Migrer vers la ville: Quelle ouverture pour les femmes andines en contexte minier ?
Migrar hacia la ciudad: Qué posibilidades para las mujeres andinas en contexto minero?
Résumé
Les conséquences du projet minier à ciel ouvert Tintaya-Antapaccay se font lourdement sentir dans les communautés avoisinantes de la province d’Espinar (Cusco – Pérou). Le constat d’une dégradation de l’environnement ainsi que de la pollution de l’air et de l’eau est transversal et constitue une dégradation de leurs moyens de production. Or, du fait d’une division sexuelle du travail partiellement reconfigurée par le contexte minier, ces conséquences impactent différemment les hommes et (plus spécifiquement) les femmes. Face au constat d’une situation sanitaire et économique sous forte tension, les femmes cherchent à migrer pour pallier la perte de leurs moyens de subsistance. L’efficacité de cette stratégie d’adaptation, cependant, s’avère être dépendante de la position sociale des femmes en question.
Mots clés : Activité minière ; Femmes ; Migration ; Andes péruviennes.
Resumen
Los impactos del proyecto minero a tajo abierto Tintaya-Antapaccay son importantes en las comunidades aledañas de la provincia de Espinar (Cusco - Peru). La afectación ambiental, como la contaminación del aire y del agua, es un problema generalizado para esas comunidades, y representa una pérdida de sus medios de sobrevivencia. A raíz de una parcial reconfiguración de la division sexual del trabajo en este contexto minero, las consecuencias impactan diferentemente a los hombres y (más específicamente) las mujeres. Frente a una situación sanitaria y económica muy difícil, las mujeres buscan migrar para compensar la pérdida de sus medios de sobrevivencia. La eficiencia de esta estrategia de adaptación, sin embargo, parece depender en gran parte de la posición social de dichas mujeres.
Palabras claves : Actividad minera ; Mujeres ; Migración ; Andes peruanos.
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Caroline Weill
Master en Sciences Politiques
IEP de Strasbourg
Migrer vers la ville: Quelle ouverture pour les femmes andines en contexte minier ?
Introduction
Au Pérou comme dans le reste de la région latino-américaine, de plus en plus de personnalités féminines deviennent le symbole des mouvements de contestation qui secouent le continent contre des projets extractifs[1] depuis quelques dizaines d’années[2]. De Maxima Acuña à Cajamarca (nord andin péruvien) à Berta Cáceres au Honduras, ces femmes militantes suscitent une question relativement nouvelle, tant pour les mouvements sociaux que pour la recherche. Il s’agit de penser l’articulation entre la catégorie d’analyse du genre[3] et la compréhension des changements induits par des activités industrielles à grande échelle, qui représentent un secteur clé de l’économie péruvienne (Bos et Lavrard-Meyer, 2015). Cet article a pour objectif de contribuer à ce champ de recherche en se penchant sur un cas d’étude : celui de femmes vivant dans les communautés adjacentes aux projets miniers Tintaya et Antapaccay, dans la province d’Espinar, au sud des Andes péruviennes. En particulier, nous nous intéresserons ici à l’une des stratégies auxquelles elles ont recours pour faire face à un contexte social, environnemental et économique fortement dégradé, qui est la possibilité de migrer vers les zones urbaines.
Située à presque 3 928 m d’altitude, Espinar fait partie des « provinces hautes » de la région de Cusco. À cette élévation, l’agriculture, qui reste l’activité économique principale de plus de la moitié des habitant·es de la province, est peu productive. L’élevage de bétail et la production de céréales et de tubercules peinent à dépasser l’autoproduction. Les habitant·es d’Espinar ont pour langue maternelle le Quechua, et en 2009, presque les deux tiers de la population vivaient sous le seuil de pauvreté (Municipalidad Provincial de Espinar, 2010).
Aujourd’hui, la province d’Espinar est connue pour être une région minière : la présence de l’activité minière à grande échelle y date de la fin des années 1980. D’abord propriété d’une entreprise publique, puis privatisé dans les années 1990, le méga-projet minier à ciel ouvert Tintaya, aujourd’hui en phase de clôture, s’est étendu avec le nouveau site d’exploitation de cuivre Antapaccay, aux mains de l’entreprise anglo-suisse Glencore. Grâce au Canon Minero[4], la province d’Espinar a reçu 89 millions de nuevos soles (soit près de 23,21 millions d’euros) et 9 millions de soles (soit 2,35 millions d’euros) via le Convenio Marco[5] signé en 2007. Cette activité s’est donc consolidée au fil du temps comme une ressource financière importante, aiguisant les appétits locaux et se positionnant comme un enjeu de premier ordre pour l’économie nationale (Bos et Lavrard-Meyer, 2015). Cependant, ses conséquences négatives, en particulier sur l’environnement, sont sources de conflits réguliers dans la région (Cuadros, 2011). En effet, l’extraction minière à ciel ouvert se caractérise par la grande quantité d’eau nécessaire à ses opérations. Pour extraire le minerai disséminé dans la roche, il faut d’abord la moudre, puis la mélanger à des eaux contenant certains produits chimiques. Une fois le minerai extrait, la boue toxique est stockée dans ce qui est communément appelé des relaveras, ou botaderos, lieu d’entrepôt de ces résidus miniers. À Espinar, ces déchets sont déversés à l’endroit même où la roche a été extraite, laissant une fosse de plusieurs centaines de mètres de long, aux abords de laquelle vivent plusieurs communautés.
J’ai réalisé un travail de terrain dans huit de ces communautés entre janvier et mars 2017 au cours de trois séjours (l’un exploratoire de quatre jours, l’autre de trois semaines et le dernier d’une semaine) : Cala Cala, Alto Huarca, Huarca, Alto Huancané, Bajo Huancané, Huisa, Huisa Ccollana, et Tintaya Marquiri, désignées comme faisant partie de la « zone d’influence directe » du projet Antapaccay. Certaines se situent en amont du projet (celui-ci se situant donc entre la communauté et la capitale provinciale, Yauri), et d’autres en aval. Les arguments apportés par cet article se basent sur trois types de sources. La première correspond à des entretiens : 30 entretiens semi-directifs (individuels ou en groupe de trois) réalisés avec 40 femmes de ces huit communautés[6] et 18 entretiens avec des travailleur·ses de différentes institutions (personnel de l’hôpital provincial, fonctionnaires de programmes sociaux, représentant·es d’organisations sociales provinciales, etc.). La deuxième concerne les sources publiées : des documents institutionnels de l’État ou des entreprises privées, ainsi que la production bibliographique (scientifique ou issue de la société civile) relatives à Espinar ou aux provinces limitrophes partageant des caractéristiques similaires, ce qui a permis de compléter ou de confronter l’information disponible. Enfin, l’observation effectuée lors de voyages réguliers dans le Corredor Minero[7] au cours des années 2014 à 2017 éclaire l’analyse exposée dans cet article. Ainsi, bien que les conclusions ici présentées ne soient pas forcément généralisables, cette analyse à partir d’une ethnographie exploratoire suggère des pistes de compréhension autour de l’évolution des rapports sociaux, et en particulier des rapports sociaux de genre, dans les communautés les plus impactées par des méga projets miniers.
Le cas d’étude présenté ici s’inscrit dans le cadre de la littérature croissante qui documente, d’une part, les conséquences environnementales (et donc économiques, pour ces familles de petit·es agriculteur·rices) négatives des projets miniers sur les communautés avoisinantes (Pinto Herrera, 2014 ; Gudynas, 2012 ; Amnistía Internacional, 2017) ; et d’autre part, la différentiation de ces conséquences en termes de genre. En effet, « le genre et l’âge sont des facteurs qui influent sur la manière dont les communautés adjacentes vivent les effets de l’activité minière à grande échelle » (Himley, 2011 : 30 – traduction propre). De nombreux·ses chercheur·es ont insisté sur l’impact spécifique de l’activité minière sur les femmes (Cuadros, 2011 ; Li, 2009 ; McDonald, 2012 ; Himley, 2011 ; Oxfam, 2009), considérablement plus négatif que sur les hommes (Jenkins, 2014). Cependant, la plupart de ces études semblent se limiter à décrire ce phénomène, sans nécessairement analyser la marge d’agentivité des femmes, c’est-à-dire leur capacité à exercer un certain contrôle sur leur propre parcours de vie, afin d’atténuer la détérioration de leurs conditions de vie. Or, comme l’indique Katy Jenkins (2014) pour le cas de la petite extraction minière artisanale, il est important de souligner la résilience et la ténacité des femmes dans leur relation à l’activité minière, et ainsi éviter l’écueil de les présenter comme simples « victimes » d’une activité extractive à grande échelle (Lahiri-Dutt, 2012). Dans le cas qui nous intéresse, nous étudierons l’une des différentes stratégies qu’elles mettent en œuvre pour pallier la dégradation de leur environnement (et, par conséquent, de leurs finances) et tirer des bénéfices de l’apport financier que la présence du projet minier dans la région permet : la migration vers la capitale provinciale Yauri, c’est-à-dire vers une zone urbaine.
Dans cet article, il s’agira de montrer que la migration, activité principalement masculine jusqu’il y a peu (De la Cadena, 1992), se développe en tant que stratégie féminine pour amortir et compenser, bon gré mal gré, l’impact négatif de l’activité minière dans les communautés de la zone d’influence directe des projets Tintaya et Antapaccay. Dans un premier temps, je décrirai les transformations environnementales et économiques constatées par les comuneros et comuneras[8] interrogé·es, ainsi que leur dimension genrée dans ce contexte précis. Puis, dans un deuxième temps, j’explorerai quelques tendances et conséquences de la migration de ces femmes entre les communautés et la zone urbaine, en tant que stratégie d’adaptation[9] à ces transformations. Cette question sera abordée à partir de deux questions, qui peut effectivement migrer, et est-ce que cette migration est efficace pour compenser la perte de leurs moyens de survie.
Ce faisant, il n’est pas possible de faire l’impasse sur les catégories de genre et de classe et sur leur imbrication. L’analyse de la division sexuelle du travail, entendue comme la répartition et la hiérarchisation des activités de production et de reproduction[10] entre les sexes, et l’assignation à des rôles et fonctions sociales différentes entre hommes et femmes (Kergoat, 2004), dans le contexte des profonds changements socio-économique des communautés andines en contexte minier (Hervé, 2013a), peut aussi se révéler particulièrement pertinente pour comprendre la différentiation des impacts des projets miniers en termes de genre. Par ailleurs, cette catégorie permet d’éclairer la façon dont se configure le phénomène relativement nouveau de la migration des femmes entre les communautés adjacentes à un méga-projet minier et la zone urbaine.
Par ailleurs, « les femmes » ne sont pas une catégorie homogène, loin s’en faut – même au sein de quelques communautés andines proches, les stratifications sociales se font sentir. Ainsi, comme on le verra, la possibilité, pour les femmes de communautés étudiées, de migrer pour amortir les conséquences négatives de l’activité minière est conditionnée par l’accès à certaines ressources (capital, réseau familial, niveau d’étude), tout comme l’est la « réussite » (dans la perspective de trouver de meilleurs moyens de subsistance) de leur processus migratoire.
Enfin, Castillo et Bretreton (2018) rappellent que la migration n’est pas une dynamique spécifique aux contextes miniers, mais relève d’une stratégie de maximisation des opportunités et d’atténuation des risques plus ancienne. Ils proposent également de comprendre les migrations comme une tension entre « push » et « pull », entre ce qui les « pousse » à partir et ce qui les « attire » ailleurs. Ce cadre d’analyse permettra de comprendre la dégradation des conditions de vie des femmes interrogées comme une contrainte à partir, indissociable en même temps d’autres aspirations - notamment, celle de donner une meilleure éducation à leurs enfants, voire d’accéder à une certaine marge d’autonomie vis-à-vis du conjoint ou du mari.
I. La dimension genrée des conséquences socio-environnementales de l’activité minière aux abords des projets Tintaya et Antapaccay
A. Les conséquences environnementales sur les communautés andines et leur économie familiale
La présence du méga-projet minier et ses conséquences semblent être au cœur des préoccupations des personnes interrogées. Le constat d’une dégradation des conditions environnementales est présent dans la totalité des entretiens réalisés, ainsi que dans différents rapports et études sur le sujet (MINAM, 2013 ; Pinto Herrera, 2014 ; Amnistía Internacional, 2017). Les habitant·es d’Espinar affirment que la pollution de l’eau et de l’air est causée par l’activité minière. Si cette relation de cause à effet n’a pas été établie officiellement, elle fait cependant écho à de nombreuses recherches et au travail des mouvements sociaux à différents endroits du Pérou, d’Amérique Latine et d’ailleurs, qui documentent et dénoncent les effets socio-environnementaux négatifs des activités extractives (Pinto Herrera, 2014 ; Bos et Lavrard-Meyer, 2015 ; Gudynas, 2012 ; McDonald, 2002).
Dans les communautés se situant en amont du projet minier, comme celles de Alto Huarca et Cala Cala, c’est la présence de « fumée jaune/verdâtre », avec « une forte odeur de fer rouillé » et qui « pique les yeux », qui est signalée. Le refus du bétail de manger l’herbe dans les pâturages couverts de poussière, que soulèvent les nombreux véhicules lourds allant et venant du site d’extraction, semble également causer des inquiétudes. En aval, dans des communautés comme Alto Huancané, Bajo Huancané ou Huisa, c’est la proximité avec la relavera, la fosse d’entrepôt des résidus miniers, qui est le centre des préoccupations. Dénonçant des « fuites » dans la fosse, ou bien des « ruissellements », plusieurs femmes interrogées expliquent ne plus pouvoir consommer une eau qui leur causerait des maux d’estomac insupportables, chose inconnue avant la présence du projet minier. Elles rapportent également sentir des brûlures immédiates si elles s’y baignent. Leurs animaux meurent s’ils s’y abreuvent et une odeur insupportable se dégage de leur carcasse, au point que, comme soulignent les habitant·e·s, « même les chiens ne veulent pas y toucher ». Également, les plantes deviennent noires et pourrissent. La dénonciation de la pollution de l’eau et de l’air par les déchets toxiques entreposés est régulièrement illustrée par des images d’animaux souffrant de malformation et d’enfants né·es handicapé·es aux abords des sites d’exploitation. Des problèmes de santé liée à l’environnement (présence de métaux lourds dans le sang de la population) ont d’ailleurs été reconnus par l’État péruvien[11], mais leur cause (naturelle ou induite par l’activité minière) n’a pas été établie par ces enquêtes officielles.
La quantité d’eau disponible est en revanche un problème soulevé dans toutes les communautés. Les activités minières nécessitant énormément d’eau, certaines sources se seraient asséchées au fil du temps ; et l’approvisionnement d’eau entubada (par canalisations) fournie par l’entreprise minière, en compensation de celle qu’elle utilise, n’est pas suffisante. Selon Mme V., de la communauté de Bajo Huancané :
L’eau arrive par canalisation, il n’y en a pas assez [...] Un jour et une nuit, on remplit à peine le puits, et après plus rien [n’arrive] pendant 15 jours. On demande à ce qu’il y ait un élargissement. Ça n’est pas suffisant, juste assez pour boire, mais pas pour laver ou cuisiner.
En outre, le manque d’information considérée fiable (car indépendante de l’entreprise minière elle-même) au sujet de la qualité de l’eau fournie par les canalisations est une source d’anxiété importante pour les personnes interrogées.
Dans ces communautés qui vivent principalement de l’agriculture et de l’élevage de bétail, une dégradation environnementale signifie deux choses. D’une part, c’est une perte d’autonomie alimentaire, et de l’autre, une perte de capital, ce que souligne une comunera d’Alto Huancané : « Avant il y avait suffisamment pour se nourrir et pour vendre. Aujourd’hui, on n’arrive même plus à manger ». La diminution sévère de la production agricole affecte donc la capacité d’auto-production, et a fortiori de vente des surplus de production, seules sources de revenus monétaires pour beaucoup de familles paysannes. Par ailleurs, du fait de la « réputation » d’Espinar de province minière et polluée, beaucoup de femmes qui vendent leurs produits sur les marchés racontent avoir de plus en plus de difficulté à ce faire, car les client·es auraient peur d’acheter des « fromages aux métaux lourds ». Or, en parallèle, une caractéristique de nombreuses régions minières est l’augmentation du coût de la vie (PDTG, 2013). L’exemple le plus spectaculaire est probablement celui de Challhuahuacho, district situé à environ 200 km d’Espinar, où le lancement du projet minier Las Bambas en 2009[12] s’est accompagné d’une augmentation de 500 % du prix de la restauration, de 700 % du prix des hôtels, et ce en quelques années, selon les comuneros et comuneras. À Espinar, l’augmentation du coût de vie est fortement ressentie par toutes les femmes interviewées. De plus, il ressort des différents entretiens que les mécanismes d’entraide traditionnels (comme le troc ou la mink’a[13]) tendent à disparaître à mesure que les échanges de biens et services s’imposent de plus en plus contre une transaction monétaire[14]. Cette évolution (moins de production, plus grande difficulté à vendre, coût de vie en augmentation) met encore davantage sous tension la situation pour les communautés – en particulier pour celles et ceux qui n’ont pas du tout accès à d’autres sources de revenus. À Yauri, un fonctionnaire de l’hôpital public commente d’ailleurs que « la mine a bénéficié à certains, mais d’autres ont beaucoup perdu. Il y a beaucoup plus d’inégalités ».
B. La dimension genrée des conséquences environnementales à Espinar
L’accroissement de ces inégalités économiques, comme cela a été suggéré dans l’introduction, prennent une claire dimension de genre dans le contexte rural minier d’Espinar, où les femmes apparaissent comme particulièrement touchées par les conséquences négatives de l’activité minière.
D’une part, la division sexuelle du travail traditionnel semble conduire à une plus importante exposition du corps des femmes à la pollution de l’eau, en comparaison à celui des hommes. Habituellement, ce sont les femmes qui sont en charge de toutes les tâches domestiques qui impliquent un contact avec l’eau : cuisiner, laver, etc. (Falquet, 2011). Mais également, les femmes sont relativement moins mobiles que les hommes. Leur présence dans le territoire communal est en général plus constante, alors que les hommes sont souvent absents, pour un travail salarié temporaire ou autre, dans le cadre de migrations circulaires (De la Cadena, 1992 ; Cuadros, 2011). À Espinar, lors d’assemblées communautaires, il n’est pas rare d’observer une composition de plus de deux tiers de femmes dans l’assistance. D’ailleurs, de nombreuses femmes rencontrées expriment un sentiment de solitude et d’anxiété aiguë, parce que les autres membres de leur famille ont déjà migré par peur de la pollution ou par manque d’opportunité économique sur place, alors qu’elles y restent de manière plus permanente. C’est ainsi que la plupart des cas des maladies « étranges et nouvelles » qui m’ont été rapportées affectent en premier lieu des femmes.
D’autre part, on assiste à des reconfigurations partielles de la division sexuelle du travail dans le contexte minier. Comme le souligne Kyra Grieco (2016 : 97), « à une masculinisation du travail salarié en milieu rural minier correspond donc une féminisation des activités agricoles et d’élevage ». La masculinisation du travail salarié renvoie au fait que les postes de travail temporaires et rotatifs[15] négociés avec l’entreprise minière dans le cadre du Convenio Marco sont systématiquement accordés à des hommes, car considérés comme les « chefs de famille ». Or, en leur absence, les femmes doivent assurer la totalité des tâches qu’ils assumaient auparavant, en plus des leurs. Cette augmentation de la charge de travail dont elles ont la responsabilité s’est d’ailleurs normalisée. Ainsi, plusieurs femmes interrogées soulignent qu’elles continuent à s’occuper de tout, même lorsque ce n’est pas « le tour » de leur mari de travailler, ou qu’ils sont en recherche d’emploi – donc désœuvrés. Cette responsabilité est ressentie comme un poids important : lors d’un entretien groupé, trois femmes expliquaient que « nous, les femmes, nous sommes trop occupées pour être heureuses » ; ce que réaffirme Mme A, de la communauté d’Alto Huarca : « les femmes, nous n’avons le temps de rien, même pas une minute pour nous reposer ». C’est également leur travail reproductif (toutes les tâches liées au care, comme les soins apportés aux membres de la famille et aux animaux) qui s’alourdit. Les problèmes de santé des membres de la famille signifient une charge mentale et émotionnelle beaucoup plus lourde pour les femmes qui s’en occupent. Cette situation évoque ce que l’auteure féministe Sylvia Chant (2006) a désigné comme la « féminisation de la responsabilité et de l’obligation ». Par ailleurs, la « féminisation des activités agricoles et d’élevage » implique que c’est bien l’apport féminin à l’économie familiale, le travail productif des femmes en particulier, qui est touché par la pollution environnementale (Li, 2009). Il semblerait en outre que les programmes d’assistance sociale[16], qui octroient des revenus complémentaires aux familles pauvres et sont versés directement aux mères, ont tendance à être suspendus, ou leur accès est rendu difficile, « parce qu’Espinar est une région riche avec la mine », comme l’explique un représentant du Front de Défense des Intérêts d’Espinar. Les femmes n’auraient donc plus droit à ces aides. On voit donc que la quantité de travail à fournir pour les femmes s’accroît, rencontrant de plus grandes difficultés et de plus grands obstacles ; et qu’en même temps, leurs sources de revenus économiques (monétaires ou non) personnelles se réduisent.
Dans ce contexte, l’appauvrissement qui les touche spécifiquement en tant que femmes, la préoccupation croissante pour leur santé et l’augmentation de leur charge de travail (Soria Torres, 2017), se double d’une frustration à cause de l’accès limité à des services éducatifs et sanitaires décents pour leurs enfants en zone rurale (Cáceres et Rojas, 2013). Face à cette accumulation de facteurs, de nombreuses femmes cherchent à migrer coûte que coûte, le plus souvent vers Yauri (la capitale provinciale d’Espinar), à la recherche de moyens de subsistance qui puissent compenser la dégradation de leurs conditions de vie et les pertes économiques subies dans leurs communautés d’origine.
II. La migration locale : une opportunité pour la subsistance des femmes andines ?
« Espinar a progressé avec l’activité minière : il y a beaucoup de bénéfices pour les uns aux dépens d’une plus grande vulnérabilité des autres. La ville en bénéficie, et c’est la campagne qui y perd. » Ces mots du psychologue de l’hôpital provincial d’Espinar font écho au vécu des femmes interrogées. Provenant des communautés rurales proches du projet minier, la plupart font des allers-retours vers Yauri (la capitale provinciale), à la recherche de nouvelles ressources économiques. Celles qui n’ont pas les moyens de migrer en expriment une grande frustration.
A. Celles qui partent et celles qui restent : les moyens de la migration féminine et ses caractéristiques
L’inquiétude pour leur santé (« Je veux aller vivre autre part, il y a trop de pollution », confiait Mme T, de la communauté d’Alto Huancané) et la diminution drastique de leurs moyens de subsistance (« Mon plus grand souci, c’est que les récoltes ne sont plus rentables, ça n’est plus un soutien économique pour la famille », ajoutait Mme E, de la communauté de Bajo Huancané) poussent nombre de femmes à vouloir partir. Ainsi, dans la communauté de Huisa, trois d’entre elles déclaraient : « Nous vivons en campagne parce qu’on n’a pas le choix. On voudrait être en ville avec nos enfants qui étudient ! Mais ce n’est pas possible, parce qu’on n’a nulle part où vivre. Moi, je veux partir d’ici, ici il n’y a même pas d’eau ».
Il ressort des entretiens que la mobilité vers la zone urbaine, ou du moins l’aspiration à cette mobilité, est une réponse à cette situation largement partagée par les femmes interrogées, en recherche de conditions de vie plus décentes.
Or, la possibilité de migrer semble elle-même conditionnée par différents facteurs : entre autres, le fait de disposer d’un moyen de transport efficace pour aller et venir ; le fait d’avoir des membres de sa famille et/ou un logement à Yauri ; et l’âge, en relation au niveau d’instruction. Sans la prétention d’établir des catégories généralisables, quelques pistes de réflexion se dégagent néanmoins à partir du travail de terrain réalisé.
Tout d’abord, à moins d’avoir un moyen de transport privé (une moto, notamment), les déplacements dans la province d’Espinar se font en transport public. Or, les revenus monétaires propres des femmes étant assez limités, payer le prix du trajet leur est souvent difficile. De cette manière, leurs déplacements vers la ville se voient alors très contraints, les plus marginalisées étant celles qui sont veuves ou mères célibataires d’enfants en bas âge. Dépendantes du temps, de la bonne volonté ou bien de l’apport financier d’un mari, d’un enfant ou d’un·e proche, c’est leur autonomie qui est affectée. C’est le cas de Madame M., de la communauté d’Alto Huancané, mère célibataire, qui raconte que ses enfants refusent de lui donner de l’argent pour le transport si elle « continue à aller en ville pour des réunions de son organisation ». La marge d’autonomie dont elle dispose pour organiser son temps et ses activités est fortement conditionnée. Le caractère crucial de l’accès aux moyens de transport est d’ailleurs bien mis en lumière par les tensions entre les communautés situées en amont du projet, qui bénéficient d’un transport gratuit mis à disposition par l’entreprise minière (car le projet se trouve entre leur territoire et Yauri, bloquant leur mode de passage habituel), et celles situées en aval, qui n’y ont pas accès.
Un deuxième facteur qui semble conditionner la capacité à échapper à la dégradation des conditions de vie dans leur communauté est la possession (ou la mise à disposition) d’un hébergement en zone urbaine. Par héritage, certaines familles possèdent une maison à, ou près de, Yauri, ou, à défaut, un membre de leur famille peut les héberger. Ces réseaux familiaux jouent un rôle clé dans la capacité à partir de la communauté. Encore une fois, les dédommagements versés par l’entreprise minière en échange des terres de la communauté peuvent être à l’origine du logement en zone urbaine. On comprend mieux, dès lors, l’ampleur des conflits autour du partage et de la redistribution des bénéfices octroyés par l’entreprise minière, donnant lieu à une forme de gouvernance par cet acteur privé qui a la capacité de distribuer des biens, services et droits à la place de l’État (Gustafsson, 2011), avec toute l’asymétrie de pouvoir que cela suppose.
Enfin, les chances de « réussite » de la transition d’une économie agraire et d’un style de vie rural à une vie en zone urbaine paraissent également conditionnées par l’âge et le niveau d’instruction. Les plus jeunes ayant été, en règle générale, à l’école plus longtemps que leurs mères, elles ont une familiarisation à l’espagnol plus importante et une plus grande aisance avec l’environnement urbain. Ce que souligne Mme F, 56 ans, originaire de la communauté d’Alto Huarca : « C’est difficile de mettre sur pied une auto-entreprise : si tu es jeune, entre 20 et 40 ans, les gens achètent tes produits. Personne ne veut acheter aux plus âgées. »
Pour celles qui « réussissent » à migrer, la possibilité de maximiser les opportunités et d’atténuer les inconvénients de chaque lieu de vie est plus large. On voit par exemple que nombreuses femmes vivent en zone urbaine (car l’éducation pour leurs enfants est meilleure) mais retournent régulièrement dans la communauté. Être fréquemment présentes leur permet, outre de s’occuper des quelques travaux agricoles encore possibles malgré la pollution, de ne pas perdre leur droit à leur terre. Un enjeu important est donc de partir sans pour autant perdre leur capital foncier - ce qui est mis en évidence par les déclarations de Mme A., qui veut partir de sa communauté mais pas sans être « compensée » par l’entreprise, c’est-à-dire être réinstallée ailleurs. Elle ajoute d’ailleurs que les personnes qui n’ont pas de terre dans la communauté sont les premières à être parties. La migration des femmes semble donc se caractériser par le fait de rester à une distance courte de la communauté et par des mouvements d’aller-retour réguliers, parfois dans la journée, entre la communauté d’origine et la zone urbaine – ce qui correspond au constat d’autres chercheur·es, qui montre que l’activité minière tend à favoriser la migration de courte durée et dans des zones proches (Bury, 2007). La mobilité des femmes interrogées (notamment les femmes d’âge moyen, mères de famille) se trouve donc plus réduite que celle de leurs maris. Dans le cadre de la reconfiguration de la division sexuelle du travail, elles sont souvent prioritairement chargées d’assurer la permanence du droit familial sur les terres dans la communauté, et doivent rester proches du lieu d’étude choisi pour les enfants. Au contraire, les maris ou conjoints s’absentent plus longtemps, et migrent plus loin, dans leur recherche de travail rémunéré.
Il est difficile d’établir un schéma stable des trajectoires migratoires. Comme d’autres auteurs l’ont rappelé, elles varient de façon importante, et se confondent avec d’autres tendances longues, rendant « difficile la compréhension des trajectoires individuelles, et donc la création de catégories fixes » (Hervé, 2013b : 77). Cependant, en analysant les informations relevées lors de cette étude de cas, on peut avancer quelques caractéristiques générales. Il semblerait que pour les femmes qui restent dans leur communauté, celles qui ont le moins de ressources économiques, familiales et culturelles, et qui n’ont pas reçu de capital de la part de l’entreprise minière, la difficulté à migrer équivaut à l’impossibilité d’atténuer un appauvrissement réel, monétaire et non-monétaire. Or, celles qui partent semblent rencontrer en zone urbaine une ‘nouvelle’ situation économique plutôt ambivalente : des opportunités, certes, mais aussi des limitations importantes et une forte précarisation de leur travail, ce que nous analyserons dans la partie suivante.
B. Limitations et opportunités de la migration urbaine comme stratégie d’adaptation économique
Dans le cadre des entretiens semi-directifs réalisés sur le terrain, les réponses à la question posée : « est-ce mieux pour les femmes de vivre en ville ou en campagne ? » sont édifiantes, car parfois divergentes ou contradictoires en fonction du lieu de vie de la personne interrogée. Celles qui vivent de façon permanente dans les communautés expliquent qu’il vaut mieux vivre en ville, parce que, selon Mme F (communauté d’Alto Huarca) : « C’est triste de vivre en campagne ; mes animaux me font de la peine, il n’y a pas d’eau. Ceux qui vivent en ville ont l’air heureux, jeunes, sans problème ».
Mais la plupart des femmes vivant au moins la moitié du temps en ville disent - comme lors de cet entretien groupé dans la communauté de Bajo Huancané - qu’en campagne, « au moins il y a toujours à manger. En ville, sans argent, il n’y a pas de nourriture ». En effet, de nombreuses femmes affirment que la vie en zone urbaine crée de nouveaux besoins difficiles d’assouvir : « En ville, j’ai envie de quelque chose quand je le vois mais je ne peux pas l’acheter parce que je n’ai pas d’argent », explique Mme H., de Cala Cala. Facture d’eau et d’électricité, nourriture à acheter, frais divers ; avec de nouvelles dépenses, la situation économique des femmes qui ont migré en zone urbaine n’est pas forcément plus aisée, et la nostalgie de la vie en campagne affleure dans les discours.
Par ailleurs, le travail rémunéré auquel elles ont accès est, en général, plutôt précaire et exténuant. La plupart du temps, elles s’occupent au petit négoce et à la vente « ambulante », ou bien à la prestation de services ponctuels. Sur la place principale de Yauri, de nombreuses femmes vendent des bonbons, des cigarettes, quelques menues choses. Mme F. raconte que lorsqu’elle vend ses « produits artisanaux » (boucles d’oreilles, sacoches, gants) à Yauri ou Arequipa, elle peut passer 18 heures debout, de 10 à 1 heure du matin, sans faire de pause, et ce pour quelques centaines de soles par mois (un peu moins de cent euros). Mme P., quant à elle, travaille 12 heures par jour debout dans un restaurant qui sert les employés de l’entreprise minière. Malgré ses 65 ans, son fils handicapé dépend de ses revenus, et elle a perdu son terrain (et donc la possibilité de s’alimenter par l’auto-production) au moment de l’installation du projet minier. « C’est difficile de manger », dit-elle. D’autres proposent de laver la lessive de ses voisin·es en échange d’un « pourboire ».
Si cette transition de contexte économique implique des difficultés importantes, elle semble également être source d’une certaine autonomie, en particulier pour les femmes mariées, quand elles peuvent organiser le travail dans les champs à tour de rôle avec leur mari. Comme le rappelle Mme F., de la communauté d’Alto Huarca : « Les femmes doivent apprendre à chercher de l’argent en faisant du commerce, parce qu’ainsi ils [les hommes] ne nous contrôlent pas. Ils ne savent pas combien on gagne ou combien on perd ».
L’accès à des revenus propres, de par l’accès à la zone urbaine et au travail rémunéré, est donc un enjeu important qui permet aux femmes d’acquérir indépendance et autonomie dans un contexte qui reste chargé de violence de genre (Cuadros, 2011). Également, en termes de stratégie familiale de long terme, la résidence en zone urbaine permet aux femmes d’offrir à leurs enfants une meilleure éducation, leur ouvrant ainsi la voie à un éventail de choix pour leur vie plus large que ce qu’elles ont eu, selon les entretiens. Cet aspect, très présent dans le discours des femmes interrogées, reflète d’ailleurs la dimension maternaliste (Nagels, 2011 ; Grieco, 2016) de la position des femmes rurales au Pérou, et en particulier en contexte minier.
Ainsi, parmi les femmes des communautés adjacentes au projet minier qui vont et viennent régulièrement entre la communauté et la capitale provinciale, certaines vivent la migration urbaine comme une source d’autonomie (en particulier les femmes plutôt jeunes, mariées, parlant bien l’espagnol, ayant de bonnes relations avec leur famille), alors que d’autres restent malgré tout prisonnières d’une situation économique précaire où leur capacité à s’alimenter est une bataille de tous les jours. La marge de manœuvre que la migration peut offrir reste donc limitée par des facteurs tels que l’approfondissement des inégalités socio-économiques liées au contexte minier (Bos et Lavrard-Meyer, 2015 ; PDTG, 2013), les différences de classe ou les rapports sociaux de sexe - constants malgré la reconfiguration l’organisation socio-économique en cours dans ce contexte minier.
Conclusion
Certains auteurs, comme Castillo et Brereton, ont argumenté que la migration féminine en contexte minier doit beaucoup à l’attraction (« pull ») de la zone urbaine pour une vie plus autonome, jouissant de nouvelles opportunités économiques, ce que permet le développement d’activités minières. Or, la présente analyse des mouvements migratoires des femmes des huit communautés d’Espinar directement affectées par l’activité minière, tend à nuancer cette conclusion. Certes, certaines femmes découvrent effectivement une marge d’autonomie, notamment économique, dans ce nouveau contexte. Cependant, dans le cas des communautés de la zone d’influence directe des méga-projets miniers, on peut difficilement affirmer que « le développement minier [...] a créé de nouvelles voies pour l’autonomie féminine » (Castillo et Brereton, 2018 – traduction propre). Tout d’abord, comme cela a été montré, toutes les femmes ne peuvent pas migrer – celles qui restent subissant exclusivement les effets négatifs de l’activité minière. Ensuite, pour celles qui peuvent migrer, la « réussite » de leur parcours (dans le sens où la migration leur permet effectivement d’obtenir de meilleures conditions de vie) semble également mitigée. En fonction de leurs ressources et de leur situation sociale, leur situation économique une fois en zone urbaine n’est pas toujours plus facile. Dans le cas des communautés directement affectées par l’activité minière, cette autonomie nouvelle semble être réservée à seules quelques femmes, et très relative à leur statut social.
S’il est évident que les facteurs de « push » et de « pull » ne sont pas complètement dissociables, l’analyse de cette migration en fonction de ces deux types de forces permet de mieux en appréhender les enjeux. Ici, on peut argumenter que ces femmes sont plus « poussées » à migrer qu’ « attirées » par des conditions de vie en ville incertaines : le plus important, c’est de quitter la communauté où la survie n’est plus assurée, coûte que coûte. En un sens, l’idée de contrainte à la migration est plus forte lorsqu’on fuit une situation intenable, que lorsqu’on en désire une encore meilleure. Étant plutôt « poussées » à partir par nécessité, la marge de liberté de décision (migrer ou ne pas migrer) semble être assez réduite pour les femmes. Dans une certaine mesure, alors, cette dynamique migratoire reflète ce que Poncelet (2010) décrit comme des formes de migrations forcées liées aux dégradations environnementales et climatiques.
Il est également important de souligner que la migration vers la zone urbaine n’est, naturellement, que l’une des stratégies - individuelles - mises en œuvre par ces femmes pour s’adapter à ce contexte. Celle-ci s’articule et se complète avec d’autres types de réponses. Pour ne donner qu’un exemple, nombre d’entre elles s’organisent dans leurs communautés pour exiger certains bénéfices en termes d’infrastructure, vis-à-vis de l’entreprise minière (canalisation d’eau, transports, projets de développement local, etc.) et des organismes d’État locaux (garanties de santé environnementale, protection des droits, etc.). D’autres s’organisent dans des associations comme celle des Défenseuses du Territoire et de la Culture K’ana, et développent un discours relativement plus critique de la présence de l’entreprise minière et de ses conséquences dans la province d’Espinar.
La mise en lumière, dans cet article, de la stratégie migratoire des femmes des communautés de la zone d’impact direct du projet minier, présente l’intérêt de poser la question de la réorganisation territoriale et économique depuis une perspective de genre, trop peu souvent intégrée à l’analyse des contextes miniers, et articulée avec la dimension de classe. Cette analyse exploratoire est donc une invitation à porter un intérêt spécifique à la catégorie de genre et aux stratégies d’adaptation mais aussi de résistance de femmes, qui cherchent à élargir leurs marges d’autonomie malgré un contexte qui semble se durcir.
Notes de fin
[1] On entend par “activité extractive” ou “extractivisme” toutes les activités industrielles qui visent à extraire de grandes quantités de matières premières et à les revendre sur le marché international sans transformation majeure (Gudynas, 2013).
[2] On assiste en ce sens à ce que Maristella Svampa (2016) a appelé « l’environnementalisation des luttes autochtones » : la grande majorité des mobilisations et contestations sociales dans les zones rurales d’Amérique Latine, majoritairement peuplées par des populations autochtones, sont d’ordre environnementales et territoriales, et relatives à un projet extractif.
[3] On entend par « genre » le principe de division et de hiérarchisation entre les sexes (Delphy, 1993) qui participe de la représentation des rapports entre les groupes sociaux en termes de masculin/féminin (Scott, 1988).
[4] Partie des impôts prélevés sur l’activité industrielle qui est directement reversée par l’État central à la région d’origine.
[5] Accord-cadre négocié entre la province d’Espinar et l’entreprise minière, qui porte en particulier sur les problématiques de santé, d’éducation, de développement agricole, et de protection de l’environnement.
[6] Dû aux contraintes de temps imposées, un échantillon a été établi en mettant l’accent sur la diversité des profils : cinq femmes de chaque communauté, appartenant à différentes tranches d’âge, dont le statut marital varie (mariée, veuve, séparée), et ayant plus ou moins de lien économique avec l’activité minière (via le travail salarié propre ou d’un membre de la famille, notamment).
[7] Région s’étendant sur les provinces d’Espinar, Chumbivilcas (région de Cusco) et Cotabambas (région d’Apurimac), où se concentrent un grand nombre de projets miniers de très grande taille.
[8] Membres des communautés andines ; ici, des communautés dans lesquelles j’ai réalisé le travail de terrain mentionné.
[9] On entend par « stratégie d’adaptation » l’ensemble des actions entreprises par une personne ou un groupe afin d’assurer la permanence de ses moyens de subsistance (et ainsi de continuer à répondre à ses besoins) ; et, si possible, de maximiser ses profits dans une situation relativement nouvelle.
[10] On entend par « travail reproductif » tout ce qui a trait aux activités de reproduction de la vie : tâches liées à l’alimentation, à l’entretien du lieu de vie, aux soins apportés aux personnes dépendantes (enfants et personnes âgées), etc.
[11] La présence de mercure, plomb, arsenic dans le sang des personnes vivant proches des opérations minières a été confirmée dans une étude du CENOSPAS, l’Institut National de la Santé, en 2014 et un autre du Ministère de l’Environnement (MINAM) en 2013.
[12] Le projet minier Las Bambas dans la région d’Apurimac au Sud du Pérou, était classé en 2018 le plus grand projet d’extraction de cuivre d’Amérique du Sud. Il est situé à environ 250km au nord-ouest d’Espinar.
[13] Ce mécanisme social traditionnel, basé sur la solidarité et la confiance mutuelle, est encore très utilisé dans de nombreuses communautés paysannes pour échanger des services sans avoir recours à un transfert monétaire. Se référer par exemple aux travaux de Efrain Gonzales de Olarte (1984).
[14] Alors qu’auparavant, à Yauri (capitale provinciale d’Espinar) on échangeait des chuños (pomme de terre déshydratée, base de l’alimentation dans les hauts plateaux andins) contre des plats en terre cuite, il faut aujourd’hui les acheter.
[15] Dans le cadre des accords négociés avec l’entreprise minière, la création d’emplois salariés est prioritaire. Ainsi, un nombre fixe d’emplois est attribué à un représentant des familles locales d’« ayant-droits », sur la base de la rotation. L’extraction minière à ciel ouvert requérant très peu de main d’œuvre peu qualifiée, il y a donc moins de postes que de familles. Par ailleurs, ce travail tertiarisé et faiblement rémunéré permet à l’entreprise, en quelque sorte, d’acheter la paix sociale (Gustafsson, 2011) à moindre coût.
[16] C’est le cas du Programa Juntos, par exemple, qui octroie aux mères 100 nuevos soles par enfant de moins de 14 ans.
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Pour citer cet article
Caroline Weill « Migrer vers la ville : quelle ouverture pour les femmes andines en contexte minier ? », RITA [en ligne], n°12 : septembre 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019 . Disponible en ligne: http://revue-rita.com/trat-d-union-12/migrer-vers-la-ville-quelle-ouverture-pour-les-femmes-andines-en-contexte-minier-caroline-weill.html