels de l’État ou des entreprises privées, ainsi que la production bibliographique (scientifique ou issue de la société civile) relatives à Espinar ou aux provinces limitrophes partageant des caractéristiques similaires, ce qui a permis de compléter ou de confronter l’information disponible. Enfin, l’observation effectuée lors de voyages réguliers dans le Corredor Minero[7] au cours des années 2014 à 2017 éclaire l’analyse exposée dans cet article. Ainsi, bien que les conclusions ici présentées ne soient pas forcément généralisables, cette analyse à partir d’une ethnographie exploratoire suggère des pistes de compréhension autour de l’évolution des rapports sociaux, et en particulier des rapports sociaux de genre, dans les communautés les plus impactées par des méga projets miniers.

Le cas d’étude présenté ici s’inscrit dans le cadre de la littérature croissante qui documente, d’une part, les conséquences environnementales (et donc économiques, pour ces familles de petit·es agriculteur·rices) négatives des projets miniers sur les communautés avoisinantes (Pinto Herrera, 2014 ; Gudynas, 2012 ; Amnistía Internacional, 2017) ; et d’autre part, la différentiation de ces conséquences en termes de genre. En effet, « le genre et l’âge sont des facteurs qui influent sur la manière dont les communautés adjacentes vivent les effets de l’activité minière à grande échelle » (Himley, 2011 : 30 – traduction propre). De nombreux·ses chercheur·es ont insisté sur l’impact spécifique de l’activité minière sur les femmes (Cuadros, 2011 ; Li, 2009 ; McDonald, 2012 ; Himley, 2011 ; Oxfam, 2009), considérablement plus négatif que sur les hommes (Jenkins, 2014). Cependant, la plupart de ces études semblent se limiter à décrire ce phénomène, sans nécessairement analyser la marge d’agentivité des femmes, c’est-à-dire leur capacité à exercer un certain contrôle sur leur propre parcours de vie, afin d’atténuer la détérioration de leurs conditions de vie. Or, comme l’indique Katy Jenkins (2014) pour le cas de la petite extraction minière artisanale, il est important de souligner la résilience et la ténacité des femmes dans leur relation à l’activité minière, et ainsi éviter l’écueil de les présenter comme simples « victimes » d’une activité extractive à grande échelle (Lahiri-Dutt, 2012). Dans le cas qui nous intéresse, nous étudierons l’une des différentes stratégies qu’elles mettent en œuvre pour pallier la dégradation de leur environnement (et, par conséquent, de leurs finances) et tirer des bénéfices de l’apport financier que la présence du projet minier dans la région permet : la migration vers la capitale provinciale Yauri, c’est-à-dire vers une zone urbaine.

Dans cet article, il s’agira de montrer que la migration, activité principalement masculine jusqu’il y a peu (De la Cadena, 1992), se développe en tant que stratégie féminine pour amortir et compenser, bon gré mal gré, l’impact négatif de l’activité minière dans les communautés de la zone d’influence directe des projets Tintaya et Antapaccay. Dans un premier temps, je décrirai les transformations environnementales et économiques constatées par les comuneros et comuneras[8] interrogé·es, ainsi que leur dimension genrée dans ce contexte précis. Puis, dans un deuxième temps, j’explorerai quelques tendances et conséquences de la migration de ces femmes entre les communautés et la zone urbaine, en tant que stratégie d’adaptation[9] à ces transformations. Cette question sera abordée à partir de deux questions, qui peut effectivement migrer, et est-ce que cette migration est efficace pour compenser la perte de leurs moyens de survie.

Ce faisant, il n’est pas possible de faire l’impasse sur les catégories de genre et de classe et sur leur imbrication. L’analyse de la division sexuelle du travail, entendue comme la répartition et la hiérarchisation des activités de production et de reproduction[10] entre les sexes, et l’assignation à des rôles et fonctions sociales différentes entre hommes et femmes (Kergoat, 2004), dans le contexte des profonds changements socio-économique des communautés andines en contexte minier (Hervé, 2013a), peut aussi se révéler particulièrement pertinente pour comprendre la différentiation des impacts des projets miniers en termes de genre. Par ailleurs, cette catégorie permet d’éclairer la façon dont se configure le phénomène relativement nouveau de la migration des femmes entre les communautés adjacentes à un méga-projet minier et la zone urbaine.

Par ailleurs, « les femmes » ne sont pas une catégorie homogène, loin s’en faut – même au sein de quelques communautés andines proches, les stratifications sociales se font sentir. Ainsi, comme on le verra, la possibilité, pour les femmes de communautés étudiées, de migrer pour amortir les conséquences négatives de l’activité minière est conditionnée par l’accès à certaines ressources (capital, réseau familial, niveau d’étude), tout comme l’est la « réussite » (dans la perspective de trouver de meilleurs moyens de subsistance) de leur processus migratoire.

Enfin, Castillo et Bretreton (2018) rappellent que la migration n’est pas une dynamique spécifique aux contextes miniers, mais relève d’une stratégie de maximisation des opportunités et d’atténuation des risques plus ancienne. Ils proposent également de comprendre les migrations comme une tension entre « push » et « pull », entre ce qui les « pousse » à partir et ce qui les « attire » ailleurs. Ce cadre d’analyse permettra de comprendre la dégradation des conditions de vie des femmes interrogées comme une contrainte à partir, indissociable en même temps d’autres aspirations - notamment, celle de donner une meilleure éducation à leurs enfants, voire d’accéder à une certaine marge d’autonomie vis-à-vis du conjoint ou du mari.

I. La dimension genrée des conséquences socio-environnementales de l’activité minière aux abords des projets Tintaya et Antapaccay

          A. Les conséquences environnementales sur les communautés andines et leur économie familiale

       La présence du méga-projet minier et ses conséquences semblent être au cœur des préoccupations des personnes interrogées. Le constat d’une dégradation des conditions environnementales est présent dans la totalité des entretiens réalisés, ainsi que dans différents rapports et études sur le sujet (MINAM, 2013 ; Pinto Herrera, 2014 ; Amnistía Internacional, 2017). Les habitant·es d’Espinar affirment que la pollution de l’eau et de l’air est causée par l’activité minière. Si cette relation de cause à effet n’a pas été établie officiellement, elle fait cependant écho à de nombreuses recherches et au travail des mouvements sociaux à différents endroits du Pérou, d’Amérique Latine et d’ailleurs, qui documentent et dénoncent les effets socio-environnementaux négatifs des activités extractives (Pinto Herrera, 2014 ; Bos et Lavrard-Meyer, 2015 ; Gudynas, 2012 ; McDonald, 2002).

Dans les communautés se situant en amont du projet minier, comme celles de Alto Huarca et Cala Cala, c’est la présence de « fumée jaune/verdâtre », avec « une forte odeur de fer rouillé » et qui « pique les yeux », qui est signalée. Le refus du bétail de manger l’herbe dans les pâturages couverts de poussière, que soulèvent les nombreux véhicules lourds allant et venant du site d’extraction, semble également causer des inquiétudes. En aval, dans des communautés comme Alto Huancané, Bajo Huancané ou Huisa, c’est la proximité avec la relavera, la fosse d’entrepôt des résidus miniers, qui est le centre des préoccupations. Dénonçant des « fuites » dans la fosse, ou bien des « ruissellements », plusieurs femmes interrogées expliquent ne plus pouvoir consommer une eau qui leur causerait des maux d’estomac insupportables, chose inconnue avant la présence du projet minier. Elles rapportent également sentir des brûlures immédiates si elles s’y baignent. Leurs animaux meurent s’ils s’y abreuvent et une odeur insupportable se dégage de leur carcasse, au point que, comme soulignent les habitant·e·s, « même les chiens ne veulent pas y toucher ». Également, les plantes deviennent noires et pourrissent. La dénonciation de la pollution de l’eau et de l’air par les déchets toxiques entreposés est régulièrement illustrée par des images d’animaux souffrant de malformation et d’enfants né·es handicapé·es aux abords des sites d’exploitation. Des problèmes de santé liée à l’environnement (présence de métaux lourds dans le sang de la population) ont d’ailleurs été reconnus par l’État péruvien[11], mais leur cause (naturelle ou induite par l’activité minière) n’a pas été établie par ces enquêtes officielles.

La quantité d’eau disponible est en revanche un problème soulevé dans toutes les communautés. Les activités minières nécessitant énormément d’eau, certaines sources se seraient asséchées au fil du temps ; et l’approvisionnement d’eau entubada (par canalisations) fournie par l’entreprise minière, en compensation de celle qu’elle utilise, n’est pas suffisante. Selon Mme V., de la communauté de Bajo Huancané :

L’eau arrive par canalisation, il n’y en a pas assez [...] Un jour et une nuit, on remplit à peine le puits, et après plus rien [n’arrive] pendant 15 jours. On demande à ce qu’il y ait un élargissement. Ça n’est pas suffisant, juste assez pour boire, mais pas pour laver ou cuisiner.

En outre, le manque d’information considérée fiable (car indépendante de l’entreprise minière elle-même) au sujet de la qualité de l’eau fournie par les canalisations est une source d’anxiété importante pour les personnes interrogées.

Dans ces communautés qui vivent principalement de l’agriculture et de l’élevage de bétail, une dégradation environnementale signifie deux choses. D’une part, c’est une perte d’autonomie alimentaire, et de l’autre, une perte de capital, ce que souligne une comunera d’Alto Huancané : « Avant il y avait suffisamment pour se nourrir et pour vendre. Aujourd’hui, on n’arrive même plus à manger ». La diminution sévère de la production agricole affecte donc la capacité d’auto-production, et a fortiori de vente des surplus de production, seules sources de revenus monétaires pour beaucoup de familles paysannes. Par ailleurs, du fait de la « réputation » d’Espinar de province minière et polluée, beaucoup de femmes qui vendent leurs produits sur les marchés racontent avoir de plus en plus de difficulté à ce faire, car les client·es auraient peur d’acheter des « fromages aux métaux lourds ». Or, en parallèle, une caractéristique de nombreuses régions minières est l’augmentation du coût de la vie (PDTG, 2013). L’exemple le plus spectaculaire est probablement celui de Challhuahuacho, district situé à environ 200 km d’Espinar, où le lancement du projet minier Las Bambas en 2009[12] s’est accompagné d’une augmentation de 500 % du prix de la restauration, de 700 % du prix des hôtels, et ce en quelques années, selon les comuneros et comuneras. À Espinar, l’augmentation du coût de vie est fortement ressentie par toutes les femmes interviewées. De plus, il ressort des différents entretiens que les mécanismes d’entraide traditionnels (comme le troc ou la mink’a[13]) tendent à disparaître à mesure que les échanges de biens et services s’imposent de plus en plus contre une transaction monétaire[14]. Cette évolution (moins de production, plus grande difficulté à vendre, coût de vie en augmentation) met encore davantage sous tension la situation pour les communautés – en particulier pour celles et ceux qui n’ont pas du tout accès à d’autres sources de revenus. À Yauri, un fonctionnaire de l’hôpital public commente d’ailleurs que « la mine a bénéficié à certains, mais d’autres ont beaucoup perdu. Il y a beaucoup plus d’inégalités ».

          B. La dimension genrée des conséquences environnementales à Espinar

L’accroissement de ces inégalités économiques, comme cela a été suggéré dans l’introduction, prennent une claire dimension de genre dans le contexte rural minier d’Espinar, où les femmes apparaissent comme particulièrement touchées par les conséquences négatives de l’activité minière.

D’une part, la division sexuelle du travail traditionnel semble conduire à une plus importante exposition du corps des femmes à la pollution de l’eau, en comparaison à celui des hommes. Habituellement, ce sont les femmes qui sont en charge de toutes les tâches domestiques qui impliquent un contact avec l’eau : cuisiner, laver, etc. (Falquet, 2011). Mais également, les femmes sont relativement moins mobiles que les hommes. Leur présence dans le territoire communal est en général plus constante, alors que les hommes sont souvent absents, pour un travail salarié temporaire ou autre, dans le cadre de migrations circulaires (De la Cadena, 1992 ; Cuadros, 2011). À Espinar, lors d’assemblées communautaires, il n’est pas rare d’observer une composition de plus de deux tiers de femmes dans l’assistance. D’ailleurs, de nombreuses femmes rencontrées expriment un sentiment de solitude et d’anxiété aiguë, parce que les autres membres de leur famille ont déjà migré par peur de la pollution ou par manque d’opportunité économique sur place, alors qu’elles y restent de manière plus permanente. C’est ainsi que la plupart des cas des maladies « étranges et nouvelles » qui m’ont été rapportées affectent en premier lieu des femmes.

D’autre part, on assiste à des reconfigurations partielles de la division sexuelle du travail dans le contexte minier. Comme le souligne Kyra Grieco (2016 : 97), « à une masculinisation du travail salarié en milieu rural minier correspond donc une féminisation des activités agricoles et d’élevage ». La masculinisation du travail salarié renvoie au fait que les postes de travail temporaires et rotatifs[15] négociés avec l’entreprise minière dans le cadre du Convenio Marco sont systématiquement accordés à des hommes, car considérés comme les « chefs de famille ». Or, en leur absence, les femmes doivent assurer la totalité des tâches qu’ils assumaient auparavant, en plus des leurs. Cette augmentation de la charge de travail dont elles ont la responsabilité s’est d’ailleurs normalisée. Ainsi, plusieurs femmes interrogées soulignent qu’elles continuent à s’occuper de tout, même lorsque ce n’est pas « le tour » de leur mari de travailler, ou qu’ils sont en recherche d’emploi – donc désœuvrés. Cette responsabilité est ressentie comme un poids important : lors d’un entretien groupé, trois femmes expliquaient que « nous, les femmes, nous sommes trop occupées pour être heureuses » ; ce que réaffirme Mme A, de la communauté d’Alto Huarca : « les femmes, nous n’avons le temps de rien, même pas une minute pour nous reposer ». C’est également leur travail reproductif (toutes les tâches liées au care, comme les soins apportés aux membres de la famille et aux animaux) qui s’alourdit. Les problèmes de santé des membres de la famille signifient une charge mentale et émotionnelle beaucoup plus lourde pour les femmes qui s’en occupent. Cette situation évoque ce que l’auteure féministe Sylvia Chant (2006) a désigné comme la « féminisation de la responsabilité et de l’obligation ». Par ailleurs, la « féminisation des activités agricoles et d’élevage » implique que c’est bien l’apport féminin à l’économie familiale, le travail productif des femmes en particulier, qui est touché par la pollution environnementale (Li, 2009). Il semblerait en outre que les programmes d’assistance sociale[16], qui octroient des revenus complémentaires aux familles pauvres et sont versés directement aux mères, ont tendance à être suspendus, ou leur accès est rendu difficile, « parce qu’Espinar est une région riche avec la mine », comme l’explique un représentant du Front de Défense des Intérêts d’Espinar. Les femmes n’auraient donc plus droit à ces aides. On voit donc que la quantité de travail à fournir pour les femmes s’accroît, rencontrant de plus grandes difficultés et de plus grands obstacles ; et qu’en même temps, leurs sources de revenus économiques (monétaires ou non) personnelles se réduisent.

Dans ce contexte, l’appauvrissement qui les touche spécifiquement en tant que femmes, la préoccupation croissante pour leur santé et l’augmentation de leur charge de travail (Soria Torres, 2017), se double d’une frustration à cause de l’accès limité à des services éducatifs et sanitaires décents pour leurs enfants en zone rurale (Cáceres et Rojas, 2013). Face à cette accumulation de facteurs, de nombreuses femmes cherchent à migrer coûte que coûte, le plus souvent vers Yauri (la capitale provinciale d’Espinar), à la recherche de moyens de subsistance qui puissent compenser la dégradation de leurs conditions de vie et les pertes économiques subies dans leurs communautés d’origine.

II. La migration locale : une opportunité pour la subsistance des femmes andines ?

          « Espinar a progressé avec l’activité minière : il y a beaucoup de bénéfices pour les uns aux dépens d’une plus grande vulnérabilité des autres. La ville en bénéficie, et c’est la campagne qui y perd. » Ces mots du psychologue de l’hôpital provincial d’Espinar font écho au vécu des femmes interrogées. Provenant des communautés rurales proches du projet minier, la plupart font des allers-retours vers Yauri (la capitale provinciale), à la recherche de nouvelles ressources économiques. Celles qui n’ont pas les moyens de migrer en expriment une grande frustration.

          A. Celles qui partent et celles qui restent : les moyens de la migration féminine et ses caractéristiques

L’inquiétude pour leur santé (« Je veux aller vivre autre part, il y a trop de pollution », confiait Mme T, de la communauté d’Alto Huancané) et la diminution drastique de leurs moyens de subsistance (« Mon plus grand souci, c’est que les récoltes ne sont plus rentables, ça n’est plus un soutien économique pour la famille », ajoutait Mme E, de la communauté de Bajo Huancané) poussent nombre de femmes à vouloir partir. Ainsi, dans la communauté de Huisa, trois d’entre elles déclaraient : « Nous vivons en campagne parce qu’on n’a pas le choix. On voudrait être en ville avec nos enfants qui étudient ! Mais ce n’est pas possible, parce qu’on n’a nulle part où vivre. Moi, je veux partir d’ici, ici il n’y a même pas d’eau ».

Il ressort des entretiens que la mobilité vers la zone urbaine, ou du moins l’aspiration à cette mobilité, est une réponse à cette situation largement partagée par les femmes interrogées, en recherche de conditions de vie plus décentes.

Or, la possibilité de migrer semble elle-même conditionnée par différents facteurs : entre autres, le fait de disposer d’un moyen de transport efficace pour aller et venir ; le fait d’avoir des membres de sa famille et/ou un logement à Yauri ; et l’âge, en relation au niveau d’instruction. Sans la prétention d’établir des catégories généralisables, quelques pistes de réflexion se dégagent néanmoins à partir du travail de terrain réalisé. 

Tout d’abord, à moins d’avoir un moyen de transport privé (une moto, notamment), les déplacements dans la province d’Espinar se font en transport public. Or, les revenus monétaires propres des femmes étant assez limités, payer le prix du trajet leur est souvent difficile. De cette manière, leurs déplacements vers la ville se voient alors très contraints, les plus marginalisées étant celles qui sont veuves ou mères célibataires d’enfants en bas âge. Dépendantes du temps, de la bonne volonté ou bien de l’apport financier d’un mari, d’un enfant ou d’un·e proche, c’est leur autonomie qui est affectée. C’est le cas de Madame M., de la communauté d’Alto Huancané, mère célibataire, qui raconte que ses enfants refusent de lui donner de l’argent pour le transport si elle « continue à aller en ville pour des réunions de son organisation ». La marge d’autonomie dont elle dispose pour organiser son temps et ses activités est fortement conditionnée. Le caractère crucial de l’accès aux moyens de transport est d’ailleurs bien mis en lumière par les tensions entre les communautés situées en amont du projet, qui bénéficient d’un transport gratuit mis à disposition par l’entreprise minière (car le projet se trouve entre leur territoire et Yauri, bloquant leur mode de passage habituel), et celles situées en aval, qui n’y ont pas accès.

Un deuxième facteur qui semble conditionner la capacité à échapper à la dégradation des conditions de vie dans leur communauté est la possession (ou la mise à disposition) d’un hébergement en zone urbaine. Par héritage, certaines familles possèdent une maison à, ou près de, Yauri, ou, à défaut, un membre de leur famille peut les héberger. Ces réseaux familiaux jouent un rôle clé dans la capacité à partir de la communauté. Encore une fois, les dédommagements versés par l’entreprise minière en échange des terres de la communauté peuvent être à l’origine du logement en zone urbaine. On comprend mieux, dès lors, l’ampleur des conflits autour du partage et de la redistribution des bénéfices octroyés par l’entreprise minière, donnant lieu à une forme de gouvernance par cet acteur privé qui a la capacité de distribuer des biens, services et droits à la place de l’État (Gustafsson, 2011), avec toute l’asymétrie de pouvoir que cela suppose.

Enfin, les chances de « réussite » de la transition d’une économie agraire et d’un style de vie rural à une vie en zone urbaine paraissent également conditionnées par l’âge et le niveau d’instruction. Les plus jeunes ayant été, en règle générale, à l’école plus longtemps que leurs mères, elles ont une familiarisation à l’espagnol plus importante et une plus grande aisance avec l’environnement urbain. Ce que souligne Mme F, 56 ans, originaire de la communauté d’Alto Huarca : « C’est difficile de mettre sur pied une auto-entreprise : si tu es jeune, entre 20 et 40 ans, les gens achètent tes produits. Personne ne veut acheter aux plus âgées. »

Pour celles qui « réussissent » à migrer, la possibilité de maximiser les opportunités et d’atténuer les inconvénients de chaque lieu de vie est plus large. On voit par exemple que nombreuses femmes vivent en zone urbaine (car l’éducation pour leurs enfants est meilleure) mais retournent régulièrement dans la communauté. Être fréquemment présentes leur permet, outre de s’occuper des quelques travaux agricoles encore possibles malgré la pollution, de ne pas perdre leur droit à leur terre. Un enjeu important est donc de partir sans pour autant perdre leur capital foncier - ce qui est mis en évidence par les déclarations de Mme A., qui veut partir de sa communauté mais pas sans être « compensée » par l’entreprise, c’est-à-dire être réinstallée ailleurs. Elle ajoute d’ailleurs que les personnes qui n’ont pas de terre dans la communauté sont les premières à être parties. La migration des femmes semble donc se caractériser par le fait de rester à une distance courte de la communauté et par des mouvements d’aller-retour réguliers, parfois dans la journée, entre la communauté d’origine et la zone urbaine – ce qui correspond au constat d’autres chercheur·es, qui montre que l’activité minière tend à favoriser la migration de courte durée et dans des zones proches (Bury, 2007). La mobilité des femmes interrogées (notamment les femmes d’âge moyen, mères de famille) se trouve donc plus réduite que celle de leurs maris. Dans le cadre de la reconfiguration de la division sexuelle du travail, elles sont souvent prioritairement chargées d’assurer la permanence du droit familial sur les terres dans la communauté, et doivent rester proches du lieu d’étude choisi pour les enfants. Au contraire, les maris ou conjoints s’absentent plus longtemps, et migrent plus loin, dans leur recherche de travail rémunéré.

Il est difficile d’établir un schéma stable des trajectoires migratoires. Comme d’autres auteurs l’ont rappelé, elles varient de façon importante, et se confondent avec d’autres tendances longues, rendant « difficile la compréhension des trajectoires individuelles, et donc la création de catégories fixes » (Hervé, 2013b : 77). Cependant, en analysant les informations relevées lors de cette étude de cas, on peut avancer quelques caractéristiques générales. Il semblerait que pour les femmes qui restent dans leur communauté, celles qui ont le moins de ressources économiques, familiales et culturelles, et qui n’ont pas reçu de capital de la part de l’entreprise minière, la difficulté à migrer équivaut à l’impossibilité d’atténuer un appauvrissement réel, monétaire et non-monétaire. Or, celles qui partent semblent rencontrer en zone urbaine une ‘nouvelle’ situation économique plutôt ambivalente : des opportunités, certes, mais aussi des limitations importantes et une forte précarisation de leur travail, ce que nous analyserons dans la partie suivante.

          B. Limitations et opportunités de la migration urbaine comme stratégie d’adaptation économique

Dans le cadre des entretiens semi-directifs réalisés sur le terrain, les réponses à la question posée : « est-ce mieux pour les femmes de vivre en ville ou en campagne ? » sont édifiantes, car parfois divergentes ou contradictoires en fonction du lieu de vie de la personne interrogée. Celles qui vivent de façon permanente dans les communautés expliquent qu’il vaut mieux vivre en ville, parce que, selon Mme F (communauté d’Alto Huarca) : « C’est triste de vivre en campagne ; mes animaux me font de la peine, il n’y a pas d’eau. Ceux qui vivent en ville ont l’air heureux, jeunes, sans problème ».

Mais la plupart des femmes vivant au moins la moitié du temps en ville disent - comme lors de cet entretien groupé dans la communauté de Bajo Huancané - qu’en campagne, « au moins il y a toujours à manger. En ville, sans argent, il n’y a pas de nourriture ». En effet, de nombreuses femmes affirment que la vie en zone urbaine crée de nouveaux besoins difficiles d’assouvir : « En ville, j’ai envie de quelque chose quand je le vois mais je ne peux pas l’acheter parce que je n’ai pas d’argent », explique Mme H., de Cala Cala. Facture d’eau et d’électricité, nourriture à acheter, frais divers ; avec de nouvelles dépenses, la situation économique des femmes qui ont migré en zone urbaine n’est pas forcément plus aisée, et la nostalgie de la vie en campagne affleure dans les discours.

Par ailleurs, le travail rémunéré auquel elles ont accès est, en général, plutôt précaire et exténuant. La plupart du temps, elles s’occupent au petit négoce et à la vente « ambulante », ou bien à la prestation de services ponctuels. Sur la place principale de Yauri, de nombreuses femmes vendent des bonbons, des cigarettes, quelques menues choses. Mme F. raconte que lorsqu’elle vend ses « produits artisanaux » (boucles d’oreilles, sacoches, gants) à Yauri ou Arequipa, elle peut passer 18 heures debout, de 10 à 1 heure du matin, sans faire de pause, et ce pour quelques centaines de soles par mois (un peu moins de cent euros). Mme P., quant à elle, travaille 12 heures par jour debout dans un restaurant qui sert les employés de l’entreprise minière. Malgré ses 65 ans, son fils handicapé dépend de ses revenus, et elle a perdu son terrain (et donc la possibilité de s’alimenter par l’auto-production) au moment de l’installation du projet minier. « C’est difficile de manger », dit-elle. D’autres proposent de laver la lessive de ses voisin·es en échange d’un « pourboire ».

Si cette transition de contexte économique implique des difficultés importantes, elle semble également être source d’une certaine autonomie, en particulier pour les femmes mariées, quand elles peuvent organiser le travail dans les champs à tour de rôle avec leur mari. Comme le rappelle Mme F., de la communauté d’Alto Huarca : « Les femmes doivent apprendre à chercher de l’argent en faisant du commerce, parce qu’ainsi ils [les hommes] ne nous contrôlent pas. Ils ne savent pas combien on gagne ou combien on perd ».

L’accès à des revenus propres, de par l’accès à la zone urbaine et au travail rémunéré, est donc un enjeu important qui permet aux femmes d’acquérir indépendance et autonomie dans un contexte qui reste chargé de violence de genre (Cuadros, 2011). Également, en termes de stratégie familiale de long terme, la résidence en zone urbaine permet aux femmes d’offrir à leurs enfants une meilleure éducation, leur ouvrant ainsi la voie à un éventail de choix pour leur vie plus large que ce qu’elles ont eu, selon les entretiens. Cet aspect, très présent dans le discours des femmes interrogées, reflète d’ailleurs la dimension maternaliste (Nagels, 2011 ; Grieco, 2016) de la position des femmes rurales au Pérou, et en particulier en contexte minier.

Ainsi, parmi les femmes des communautés adjacentes au projet minier qui vont et viennent régulièrement entre la communauté et la capitale provinciale, certaines vivent la migration urbaine comme une source d’autonomie (en particulier les femmes plutôt jeunes, mariées, parlant bien l’espagnol, ayant de bonnes relations avec leur famille), alors que d’autres restent malgré tout prisonnières d’une situation économique précaire où leur capacité à s’alimenter est une bataille de tous les jours. La marge de manœuvre que la migration peut offrir reste donc limitée par des facteurs tels que l’approfondissement des inégalités socio-économiques liées au contexte minier (Bos et Lavrard-Meyer, 2015 ; PDTG, 2013), les différences de classe ou les rapports sociaux de sexe - constants malgré la reconfiguration l’organisation socio-économique en cours dans ce contexte minier.

Conclusion

            Certains auteurs, comme Castillo et Brereton, ont argumenté que la migration féminine en contexte minier doit beaucoup à l’attraction (« pull ») de la zone urbaine pour une vie plus autonome, jouissant de nouvelles opportunités économiques, ce que permet le développement d’activités minières. Or, la présente analyse des mouvements migratoires des femmes des huit communautés d’Espinar directement affectées par l’activité minière, tend à nuancer cette conclusion. Certes, certaines femmes découvrent effectivement une marge d’autonomie, notamment économique, dans ce nouveau contexte. Cependant, dans le cas des communautés de la zone d’influence directe des méga-projets miniers, on peut difficilement affirmer que « le développement minier [...] a créé de nouvelles voies pour l’autonomie féminine » (Castillo et Brereton, 2018 – traduction propre). Tout d’abord, comme cela a été montré, toutes les femmes ne peuvent pas migrer – celles qui restent subissant exclusivement les effets négatifs de l’activité minière. Ensuite, pour celles qui peuvent migrer, la « réussite » de leur parcours (dans le sens où la migration leur permet effectivement d’obtenir de meilleures conditions de vie) semble également mitigée. En fonction de leurs ressources et de leur situation sociale, leur situation économique une fois en zone urbaine n’est pas toujours plus facile. Dans le cas des communautés directement affectées par l’activité minière, cette autonomie nouvelle semble être réservée à seules quelques femmes, et très relative à leur statut social.

S’il est évident que les facteurs de « push » et de « pull » ne sont pas complètement dissociables, l’analyse de cette migration en fonction de ces deux types de forces permet de mieux en appréhender les enjeux. Ici, on peut argumenter que ces femmes sont plus « poussées » à migrer qu’ « attirées » par des conditions de vie en ville incertaines : le plus important, c’est de quitter la communauté où la survie n’est plus assurée, coûte que coûte. En un sens, l’idée de contrainte à la migration est plus forte lorsqu’on fuit une situation intenable, que lorsqu’on en désire une encore meilleure. Étant plutôt « poussées » à partir par nécessité, la marge de liberté de décision (migrer ou ne pas migrer) semble être assez réduite pour les femmes. Dans une certaine mesure, alors, cette dynamique migratoire reflète ce que Poncelet (2010) décrit comme des formes de migrations forcées liées aux dégradations environnementales et climatiques.

Il est également important de souligner que la migration vers la zone urbaine n’est, naturellement, que l’une des stratégies - individuelles - mises en œuvre par ces femmes pour s’adapter à ce contexte. Celle-ci s’articule et se complète avec d’autres types de réponses. Pour ne donner qu’un exemple, nombre d’entre elles s’organisent dans leurs communautés pour exiger certains bénéfices en termes d’infrastructure, vis-à-vis de l’entreprise minière (canalisation d’eau, transports, projets de développement local, etc.) et des organismes d’État locaux (garanties de santé environnementale, protection des droits, etc.). D’autres s’organisent dans des associations comme celle des Défenseuses du Territoire et de la Culture K’ana, et développent un discours relativement plus critique de la présence de l’entreprise minière et de ses conséquences dans la province d’Espinar.

La mise en lumière, dans cet article, de la stratégie migratoire des femmes des communautés de la zone d’impact direct du projet minier, présente l’intérêt de poser la question de la réorganisation territoriale et économique depuis une perspective de genre, trop peu souvent intégrée à l’analyse des contextes miniers, et articulée avec la dimension de classe. Cette analyse exploratoire est donc une invitation à porter un intérêt spécifique à la catégorie de genre et aux stratégies d’adaptation mais aussi de résistance de femmes, qui cherchent à élargir leurs marges d’autonomie malgré un contexte qui semble se durcir.

 

Notes de fin

[1] On entend par “activité extractive” ou “extractivisme” toutes les activités industrielles qui visent à extraire de grandes quantités de matières premières et à les revendre sur le marché international sans transformation majeure (Gudynas, 2013).

[2] On assiste en ce sens à ce que Maristella Svampa (2016) a appelé « l’environnementalisation des luttes autochtones » : la grande majorité des mobilisations et contestations sociales dans les zones rurales d’Amérique Latine, majoritairement peuplées par des populations autochtones, sont d’ordre environnementales et territoriales, et relatives à un projet extractif.

[3] On entend par « genre » le principe de division et de hiérarchisation entre les sexes (Delphy, 1993) qui participe de la représentation des rapports entre les groupes sociaux en termes de masculin/féminin (Scott, 1988).

[4] Partie des impôts prélevés sur l’activité industrielle qui est directement reversée par l’État central à la région d’origine.

[5] Accord-cadre négocié entre la province d’Espinar et l’entreprise minière, qui porte en particulier sur les problématiques de santé, d’éducation, de développement agricole, et de protection de l’environnement.

[6] Dû aux contraintes de temps imposées, un échantillon a été établi en mettant l’accent sur la diversité des profils : cinq femmes de chaque communauté, appartenant à différentes tranches d’âge, dont le statut marital varie (mariée, veuve, séparée), et ayant plus ou moins de lien économique avec l’activité minière (via le travail salarié propre ou d’un membre de la famille, notamment).

[7] Région s’étendant sur les provinces d’Espinar, Chumbivilcas (région de Cusco) et Cotabambas (région d’Apurimac), où se concentrent un grand nombre de projets miniers de très grande taille.

[8] Membres des communautés andines ; ici, des communautés dans lesquelles j’ai réalisé le travail de terrain mentionné.

[9] On entend par « stratégie d’adaptation » l’ensemble des actions entreprises par une personne ou un groupe afin d’assurer la permanence de ses moyens de subsistance (et ainsi de continuer à répondre à ses besoins) ; et, si possible, de maximiser ses profits dans une situation relativement nouvelle.

[10] On entend par « travail reproductif » tout ce qui a trait aux activités de reproduction de la vie : tâches liées à l’alimentation, à l’entretien du lieu de vie, aux soins apportés aux personnes dépendantes (enfants et personnes âgées), etc.

[11] La présence de mercure, plomb, arsenic dans le sang des personnes vivant proches des opérations minières a été confirmée dans une étude du CENOSPAS, l’Institut National de la Santé, en 2014 et un autre du Ministère de l’Environnement (MINAM) en 2013.

[12] Le projet minier Las Bambas dans la région d’Apurimac au Sud du Pérou, était classé en 2018 le plus grand projet d’extraction de cuivre d’Amérique du Sud. Il est situé à environ 250km au nord-ouest d’Espinar.

[13] Ce mécanisme social traditionnel, basé sur la solidarité et la confiance mutuelle, est encore très utilisé dans de nombreuses communautés paysannes pour échanger des services sans avoir recours à un transfert monétaire. Se référer par exemple aux travaux de Efrain Gonzales de Olarte (1984).

[14] Alors qu’auparavant, à Yauri (capitale provinciale d’Espinar) on échangeait des chuños (pomme de terre déshydratée, base de l’alimentation dans les hauts plateaux andins) contre des plats en terre cuite, il faut aujourd’hui les acheter.

[15] Dans le cadre des accords négociés avec l’entreprise minière, la création d’emplois salariés est prioritaire. Ainsi, un nombre fixe d’emplois est attribué à un représentant des familles locales d’« ayant-droits », sur la base de la rotation. L’extraction minière à ciel ouvert requérant très peu de main d’œuvre peu qualifiée, il y a donc moins de postes que de familles. Par ailleurs, ce travail tertiarisé et faiblement rémunéré permet à l’entreprise, en quelque sorte, d’acheter la paix sociale (Gustafsson, 2011) à moindre coût.

[16] C’est le cas du Programa Juntos, par exemple, qui octroie aux mères 100 nuevos soles par enfant de moins de 14 ans.

 

Bibliographie

Amnistía Internacional (2017). Estado tóxico. Violaciones al derecho a la salud de pueblos indígenas en Cuninico y Espinar. Londres : Amnesty International.

Bos Vincent et Lavrard-Meyer Cécile (2015). « “ Néo-extractivisme”minier et question sociale au Pérou ». Cahiers des Amériques latines, n°78 : 29-55. [URL : https://journals.openedition.org/cal/3501. Consulté le 18 mars 2019]

Bury Jerrey (2007). « Minería, migración y transformaciones en los medios de subsistencia en Cajamarca, Perú ». Dans, Bebbington, A. (Ed.) Minería, movimientos sociales y respuestas campesinas: Una ecología política de transformaciones territoriales. Lima : IEP : 261 – 307.

Cáceres Eduardo et Rojas Jaime (2013). Minería, Desarrollo y Gestión Municipal en Espinar. Lima : SER – Oxfam.

Castillo Gerardo et Brereton David (2018). « The country and the city: Mobility Dynamics in Mining Regions ». The Extractive Industries and Society, Vol. 5, n° 2, Mars:307-316. [URL : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214790X1730206X. Consulté le 18 mai 2019]

CENSOPAS/INS (2013). Determinación a Exposición de Metales Pesados en las comunidades de Huisa y Alto Huancané, en el distrito de Yauri Espinar, provincia de Espinar, región de Cusco. Lima : Instituto Nacional de Salud.

Chant Sylvia (2006). « Re-thinking the ‘‘Feminization of Poverty’’ in Relation to Aggregate Gender Indices ». Journal of Human Development, Vol. 7, n°2 : 201-220. [URL : http://eprints.lse.ac.uk/2869/1/Re-thinking_the_feminisation_of_poverty_(LSERO).pdf. Consulté le 18 mars 2019]

Cuadros Julia (2011). « Impactos de la minería en la vida de hombres y mujeres del sur andino. Los casos Las Bambas y Tintaya ». Dans, Mujer Rural: Cambios y Persistencias en América Latina. Lima : CEPES : 207-238.

De la Cadena Marisol (1992). « Las mujeres son más indias. Etnicidad y género en una comunidad de Cuzco ». Revista Isis Internacional n°16, : 25-45. Santiago de Chile : Ediciones de las Mujeres.

Delphy Christine (1993). « Rethinking sex and gender ». Women's Studies International Forum, Vol. 16, no 1 : 1-9. [URL : https://doi.org/10.1016/0277-5395(93)90076-L. Consulté le 18 mars 2019]

Falquet Jules (2011). « Ecoféminisme: naturalisme ou révolution ? ». Dans, Marcondes L. (coord.) Eau et féminismes. Petite histoire croisée de la domination des femmes et de la nature. Paris : La Dispute : 131-149.

Gonzales de Olarte Efraín (1984). Economía de la comunidad campesina. Lima : Instituto de Estudios Peruanos.

Grieco Kyra (2016). « Le « genre » du développement minier : maternalisme et extractivisme, entre complémentarité et contestation ». Cahiers des Amériques latines, n°82, Décembre : 95-111. [URL : https://journals.openedition.org/cal/4351. Consulté le 18 mai 2019]

Gudynas Eduardo (2012). « Desarrollo, extractivismo y postextractivismo ». Dans, Seminario Andino: Transiciones, postextractivismo y alternativas al extractivismo en los países andinos. Lima, 16, 17 et 18 mai, 2012 : 199 [URL : https://www.redge.org.pe/sites/default/files/DesarrolloExtractivismoPostExtractivismo-EGudynas.pdf. Consulté le 18 mai 2019]  

Gustafsson Maria-These (2011). « Corporations as governors – Reconstitution of Social Citizenship in Peruvian Mining Regions ». Article présenté à la conférence ‘Governance, Democracy and Citizenship’, Southampton University, 25 et 26 octobre 2011.

Hervé Bruno (2013a). « De campesinos a micro-empresarios: transformaciones laborales y cambios sociales en una comunidad campesina del Perú ». Iluminuras, Porto Alegre, Vol. 14, n°33, Juillet/Décembre : 50-74 [URL : https://seer.ufrgs.br/iluminuras/article/view/42328. Consulté le 18 mai 2019]

---------------- (2013b). « En attendant d'être réinstallés : discours et conflit autour des enjeux du déplacement d'une communauté paysanne au Pérou ». Autrepart. Revue de Sciences Sociales au Sud, Vol. 64, n°1 : 71-88. Paris : Presse de Sciences Po.

Himley Matthew (2011). « El género y la edad frente a las reconfiguraciones en los medios de subsistencia originadas por la minería en Perú ». Apuntes. Revista de Ciencias Sociales, Vol. 38, n° 68 : 7-35. Lima : Centro de Investigación de la Universidad del Pacífico.

Jenkins Katy (2014). « Women, mining and development: An emerging research agenda ». The Extractive Industries and Society, Vol.1, n°2, Novembre : 329-339. [URL : https://www.sciencedirect.com/journal/the-extractive-industries-and-society/vol/1. Consulté le 18 mai 2019]

Kergoat Danièle (2000). « Division sexuelle du travail et rapport sociaux de sexe ». Dans, Hirata H. et al. (dir.). Dictionnaire critique du féminisme. Paris : Presse universitaire de France : 39.

Lahiri-Dutt Kuntala (2012). « Digging women: towards a new agenda for feminist critiques of mining ». Gender, Place and Culture, Vol.19, n°2, Avril : 193-212 [URL : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0966369X.2011.572433?scroll=top&needAccess=true. Consulté le 18 mai 2019]

Li Fabiana (2009). « Negotiating livelihoods. Women, Mining and Water Resources in Peru ». Canadian Women Studies, Vol. 27 n°1 : 97-102. [URL : https://cws.journals.yorku.ca/index.php/cws/article/view/23148. Consulté le 18 mai 2019]

McDonald Ingrid (2002). « Introduction : women’s rights undermined ». Dans, McDonald I. et Rowland C. (Eds.) Tunnel vision. Women, Mining and Communities. Victoria : Oxfam Community Aid Abroad : 4-7.

MINAM (Ministerio del Ambiente) - Mesa de Diálogo Espinar, Sub Grupo de Medio Ambiente (2013). Informe Final Integrado de Monitoreo Sanitario Ambiental Participativo de la Provincia de Espinar. Lima : Ministerio del Ambiente. [URL : http://www.minam.gob.pe/espinar/wp-content/uploads/sites/14/2013/10/Informe_aprobado.pdf. Consulté le 18 mai 2019]

Municipalidad Provincial de Espinar (2010). Plan Estratégico de Desarrollo Concertado de la provincia de Espinar al 2017. Espinar : Municipalidad Provincial de Espinar. [URL : https://fr.scribd.com/document/360512645/Plan-de-Desarrollo-Concertado-Espinar-al-2017-pdf. Consulté le 18 mai 2019]

Nagels Nora (2011). « Les représentations des rapports sociaux de sexe au sein des politiques de lutte contre la pauvreté au Pérou ». Recherches féministes, Vol.24, n°2 : 115–134. Québec : Université de Laval.

OXFAM Australia (2009). Women, communities and mining: The gender impacts of mining and the role of gender impact assessment. Victoria : Oxfam Australia. [URL : https://oxfamilibrary.openrepository.com/bitstream/handle/10546/293093/ml-women-communities-mining-011209-en.pdf;jsessionid=EE671F334CAD50D08BDC3D67949B0B76?sequence=1. Consulté le 18 mai 2019]

PDTG (Programa Democracia y Transformación Global) et Maquet Paul (2013). Mitos y realidades de la minería en el Perú: Guía para desmontar el imaginario extractivista. Lima : PDTG. [URL : http://democraciaglobal.org/wp-content/uploads/Mitos-pdf.pdf. Consulté le 18 mai 2019]

Poncelet Alice (2010). « Bangladesh, un pays fait de catastrophes. La vulnérabilité environnementale et la migration forcée ». Hommes & migrations, n°1284 : 16-27. [URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/1235. Consulté le 18 mai 2019]

Pinto Herrera Horacio (2014). « Contaminación ambiental en Tintaya ». Investigaciones sociales, Vol.18, n°33 : 201-216. Lima : Universidad Nacional Mayor de San Marco.

Scott Joan (1988). « Genre : Une catégorie utile d’analyse historique ». Les Cahiers du GRIF n°37, Vol. 1 : 125 - 153.

Soria Torres Laura Mercedes (2017). Liderazgos femeninos en contextos mineros. Caso Tintaya en Espinar, Cusco. Lima : Universidad Nacional Mayor de San Marcos.  

Svampa Maristella (2016). Debates latinoamericanos. Indianismo, desarrollo, dependencia y populismo. Cochabamba : Centro de Documentacion e Información – Edhasa.

 

Pour citer cet article

Caroline Weill « Migrer vers la ville : quelle ouverture pour les femmes andines en contexte minier ? », RITA [en ligne], n°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019 . Disponible en ligne: http://revue-rita.com/trat-d-union-12/migrer-vers-la-ville-quelle-ouverture-pour-les-femmes-andines-en-contexte-minier-caroline-weill.html

Sous-catégories

Edito n°12

 

          Il est de coutume de dire que le hasard fait bien les choses et c’est peut dire, donc, qu’au moment de rédiger cet édito, la victoire des Etasuniennes à la coupe de monde de football féminin tombe à pic. Certes, qui connaît ne serait-ce qu’un tout petit peu le ballon aurait pu pronostiquer sans trop de risque qu’Alex Morgan et ses coéquipières était (presque) assurées de l’emporter. De là à écrire que nous aurions pu rédiger le présent texte il y a six ou huit mois aurait été exagéré tant la production du dossier « Femmes des Amériques » a été aussi exigeante que passionnante.

Elle a été exigeante en raison d’un travail de sélection rendu plus difficile qu’à l’accoutumée à cause, ou plutôt grâce au nombre record de propositions que nous avons reçues, preuve s’il en fallait que cette thématique devait être abordée. Il est vrai que plusieurs articles publiés dans certains des anciens numéros de RITA avaient déjà permis d’ouvrir des réflexions sur la question des femmes dans les Amériques. Toutefois, il nous semblait que le temps était venu de consacrer un numéro entier à cette thématique. S’il fallait remonter dans le temps et dans les mémoires, cette envie d’un dossier consacré aux femmes trouve sans doute son origine lors de la préparation du numéro 8 sur les « Icônes Américaines ». Alors que Jean-Marie Théodat, dans l’entretien qu’il nous avait accordé, avait déploré « l’absence des femmes de la vie politique et le confinement de leurs talents à la scène artistique ou la sphère privée », nous nous étions fixés l’objectif de produire un numéro sur les « Femmes des Amériques », afin de stimuler un débat qui serait porté, comme c’est toujours le cas au sein de RITA, par des chercheurs de différentes générations.

Elle a également été passionnante parce qu’elle a permis à RITA et à son équipe d’exprimer son engagement en consacrant un dossier entier à celles qui, du Nunavut à la Terre de Feu, souffrent encore, en 2019, de toutes sortes de violences et de discriminations. Ainsi, la référence, au début de ce texte, à la victoire des étasuniennes à la coupe du monde de football ne relevait pas uniquement du hasard (ou de l’opportunisme). Après avoir consacré l’édito du numéro 11 de RITA sur le « Pouvoir des médias » aux footballeurs américains, il semblait opportun de parler de la même façon des footballeuses américaines et de donner un coup de projecteur sur une compétition qui aura permis de révéler des sportives de grand talent, mais surtout des femmes charismatiques. Alors que le droit à l’avortement est vigoureusement remis en question aux États-Unis, comme en Alabama où il a récemment été supprimé, il ne pouvait être autrement que de faire référence dans ces lignes aux prises de position publiques de la joueuse Megan Rapinoe qui s’est exprimée en faveur des droits des femmes, de la communauté LGBTQI et des minorités ethniques. Ainsi, la co-capitaine étasunienne a permis de contredire (en partie) Eduardo Galeano, en montrant que le football n’était pas seulement devenu un « spectacle »[1] (Galeano, 2014 [1995]) mais qu’il était, aujourd’hui, propice à la diffusion de messages humanistes et politisés portées par des femmes. Il ne pouvait être autrement, non plus, que de rappeler que la pensée d’extrême droite n’a pas complètement triomphé au Brésil puisque, cette année, l’Estação Primeira de Mangueira a remporté le concours des écoles de samba lors du Carnaval de Rio, en rendant hommage à la députée Marielle Franco, militante des droits Humains assassinée à Rio de Janeiro le 14 mars 2018. Au-delà de l’allégresse qu’il a produite, cet évènement a rappelé que lorsque la violence politique est manifeste, l’art subsiste pour faire vivre les figures emblématiques, et notamment celles qui se battent pour plus d’égalité entre femmes et hommes. RITA est une jeune revue, mais elle a voulu contribuer à ce que dans le champ scientifique, des travaux pluridisciplinaires soient consacrés aux « Femmes des Amériques ». C’est désormais chose faite, dans la partie Théma de ce 12e numéro.

Dans la rubrique Dossier, plusieurs auteurs interrogent sous divers points de vues – géographique, temporel, disciplinaire et méthodologique – l’actualité des femmes dans les Amériques. Ainsi, Salian Sylla étudie les reconfigurations politiques des États-Unis sous Donal Trump depuis l’analyse historique, sur la longue durée, des luttes sociales et des débats féministes, au XXe siècle, autour du projet d’amendement inscrivant l’égalité femmes-hommes dans la Constitution étatsunienne sous le nom d’Equal Rights Amendment. L’industrie cinématographique nord-américaine a été choisie par Alexander Maria Leroy pour présenter, à travers les héroïnes des studios Disney, la fabrique de code relatifs à la désirabilité féminine auprès d’un public juvénile. La littérature est également mise à contribution dans ce dossier thématique. Depuis la lecture de polars, Nicolas Balutet s’interroge sur l’inaction de l’État mexicain face aux féminicides sexuels perpétrés à Ciudad Juárez, conséquences de tournages de snuff movies, de trafic d’organes et de rites sataniques. Les questions de genre et de discrimination sont abordées, entre autres, dans l’article commun de Claire Laurant et de Margarita Avilés Flores qui questionnent le rôle d’accompagnement des sages-femmes traditionnelles mexicaines dans l’exercice thérapeutique laissé vacant par les institutions de santé publique. Le dossier thématique offre également l’opportunité de s’interroger sur les actrices féminines dans les Amériques contemporaines. Ainsi, Carla Zibecchi s’attèle à déconstruire le rôle joué par des femmes argentines dans les programmes sociaux étatiques de luttes contre la pauvreté des années 2000 et l’émergence, parmi elles, de médiatrices privilégiées entre des populations dites « assistées » et les représentations locales de l’État. De la même façon, Andrea Bravo et Ivette Vallejo analysent les actions collectives de résistances menées par des leaderships féminins « autochtones » contre l’exploitation de leur territoire amazoniens par l’État équatorien et les entreprises transnationales au cours du XXIe siècle.

La rubrique Trait d’union fait également échos aux actrices féminines et à leurs capacités d’action et d’organisation face à toutes formes d’exploitation et de discrimination. Caroline Weill nous propose un regard genré sur les résistances communautaires contre un projet minier dans la province d’Espinar au Pérou. De son côté, Sofia Dagna expose, à partir de son enquête de terrain doctoral, le processus de formation de militantes sociales autochtones depuis des ateliers de sanación – guérison collective d’origine préhispanique - proposés aux victimes de violences par le Mouvement des femmes indigènes Tz’ununija (MMITZ).

Pour clore ce dossier, Cléa Fortuné et Guillaume Duarte, tous deux membres du Comité de rédaction de RITA, se sont entretenus avec la chercheure de l’université de Tours, Anna Perraudin, dans le cadre de la rubrique Rencontre. Passant d’enquêtrice à enquêtée, elle revient sur son parcours de chercheure dans la ville de Mexico, ses recherches sur les flux migratoires et nous offre une lecture approfondie des migrations féminines entre le Mexique et les États-Unis tout en déconstruisant le processus de fabrique de relations entre l’enquêtrice et ses enquêtés et l’organisation de terrains de recherche transnationaux.

Comme elle l’a fait pour ses précédents numéros, RITA propose pour son douzième opus une section Champ Libre rassemblant plusieurs articles aux formes et aux sujets multiples.

Dans la rubrique Note de recherche, Nathan Gomes, formé à l’histoire de l’Art, interroge la figure de Maria Quitéria de Jésus, héroïne bahianaise de l’indépendance brésilienne, et à travers elle, la représentation féminine dans les peintures militaires des XIXe et XXe siècles. Poursuivant dans l’analyse des représentations du héros dans les Amériques, Lorena Lopes da Costa s’attarde sur les survivances de l’héroïsme épique décrite par Homère dans l’Iliade et l’Odyssée dans l’œuvre contemporaine du romancier brésilien João Guimarães Rosa.

De son côté, Etienne Sauthier, membre du Comité de rédaction de RITA, propose un Résumé de l’ouvrage de l’historienne Maud Chirio, intitulé La politique en uniforme, l’expérience brésilienne (1960-1980), paru en 2016, à même de comprendre la persistance du sentiment anticommuniste véhiculé par l’actuel président de la république, Jair Bolsonaro, et hérité de la dictature militaire (1964-1985). Sa lecture apparaît utile pour comprendre l’histoire contemporaine du Brésil ainsi que les causes de la résurgence récente de la pensée réactionnaire dans le plus grand pays latino-américain.  

Enfin, dans la rubrique Regards, Cléa Fortuné propose une réflexion intéressante sur les effets paradoxaux de la politique de sécurisation de la frontière États-Unis/Mexique conduite actuellement par Donald Trump. Elle montre en effet que la stratégie de criminalisation des migrants aboutit à la création de nouveaux problèmes de sécurité dans une région qui, historiquement, est marquée par des échanges transfrontaliers multiples. Elle offre ainsi une analyse critique permettant de mettre en déroute l’approche sécuritaire du contrôle des frontières à l’heure où, dans les Amériques comme dans le reste du monde, les tensions aux frontières semblent on ne peut plus vives.      

En guise de conclusion, nous souhaitons remercier chaleureusement les auteur.e.s et les lecteur·rice·s de ce douzième numéro que nous sommes particulièrement fiers de vous présenter et de vous proposer. Bonne lecture à toutes et à tous.

 

Nasser REBAÏ et Guillaume DUARTE, membres du Comité de Rédaction de RITA.

 

[1] Galeano Eduardo (1995). Football, ombre et lumière. Trad. de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu (2014). Montréal : Lux Éditeur.