Rencontres

 

Avec Christian Bataillou

 

 

Dans le cadre du troisième numéro de RITA « Les territoires du voyage », le comité de rédaction a souhaité rencontrer Christian Bataillou, sociologue et enseignant-chercheur à l’Université Via Domitia de Perpignan, qui a répondu à nos questions  sur le voyage, le tourisme et les migrations.

 

Les points traités dans cette rencontre sont :


1. Présentation

 

2. Le tourisme comme objet d’étude

 

3. Le voyage

 

4. Voyage et tourisme

 

5. Regards sur l’Autre exotique

 

6. Le voyage comme quête initiatique

 

7. Frontières, territoires et mobilités


8. L’Autre dans un nouveau territoire

 

9. Les nouvelles formes de tourisme

 

10. Rapports à l’Autre

 

11. Méconnaissance et intégration de l’Autre

 

12. Le voyage comme expérience personnelle

 

 

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Christian Bataillou

Sociologue (MCF HDR) à l’Université Via Domitia de Perpignan, Responsable de l’équipe de recherches “Tourismes et Identités” au sein du CREC (Centre de Recherche et d’Etudes Catalanes).

 

Thèmes de recherche : Impacts du tourisme ; mobilités ; identités ; vulnérabilités ; espace vécu et perçu ; région transfrontalière catalane, pays méditerranéens, Europe.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’analyse est conduite à partir d’une synthèse de travaux de géographie, d’anthropologie et d’économie territoriale sous forme d’études de cas. La construction théorique résulte de la confrontation des résultats de ces études et d’une réflexion plus générale sur les vulnérabilités susceptibles d’être engendrées par un développement des territoires fondé sur le tourisme. En effet, la notion de territoire touristique est loin d’être fondée théoriquement. Elle implique de revisiter les notions d’espace vécu et perçu, de questionner les écarts existants entre la construction d’images dans la communication institutionnelle et privée relative au marketing touristique et les fondements identitaires des sociétés accueillant le tourisme. Elle renvoie aussi à la question d’un différentiel des pratiques sous-jacentes à la territorialité traditionnelle des populations résidentes et à la territorialité touristique. Nous cherchons à identifier trois formes de vulnérabilité des contextes touristiques : la vulnérabilité des milieux comme propension des ressources à un endommagement sous l’effet des activités liées au tourisme ; la vulnérabilité économique (au sens des capacités des acteurs à anticiper les évolutions, à prendre en compte les incertitudes, à gérer des conflits et s’organiser, problèmes d’accessibilité, de diversification de l’offre touristique) ; la vulnérabilité comme risque de perte identitaire. Le champ concerne la région transfrontalière catalane et diverses situations en Europe et dans les pays méditerranéens.

Dans ce cadre, il dirige les recherches d’étudiants (master recherche et doctorants), organise des colloques (huit colloques depuis 2003 dont quatre en co-organisation) et participe aux travaux à titre individuel de réseaux de recherche étrangers.

 

1.     PRÉSENTATION


RITA : Cet entretien a lieu dans le cadre de la parution du numéro 3 de la revue RITA qui s’intitule « les territoires du voyage ». Pour commencer, pouvez-vous vous présenter brièvement, présenter votre parcours, et nous expliquer comment vous vous êtes dirigé vers cette thématique du voyage, du tourisme et des identités ?

 

Christian Bataillou : J’ai été expatrié pendant une quinzaine d’années, pour l’essentiel en Afrique, Maghreb et Afrique Sub-Saharienne, et j’ai par ailleurs, beaucoup voyagé à titre personnel. J’ai profité de mes séjours prolongés dans chacun des pays où je travaillais soit  pour les administrations locales, l’Unesco, la Banque Mondiale, le Ministère des Affaires Etrangères ou de la Coopération. J’en ai retiré un certain nombre d’observations, sans prétentions à l’époque, pour en tirer des extrapolations au niveau du tourisme. Ce qui m’intéressait principalement, c’était la problématique des frontières : « coupures ou coutures ? ». C’est d’ailleurs sur ce thème que j’ai fait ma recherche doctorale, je voulais savoir si l’on pouvait, grâce à des coopérations, des opérations de coopération transfrontalière, passer d’un simple échange d’informations à une concertation, une harmonisation et aboutir à une intégration, véritable récupération d’une unité territoriale préalable à une recomposition d’un territoire. C’est cela qui m’intéressait, et l’Afrique se prête bien à ce type d’observations puisqu’elle connaît des découpages pour le moins arbitraires, liés à la colonisation. Je suis ensuite revenu en Europe, à Barcelone où j’ai occupé un poste d’enseignement pendant quatre ans. Après l’Espagne, j’ai demandé une affectation à Perpignan. J’y ai retrouvé cette thématique de la frontière et du territoire transfrontalier avec une Catalogne coupée en deux, j’ai donc continué à travailler les thèmes des frontières et des territoires. Mon intégration au sein du département tourisme que j’ai dirigé pendant quelques années, a naturellement fait évoluer ma recherche vers le tourisme (comme franchisseur de frontières de tous ordres par excellence) et les mobilités appliquées au champ géographique de la Méditerranée, ce qui inclue évidemment, outre les mobilités touristiques, celles de type migratoire.

 

2. LE TOURISME COMME OBJET D’ÉTUDE

 

RITA : Comment doit être appréhendé le tourisme ? Est ce que c’est un outil d’étude des phénomènes sociaux ou est ce que c’est un objet d’études à part entière selon vous ?

 

Christian Bataillou : C’est un vaste débat sur lequel les universitaires sont divisés. On a beaucoup parlé, de façon polémique, de la tourismologie. La tourismologie est un terme ancien (les années 70) que l’on doit à un géographe yougoslave, Zivadin Jovicic. Il a ensuite été repris par plusieurs chercheurs et en particulier à Perpignan par Jean Michel Hoerner. Il est pour le moins très discutable de parler de la tourismologie comme d’un champ unique. En fait, et tous les chercheurs s’accordent sur ce point, le tourisme est au croisement de plusieurs disciplines, de plusieurs champs disciplinaires, et je crois qu’il est plus pertinent de parler de sciences du tourisme au pluriel. C’est en ce sens, que l’on a fait adopter par le conseil scientifique de l’université une mention de doctorat qui s’appelle « sciences du tourisme » au pluriel, un peu comme les sciences de l’éducation et qui se substitue à la mention tourismologie. Sans aucune prétention, mais avec l’espoir que la multiplication des recherches produise un corpus suffisamment conséquent pour pouvoir prétendre en faire une science, une discipline à part entière reconnue entre autre par le CNU.

 

RITA : Une science du tourisme ?

 

Christian Bataillou : Peut être pas une science du tourisme mais quelque chose qui pourrait être un champ multidisciplinaire dédié aux tourismes et aux loisirs. A ce jour, tous les outils que l’on emploie viennent d’ailleurs, du monde économique, du monde mathématique, du monde juridique. Mais je crois fermement que l’on arrivera à faire accepter le concept de « sciences du tourisme et des loisirs ».

L’acceptation de la pluridisciplinarité est souhaitable ne serait-ce qu’au niveau des doctorants. Quand on soutient un travail de thèse avec pour objectif la qualification aux fonctions de maître de conférences, c’est un handicap que de devoir être évalué par un jury composé de spécialistes de plusieurs disciplines. Se pose alors le problème d’être performant dans toutes les disciplines. Il faut bien admettre à un moment donné que les sciences du tourisme sont au croisement de toutes ces disciplines et que le chercheur en sciences du tourisme est celui qui sait agréger tout ou partie de ces disciplines. Ce n’est pas un géographe, un historien, un économiste, un sociologue, anthropologue, ethnologue, psychologue, juriste (la liste n’est pas exhaustive), mais quelle que soit l’approche envisagée, elle comporte toujours un peu de chacune de ces disciplines. Ce qui est difficile  à faire entendre aujourd’hui à un certain nombre d’universitaires. 

 

RITA : Pouvez vous nous parler de vos méthodes d’enquête, du recueil d’informations dans l’espace frontalier.

 

Christian Bataillou : Au niveau de l’espace frontalier, nous travaillons essentiellement sur le terrain, à partir d’entretiens notamment, et en collaboration avec les universités au sud, tout particulièrement l’UdG (Gérone) et l’UB (Barcelone). Nous en retirons une bonne connaissance de la population, et des acteurs touristiques qui peuvent être, par exemple, hôteliers, gérants de camping, institutionnels.

 

3. LE VOYAGE

 


RITA : Nous allons maintenant parler du voyage. Pour commencer, que veut dire voyager aujourd’hui ?


Christian Bataillou : Je crois que pour parler de voyage il faut partir des concepts basiques du temps libre et des loisirs. On a coutume de dire que le tourisme fait partie des loisirs qui eux-mêmes sont inclus dans l’ensemble plus vaste du temps libre conçu en opposition au temps contraint par le travail. Et la première question qui se pose aujourd’hui est de savoir si le voyage fait partie des loisirs. On constate, à partir notamment des récits de voyageurs, de grands voyageurs, que le seul voyage est suffisant pour motiver un départ de chez soi : c’est alors voyager pour le plaisir du voyage. Le motif, ce n’est donc pas le bout du voyage mais le voyage lui-même.

L’observation des mobilités touristiques d’aujourd’hui nous apporte un éclairage très différent. Le voyage est considéré comme le passage obligé pour aller d’un point à un autre et qui, de ce fait, prend du temps au temps libre. Or si l’on considère que l’une des caractéristiques fondamentales du loisir est l’hédonisme, le voyage comme trajet aller/retour contraint entre domicile et lieu de vacances, n’est plus un temps de loisir.

Se pose alors une seconde question : si le voyage n’est plus un loisir, fait-il encore partie du champ du tourisme (considéré comme partie intégrante des loisirs) ?

 

RITA : Il y a une notion de déplacement.

 

Christian Bataillou : Oui, quand on parle du voyage on l’assimile souvent à une mobilité. Mais la mobilité n’est pas seulement physique. Nombreuses sont les citations qui font référence à des voyages sans déplacement ou presque. On peut passer, comme le suggérait Xavier de Maistre, quarante deux jours en voyageant autour de sa chambre, ou encore voyager, comme l’écrit Patrick Segal, « dans sa tête ».

Pour ma part, je crois que le voyage est une série d’étapes. Van Gennep l’a montré et d’autres encore. On peut en compter trois, ou cinq comme c’est le cas dans l’ouvrage que j’ai écrit à propos du voyage. Plus que la mobilité physique, ce qui est important, c’est l’accomplissement de toutes ces étapes qui produit l’acte de voyage. Ainsi, par exemple, concevoir le voyage, c’est être déjà en voyage sans pourtant l’avoir commencé « physiquement ». C’est à mon sens, fondamental. De même, le changement qu’amène le voyage ne serait pas, sans la rencontre. Et Alexandra David-Neel, exploratrice et grande voyageuse, le confirme lorsqu’elle dit à ce propos que  lorsqu’on va d’un point à un autre sans rencontrer les gens, « on ne voyage pas, on se déplace ». Et il faut bien souligner que cette rencontre qui résulte du voyage, de la mobilité, n’impose aucunement une durée ou une distance minima. La mobilité dans ce cas n’a pas besoin d’être forcément très longue et on peut avoir une rencontre, une interaction avec l’Autre sans aller très loin.

Cette coprésence, cette rencontre peut se faire à la limite dans le métro, dans le bus, à tout moment. Je crois donc qu’il faut différencier la notion de mobilité physique associée au transport, de la mobilité en général. La mobilité est en fait une relation sociale avec un changement qui peut être un changement de lieu. Mais qui peut être autre chose, et l’imaginaire prend ici une place déterminante. Concevoir le voyage, l’imaginer, le préparer, c’est déjà voyager. Il n’y a donc pas forcément besoin de se déplacer. Ces voyageurs de l’immobile peuvent donc « revenir sur terre », sans être partis physiquement (avec un bilan carbone idéal !)

 

RITA : Vous avez parlé de Van Gennep et de différentes étapes. Est-ce qu’on peut donc considérer que le voyage est un espace de marge ?

 

Christian Bataillou : Pour le voyageur au sens noble, oui. Pour le voyageur au sens moderne, qui utilise le transport physique dans le cadre du tourisme de masse, non. Le vécu de la marge est très enrichissant, c’est en quelque sorte, comme s’extraire de son espace privé  et entrer dans le sacré. Cette notion de marge n’est, par définition, réservée qu’à un petit nombre de personnes, qui pourraient être dans le cas qui nous occupe, les voyageurs, les explorateurs.

 

4. VOYAGE ET TOURISME


RITA : Le tourisme n’aurait donc pas le même statut, on ne peut pas le considérer comme un espace de marge ?

 

Christian Bataillou : Non, je pense qu’aujourd’hui, le voyage comme simple aller et retour intégré au séjour touristique, pour lequel on a mis en place toute une panoplie de commodités, matérielles, sécuritaires, parce qu’il est destiné au plus grand nombre, devient l’espace central, sorte de bulle protectrice autour du voyageur. C’est certainement grâce à ça, ou à cause de ça que beaucoup d’entre nous voyagent. Dans un contexte d’imprévus, d’insécurité, la plupart de ceux qui, aujourd’hui vont passer une fin de semaine au Maghreb ou une semaine aux Etats-Unis, n’iraient pas ou n’iraient plus. Mais du coup, on fait du voyage quelque chose qui doit être le plus réduit possible, parce qu’on l’assimile à du temps perdu. C’est presque une nuisance. Il n’y a plus la magie qui consistait à partir au sens d’Hello :

 

« Quand on est à Paris, on ne voudrait pas, même si la chose était possible, supprimer la route et arriver sans voyage au terme du voyage. […]. A Paris donc, l'homme qui va partir caresse l'idée de son voyage et ne voudrait pas être arrivé déjà au but. En route, il espère voir  » (Hello, 1946).

 

Ou simplement à passer une frontière, le passage de la frontière, même encore au début du 20e siècle était un rituel. Il y avait une première frontière, puis un espace entre les deux frontières, et enfin la deuxième frontière, véritable rite de passage, avec ses appréhensions liées aux fouilles, aux contrôles. Un autre système policier, un autre système administratif et réglementaire, c’était l’inconnu, préalable à une aventure possible. Cette nouveauté est aujourd’hui réduite au minimum, le guide, l’accompagnateur, qui sont là, s’occupent des différentes formalités. On sait qu’on est en sécurité, on a payé, on est assuré, on reviendra. En gros, c’est ça.

 

RITA : Il y aurait une désacralisation. Le tourisme serait un voyage désacralisé ?

 

Christian Bataillou : Oui et non. Dire que le tourisme est un voyage désacralisé, revient à assimiler tourisme et voyage, ce qui n’est pas forcément vrai. Je crois qu’on doit pouvoir, ou qu’on devrait pouvoir être touriste sans forcément être obligé de passer par le voyage. On peut être touriste chez soi, pour simplifier. Dans le tourisme, on invoque souvent la notion de rupture avec le quotidien, mais cette rupture est davantage liée à la curiosité et à la capacité d’ouverture à l’Autre qu’au déplacement. Si l’on revient au voyage comme partie intégrante du loisir, il faut rappeler au préalable les quatre caractères constitutifs de ce dernier. Le loisir doit être désintéressé, libératoire, personnel et surtout hédonistique. Or l’on admet qu’aujourd’hui, le voyage ne donne pas ou peu de plaisir. Ainsi pour rejoindre le Maghreb depuis la France, on prend l’avion auprès d’une compagnie low-cost, et la place réservée est toujours un espace incommode que l’on souhaite abandonner au plus vite. Exit les croisières de deux ou trois jours conçues comme partie intégrante et gratifiante du séjour touristique. Ce côté plaisir du voyage en soi n’existe plus. On en revient à ce que je disais au début, s’il n’y a pas de plaisir, est-ce encore du loisir ? De ce fait, le tourisme comme loisir se détache du voyage comme transport et va commencer après lui.


5. REGARDS SUR L’AUTRE EXOTIQUE

 

RITA : Tout à l’heure vous parliez de l’importance des rencontres dans le voyage. Quelle est la place des rencontres dans le tourisme et dans le voyage ?

 

Christian Bataillou : Dans tous les cas, la rencontre suppose la même capacité de la part de celui qui va à la rencontre de l’Autre, c’est une capacité d’ouverture, une capacité d’empathie. Je dirai que c’est une absence de peur ou une maîtrise de cette dernière. C’est parce que l’on a  une appréhension, une méfiance envers l’Autre, que l’on se ferme et que l’on n’arrive pas à échanger avec l’Autre. C’est probablement ce qui détermine la qualité, voire l’existence d’une relation. On parle beaucoup d’inter culturalité aujourd’hui, c’est à la mode. A ce propos, il faut faire la différence entre la multi culturalité, au sens de l’acceptation d’une proximité, une tolérance si on peut dire, et l’inter culturalité où, au contraire, il y a interpénétration, on se met ou on essaie de se mettre à la place de l’autre. Pour arriver à cette inter culturalité, dans les deux cas, dans le voyage comme dans le tourisme, il faut être capable d’aimer l’Autre. Si on n’a pas cette capacité d’apprécier ou d’aimer l’Autre, on aboutit à la situation constatée pour le tourisme de masse, c'est-à-dire que la proximité au lieu de gommer les différences et d’être, comme le souhaitait l’OMT « un facteur de paix » exacerbe ces mêmes différences et culmine dans la peur de l’Autre, qui empêche la rencontre. Il n’y a qu’à voir les clubs de vacances d’aujourd’hui, ce sont des bulles, des espaces-objets transitionnels au sens de Winnicot. Dans ces bulles, on est protégés de l’Autre et quand, exceptionnellement il se manifeste, c’est un Autre qui a été trié sur le volet, sélectionné : le commerçant par exemple, que l’on laisse entrer pour vendre ses « souvenirs » n’est plus un cagot et présente dès lors toutes les garanties. Alors qu’à deux cent mètres du même club de vacances, on pourrait voir le même commerçant en situation réelle. Lorsqu’il se prête au jeu, et qu’il rentre dans le club, il est aseptisé en quelque sorte, il n’est pas dangereux tout en restant exotique pour les touristes ; or ça, ce n’est plus l’Autre. Ce qu’il montre (ou qu’on lui permet de monter), c’est le front office au sens de Goffman, il va donc agir de façon totalement prévisible et contrôlée en gommant tout ce qu’il est. L’authenticité présentée est recréée et mise en conformité avec l’imaginaire que l’on a préalablement vendu au touriste. L’imaginaire est très intéressant dans la démarche du touriste mais sa manipulation présente de nombreux revers. On est parti avec un imaginaire et on ne veut pas être déçus. Par conséquent, il faut que l’Autochtone ressemble à l’image que l’on a acheté : on est parti pour voir un Autre et on le veut différent de nous. C’est un peu comme si, en allant en Corse, on n’attendait quant à la musique, que des chants polyphoniques. Cela peut aboutir à des situations remarquables, qu’il est intéressant d’étudier.

Par exemple, tout près de nous, à une demi-heure de Perpignan, passée la chaîne des Pyrénées, on peut se rendre en Espagne, et très fréquemment les gens d’ici vont y faire des courses. S’ils se rendent au restaurant, on leur propose très souvent un menu « typiquement local ». Ce qui donne à Rosas, par exemple, une paëlla servie avec une sangria. Pourtant la paëlla n’est pas de Rosas, ni même de Catalogne, c’est un plat Valencien. Et de plus, la sangria, n’est pas pour un espagnol, la boisson la mieux à même de l’accompagner. C’est tout juste si on ne demande pas aux serveurs de porter un sombrero mexicain comme on peut les voir sur les Ramblas de Barcelone. Le différent suffit au touriste pour fonder l’authentique : si c’est différent, c’est authentique !

 

RITA : On en vient aux questions de culture et d’identité dont on parle souvent lorsque l’on évoque justement les rencontres.

 

Christian Bataillou : Le tourisme est un des facteurs qui influe sur l’identité, par exemple à travers la création d’images d’Épinal, très réductrices mais très pratiques pour les agences touristiques, les guides et généralement l’ensemble des acteurs confrontés au touriste. Ce faisant, on assimile de facto l’Autre à un groupe, à un collectif. On glisse d’une identité qui doit rester individuelle, à une identité collective. Ce passage est pratiquement toujours négatif. Pour illustrer ce phénomène, on peut prendre le cas, dans un tout autre contexte, de l’immigration espagnole. En 2009, c’était l’anniversaire de la Retirada, il y a 70 ans environ 500 000 espagnols franchissaient la frontière et en arrivant sur le littoral et l’arrière pays roussillonnais, cessaient d’être des individus pour devenir « des espagnols ». Dès lors, d’un travail mal fait, on disait que c’était « un travail d’espagnol ». Quelques décennies plus tard, un travail mal fait c’est un « travail d’arabe », c’est le même concept : le collectif comme négation de l’individu. Et cette différence qu’on étale au grand jour entre les groupes, entre les identités collectives, est le prélude à une hiérarchisation inavouée entre ces mêmes collectifs, et devient une manifestation d’un racisme déguisé, rebaptisé sous le terme de culture. Lorsque l’on avance que « ces gens n’ont pas la même culture que nous », on pense très fort que leur culture est moins bien que la nôtre. Donc culture, identité, je crois qu’aujourd’hui ces termes sont utilisés, dans le monde du tourisme mais pas seulement, avec une connotation négative, même si, et c’est probablement le plus inquiétant, c’est fait inconsciemment.

 

6. LE VOYAGE COMME QUÊTE INITIATIQUE


RITA : Le prochain numéro de la revue Rita sera consacré à la jeunesse. Quels liens peut-on trouver entre la jeunesse et le voyage ?

 

Christian Bataillou : Le voyage tel qu’on le concevait à l’origine, le voyage au sens du périple, ce voyage là, était certainement initiatique. Et parce qu’il était initiatique, on pouvait facilement le rattacher à la jeunesse et l’exemple au XVIIIème siècle du « Tour » des jeunes anglais le prouve, et c’est probablement le cas de civilisations antérieures, le plus souvent sous forme de pèlerinages. Je pense aux grecs, car même si on ne peut pas parler de tourisme dans l’Antiquité, il n’y en existait pas moins les notions de voyage, et de pèlerinage. C’était Delphes alors, comme aujourd’hui Saint Jacques de Compostelle. Dans le voyage, il y a un apprentissage qui transforme le voyageur et le fait revenir différent. Je pense que le voyageur exemplaire, c’est Ulysse dans l’Odyssée. D’abord parce qu’il fait un tour au sens propre du terme, parce que ce tour dure suffisamment longtemps ou comporte suffisamment d’épreuves pour qu’au retour Ulysse soit vraiment différent : à l’exception d’Argos, son chien, personne ne le reconnaît, il a donc vraiment changé !

Concernant cette dimension initiatique, on pourrait penser effectivement que la jeunesse en quête de nouveauté, d’aventure ou d’elle-même, devrait à un moment ou à un autre être intéressée par l’expérience du voyage. Mais eu égard à ce que nous avons évoqué précédemment, il me semble que c’est moins vrai aujourd’hui, peut-être parce que la part de risque et d’aventure est devenue minime, et plus certainement parce qu’il ne s’agit plus du voyage au sens du circuit, du tour, du périple mais davantage d’un aller et retour, d’une transplantation au sens de J.D Urbain. L’exemple des jeunes américains qui veulent marquer la fin de leur cursus universitaire en allant sur une plage de Cancun montre bien que ce type de célébration est détaché du voyage. Il ne faut voir qu’une dimension matérielle au transport qui permet d’arriver le plus vite possible sur une plage retenue, non pas pour son histoire, mais pour le contexte permissif et bon marché qui permet de faire la fête. La dimension initiatique existe probablement mais ailleurs que dans le voyage lui-même. Ces pseudo événements, au sens de Barthes, n’ont pas grand-chose à voir avec le voyage initiatique comme on le conçoit au départ.

Par ailleurs, il faut souligner le rôle du groupe dans le voyage qui constitue une autre difficulté eu égard à la dimension initiatique. Cet esprit grégaire caractéristique du tourisme de masse, n’épargne pas la jeunesse, or, pour que le voyage soit vraiment profitable et pour que la dimension initiatique se réalise pleinement, je crois qu’il faut voyager seul.

Si on se réfère au pèlerinage, qui est une des formes les plus anciennes de tourisme, on constate auprès des personnes interrogées sur les circuits de pèlerinage, que presque toutes s’accordent sur le fait qu’il faut être seul, si on veut vraiment rencontrer, s’ouvrir, avoir une interaction multi sensorielle, c'est-à-dire à la fois parler à quelqu’un, manger quelque chose avec lui, échanger, etc. Dès l’instant où l’on est deux ou plus, on se regroupe, donc on fait parfois inconsciemment une bulle qui  enferme, qui protège, et c’est fini. En fait, il faut être dans une situation de fragilité, de sensibilité pour laisser venir les autres ou aller vers eux.

 

RITA : Une vulnérabilité, une ouverture ?

 

Christian Bataillou : Oui. Mais cette vulnérabilité, précisément, et je reviens à ce qu’on a dit tout à l’heure, est limitée au maximum par les acteurs, les professionnels du tourisme qui savent qu’une sécurisation et une diminution des imprévus inhérents au voyage, sont une garantie nécessaire à leur volume de ventes. Donc, et s’agissant du tourisme de masse, les conditions ne sont pas réunies pour que le voyage soit une invitation à l’ouverture et à la découverte.

 

RITA : Dans ce cas, est-ce que le voyage a disparu ?

 

 Christian Bataillou : Non, il n’a pas disparu, il faut relativiser, les voyageurs auxquels on se réfère en les idéalisant parfois n’étaient pas si nombreux. On peut penser qu’aujourd’hui, il y en a au moins autant qu’avant. Si on ne les voit pas beaucoup, c’est que par nature, ils ne sont pas gens à se montrer. L’enrichissement lié à leur expérience est avant tout un enrichissement personnel qui n’a pas vocation à produire des témoignages et à ramener des souvenirs comme autant de preuves du voyage. Au fond, on reconnaît le vrai voyageur au sens où il n’a pas besoin de démontrer. Le touriste, au contraire, a besoin de démontrer qu’il a bougé au risque d’être stigmatisé. Celui qui n’a pas voyagé, qui n’a pas bougé pendant l’été par exemple, qui dirait « je suis resté là et j’ai fait un voyage autour de ma chambre », serait stigmatisé, le voyage passant à devenir une norme sociale.

 

RITA : C’est pour cela qu’on ne parle pas beaucoup des voyageurs ?

 

Christian Bataillou : Je crois que le voyageur n’a besoin ni de parler ni que l’on parle de lui. Chaque voyage n’est que prétexte à un nouveau départ, comme une quête permanente qui n’appelle pas de démonstration extérieure.

 

RITA : En voyant des termes comme commerce, développement, stratégie, qui apparaissent dans les titres de certains de vos ouvrages, qu’est ce que l’on peut dire de la relation entre le voyage et la raison économique ?

 

Christian Bataillou : Je crois que l’essentiel de ce qu’on lit aujourd’hui eu égard au voyage ou au tourisme est lié à une approche économique. Les véritables motivations qui poussent au montage de projets touristiques sont d’abord économiques. Cette recherche de rentabilité économique n’est pourtant pas toujours à l’avantage des populations d’accueil. Je crois qu’il faut bien distinguer deux cas très différents : lorsqu’on monte un projet touristique dans un pays en voie de développement et dans un pays, disons, développé. Dans un pays comme le nôtre, lorsqu’on monte un projet touristique, je crois que les retombées économiques sont plutôt positives. Des emplois sont créés et les capitaux investis sont souvent des capitaux locaux qui vont bénéficier à la population locale. Dans un pays en voie de développement par contre, une grande partie des ressources humaines, des biens, services et capitaux sont importés, y compris les modèles architecturaux et les modes de fonctionnement qu’ils induisent. La première équipe qui gère l’établissement, par exemple, est une équipe expérimentée, ce n’est que rarement une équipe locale. Ces projets sont souvent mis en œuvre au détriment d’autres activités, agricoles par exemple : on monopolise des terrains, des ressources en eau entre autres, pour aboutir à une véritable monoculture touristique.

Les deux terrains d’application pour un même projet touristique ne produisent pas du tout les mêmes effets sur le plan économique, même si dans un cas comme dans l’autre, c’est d’abord une argumentation économique, qui les sous-tend. Il faut ajouter à cela le fait que l’on ne prend jamais le temps, à mon avis, d’analyser toutes les conséquences que ces projets peuvent avoir sur le plan des cultures, sur le plan des traditions, sur le plan des identités, voire sur le plan des territoires. En effet si le territoire est un espace doté d’une identité, cette dernière sera toujours affectée par les mobilités qui la traversent et qui peuvent l’exacerber, ou au contraire, la faire disparaître au bénéfice d’une autre qui serait plus globale, ce qui revient à dire, dans le monde d’aujourd’hui,  plus occidentale.

 

7. FRONTIÈRES, TERRITOIRES ET MOBILITÉS

 

RITA : Vous nous parliez des territoires, et justement, ce numéro 3 de la revue RITA s’intitule « les territoires du voyage ». Pouvez-vous nous raconter vos expériences des frontières, qui sont des territoires de voyage par excellence.

 

Christian Bataillou : La frontière n’a pas qu’une dimension politique ou étatique. Et le voyage le montre bien qui fait appel à la notion de frontière, géographique, mais aussi sociale, mentale. Voyager, c’est franchir des limites, sortir d’un environnement habituel et quand je parlais d’initiation tout à l’heure, on voit bien que ce type de voyage là est une initiation un peu comme celle que connaît le bébé qui sort du ventre de sa mère : premier voyage, première séparation. Si l’on fait la relation avec le territoire, comme espace doté d’une identité, il faut pourtant toujours une limite au territoire à un moment donné. La très grande mobilité repose sur la notion de limites parce qu’elle conduit à des territoires très fluctuants. Les gens très mobiles peuvent appartenir à plusieurs territoires à la fois.

Prenons l’exemple des allemands résidents à Palma. En leur qualité de citoyens européens, ils votent aux élections locales. Ils ont une double appartenance territoriale, Allemande, mais aussi Baléare et le manifestent en prenant part activement à la vie locale de l’un ou l’autre des territoires (certains sont élus municipaux, par exemple). Cette multi appartenance territoriale est aussi le fait des immigrés qui font des itinéraires de transportation régulièrement. Les  immigrés qui viennent d’arriver en Espagne en provenance d’Amérique Latine, comme du Maghreb, reviennent régulièrement dans leur pays d’origine, en gardant l’espoir d’un retour définitif. Les voyages, internet et la télévision par satellite leur donnent l’impression d’être autant au Pérou ou au Maroc qu’en France ou en Espagne. L’exemple du football algérien en est une illustration. Ces immigrés qui sont sur deux territoires, deux cultures peuvent en retirer un enrichissement. Alors que l’immigré politique dont on parlait tout à l’heure qui, lui, venait pour du long terme, sans espoir de retour, est dans « l’entre deux », comme espace d’un mal-vivre. 

A l’opposé de ceux qui vivent sur plusieurs territoires et surmontent sans difficultés majeures les frontières géographiques et mentales, certains individus qui, malheureusement ne sont pas très mobiles, ont péniblement accès à une portion congrue de territoire borné par des limites, des frontières physiques, économiques, sociales ou cognitives. La mobilité peut alors devenir facteur de discrimination.

 

RITA : La mobilité n’est pas toujours positive ?

 

Christian Bataillou : Non, dans la mesure où la mobilité positive, dans le sens où elle ouvre l’accès à plusieurs territoires, suppose une capacité d’appréhender cette mobilité à minima. Or nous n’avons pas tous les mêmes capacités, sur le plan économique, sur le plan culturel, sur le plan corporel, puisque la mobilité comme capacité à se déplacer, peut exiger aussi un effort physique. On peut s’accorder facilement sur le fait qu’il y a une grosse différence entre quelqu’un qui n’est pas habitué à voyager et quelqu’un qui voyage beaucoup. Et cette discrimination vaut autant pour le cadre et l’immigré, qui n’a pas une moindre expérience du voyage, au regard de celui qui, dans un village ou une banlieue défavorisée n’a pas été préparé à développer cette capacité à se déplacer et en résulte discriminé.

 

 

8. L’AUTRE DANS UN NOUVEAU TERRITOIRE

 

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Edito n°11

 

          Alors qu’en ce début d’été 2018, tous les regards sont portés sur la 21e Coupe du monde de football, les médias informent en temps réel les « nouvelles de Russie ». Les aventures de Neymar Jr. ou d’Edinson Cavani ouvrent les journaux télévisés alors que l’on assiste à des débats enflammés sur le pourquoi de l’absence du « Kun » Agüero dans le 11 titulaire argentin ou sur l’intérêt de jouer en 4-3-3 plutôt qu’en 3-5-2. La presse s’est également délectée de relayer les propos de l’icône Diego Maradona qui, avant de se rétracter, a défrayé la chronique en taxant la FIFA d’institution « vieille et corrompue » sur TELESUR.

Ainsi, qu’on le veuille ou non, nous voilà happés par la planète football. Les médias ont fait de cet événement un objet central de l’actualité, en le traitant sous tous les angles et en lui consacrant toutes sortes d’analyses, au point d’éclipser certains événements majeurs. Pourtant, dans le même temps, Andrés Manuel Lopez Obrador, dit AMLO, vieux routier de la gauche mexicaine, a été élu président de son pays en promettant de combattre la corruption et de renforcer les programmes sociaux. Sur le plan diplomatique, son premier acte a été de s’adresser directement à Donald Trump, plus que jamais obsédé par la question migratoire, en vue d’apaiser les relations entre les Etats-Unis et le Mexique. En Colombie, la blessure du meneur de jeu James Rodriguez et l’élimination de la Tricolor en huitièmes de finale ont fait couler beaucoup d’encre. Mais le pays a élu, ne l’oublions pas, le très uribiste Yván Duque à la présidence de la République, confirmant son ancrage très à droite sur l’échiquier politique régional.

Ces dernières semaines, le football a donc été au cœur du jeu médiatique. Ce constat témoigne sans conteste du pouvoir des médias à classer et à hiérarchiser l’information, à rendre visible un événement plutôt qu’un autre et, in fine, à orienter l’opinion. Certains sujets tels que le football, plus vendeurs, rythment ainsi l’actualité au sein de laquelle les analyses politiques sont diluées au centre de quelques commentaires sensationnalistes, comme le suggérait Patrick Champagne dans La misère du Monde[1].

C’est donc en cherchant à produire une réflexion critique sur le « pouvoir des médias » et sur la relation entre « pouvoirs et médias » que RITA a voulu consacrer la partie Théma de son 11e numéro à ce sujet : Pouvoirs et médias, pouvoir des médias.

Les articles présentés ci-dessous contribuent à nous interroger sur l’influence des médias officiels et alternatifs dans le choix des thématiques abordées à l’échelle sociale et politique. Quelles sont les comparaisons possibles entre les sujets traités dans les différentes catégories médiatiques ? Comment analyser la politisation des médias ou leurs engagements sociaux ? Quels sont les sujets sociaux et politiques discutés dans les médias américains et comment sont-ils abordés ? Quels sont les nouveaux outils et supports de diffusion mobilisés pour reproduire ou s’opposer au discours officiel ?

Dans la rubrique Dossier, Elena Sidorova propose un regard rétrospectif original sur le lien entre la presse de divertissement et la politique à partir de la couverture de la revue Rolling Stone lors de la campagne présidentielle américaine de 1972. Son article démontre comment cette revue est devenue une alternative aux médias traditionnels et conservateurs de l’époque, tant dans la forme que dans le contenu. Sur une période plus récente, Janny Amaya Trujillo exploite un corpus de telenovelas cubaines pour expliquer comment ces feuilletons télévisés, au service du pouvoir, ont reproduit l’idéologie de la révolution cubaine et ont soutenu le régime castriste durant la crise économique des années 1990 tout en étant perçues comme dépolitisées. En ce qui le concerne, Americo Mariani propose une analyse interactive entre les sphères privée et publique : il explique comment l’exposition médiatique de la figure de victime participe à la construction de l’espace public en Argentine. Il interroge notamment la corrélation entre l’exposition médiatique rapide de la figure victimaire et sa portée politique limitée.

Dans la rubrique Trait d’union, Vicente Wilq s’interroge sur la popularisation de la vidéo dans le répertoire collectif de la communication alternative et des mouvements sociaux brésiliens en périphérie des grands centres urbains tels que São Paulo. Comment la vidéo est-elle devenue un outil de protestation pour les organisations sociales et comment les courts-métrages dits « populaires » ont-ils trouvé un espace de diffusion au Brésil ?

Enfin, Nasser Rebaï, membre du Comité de Rédaction de RITA, clôt ce dossier en proposant pour la rubrique Rencontre un entretien avec le réalisateur de documentaires Pierre Carles. L’échange met en évidence le regard critique que le réalisateur français porte sur le fonctionnement des médias de masse et plus particulièrement sur le traitement de l’actualité latino-américaine par les grands médias hexagonaux. Il nous livre également son regard critique sur l’actualité sociopolitique de différents pays sud-américains à travers son expérience personnelle et professionnelle et déplore l’existence en France d’une pensée dominante conservatrice sur les Amériques.

Pour son 11e numéro, RITA propose comme à son habitude une section Champ Libre qui réunit plusieurs articles aux sujets variés.

Pour la section Résumé de mémoire, Maria Julia Giménez propose d’analyser, à travers les grands médias nationaux, l’influence du think tank nommé Institut Millenium sur la définition des problèmes sociaux dans les projets politiques constitués lors de l’inauguration du 3ème programme national des droits de l’homme dans ce pays. L’article interroge également les choix éditoriaux pour définir les problèmes sociaux qui sont discutés dans les médias brésiliens.

Toujours au Brésil, dans les Notes de recherche, Isabel Lustosa, nous propose son regard - celui d’une chercheuse et militante brésilienne vivant la situation en contexte - sur l’actualité brésilienne. Son analyse fait écho aux propos de Pierre Carles et s’intéresse notamment au traitement médiatique de la crise politique et sociale au Brésil depuis la destitution de Dilma Rousseff. Elle nous offre ainsi un point de vue particulièrement intéressant sur l’« apparente reddition » de Lula, en le reliant à la trajectoire syndicale et politique de l’ex-président brésilien. Dans un contexte politiquement troublé et à la veille d’élections présidentielles incertaines (les dimanches 7 et 28 octobre), cet article questionne également la situation complexe d’un ancien président: détenu depuis quelques mois, il est peu probable qu’il puisse se présenter aux élections, mais il est malgré tout actuellement favori dans les sondages. Publié en portugais, cet article sera prochainement publié en traduction française.

Enfin, pour la rubrique Regards, dans le premier essai littéraire publié par RITA, Sous-Lieutenand’ès Pontif s’interroge, dans une déambulation dunkerquoise, sur l’imposition du modèle architecturale nord-américain dans la reconstruction des villes françaises dans l’après-Seconde Guerre mondiale. Cet essai nous invite à redécouvrir l’histoire contemporaine à travers l’urbanisation; il nous propose également de reconsidérer la capacité de la littérature de créer des jeux d’échelles spatiales et temporelles. Pour finir, Caroline Weill nous invite à penser de manière engagée la violence de genre au travers des réseaux sociaux au Pérou. Son point de départ porte sur les débats sociopolitiques engendrés par l’utilisation du hashtag controversé #PerúPaísDeVioladores, et sur les dynamiques actuelles des mouvements féministes au Pérou.

Avant de vous laisser découvrir ce numéro 11, nous souhaitons remercier chaleureusement nos auteur-e-s et nos lecteurs et lectrices pour leur collaboration à l’aboutissement de ce numéro. Bonne lecture à toutes et à tous.

Bruno Hervé et Guillaume Duarte, membres du Comité de Rédaction de RITA.

[1] Bourdieu Pierre (dir.), 1993. La Misère du monde, Paris, Seuil.

Edito n°12

 

          Il est de coutume de dire que le hasard fait bien les choses et c’est peut dire, donc, qu’au moment de rédiger cet édito, la victoire des Etasuniennes à la coupe de monde de football féminin tombe à pic. Certes, qui connaît ne serait-ce qu’un tout petit peu le ballon aurait pu pronostiquer sans trop de risque qu’Alex Morgan et ses coéquipières était (presque) assurées de l’emporter. De là à écrire que nous aurions pu rédiger le présent texte il y a six ou huit mois aurait été exagéré tant la production du dossier « Femmes des Amériques » a été aussi exigeante que passionnante.

Elle a été exigeante en raison d’un travail de sélection rendu plus difficile qu’à l’accoutumée à cause, ou plutôt grâce au nombre record de propositions que nous avons reçues, preuve s’il en fallait que cette thématique devait être abordée. Il est vrai que plusieurs articles publiés dans certains des anciens numéros de RITA avaient déjà permis d’ouvrir des réflexions sur la question des femmes dans les Amériques. Toutefois, il nous semblait que le temps était venu de consacrer un numéro entier à cette thématique. S’il fallait remonter dans le temps et dans les mémoires, cette envie d’un dossier consacré aux femmes trouve sans doute son origine lors de la préparation du numéro 8 sur les « Icônes Américaines ». Alors que Jean-Marie Théodat, dans l’entretien qu’il nous avait accordé, avait déploré « l’absence des femmes de la vie politique et le confinement de leurs talents à la scène artistique ou la sphère privée », nous nous étions fixés l’objectif de produire un numéro sur les « Femmes des Amériques », afin de stimuler un débat qui serait porté, comme c’est toujours le cas au sein de RITA, par des chercheurs de différentes générations.

Elle a également été passionnante parce qu’elle a permis à RITA et à son équipe d’exprimer son engagement en consacrant un dossier entier à celles qui, du Nunavut à la Terre de Feu, souffrent encore, en 2019, de toutes sortes de violences et de discriminations. Ainsi, la référence, au début de ce texte, à la victoire des étasuniennes à la coupe du monde de football ne relevait pas uniquement du hasard (ou de l’opportunisme). Après avoir consacré l’édito du numéro 11 de RITA sur le « Pouvoir des médias » aux footballeurs américains, il semblait opportun de parler de la même façon des footballeuses américaines et de donner un coup de projecteur sur une compétition qui aura permis de révéler des sportives de grand talent, mais surtout des femmes charismatiques. Alors que le droit à l’avortement est vigoureusement remis en question aux États-Unis, comme en Alabama où il a récemment été supprimé, il ne pouvait être autrement que de faire référence dans ces lignes aux prises de position publiques de la joueuse Megan Rapinoe qui s’est exprimée en faveur des droits des femmes, de la communauté LGBTQI et des minorités ethniques. Ainsi, la co-capitaine étasunienne a permis de contredire (en partie) Eduardo Galeano, en montrant que le football n’était pas seulement devenu un « spectacle »[1] (Galeano, 2014 [1995]) mais qu’il était, aujourd’hui, propice à la diffusion de messages humanistes et politisés portées par des femmes. Il ne pouvait être autrement, non plus, que de rappeler que la pensée d’extrême droite n’a pas complètement triomphé au Brésil puisque, cette année, l’Estação Primeira de Mangueira a remporté le concours des écoles de samba lors du Carnaval de Rio, en rendant hommage à la députée Marielle Franco, militante des droits Humains assassinée à Rio de Janeiro le 14 mars 2018. Au-delà de l’allégresse qu’il a produite, cet évènement a rappelé que lorsque la violence politique est manifeste, l’art subsiste pour faire vivre les figures emblématiques, et notamment celles qui se battent pour plus d’égalité entre femmes et hommes. RITA est une jeune revue, mais elle a voulu contribuer à ce que dans le champ scientifique, des travaux pluridisciplinaires soient consacrés aux « Femmes des Amériques ». C’est désormais chose faite, dans la partie Théma de ce 12e numéro.

Dans la rubrique Dossier, plusieurs auteurs interrogent sous divers points de vues – géographique, temporel, disciplinaire et méthodologique – l’actualité des femmes dans les Amériques. Ainsi, Salian Sylla étudie les reconfigurations politiques des États-Unis sous Donal Trump depuis l’analyse historique, sur la longue durée, des luttes sociales et des débats féministes, au XXe siècle, autour du projet d’amendement inscrivant l’égalité femmes-hommes dans la Constitution étatsunienne sous le nom d’Equal Rights Amendment. L’industrie cinématographique nord-américaine a été choisie par Alexander Maria Leroy pour présenter, à travers les héroïnes des studios Disney, la fabrique de code relatifs à la désirabilité féminine auprès d’un public juvénile. La littérature est également mise à contribution dans ce dossier thématique. Depuis la lecture de polars, Nicolas Balutet s’interroge sur l’inaction de l’État mexicain face aux féminicides sexuels perpétrés à Ciudad Juárez, conséquences de tournages de snuff movies, de trafic d’organes et de rites sataniques. Les questions de genre et de discrimination sont abordées, entre autres, dans l’article commun de Claire Laurant et de Margarita Avilés Flores qui questionnent le rôle d’accompagnement des sages-femmes traditionnelles mexicaines dans l’exercice thérapeutique laissé vacant par les institutions de santé publique. Le dossier thématique offre également l’opportunité de s’interroger sur les actrices féminines dans les Amériques contemporaines. Ainsi, Carla Zibecchi s’attèle à déconstruire le rôle joué par des femmes argentines dans les programmes sociaux étatiques de luttes contre la pauvreté des années 2000 et l’émergence, parmi elles, de médiatrices privilégiées entre des populations dites « assistées » et les représentations locales de l’État. De la même façon, Andrea Bravo et Ivette Vallejo analysent les actions collectives de résistances menées par des leaderships féminins « autochtones » contre l’exploitation de leur territoire amazoniens par l’État équatorien et les entreprises transnationales au cours du XXIe siècle.

La rubrique Trait d’union fait également échos aux actrices féminines et à leurs capacités d’action et d’organisation face à toutes formes d’exploitation et de discrimination. Caroline Weill nous propose un regard genré sur les résistances communautaires contre un projet minier dans la province d’Espinar au Pérou. De son côté, Sofia Dagna expose, à partir de son enquête de terrain doctoral, le processus de formation de militantes sociales autochtones depuis des ateliers de sanación – guérison collective d’origine préhispanique - proposés aux victimes de violences par le Mouvement des femmes indigènes Tz’ununija (MMITZ).

Pour clore ce dossier, Cléa Fortuné et Guillaume Duarte, tous deux membres du Comité de rédaction de RITA, se sont entretenus avec la chercheure de l’université de Tours, Anna Perraudin, dans le cadre de la rubrique Rencontre. Passant d’enquêtrice à enquêtée, elle revient sur son parcours de chercheure dans la ville de Mexico, ses recherches sur les flux migratoires et nous offre une lecture approfondie des migrations féminines entre le Mexique et les États-Unis tout en déconstruisant le processus de fabrique de relations entre l’enquêtrice et ses enquêtés et l’organisation de terrains de recherche transnationaux.

Comme elle l’a fait pour ses précédents numéros, RITA propose pour son douzième opus une section Champ Libre rassemblant plusieurs articles aux formes et aux sujets multiples.

Dans la rubrique Note de recherche, Nathan Gomes, formé à l’histoire de l’Art, interroge la figure de Maria Quitéria de Jésus, héroïne bahianaise de l’indépendance brésilienne, et à travers elle, la représentation féminine dans les peintures militaires des XIXe et XXe siècles. Poursuivant dans l’analyse des représentations du héros dans les Amériques, Lorena Lopes da Costa s’attarde sur les survivances de l’héroïsme épique décrite par Homère dans l’Iliade et l’Odyssée dans l’œuvre contemporaine du romancier brésilien João Guimarães Rosa.

De son côté, Etienne Sauthier, membre du Comité de rédaction de RITA, propose un Résumé de l’ouvrage de l’historienne Maud Chirio, intitulé La politique en uniforme, l’expérience brésilienne (1960-1980), paru en 2016, à même de comprendre la persistance du sentiment anticommuniste véhiculé par l’actuel président de la république, Jair Bolsonaro, et hérité de la dictature militaire (1964-1985). Sa lecture apparaît utile pour comprendre l’histoire contemporaine du Brésil ainsi que les causes de la résurgence récente de la pensée réactionnaire dans le plus grand pays latino-américain.  

Enfin, dans la rubrique Regards, Cléa Fortuné propose une réflexion intéressante sur les effets paradoxaux de la politique de sécurisation de la frontière États-Unis/Mexique conduite actuellement par Donald Trump. Elle montre en effet que la stratégie de criminalisation des migrants aboutit à la création de nouveaux problèmes de sécurité dans une région qui, historiquement, est marquée par des échanges transfrontaliers multiples. Elle offre ainsi une analyse critique permettant de mettre en déroute l’approche sécuritaire du contrôle des frontières à l’heure où, dans les Amériques comme dans le reste du monde, les tensions aux frontières semblent on ne peut plus vives.      

En guise de conclusion, nous souhaitons remercier chaleureusement les auteur.e.s et les lecteur·rice·s de ce douzième numéro que nous sommes particulièrement fiers de vous présenter et de vous proposer. Bonne lecture à toutes et à tous.

 

Nasser REBAÏ et Guillaume DUARTE, membres du Comité de Rédaction de RITA.

 

[1] Galeano Eduardo (1995). Football, ombre et lumière. Trad. de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu (2014). Montréal : Lux Éditeur.

En français, en español, in English, em português

Edito n°13

L’organisation de ce 13ème numéro de RITA a été particulière. À la fin 2019 nous nous sommes mobilisé·e·s, en tant que revue membre du collectif des Revues en Lutte, contre la Loi de la Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR) proposée par le gouvernement. Cette loi, qui vise à augmenter le contrôle de type managérial dans l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR), promet, par la dérégulation des statuts, de faire exploser la précarité (déjà si importante) au sein du personnel enseignant et administratif de l’Université. Ainsi, elle remet en cause l’autonomie universitaire et prévoit une concentration des moyens distribués par projet, masquant, en réalité, la mise en concurrence de tou·tes contre tou·tes et la dépendance accrue de la recherche aux intérêts économiques et industriels. La LPPR, présentée en Conseil des ministres en plein été, est plus que jamais d’actualité et nous continuons mobilisé·es et attentif·ves dans cette rentrée 2020. C’est pourquoi nous publions l’intégralité de l’éditorial commun des Revues en Lutte dans notre numéro 13 de RITA. 

Pendant la préparation de ce numéro, c’est ensuite la pandémie mondiale de la Covid-19 qui nous a pris de court, bouleversant nos vies, et nos façons de travailler, de nous déplacer, d’habiter, de consommer. Pendant le confinement, nous avons été nombreux·ses à nous poser des questions sur l’avenir écologique de la planète, sur nos relations avec le reste du vivant, mais aussi sur ce que signifie vivre en ville dans ce contexte. Dans la section Théma de notre numéro 13 de RITA, nous proposons justement une réflexion sur les villes américaines face aux changements globaux. Alors que les deux tiers de la population des Amériques vivent en ville, il nous a paru fondamental de réfléchir aux processus des bouleversements environnementaux planétaires à l’échelle urbaine. Ce choix nous semble aujourd’hui d’autant plus pertinent qu’on voit les effets particuliers de la crise environnementale, climatique et sanitaire dans les villes. Si la question environnementale se trouve au cœur de la notion de changements globaux, cette dernière propose aussi une vision systémique et diachronique de plusieurs autres dynamiques contemporaines qui accompagnent et participent à la dégradation de l’environnement et du climat, comme les bouleversements démographiques, du travail ou encore de la politique. À l’heure où les villes concentrent plusieurs de ces dynamiques, elles n’échappent pas aux effets de ces changements globaux qui se déroulent en dehors de leurs périmètres comme nous l’avons vu lors des incendies de forêt se déroulant actuellement, que ce soit sur la côte Ouest des États-Unis ou dans le Centre et Sud-Est du Brésil. Observer la ville sous cet angle consiste alors à la penser comme un écosystème propre, soumis à des aléas, et capables de résiliences autant que de résistances.

La partie Théma de ce numéro 13 de RITA réunit au total huit contributions, dont cinq articles scientifiques, deux entretiens et une nouvelle littéraire. On peut distinguer, parmi ces contributions, celles qui s’intéressent à l’échelle temporelle et l’inscription spatiale de ces changements dans la ville. C’est le cas de la contribution de Jonathan Tichit, qui réfléchit à la manière de rendre compte des ruines urbaines, symptômes des changements globaux dans le contexte de villes états-uniennes. Pour cela, il s’intéresse aux photographies de Robert Smithson, Lewis Baltz ou encore Joel Sternfeld qui saisissent les effets sans précédents de la mondialisation capitaliste sur les villes et l'environnement, de l’accélération du rythme de vie à l’augmentation de l’émission de gaz à effets de serre en passant par la pollution des sols et l’amenuisement des ressources exploitables. Maria Regina Weissheimer, pour sa part, questionne les politiques de valorisation patrimoniale de quartiers historiques brésiliens. Elle dresse un tableau de l'évolution sociologique de la population de ces quartiers depuis la mise en place des politiques patrimoniales en montrant que les résultats restent inégaux. 

Explorant également la capacité des politiques à transformer les villes, l’entretien de Cléa Fortuné avec Pierre-Alexandre Beylier, Maître de conférences à l’Université Grenoble-Alpes, spécialiste des frontières, nous offre un regard historique, économique, et politique sur ce qui fait la particularité des villes frontalières entre le Canada et les États-Unis. Sa lecture cerne les enjeux des relations américano-canadiennes, depuis leur bouleversement par les attentats du 11 septembre 2001, jusqu'à la fermeture partielle de la frontière en raison de la Covid-19. 

Les quatre dernières contributions se penchent quant à elles davantage sur les phénomènes de résistances et résiliences urbaines. Trois d’entre elles portent sur les villes brésiliennes. Mettant en relation les changements globaux avec la mobilisation sociale autour de la planification urbaine, Humberto Machado Lima Jr s'intéresse au projet politique du Mouvement "Passe Livre", dont les militants revendiquent la démocratisation et la gratuité des biens et services publics, en particulier les transports en commun. Il analyse la façon dont le mouvement cherche à contrer les formes de reproduction des inégalités à travers la construction d'un projet urbain alternatif et interroge le dialogue et les contrepoints de ce projet par rapport aux études urbaines brésiliennes, à la notion de marginalité employée par Manuel Castells ou encore au concept de ville-entreprise. L’entretien de Nathalia Capellini et François Weigel avec l’architecte-urbaniste brésilien João Sette Whitaker, professeur à l’Université de São Paulo, permet lui aussi de penser la ville à travers les inégalités qu’elle produit et reproduit. Il est ainsi question de la fabrique néolibérale des villes globales et de leur impact en termes d’urbanisme et d’augmentation des inégalités, sans oublier une mise en relation avec le contexte politique brésilien actuel.

L’inscription des relations de pouvoir dans la ville est multiple. À ce titre, Angèle Proust s’intéresse pour sa part à la confrontation de deux modèles socio-spatiaux d’agriculture urbaine dans les espaces métropolitains de São Paulo. Son analyse lui permet de penser la justice alimentaire à l’échelle d’une mégalopole et d’interroger le rôle de l’agriculture pour la valorisation des marges urbaines et l’émancipation des acteurs locaux.

L’article de Félix Gueguen s’intéresse quant à lui au quartier de Plaza de la Hoja à Bogotá en Colombie et à la relocalisation des populations victimes du conflit armé en milieu urbain et à leur intégration dans de nouveaux quartiers. À travers cela, il interroge, en mobilisant notamment des cartes mentales dessinées par ses interlocuteur·rices, les notions d’identité et de reconstruction identitaire des déplacé·es. Enfin, son étude insiste sur la politisation des projets d’urbanisme et des logements sociaux destinés aux populations déplacées de force, et les limites de ces projets inaboutis.

Pour achever ce dossier thématique, nous avons le plaisir et l’honneur de publier un texte inédit produit par Ronaldo Correia de Brito, l'un des écrivains brésiliens les plus importants du panorama littéraire actuel. Nous plongeant dans le monde urbain, il en offre une approche fictionnelle, à travers le regard d'un promeneur qui, étouffé par les jours vides de quarantaine et l'angoisse du coronavirus, s'enfonce dans les rues désertes et désolantes d'une ville de Recife labyrinthique.

En outre, RITA accueille dans sa partie Champ libre deux autres contributions. Dans la perspective d'une réflexion sur notre métier d'enseignant-chercheur, Christophe Brochier nous propose un texte où il s'interroge sur les défis de l'enseignement des sciences sociales en licence. Même si les difficultés sont présentes, l'auteur nous invite à penser que cela peut être l'occasion pour introduire "la perspective de la recherche" dans nos activités d'enseignement, en utilisant la "logique de chercheur" pour transmettre des connaissances adaptées aux besoins formatifs des étudiants.

Dans la seconde, André Sanches Siqueira Campos et Tullo Vigevani font dialoguer Amado Cervo, professeur d’histoire des relations internationales de l’Université de Brasilia et Audrey Alejandro qui a publié en 2019 un ouvrage intitulé : Western Dominance in International Relations? The Internationalisation of IR in Brazil and India. En s’appuyant sur ces deux auteur·rices, Campos et Vigevani questionnent l’existence d’une théorie des relations internationales proprement brésilienne. Il s’agit ainsi d’interroger la production de connaissances et de théories et leur internationalisation depuis les Suds.

Pour terminer, nous tenons à remercier chaleureusement les auteur·rices et les lecteur·rices pour leur participation à ce numéro de RITA. Bonne lecture à toutes et tous ! Au plaisir de prochaines collaborations,

Nathalia Capellini et Céline Raimbert pour le Comité de rédaction de RITA

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Edito n°13

La organización de este número 13 de RITA fue peculiar. A finales de 2019, como miembros del colectivo Revistas en Lucha (Revues en Lutte), nos movilizamos contra la Ley Plurianual de Programación de la Investigación (LPPR) propuesta por el gobierno francés. Esta ley, que tiene por objetivo aumentar el control de tipo gerencial (management) en la enseñanza superior y la investigación, promete, a través de la desregulación de los estatutos, disparar la precariedad (ya tan importante) entre el personal docente y administrativo de la Universidad. Así pues, pone en tela de juicio la autonomía de la universidad y prevé la concentración de los recursos distribuidos por proyectos, escondiendo, en realidad, la competencia de tod@s contra tod@s y la creciente dependencia de la investigación a los intereses económicos e industriales. La LPPR, presentada al Consejo de Ministros a mediados del verano, está de actualidad más que nunca y seguimos movilizad@s y atent@s en el nuevo año académico 2020. Por ello, publicamos el editorial conjunto de las Revistas en Lucha en nuestro número 13 de RITA.

Durante la preparación de este número, la pandemia mundial de Covid-19 también nos tomó por sorpresa, cambiando nuestras vidas, nuestra forma de trabajar, de movernos, de vivir y de consumir. Durante el confinamiento, muchos de nosotros nos hemos interrogado sobre el futuro ecológico del planeta, sobre nuestras relaciones con el resto del mundo vivo, pero también sobre lo que significa vivir en la ciudad en este contexto. En la sección Théma de nuestro número 13 de RITA, ofrecemos una reflexión sobre las ciudades americanas ante los cambios globales. Dado que dos tercios de la población de las Américas vive en la ciudad, nos pareció fundamental reflexionar sobre los procesos de cambios ambientales mundiales a nivel urbano. Esta elección parece tanto más relevante hoy en día dados los efectos particulares de la crisis ambiental, climática y sanitaria en las ciudades. Si la cuestión ambiental está en el centro de la noción de cambio global, ésta propone también una visión sistémica y diacrónica de varias otras dinámicas contemporáneas que acompañan y participan en la degradación del medio ambiente y del clima, como los impactos demográficos, laborales y políticos. En un momento en que las ciudades concentran muchas de estas dinámicas, no pueden escapar a los efectos de estos cambios globales que están operando fuera de sus perímetros, como hemos visto en los incendios forestales que se están produciendo en la actualidad, ya sea en la costa oeste de los Estados Unidos o en el centro y sureste de Brasil. Observar la ciudad desde este ángulo significa pensar en ella como un ecosistema, sujeto a peligros, tan potencialmente resiliente como resistente.

La parte temática de este número 13 de RITA (Théma) reúne un total de ocho contribuciones, entre las que se incluyen cinco artículos científicos, dos entrevistas y un ensayo literario. Dentro de estas contribuciones, se puede distinguir entre las que se refieren a la escala temporal y la inscripción espacial de estos cambios en la ciudad. Este es el caso del texto de Jonathan Tichit, que reflexiona sobre cómo dar cuenta de las ruinas urbanas como síntomas del cambio global en el contexto de las ciudades de los Estados Unidos. Para ello, se interesa en las fotografías de Robert Smithson, Lewis Baltz y Joel Sternfeld, que captan los efectos sin precedentes de la globalización capitalista en las ciudades y el medio ambiente, desde la aceleración del ritmo de vida hasta el aumento de las emisiones de gases de efecto invernadero, o desde la contaminación del suelo hasta el agotamiento de los recursos explotables. Maria Regina Weissheimer, por su parte, cuestiona las políticas de valorización del patrimonio de los barrios históricos brasileños. La autora da una idea de la evolución sociológica de la población de estos barrios desde la aplicación de las políticas patrimoniales, y muestra que los resultados siguen siendo desiguales.

Explorando también la capacidad de las políticas para transformar las ciudades, la entrevista de Cléa Fortuné con Pierre-Alexandre Beylier, profesor titular de la Universidad de Grenoble-Alpes, especialista en fronteras, nos ofrece una visión histórica, económica y política de lo que hace especiales a las ciudades fronterizas entre Canadá y los Estados Unidos. Su lectura en profundidad identifica los desafíos presentes en las relaciones americano-canadienses, que se vieron sacudidas por los ataques del 11 de septiembre de 2001, hasta el cierre parcial de la frontera debido a la Covid-19.

Las últimas cuatro contribuciones examinan más de cerca los fenómenos de resistencia y resiliencia urbana. Tres de ellas se centran en las ciudades brasileñas. Vinculando los cambios globales con la movilización social en torno a la planificación urbana, Humberto Machado Lima Jr. analiza el proyecto político del movimiento "Passe Livre", cuyos activistas reclaman la democratización y gratuidad de los bienes y servicios públicos, especialmente el transporte público. Analiza la forma en que el movimiento busca contrarrestar las formas de reproducción de las desigualdades a través de la construcción de un proyecto urbano alternativo y cuestiona el diálogo y los contrapuntos de este proyecto en relación con los estudios urbanos brasileños, la noción de marginalidad utilizada por Manuel Castells o el concepto de ciudad-empresa. La entrevista de Nathalia Capellini y François Weigel con el arquitecto y urbanista brasileño João Sette Whitaker, profesor de la Universidad de São Paulo, también les permite pensar en la ciudad a través de las desigualdades que produce y reproduce. Se discute la fábrica neoliberal de las ciudades globales y su impacto en términos de planificación urbana, así como el aumento de las desigualdades, sin olvidar su relación con el actual contexto político brasileño.

La inscripción de las relaciones de poder en la ciudad es múltiple. Angèle Proust se interesa en la confrontación de dos modelos socioespaciales de agricultura urbana en las áreas metropolitanas de São Paulo. Su análisis le permite pensar en la justicia alimentaria a escala de megalópolis y cuestionar el papel de la agricultura en la mejora de los márgenes urbanos y la emancipación de los actores locales.

El artículo de Félix Gueguen está centrado en el barrio de la Plaza de la Hoja de Bogotá y en la reubicación de las personas afectadas por el conflicto armado en zonas urbanas y su integración en nuevos barrios. De esta manera, y a través del uso de mapas mentales dibujados por sus interlocutores, interroga las nociones de identidad y de reconstrucción identitaria de las poblaciones reubicadas. Por último, su estudio insiste en la politización de los proyectos de planificación urbana y de vivienda social para las poblaciones desplazadas por la fuerza, y en los límites de estos proyectos inacabados.

Para concluir este dossier temático, nos complace y honra publicar un texto inédito producido por Ronaldo Correia de Brito, uno de los escritores brasileños más importantes del panorama literario actual. Sumergiéndonos en el mundo urbano, nos ofrece un acercamiento ficticio al mismo, a través de los ojos de un caminante que, asfixiado por los días vacíos de su confinamiento y la angustia del coronavirus, se hunde en las calles desiertas y desoladoras de la laberíntica ciudad de Recife.

Además, RITA acoge con satisfacción en su sección de campo abierto (Champ Libre) otras dos contribuciones. En la perspectiva de una reflexión sobre nuestro oficio de docentes-investigadores, Christophe Brochier nos propone un texto donde se interroga sobre los desafíos de la enseñanza de las Ciencias Sociales en los primeros años del grado universitario. Incluso si las dificultades están presentes, el autor se inclina a pensar que éstas pueden ser la ocasión para introducir “la perspectiva de la investigación” en nuestras actividades docentes, utilizando la “lógica del investigador” para transmitir conocimientos adaptados a las necesidades formativas de los estudiantes.

En la segunda, André Sanches Siqueira Campos y Tullo Vigevani reúnen a Amado Cervo, Profesor de Historia de las Relaciones Internacionales de la Universidad de Brasilia, y a Audrey Alejandro, quien en 2019 publicó un libro titulado Western Dominance in International Relations? The Internationalisation of IR in Brazil and India. Basándose en estos dos autores, Campos y Vigevani cuestionan la existencia de una teoría específicamente brasileña de las relaciones internacionales. Su objetivo es preguntarse acerca de la producción de conocimientos y teorías, y su internacionalización desde el Sur.

Para concluir, quisiéramos agradecer calurosamente a l@s autor@s y lector@s por su participación en este número de RITA. ¡Feliz lectura para tod@s ustedes! Y esperando sus futuras colaboraciones,

Nathalia Capellini y Céline Raimbert para el Comité de redacción de RITA.

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Edito n°13

The organization of RITA’s issue #13 was special. At the end of 2019 we mobilized, as a member of the Revues en Lutte collective, against the Multi-Year Research Planning Law (LPPR) proposed by the French government. This law, which aims to increase managerial control in higher education and research, promises to massively increase the already-existing precariousness among universities’ teaching and administrative staff through the further deregulation of their employment statuses. Thus, the bill undermines universities’ autonomy and provides for a concentration of project-allocated resources, masking the competition of all against all and the increased dependence of research on economic and industrial interests. The LPPR, presented to the Council of Ministers in the middle of the summer, is more topical than ever and we continue to be mobilized and focused in the new academic year 2020. This is why we are publishing the entire joint editorial of the Revues en Lutte collective in our latest issue.

As we were preparing the issue, we were also taken by surprise by the Covid-19 global pandemic, upsetting our lives, our ways of working, moving, living, and consuming. During the national lockdown, many of us worried about the ecological future of the planet, about our relations with the rest of the living world, but also about what it means to live in the city in this context. In the issue’s Théma section, we offer a reflection on American cities in the face of global changes. With two-thirds of the population of the Americas living in cities, it seemed fundamental to us to reflect on the processes of global environmental upheavals at the urban level. This choice seems all the more relevant today given the particular effects of the environmental, climate, and health crisis in cities. If the environmental question is at the heart of the notion of global change, the notion proposes a systemic and diachronic vision of several other contemporary dynamics that accompany and participate in the degradation of the environment and the climate, such as demographic, labor, and political turmoils. At a time when cities concentrate several of these dynamics, they cannot escape the effects of these global changes taking place outside of their perimeters. This has been illustrated by the forest fires currently taking place, whether on the US West Coast or in central and southeastern Brazil. Observing the city from this angle means thinking of it as an ecosystem that is clean, subject to hazards, and capable of resilience as well as resistance.

The Théma section brings together a total of eight contributions, including five scientific articles, two interviews and a literary short story. Among these contributions, we can distinguish those focusing on the temporal scale and the spatial inscription of changes in the city. This is the case of Jonathan Tichit's contribution, which reflects on urban ruins as symptoms of global changes in the context of US cities. To this end, he is interested in the photographs of Robert Smithson, Lewis Baltz, and Joel Sternfeld, who capture the unprecedented effects of capitalist globalization on cities and the environment, from the acceleration of the pace of life to the increase in greenhouse gas emissions, from soil pollution to the depletion of exploitable resources. Maria Regina Weissheimer, for her part, questions conservation enhancement policies in Brazil’s historic districts. She gives a picture of the sociological evolution of these districts’ population since the implementation of conservation policies, showing that the results remain uneven. Also exploring the capacity of policies to transform cities, Cléa Fortuné's interview with Pierre-Alexandre Beylier, an assistant professor at the Université Grenoble-Alpes who specializes on borders, offers us a historical, economic, and political outlook on what makes cities on the US-Canada border so special. Beylier’s in-depth reading identifies the stakes of American-Canadian relations, which were shaken by the attacks of September 11, 2001, until the partial closure of the border due to Covid-19.

The last four contributions look more closely at the phenomena of urban resistance and resilience. Three of them focus on Brazilian cities. Linking global changes with social mobilization around urban planning, Humberto Machado Lima Jr. analyzes the political project of the "Passe Livre" movement, whose activists are demanding democratization and free public goods and services, particularly public transport. He examines how the movement seeks to counter the forms of reproduction of inequalities through the construction of an alternative urban project, but he also questions the dialogue and counterpoints of this project in relation to Brazilian urban studies, the notion of marginality used by Manuel Castells, or the concept of the city-enterprise. Nathalia Capellini and François Weigel's interview with Brazilian architect-urban planner João Sette Whitaker, a professor at the University of São Paulo, also offers critical insight on how to think about the city in terms of the inequalities it produces and reproduces. The interview addresses issues like the neo-liberal factory of global cities and its impact on urban planning and the increase in inequalities without forgetting to relate it to the current Brazilian political context.

The inscription of power relations in the city is multiple. Angèle Proust’s article studies the confrontation of two socio-spatial models of urban agriculture in the metropolitan areas of São Paulo. Her analysis allows her to think about food justice at the megalopolis scale and to question the role of agriculture in enhancing urban margins and empowering local actors.

Félix Gueguen focuses on the Plaza de la Hoja neighborhood in Bogotá, Colombia, and on how victims of the armed conflict were relocated to urban areas and integrated into new neighborhoods. In doing so, he comes to interrogate the notions of identity and the reconstruction of identity of the displaced, using mental maps drawn by his interlocutors. Finally, his study insists on the politicization of urban planning projects and social housing targeting populations displaced by force, and the limits of these unfinished projects.

To conclude this thematic dossier, we are pleased and honored to publish an unpublished text written by Ronaldo Correia de Brito, one of the most important Brazilian writers of the current literary panorama. Immersing us in the urban world, he offers a fictional approach through the eyes of a walker who, suffocated by the empty days of his forties and the anguish of the coronavirus, sinks into the deserted and desolate streets of the labyrinthine city of Recife.

In addition, RITA welcomes two other contributions in its Champ Libre section. The first, in the section Fabrique de la Recherche, is proposed by Christophe Brochier. In the perspective of a reflection on our profession of teacher-researcher, his contribution questions the challenges of teaching social sciences in undergraduate programs. Even if there are real difficulties, the author suggests that this may be an opportunity to introduce "the research perspective" into our teaching activities, using the "researcher's logic" to pass on knowledge adapted to students’ formative needs.

In the second piece, André Sanches Siqueira Campos and Tullo Vigevani bring together Amado Cervo, a professor in history of international relations at the University of Brasilia, and Audrey Alejandro, who published in 2019 Western Dominance in International Relations? The Internationalisation of IR in Brazil and India. Through a joint review of the two authors, Campos and Vigevani question the existence of a specifically Brazilian theory of international relations. They question the production of knowledge and theories and their internationalization from the South.

In conclusion, we would like to warmly thank the authors and readers for their participation in this issue. Happy reading to all of you! We are looking forward to future collaborations,

Nathalia Capellini and Céline Raimbert, for RITA’s editorial committee

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Edito n°13

A organização desse número 13 da RITA foi particular. No final do ano 2019, enquanto integrantes do coletivo das Revistas em Luta, participamos da mobilização contra a Lei da Programação Plurianual de Pesquisa (LPPR) proposta pelo governo francês. Essa lei pretende aumentar o controlo administrativo do ensino superior e desregulamentar os cargos públicos universitários, podendo assim aumentar exponencialmente a precariedade, já muito alta, das equipes pedagógicas e administrativas da Universidade. Ela ameaça a autonomia universitária e prevê uma concentração dos recursos distribuídos por projeto, mascarando ne verdade uma competição cada vez acirrada de todos contra todos e a subordinação da pesquisa à interesses econômicos e industriais. A LPPR, apresentada no Conselho dos Ministros em pleno verão europeu, está mais do que nunca na agenda do governo e por isso continuamos mobilizados e atentos nesse início de semestre. Por isso, publicamos a integralidade do editorial comum das Revistas em Luta (em francês), nesse número da RITA.

Durante a preparação dessa edição, foi também a pandemia mundial do novo coronavírus que nos abalou, afetando nossas vidas, maneiras de trabalhar, se locomover e morar . Durante o confinamento, muitos de nós começamos a nos interrogar sobre o futuro ecológico do planeta, nossas relações com os outros seres vivos, mas também nos significados da vida nas cidades em meio a esse contexto. Na seção Tema do número 13 da revista RITA, propomos, precisamente, uma reflexão sobre as cidades americanas frente às mudanças globais. Enquanto dois terços da população das Américas vivem em cidades, consideramos fundamental uma reflexão sobre os processos de transformações ambientais planetárias na escala urbana. Essa escolha nos pareceu ainda mais pertinente ao constatar os efeitos particulares da crise ambiental, climática e sanitária nas cidades. Por certo, a questão ambiental está no coração da noção de mudanças globais, mas ela propõe também uma visão sistêmica e diacrônica de várias dinâmicas contemporâneas que acompanham e participam da degradação do meio-ambiente e do clima - como as transformações da demografia, do mundo do trabalho ou ainda da política. Numa época em que as cidades concentram muitos desses processos, elas também são afetadas pelos efeitos das mudanças globais que acontecem fora de seus perímetros, como o observamos no caso dos incêndios recentes em florestas da costa oeste dos Estados Unidos ou no Centro-Oeste e Norte do Brasil. Observar a cidade sob esse ângulo consiste então em considerá-la como um ecossistema próprio, sujeito à contingências e capaz tanto de resiliências quanto de resistências.

A parte Tema do número 13 da RITA reúne, no total, oito contribuições: cinco artigos científicos, duas entrevistas e um conto literário. Podemos distinguir entre essas contribuições, as que se interessam pela escala temporal e pela inscrição espacial dessas mudanças nas cidades. É o caso do artigo de Jonathan Tichit, que reflete sobre a maneira de compreender as ruínas urbanas, sintomas das mudanças globais no contexto das cidades estadunidenses. Para tanto, ele se interessa pelas fotografias de Robert Smithson, Lewis Baltz ou ainda Joel Sternfeld, que capturam os efeitos sem precedentes da globalização capitalista sobre as cidades e o meio-ambiente – da aceleração do ritmo de vida até o aumento na concentração dos gases de efeito estufa, passando pela poluição dos solos e a hipertrofia dos recursos naturais. A questão das ruínas leva assim a uma reflexão mais ampla sobre o patrimônio urbano. Nessa ótica, Maria Regina Weissheimer questiona as políticas de valorização patrimonial de bairros históricos brasileiros. Ela tenta elaborar um quadro da evolução da população nesses bairros desde os primórdios das políticas patrimoniais, demonstrando que, em muitos casos, o resultado não é sempre satisfatório. Observando também a capacidade das políticas públicas de transformar as cidades, a entrevista de Cléa Fortuné com Pierre-Alexandre Beylier, Professor na Universidade Grenoble-Alpes e especialista das fronteiras, nos oferece um olhar histórico, econômico e político sobre aquilo que faz a particularidade das cidades fronteiriças entre o Canadá e os EUA. Sua leitura aprofundada penetra nas relações entre esses dois países, afetadas pelos atentados do 11 de setembro de 2001, e alteradas agora pelo fechamento parcial da fronteira por causa do coronavírus.

As quatro últimas contribuições se debruçam sobre os fenômenos de resistências e resiliências urbanas – e, entre elas, três se focalizam sobre as cidades brasileiras.

Pondo em relação as mudanças globais com a mobilização social em torno do planejamento urbano, Humberto Machado Lima Jr. se interessa pelo projeto político do Movimento Passe Livre, cujos militantes reivindicam a democratização e a gratuidade dos bens e serviços públicos, em particular os transportes coletivos. Ele analisa de que forma o movimento visa a lutar contra as formas de reprodução das desigualdades através da construção de um projeto urbano alternativo, interrogando o diálogo e os contrapontos desse projeto com os estudos urbanos brasileiros, a noção de marginalidade utilizada por Manuel Castells ou o conceito de cidade-empresa. A entrevista de Nathalia Capellini e François Weigel com o arquiteto-urbanista João Sette Whitaker, professor na Universidade de São Paulo, permite também pensar na cidade sob o prisma das desigualdades que ela produz e reproduz. São assim evocadas a fábrica neoliberal das cidades globais e suas consequências sobre o urbanismo e o aumento das desigualdades, sem esquecer de ponderar a relação entre essas questões e o contexto político brasileiro atual.

A presença de relações de poder na cidade é múltipla. Angèle Proust, por sua vez, se centra no confronto de dois modelos sócio-espaciais de agricultura urbana nas áreas metropolitanas de São Paulo. Sua análise permite refletir sobre a justiça alimentar na escala de uma megalópole, questionar o papel da agricultura para a valorização das margens urbanas e a emancipação dos atores locais.

Quanto ao artigo de Félix Guegen, ele mergulha no bairro de Plaza de la Hoja em Bogotá, na Colômbia, observando a relocalização de populações vítimas do conflito armado em meio urbano e a sua reintegração em novos bairros. Dessa forma, o autor questiona, as noções de identidade e de reconstrução identitária das pessoas deslocadas mobilizando em particular mapas mentais desenhados por seus interlocutores. Por fim, seu estudo insiste na politização dos projetos de urbanismo e de moradia social destinados às populações removidas e nos limites desses projetos inacabados.

Para fechar esse dossiê temático (Dossier), temos o prazer e a honra de publicar um texto inédito produzido por Ronaldo Correia de Brito, um dos mais importantes escritores brasileiros do panorama literário atual. Ele nos oferece uma perspectiva ficcional sobre o cenário urbano contemporâneo, através do olhar de um passeante que, exaurido pelos dias vazios de quarentena e pela angústia no contexto da pandemia de coronavírus, mergulha nas ruas desertas e desoladoras de um Recife labiríntico.

Além disso, RITA acolhe em suas páginas Champ libre duas outras contribuições. Com o objetivo de refletir sobre a nossa profissão de professores e pesquisadores, Cristophe Brochier nos propõe uma reflexão sobre os desafios do ensino das ciências sociais no bacharelado. O autor considera que esta pode ser uma oportunidade de introduzir "uma perspectiva da pesquisa" em nossas atividades de ensino, utilizando a "lógica do pesquisador" para transmitir conhecimentos adaptados às necessidades de formação dos alunos. Na segunda, André Sanches Siqueira Campos e Tullo Vigevani fazem dialogar Amado Cervo, professor de História das Relações Internacionais na Universidade de Brasília e Audrey Alejandro, que publicou em 2019 um livro intitulado Western Dominance in International Relations? The Internationalisation of IR in Brazil and India. Apoiando-se na leitura desses dois autores, Campos e Vigevani questionam a existência de uma teoria das relações internacionais propriamente brasileira. Trata-se de interrogar a produção de conhecimentos e de teorias, assim como sua internacionalização a partir dos países do Sul.

Em conclusão, não podemos deixar de agradecer calorosamente aos autores e pareceristas pela sua participação nesse número da RITA. Boa leitura para todos e todas! Já estamos aguardando ansiosamente as futuras colaborações,

Nathalia Capellini e Céline Raimbert para o Comité de redação da RITA